Leur étude présente certaines difficultés, car leur évolution, qui se poursuit depuis l’époque des Sévères, dont nous avons déjà dégagé les traits essentiels (supra, tome 2, p. 104 sq.), est discontinue dans le temps, avec des retours aux tendances « classicisantes » lors des « Renaissances » (sous Gallien, Constantin et Théodose), qui affectent certaines formes de l’art, et inégale dans l’espace, si l’on tient compte des grands secteurs géographiques, Rome et l’Italie, les pays d’Europe, l’Orient et l’Afrique. Dans l’ensemble, la notion de décadence, que l’on appliquait autrefois généreusement à toute l’activité artistique des deux derniers siècles de l’Antiquité, est aujourd’hui dépassée, depuis que l’on s’est avisé que le classicisme gréco-romain n’était pas forcément le seul idéal concevable, mais caractérisait simplement une des grandes périodes de l’histoire de l’art antique. Un autre problème reçoit aujourd’hui des solutions neuves, celui des influences orientales extérieures au monde romain (influences parthes, sassanides, voire sarmates), que l’on tend à résoudre dans la plupart des cas par la négative, non sans discussions serrées. L’art du Bas-Empire a évolué surtout de l’intérieur, sous l’influence de conditions qui doivent être d’emblée rappelées et précisées25.
La crise du IIIe siècle a accentué le déclin de l’art propre aux classes cultivées, la classe sénatoriale avant tout, fidèle par tradition au classicisme, et elle a provoqué indiscutablement un appauvrissement temporaire de l’art, et surtout de l’architecture faiblement représentée, car trop coûteuse, entre la fin des Sévères et la Tétrarchie. En revanche, des classes nouvelles parviennent au premier plan, chevaliers et bureaucrates issus de l’armée et des provinces, militaires venus de la paysannerie danubienne. Au déclin de l’art classique correspond le triomphe de l’art plébéien et populaire, que certains du reste (G. Picard) estiment accompli dès la fin du IIe siècle, ce qui assure la continuité de l’évolution ; le triomphe également des arts locaux en pleine renaissance dans les ateliers provinciaux, et souvent influencés eux-mêmes par les tendances plébéiennes de l’art de l’Italie du Nord (sensibles surtout dans les provinces danubiennes26). Les conditions politiques et religieuses ont également changé. La monarchie absolue (le « dominat » des auteurs d’autrefois) remplace le régime plus libéral du principat sous un aspect plus militaire et brutal au IIIe siècle, plus bureaucratique au IVe siècle. Le IIIe siècle a exalté la « volonté de puissance », l’énergie impitoyable des grands empereurs qui transparaît dans leurs portraits et la structure même de leurs visages. Au IVe siècle, l’empereur est surhumanisé parce qu’il règne par la grâce de Dieu et que quelque chose de divin doit se refléter dans ses représentations et son environnement ; tout ce qui touche à l’empereur est sacré, d’où l’aspect « aulique » de l’art officiel. Le IIIe siècle est celui des religions orientales et le IVe voit la victoire du christianisme, qui est également une religion orientale et répond aux mêmes besoins spirituels. Les classiques vivaient dans un monde clos et bien organisé, sous des dieux nettement distincts et anthropomorphisés, dont les statues de culte firent la gloire du classicisme gréco-hellénistique. Les aspirations nouvelles ne pouvaient rester sans effet sur l’expression artistique : désir d’immortalité et du salut individuel, goût de l’effusion mystique, d’une religion sensible au cœur, attrait des Mystères, de la divination, de la magie et des superstitions de toutes sortes, en somme le primat de l’irrationnel. A cela s’ajoute, agissant dans le même sens, le drame perpétuel que fut au IIIe siècle l’existence des habitants d’une grande partie de l’Empire, guerres, invasions, massacres, ruines, insécurité. De là cette « douleur de vivre » si parfaitement analysée par R. Bianchi-Bandinelli27. Les conséquences en furent le triomphe du spiritualisme, le détachement du monde réel, l’abandon du naturalisme pour le symbolisme dans les représentations, la décomposition des formes. Reliefs et peintures ne racontent plus, ils représentent et suggèrent, par de nouveaux moyens d’expression, la répétition du geste, l’inégalité des tailles, la frontalité des personnages principaux, pour le relief ; le « tachisme » et la dissolution de la forme, un sens très vif de la couleur, pour la peinture ; pour la mosaïque et le sarcophage, on passe de la représentation naturaliste à la thématique symbolique, et ainsi de suite. Dans le droit fil de ces tendances nouvelles s’insère le christianisme, qui introduit une nouvelle thématique tirée de la Bible et des Évangiles et recourt depuis ses origines au symbolisme, par prudence d’abord, par goût du spirituel et de l’inexprimable ensuite. L’une des plus remarquables convergences est celle de l’art impérial-aulique et de l’art chrétien : Dieu est représenté en majesté, comme un empereur, et l’empereur se meut dans un environnement déjà divin.
L’art impérial s’exprime d’abord dans l’architecture, mais il faut attendre l’époque tétrarchique pour voir les souverains affirmer leur puissance dans le caractère colossal de leurs constructions, thermes de Dioclétien, énormes et complexes, avec leurs immenses voûtes portées très haut et une décoration intérieure somptueuse qui a malheureusement disparu (aujourd’hui le Musée national à Rome), palais de Maximien à Milan (disparu), basilique dite de Maxence sur le forum romain, palais et basilique constantiniens de Trèves, palais de Dioclétien à Spalato, en forme de castrum. L’architecture de la villa de Piazza Armerina en Sicile, probablement de cette époque et peut-être construite pour Maximien (infra, p. 232), est également un bon exemple de l’architecture tétrarchique. Si partout les décors précieux, marbres colorés et mosaïques ont disparu (sauf à Piazza Armerina), les reliefs de l’époque tétrarchique et constantinienne sont assez nombreux et expressifs, sur l’arc de Galère à Salonique (Thessalonique) et sur celui de Constantin à Rome, de peu postérieur (315). Les reliefs de l’arc de Galère, fortement détachés du fond, représentent des scènes classiques de bataille (campagne perse de 297) et de triomphe. La composition est confuse et un grand nombre de personnages remplissent tout l’espace. Leur contour, parfois souligné d’un trait, révèle le travail d’ateliers locaux. D’épaisses corniches et des bandes transversales décorées alourdissent le rythme. L’arc de Constantin à Rome est d’architecture classique, richement décoré (mis à part les remplois de l’époque antonine, supra, tome 2, p. 103) de frises originales qui représentent des scènes de bataille (Vérone, Pont Milvius), un cortège de Constantin, un discours impérial (oratio) et une distribution au peuple (liberalitas). L’art plébéien, simplificateur et rude, fait ici sa trouée dans l’art officiel qui impose à son tour l’immobile frontalité du souverain élu de la divinité et la hiérarchisation des personnages que distingue leur taille selon leur rang : image frappante de la fixité des conditions au Bas-Empire28. A l’extrême fin du siècle, Théodose créa à Constantinople un nouveau forum (Forum Tauri) orné en son centre d’une colonne historiée dont les scènes de bataille rappellent celles de la colonne de Marc Aurèle, avec un dessin plus précis et un relief moins saillant, mais seuls de petits fragments en ont survécu. En revanche, la base de l’obélisque placé en 390 sur la spina de l’hippodrome est bien conservée. Son registre supérieur présente la famille impériale suivie de dignitaires et le registre inférieur la foule écoutant l’allocution de l’empereur ou recevant ses distributions, selon des thèmes constantiniens qui ont provoqué des erreurs de datation chez certains savants. Cependant le style est différent malgré la frontalité, la symétrie et les proportions hiérarchisées. La forme plastique est ici plus aristocratique (aulique) que populaire et correspond à une « présentation d’apparat », selon une idéologie déjà byzantine29.
L’iconographie impériale du IIIe siècle exprime la volonté de puissance et une énergie mêlée d’angoisse (portraits de Dèce ou de Claude le Gothique). Si l’on met à part l’époque de Gallien où un certain classicisme adoucit la physionomie de l’empereur aux yeux levés vers le ciel, les autres portraits respirent surtout la force : figures rudes aux lèvres serrées, à la structure carrée et lourde, soulignée par une barbe courte (portraits de Dioclétien, de Constantin à ses débuts). Les portraits de Constantin victorieux et seul maître de l’Empire en diffèrent par une colossale et inerte massivité, corrigée par les yeux très largement ouverts, « où s’expriment le pouvoir magique du regard et le contenu spirituel qu’on veut donner au personnage » (R. Bianchi-Bandinelli)30 : telles sont les statues colossales du palais des Conservateurs à Rome, l’une en marbre, l’autre en bronze, celle-ci attribuée parfois à Constance II, ce qui ne change rien du point de vue de l’étude stylistique. Ce type de portrait dure pendant tout le siècle, sauf sous Julien, plus classique, et à la fin de la période, avec le retour d’influences plus classicisantes, les visages s’allongent et s’affinent à l’époque théodosienne. La statue colossale de Barletta que certains traits apparentent à celles de Constantin, est trop brutale pour appartenir à l’art du IVe siècle : on l’a attribuée à Valentinien Ier, mais elle représenterait plutôt un souverain du siècle suivant, ce qui montre du moins la persistance de cette forme iconographique31. Appartiennent encore à l’art aulique, par leur luxe, leur finesse et une facture classicisante, de beaux objets en métal comme le service d’argenterie de Projecta, dont la meilleure pièce est un coffret en feuille d’argent repoussé, où sont figurés, pour cette chrétienne dont le pape Damase rédigea l’inscription funéraire en 384, Vénus et ses Amours, des Néréides et des Tritons : ces thèmes païens n’avaient alors qu’une valeur ornementale et trahissent un goût classique. Le missorium de Madrid, magnifique plat d’orfèvrerie offert par Théodose à l’occasion de ses Decennalia en 388 à un dignitaire espagnol, bel exemple de cet art aulique en pleine renaissance, est déjà très byzantin. Il en est de même pour les diptyques d’ivoire que les grands personnages offraient à leurs amis (diptyques consulaires), pièces délicatement sculptées de reliefs de style aulique (diptyque de Stilicon) ou officiel (diptyque des Lampadii).
Avec la diffusion croissante de l’inhumation qui remplace depuis le IIe siècle la crémation, se développe l’art nouveau des sarcophages à reliefs, qui caractérise les IIIe et IVe siècles32. Pour le IIIe siècle, c’est dans ce genre de production que se réfugie parfois le grand art, mais au service des riches, seuls capables de commander ces pièces, faites d’avance dans des ateliers spécialisés d’Asie Mineure, de l’Attique et de Rome, qui ne laissaient inachevée que la tête de leur futur client. La disposition des reliefs, le cadre ou le fond architectural, les thèmes figurés et le style même permettent de décrire sommairement l’évolution. Les plus anciens, de l’époque de Trajan et Hadrien, sont souvent à guirlandes et putti, ou ornés de compositions mythologiques issues de cartons inspirés par des peintures de l’Asie Mineure (Oreste, les Niobides, Alceste et Hercule), ou encore de scènes de bataille d’origine pergaménienne. Un type nouveau apparaît sous Commode, aux représentations plus réalistes (barbares authentiques, Quades et Germains) et aux physionomies douloureuses. Ce type de sarcophage, typiquement romain, expose pour la première fois la douleur morale, l’angoisse de l’esprit (supra, tome 1, p. 103). D’autre part, aux reliefs mythologiques purement décoratifs, même si parfois leur thème est le symbole de la vie de l’Au-delà (le retour d’Alceste), se substituent des représentations dont la charge symbolique est plus évidente, traitées en un style élégant, très soigné, parfois léché avec un expressionnisme baroque : sarcophages à arcades ou colonnettes, à strigiles (formes en longs SS étroits, obliques et parallèles). Les grands thèmes du IIIe siècle s’inspirent ainsi des légendes de Dionysos et Ariane, Médée, Méléagre, Phèdre et Hippolyte33. La chasse au lion est fréquemment figurée, car, depuis Hadrien au moins, elle a une valeur symbolique : la chasse aux fauves exerce la Virtus de l’empereur victorieux et symbolise ensuite la victoire sur la mort34. Un peu plus tard apparaissent des scènes « laïques », si l’on peut dire, illustrant la vie du défunt, son métier et ses qualités, et rappelant surtout que les élites cultivées espéraient l’immortalité par les Muses : scènes pédagogiques, maître instruisant, personnages lisant et méditant. Un officier même, Peregrinus, est figuré ainsi comme un philosophe, entre d’autres philosophes et des Muses. On distingue deux sortes de techniques d’origine orientale, imitées à Rome ou réalisées par des ateliers venus d’Asie Mineure : une technique « lydienne », où les éléments d’architecture sont profondément sculptés en relief, avec des effets de clair-obscur, et plus tard la technique dite dé Sidamara (localité de l’Asie), où prévaut l’usage du trépan qui fouille profondément les détails et transforme les architectures en dentelle35. Les ateliers romains sont éclectiques : au sarcophage Ludovisi (vers 251), très léché, savant mais froid, et d’allure baroque, s’oppose celui d’un fonctionnaire de l’annone, plus proche de l’art plébéien, avec les portraits expressifs et angoissés des deux époux se donnant la main. Au IVe siècle, la vogue des sarcophages de type asiatique se poursuit et les chrétiens adaptent, sans changer de technique, les thèmes païens à leur religion (par exemple le symbole du maître enseignant) et créent leur propre iconographie (infra, p. 236).
La peinture est, comme toujours depuis la fin des cycles pompéiens, difficile à étudier, car mal conservée. Le décor des parois s’est simplifié à l’époque de Commode et se réduit à un système de lignes décoratives entourant des motifs issus de l’art pompéien. Au IIIe siècle, la peinture murale révèle, semble-t-il, deux tendances : une école préfère dissoudre les formes dans un « tachisme » qui laisse les traits incertains, tandis que d’autres exécutent des compositions fermes, aux personnages réduits à l’essentiel, selon un art de type plébéien. Les hypogées païens de Rome (Trebius Justus) sont ornés de peintures décoratives représentant des scènes de la vie du défunt. Le plus curieux de tous est celui de la via Latina qui juxtapose des scènes païennes (Hercule et Alceste, Aristote et ses disciples) et des scènes tirées de l’Ancien et du Nouveau Testament (Abraham, Isaac, Jacob et la résurrection de Lazare), ce qui correspond aux tendances de sectes gnostiques36. Dans le mithraeum de sainte Prisca (entre 202 et 229) la peinture coexiste avec une décoration de marbres colorés aux effets dramatiques (Soleil divinisé) qui se diffuse au IVe siècle, par exemple dans la basilique de Junius Bassus : combats de fauves et scènes de cirque. La mosaïque tend à remplacer la peinture et cet art riche et coloré devient essentiel aux IIIe et IVe siècles dans des régions comme la Syrie, l’Asie et l’Afrique (infra, p. 231-233). L’étude des mosaïques est actuellement une des branches les plus actives de l’investigation scientifique, mais la confection des catalogues est lente et délicate, car les critères de datation sont encore controversés : en l’absence d’éléments externes (stratigraphie, céramiques et monnaies trouvées dans le même niveau archéologique) la datation stylistique est délicate en l’état actuel des connaissances37. En outre, les écoles locales, si elles sont nettement différenciées, n’évoluent pas de la même façon. Sommairement, on distingue les écoles orientales, où domine le goût du décor figuré polychrome sur des thèmes mythologiques très variés, et une école romaine qui soumet le mosaïste à l’architecte et adapte les thèmes aux locaux à décorer. C’est une mosaïque ordinairement noire et blanche, aux motifs géométriques. Les créations plus élaborées adoptent un décor géométrique ou concentrique entourant un tableau central (emblema) ou le dallage en tapis aux motifs simples se répétant autour d’un champ central, les divisions de l’espace étant marquées par des bordures. Dans la mosaïque à emblema, le tableau est disposé pour être vu par le visiteur qui entre, dans la mosaïque en tapis, où prévaut le souci décoratif, le champ central peut être vu de toutes les directions et certains côtés présentent des figures inversées. G. Beccatti, qui a publié les mosaïques d’Ostie, oppose au décor mythologique de l’Orient les motifs romains issus de l’art plébéien : natures mortes, chien des vestibules, scènes marines dans les thermes, mythologiques dans les temples, réalistes dans les boutiques et les salles des collegia38. Comme c’est dans les provinces et par les mosaïques chrétiennes que l’on peut au mieux suivre l’évolution du genre au Bas-Empire, nous en reprendrons l’étude plus loin.
D’une façon très générale, trois sortes d’influences s’y exercent inégalement : celle des ateliers locaux aux traditions anciennes, celle de l’hellénisme classicisant, qui survit bien plus longuement et intensément en Orient, comme il est naturel, et celle des œuvres d’art importées de Rome ou inspirées par les commandes officielles. On doit tenir compte aussi de conditions sociales : la classe riche des provinces se compose essentiellement de militaires, de fonctionnaires, de grands propriétaires inégalement romanisés. On a beaucoup insisté par exemple sur l’art des soldats, la « Soldatenkunst ». Selon R. Bianchi-Bandinelli, il existe un « art européen de Rome », représenté dans les provinces rhéno-danu-biennes39. Malgré l’importance des armées (Soldatenkunst), cet art est influencé surtout, croit-on aujourd’hui, par les traditions locales (survivance des traditions celtiques), et, en Gaule du Nord-Est plus précisément, par l’art impérial qui agit comme facteur d’unité. Sauf en Narbonnaise, fidèle à la tradition classique, l’art des Gaules est la combinaison de formes locales celtiques (ornementation non figurée, lignes courbes, etc.) et d’un art venu de Rome, adopté de préférence par les élites romanisées, et comportant à la fois un aspect hellénistique et un aspect plébéien. L’Aquitaine, aux fortes traditions préromaines mais riche et cultivée, est la province la plus intéressante pour la sculpture et les reliefs, tandis que la mosaïque fleurit avec une richesse particulière dans les régions rhénanes40. Les classes moyennes et les artisans ont eu un art funéraire inspiré de leurs travaux, et de type plébéien : art des métiers. Les reliefs cultuels s’inspirent, pour les grands dieux, des types classiques mais les divinités secondaires moins romanisées sont plus frustes et expressives (Déesses Mères, Épona, dieu chasseur, Cernunnos), et un goût pour les monstres est caractéristique (géant anguipède, « tarasque » d’Avignon). Au IIIe siècle, les invasions privent les ateliers locaux des apports romains et l’art devient plus « primitif », en rapport avec les goûts de la population locale : en quoi il annonce l’art roman. Au IVe siècle, réapparaît un art impérial, à Trêves surtout. Les grands édifices constantiniens veulent égaler ceux de Rome sans concessions aux traditions locales (Porte noire, aula palatina). Des peintures trouvées dans une salle plus ancienne, mais déjà constantiniennes, montrent un goût classicisant.
Les provinces danubiennes ont reçu l’influence des soldats, souvent d’origine orientale, et celle de l’Italie du Nord à partir d’Aquilée. La Cisalpine avait conservé un art local plébéien, qui réapparut précocement bien avant que l’art populaire ait eu une influence à Rome même : ainsi l’Italie du Nord fut la première région de l’Empire à avoir un art « provincial », qui s’exprime dans les reliefs funéraires à représentations de métiers41. Ces formes « romano-plébéiennes », transmises par les soldats et les colons, se sont implantées dans les provinces illyriennes (Pannonies, Dalmatie) et expliquent parfois la réapparition du substrat local celte, comme dans le Norique. Dans les villes militaires du Danube s’ajoutent à ces composantes des influences helléniques et orientales42. Dans les provinces danubiennes orientales (Mésies, Thrace, Macédoine), qui forment une seule province artistique, les stèles funéraires et la typologie du « cavalier thrace » viennent de la Grèce, mais l’exécution est déformée par la médiocrité des ateliers locaux. Ceux-ci cependant ont réalisé un travail qui eut une forte influence postérieure, le monument d’Adam-Klissi, qui perpétue en Dobroudgea la victoire de Trajan sur les Daces. Les reliefs auraient été exécutés maladroitement par des artisans locaux, mais sur des cartons savants provenant des ateliers romains travaillant à la colonne Trajane, dont on retrouve à Adam-Klissi comme un écho déformé43. Cela confère à ces œuvres une allure tardive, presque médiévale : ainsi, dans les régions où la tradition hellénistique classicisante n’apparaît guère, faute de la présence d’une riche élite locale, et où, par la même occasion, les praticiens locaux n’ont pas acquis la maîtrise technique indispensable, l’art évolue plus rapidement qu’ailleurs vers les formes du Bas-Empire.
L’Afrique est assurément une des grandes provinces de l’art romain. Les œuvres de ses artistes sont bien conservées comme les ruines de ses monuments. C’est également un carrefour privilégié d’influences : libyco-berbère, punique, romano-italique par la romanisation, hellénico-orientale enfin. Les deux premières, à vrai dire, sont délicates à reconnaître et à distinguer. Sur leur importance relative les spécialistes divergent, mais on tend aujourd’hui de plus en plus à restreindre la portée des influences directes de l’Orient, et à parler d’un art proprement africain qui a joué depuis les Sévères un grand rôle dans l’évolution. L’art populaire africain est, compte tenu d’autres influences, à l’origine de l’art du Bas-Empire, selon G. Picard44. Il ne faut pas cependant perdre de vue que cette région méditerranéenne a conservé plus longtemps que d’autres les traditions hellénistiques. Réaliser le dosage exact de ces composantes est un exercice délicat. Le substrat punico-berbère apparaît plus nettement dans les stèles funéraires et le portrait. Les stèles votives recherchent l’efficacité immédiate dans l’expression du sentiment religieux, comme aux époques primitives : relief plat et dur, indifférence à la notion d’espace et aux proportions, frontalité et symétrie. Les portraits, même inspirés de l’art plébéien de Rome, révèlent une tendance à l’expressivité brutale et sont parmi les meilleures productions du IIIe siècle. La mosaïque africaine est particulièrement représentative, et du reste fort bien représentée. Les décors géométriques et les emblemata sont au IIIe siècle abandonnés en faveur du pavement polychrome à composition unitaire, qui fait la gloire des grandes villas africaines : scènes mythologiques un peu partout, scènes marines dans les régions proches des côtes (car les grands propriétaires avaient souvent des intérêts dans le commerce maritime) et scènes de la vie rurale, très fréquentes naturellement en cette contrée de riche agriculture. Si certains cartons mythologiques peuvent venir de l’Orient grec, les ateliers africains ont acquis très tôt une réelle originalité et ont même fait école dans d’autres provinces méditerranéennes, Espagne, Gaule du Sud, Sicile. Dès la seconde moitié du IIe siècle, les mosaïstes africains ont inventé le traitement des yeux en amande, lourdement cernés, procédé qui deviendra stéréotypé au Bas-Empire45. A côté des grands ensembles de Sousse (Hadrumète) et des innombrables mosaïques partout mises au jour, typiquement africaines par leur fougue baroque, l’absence de perspective et de profondeur, le « schématisme décoratif » conventionnel, il faut assigner une place particulière à des mosaïques de Cherchel, représentant les Travaux des champs : elles sont peut-être à mettre en rapport avec une grande peinture orientale du milieu du IIIe siècle et étrangères au goût proprement africain. La Tripolitaine resta moins longtemps fidèle à la tradition de la mosaïque-peinture hellénistique et fut influencée par l’art alexandrin et les scènes nilotiques. La villa de Piazza Armerina, en Sicile (supra, p. 224), était riche en mosaïques exécutées vers 300, sauf remaniements postérieurs (par exemple les jeunes filles jouant en « bikini »). Elles représentent surtout des scènes de chasse et des thèmes mythologiques. Leur style s’apparente indiscutablement à celui des mosaïques africaines mais leur date demeure controversée46.
L’art de l’Égypte conserve jusqu’au bout la trace de l’art pharaonique, notamment dans la sculpture en pierre dure. Le fameux groupe des Tétrarques en porphyre, actuellement à Venise, mais venant de Constantinople, fut sans doute fabriqué en Égypte. Son art déjà médiéval caractérise une courte période de la Tétrarchie, sans doute la Première (295-305). On attribue également à des ateliers égyptiens les beaux sarcophages en porphyre de sainte Hélène (sans doute prévu pour Constantin) et de Constantina. Sont plus caractéristiques de la tradition hellénistique les portraits peints sur bois ou sur toile, prévus à l’origine pour être appliqués sur le visage des momies. De tels portraits se trouvaient également à Pompéi. A partir du IVe siècle, certains de leurs traits annoncent l’art des icônes, notamment une tendance à l’abstraction, un aplatissement des formes et surtout les grands yeux fixes largement ouverts, à la prunelle sombre. De même peut-on discerner la première trace de ce qui devait devenir l’art copte dans des tentures de lin décorées de motifs en laine colorée : le thème hellénistique (Pan et Dionysos) est remarquable par la disproportion des têtes, la frontalité, l’absence de profondeur. Au IVe siècle se produisit en Égypte une réaction nationale hostile à l’hellénisme et à Rome par suite, que favorisa le christianisme (et surtout le monachisme).
La Syrie romaine est une province privilégiée, car elle est placée au centre d’influences hellénistiques (Asie Mineure, Égypte) et orientales (parthes puis sassanides), par ses contacts avec Palmyre et Dura-Europos47. C’est par elle surtout, par ses marchands et ses soldats, que seraient parvenues dans l’Empire ces influences parthes dont on tend aujourd’hui à réduire quelque peu l’importance. L’architecture syrienne est gréco-romaine sans discussion, mais elle a connu au Bas-Empire une grande activité : les sanctuaires chrétiens de Syrie seront étudiés plus loin (infra, p. 237). Selon E. Will, la sculpture des trois premiers siècles appartient à trois secteurs différents, une zone côtière où les œuvres sculptées dans le marbre (ronde-bosse et sarcophages) sont purement gréco-romaines, comme la décoration des temples de Baalbeck ; la Syrie intérieure, qui a connu une statuaire très particulière, sculptée dans le basalte ou le calcaire local, c’est l’art dit du Hauran, produit d’une école provinciale qui a suivi une évolution autonome, sans influence parthe ; la Syrie désertique enfin (Palmyre), qui est en revanche fortement influencée par l’art parthe, mais dont l’aire de diffusion est restée étroite, limitée peut-être à l’implantation d’ateliers palmyréniens dans de grandes villes comme Émèse, Apamée ou Damas, têtes de ligne des routes allant vers Palmyre. On a beaucoup discuté de l’influence de l’art parthe ou sassanide à propos de l’art de Dura-Europos, où l’on a trouvé surtout des lieux de culte, païen (mithraeum), juif (synagogue) et chrétien (baptistère). On reviendra plus loin sur ces peintures, dont le rayonnement resta isolé, selon les spécialistes modernes, qui n’admettent plus l’origine orientale de l’art du Bas-Empire (infra, p. 235). Un nouvel argument en faveur de cette thèse est fourni par les magnifiques mosaïques d’Antioche, mises au jour par les fouilles américaines de l’Université de Princeton48. En fait, les beaux ensembles d’Antioche et des villas situées autour du sanctuaire d’Apollon à Daphné demeurent parfaitement conformes aux traditions grecques hellénistiques, jusqu’à la période constantinienne. De cette époque date une mosaïque représentant des scènes de chasse, où l’absence de volume, la simplification et une certaine raideur annoncent le style du Bas-Empire et font penser aux mosaïques contemporaines de Piazza Armerina. D’autre part, la fréquence des allégories et des concepts philosophiques illustrés (par exemple la fameuse Megalopsychia de Yaktô) atteste la survie de la culture hellénistique chez ces riches encore attachés à la vie municipale et bien différents des « seigneurs » africains installés à la campagne49.
L’Asie Mineure fut longtemps fidèle aux traditions hellénistiques, avec des tendances au baroque à l’époque antonine (Éphèse, temple d’Hadrien). A Éphèse encore, le monument de Marc Aurèle et de Lucius Verus montre le début d’une évolution : effets dramatiques, usage du trépan, pour une opposition plus forte des ombres et des lumières dans les chevelures barbares. L’école d’Aphrodisias est célèbre au IIIe siècle et l’on a pensé reconnaître son influence (discutée) dans les reliefs sévériens de Lepcis Magna. Elle a surtout créé un type de portraits de personnages en toge, très officiels mais où la verticalité des plis linéaires et la frontalité des figures annoncent malgré tout l’art byzantin.
L’art de Constantinople ne se développe évidemment qu’au temps de l’empire chrétien, au point de vue monumental dès l’époque de Constantin, mais dans son ensemble à l’époque théodosienne surtout. Il convient dès lors d’étudier auparavant l’art chrétien, car la capitale du Bosphore n’a pas connu l’art païen traditionnel ni l’art plébéien populaire ; artistiquement, Constantinople est chrétienne et aulique, première synthèse de l’art byzantin. A la suite de A. Grabar, il semble logique d’examiner successivement l’art chrétien archaïque, antérieur à Constantin, puis l’art chrétien du IVe siècle50.
Le christianisme fut longtemps une affaire privée, et même clandestine. Ses adeptes ne sentaient pas au début l’intérêt de transcrire leur foi en termes esthétiques, et, quand ils commencèrent à le faire, ils s’en tinrent aux procédés classiques, en utilisant des techniques anciennes au service d’une croyance nouvelle : l’art chrétien est né vieux (A. Grabar). Il connaît très tôt une certaine unité de programme, sans doute à cause de son unité doctrinale fondamentale, et de l’action, impossible à préciser, du clergé et plus tard des empereurs chrétiens. Le christianisme, on l’a vu, apparut et devint puissant en un monde traversé de crises et en proie à l’angoisse. Il offre le secours de consolations spirituelles à des gens déjà habitués, par les religions orientales et la philosophie de Plotin, à scruter l’invisible, à répudier le rationnel, et il suivit aisément l’évolution de l’art païen, en se servant de ses thèmes symboliques, dotés d’un sens nouveau, ésotérique pour les non-initiés, ce qui était la prudence même : au IIIe siècle, des sarcophages figurant le Maître sous l’aspect d’un philosophe enseignant son disciple, et des muses aux allures d’anges, sont sans doute crypto-chrétiens51. Après la victoire, l’art chrétien se montre au grand jour, crée des formes architecturales, évolue en Orient vers le raffinement byzantin, en Occident vers un spiritualisme primitiviste qui annonce l’art roman52.
C’est à Dura-Europos, aux frontières orientales de l’Empire, que l’on découvre vers 200 les premiers lieux de culte qui ne diffèrent guère de la « maison chrétienne », mis à part le décor et un local qui servait de baptistère. A Dura même, la communauté juive, moins menacée, possédait déjà à la même époque une salle réservée au culte, la synagogue53. Bien longtemps après, à la fin du IIIe siècle encore, les réunions des chrétiens avaient lieu à Rome dans des demeures ordinaires et les « églises » étaient de simples salles sans caractère spécifique, le titulus Equitii près de saint Martin aux Monts, le titulus Byzantii sous la future église saint Jean et saint Paul. A l’époque des Sévères, vers 200, Juifs et chrétiens commencent à couvrir de peintures leurs synagogues, les salles de baptistère et les murs et plafonds des catacombes romaines. Ils adoptaient peut-être alors, et pour les mêmes raisons religieuses, la coutume païenne d’orner les tombes et les hypogées, tel au Ier siècle celui de la porte Majeure, si l’on préfère pour cette « basilique pythagoricienne » cette interprétation qui tend aujourd’hui à prévaloir. Les peintures du baptistère de Dura sont sans doute les plus anciennes peintures chrétiennes et elles diffèrent par le style des peintures de la synagogue et du mithraeum, plus sensibles aux influences de l’Iran. Elles illustrent des thèmes promis à un long avenir, le Bon Pasteur, Adam et Eve, les miracles du Christ. Les plus anciennes peintures des catacombes sont contemporaines et représentent, dans un décor géométrique aux traits fins qui est celui de l’époque, le Christ-Orphée, Jonas et la baleine, des oiseaux et des poissons54. A la fin du IIIe siècle, on relève, à la fois sur les reliefs des sarcophages paléo-chrétiens et sur les murs des catacombes, les mêmes motifs, la jeune fille en prière les bras levés (Orante), le berger portant sa brebis (le Bon Pasteur), le pêcheur à la ligne (le Christ pêcheur d’âmes). Apparaissent ensuite des scènes tirées de l’Écriture, adoration des Mages, baptême du Christ, banquet eucharistique (catacombe de Priscilla). Les reliefs des sarcophages chrétiens ressemblent à ceux des païens, mais le choix des thèmes y est symbolique, le maître enseignant, Jonas, pasteur et brebis, Daniel et ses lions, Adam et Eve. Parfois, comme sur le sarcophage de Brignoles (La Gayole), les motifs chrétiens se mêlent aux motifs païens, considérés alors comme purement décoratifs. La facture suit en général de près celle des sculptures païennes, avec plus de naïveté et de fraîcheur. Un sarcophage du Latran, représentant un philosophe, une orante et un groupe de femmes, est remarquable par l’expression des visages et les plis des costumes (himation, peplos) où revit la tradition de la Grèce classique55.
L’art chrétien s’épanouit brusquement après la conversion de Constantin, qui toute sa vie se montra généreux mécène, ainsi que Constance et Théodose. Constantin construisit énormément, à Rome même (basiliques du Latran, de Saint-Pierre, églises de Sainte-Constance, de Sainte-Agnès-hors-les-Murs), à Jérusalem (Golgotha, Saint-Sépulcre), à Bethléem, à Constantinople (Sainte-Sophie, peut-être l’église des Saints-Apôtres). Sous son règne apparaissent deux structures fondamentales, la rotonde et la basilique. L’origine des édifices en rotonde (ou à plan central) doit être cherchée dans les mausolées et les martyria de l’Orient et leur caractère funéraire n’est pas douteux : les premiers édifices de ce type sont à Rome le mausolée de Sainte-Hélène, très détruit, et celui de Constantina, fille de l’empereur, appelé aujourd’hui Sainte-Constance, bien conservé. Un collatéral annulaire, creusé de niches et couvert d’une voûte en berceau, entoure une salle centrale ronde dont il est séparé par douze paires de colonnes géminées, la salle centrale est surmontée d’une coupole56. A Jérusalem, accolé à l’église du Golgotha, s’élève ce qu’on pourrait appeler le mausolée du Christ, le Saint-Sépulcre, dont le plan devait être celui de Sainte-Constance. La rotonde fut également utilisée pour la construction du premier baptistère circulaire, celui du Latran. Les grandes églises « commémoratives » de Constantin sont toutes élevées sur le plan basilical : elles sont rectangulaires, divisées en trois ou cinq nefs par des rangées de colonnes, et couvertes d’une charpente plate en bois. Malgré des différences de détail entre elles, leur unité de conception est frappante et répond sans doute à des directives officielles57. On a cru longtemps que l’origine de la basilique chrétienne devait être cherchée dans les basiliques païennes, vastes salles rectangulaires où l’on rendait la justice. Mais toutes les salles de réunion avaient cette forme sous une échelle plus petite, les scholae des collegia et les sanctuaires de certains cultes. Les synagogues juives étaient également de forme basilicale et l’on pense aujourd’hui que la basilique chrétienne s’en inspire directement. De l’époque de Constantin date aussi la création du chevet : du côté du chœur s’ouvre d’abord une simple abside saillante à l’extérieur (Vatican, Saint-Paul-hors-les-Murs, construit sous Théodose) puis apparaît le chevet en demi-cercle occupant tout le mur du fond avec déambulatoire (Saint-Sébastien, Sainte-Agnès)58. On trouve également, de l’époque constantinienne, des églises basilicales en Syrie, à trois nefs et couverture en charpente, mais le chevet aboutit à une abside demi-circulaire qui ne fait pas saillie à l’extérieur ; ces édifices semblent dériver de basiliques païennes locales59.
Les églises étaient décorées de mosaïques représentant des oiseaux, des fleurs et, dans des médaillons, de petits personnages symboliques et des animaux. Les mosaïques de Sainte-Constance appartiennent à deux époques différentes : les plus anciennes (buste féminin entouré de rinceaux de vigne) seraient d’époque constantinienne et de sentiment païen, les plus récentes, celles de la grande salle à coupole, sont postérieures à 351 (mort de Constantina), toutes chrétiennes, mais détruites60. A l’époque théodosienne, on commença à décorer les murs et la voûte des absides, dont le meilleur exemple est celle de Sainte-Pudentienne (le Christ entouré des Apôtres), de style classicisant. Les peintures des catacombes du IVe siècle sont souvent remarquables, inspirées des modèles du IIIe siècle (Orantes) ou de scènes des Évangiles, et leur composition donne à penser qu’elles ressemblent à celles qui décoraient les voûtes des absides basilicales disparues. Le christianisme a porté un coup mortel à la grande statuaire en ronde-bosse, dont l’utilité n’était pas évidente, mais les reliefs sont nombreux qui décorent les sarcophages et les coffrets à reliques (lipsanothèques). Les modèles romains semblent avoir inspiré la majorité de la production, en Occident du moins, tandis que Constantinople avait ses ateliers, plus proches de ceux de l’Asie Mineure. Les chrétiens victorieux abandonnent les thèmes symboliques qui pouvaient recevoir une interprétation cachée au temps des persécutions et les motifs du IVe siècle sont franchement inspirés des Écritures. Les reliefs représentant des scènes de la vie du Christ sont disposés sur un ou deux registres, mais toujours sur un fond ou dans un cadre architectural important. Des colonnettes permettent de séparer les scènes en autant de « tabernacles ». Dans la seconde partie du siècle, le Christ en majesté, inspiré de l’idéologie monarchique, devient plus fréquent, ainsi que les scènes de la Passion entourant le monogramme. Le style des sarcophages romains est en général de haute qualité, assez proche de la tradition classique ; le relief est largement détaché du fond, presque en ronde-bosse. Les exemplaires les plus remarquables sont le sarcophage des Deux Frères, celui de Junius Bassus (de 359), et celui qui forme le socle de la chaire de Saint-Ambroise de Milan. D’autres, de moindre qualité technique mais aux visages expressifs, probablement fabriqués en Italie du Nord ou en Provence, annoncent un changement de style : répétition des gestes, stylisation des formes, déformation des proportions, et ils sont les ancêtres des linteaux romans61.
Ce n’est pas le christianisme qui a provoqué la prétendue décadence de l’art au Bas-Empire. Au contraire la nouvelle religion innova peu en ce domaine et préféra parfois un certain classicisme. L’essentiel de l’évolution est antérieur à son triomphe et s’est fait indépendamment de lui. Les débuts en sont perceptibles dès l’époque de Marc Aurèle et de Commode : affaiblissement de l’art hellénistique, progrès de l’art plébéien, tendances irrationnelles, goût du symbolisme, abandon du naturalisme pour un spiritualisme que le christianisme reprit en l’épurant. En Occident, où l’empreinte hellénistique était plus faible et la qualité des ateliers moins élevée, car il faut malgré tout tenir compte d’une certaine décadence dans les techniques mêmes, la combinaison de l’art plébéien de Rome et des substrats locaux, réapparaissant après des siècles d’effacement, devait aboutir, après une lente évolution, à l’art roman. En Orient, l’influence classicisante étant plus forte et la technique encore excellente, l’influence de l’Asie Mineure très hellénisée se fit sentir sur les ateliers impériaux et un art aulique raffiné et précieux se développa à l’époque théodosienne : de là sortit l’art de Byzance.