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Les outils de l’esprit
Un enfant prend un crayon de couleur dans une boîte et gribouille un cercle jaune dans un angle de sa feuille de papier : c’est le soleil. Il saisit un autre crayon et trace une ligne un peu sinueuse en travers du milieu de la page : c’est l’horizon. Coupant l’horizon, il dessine deux traits marron qui se rejoignent en un pic ébréché : c’est une montagne. À côté de la montagne, il installe un rectangle noir un peu penché, surmonté d’un triangle rouge : c’est sa maison. Puis l’enfant grandit et, en classe, il dessine de mémoire la carte de son pays. Il la partage, grosso modo, en un ensemble de formes qui représentent les régions. Et, dans une de ces régions, il dessine une étoile à cinq branches pour indiquer la ville où il habite. L’enfant devient adulte. Il suit une formation de géomètre. Ayant acheté un ensemble d’instruments de précision, il s’en sert pour mesurer les limites et les contours d’une propriété. Muni de ces informations, il dessine une parcelle de ce terrain ; cela donnera un plan qui pourra servir à d’autres.
Notre maturation intellectuelle en tant qu’individus peut se reconstituer par la façon dont nous dessinons des paysages ou des cartes de notre environnement. Nous commençons par des copies primitives et littérales des caractéristiques du paysage que nous voyons autour de nous, et nous allons vers des représentations de plus en plus exactes et abstraites de l’espace géographique et topographique. Autrement dit, notre dessin progresse en allant de ce que nous voyons à ce que nous savons. Vincent Virga, qui est expert en cartographie auprès de la Bibliothèque du Congrès des États-Unis, a remarqué que, chez nous, les stades du développement de l’élaboration des cartes correspondent de très près aux stades généraux du développement cognitif de l’enfant, tels que les a définis le psychologue suisse Jean Piaget au XXe siècle. Nous allons de la perception du monde, égocentrique et purement sensorielle du petit enfant, à l’analyse plus abstraite et plus objective du vécu du jeune adulte. « Au début, dit Virga en décrivant comment progressent les dessins de cartes des enfants, les perceptions et les aptitudes de représentation ne correspondent pas ; seules sont représentées les relations topographiques les plus simples, sans que soient prises en compte les perspectives et les distances. Puis évolue un “réalisme” intellectuel, dans lequel l’individu fait apparaître tout ce qu’il sait avec des proportions rudimentaires. Et enfin, apparaît un “réalisme” visuel, [fondé sur] des calculs scientifiques pour le mettre en œuvre [1]. »
En parcourant ce processus de la maturation intellectuelle, nous revivons tout l’historique de la cartographie. Les premières cartes de l’humanité, grattées dans la terre avec un bâton ou gravées dans une pierre à l’aide d’une autre pierre, étaient aussi rudimentaires que les gribouillages des petits enfants. Ces dessins finirent par devenir plus réalistes en représentant les véritables proportions d’un espace, espace qui s’étendait souvent bien au-delà de ce que pouvait voir l’œil. Avec le temps, le réalisme est devenu scientifique tant dans sa précision que dans son abstraction. Le cartographe a commencé à employer des outils plus sophistiqués, comme le compas pour s’orienter et le théodolite pour mesurer les angles, et à s’appuyer sur des calculs et des formules mathématiques. Enfin, dans un bond intellectuel supplémentaire, les cartes en sont venues à être utilisées non seulement pour représenter d’immenses régions de la Terre ou du ciel, mais aussi pour exprimer des idées – plan de bataille, analyse de la propagation d’une épidémie, prévisions démographiques. « Le processus intellectuel par lequel le vécu dans l’espace est transformé en abstraction de l’espace est une révolution dans les modes de pensée », dit Virga.
Les progrès historiques de la cartographie ne se sont pas limités à refléter le développement de l’esprit humain. Ils ont aussi contribué à faire avancer et à guider précisément les progrès intellectuels qu’ils décrivaient. La carte est un média qui non seulement stocke et transmet des informations, mais concrétise une façon particulière de voir et de penser. À mesure que progressait la cartographie, la diffusion des cartes disséminait aussi la manière distincte dont le cartographe percevait et s’expliquait le monde. Plus les individus utilisaient les cartes souvent et à fond, plus leur esprit en venait à comprendre la réalité sous-jacente dans les termes employés. L’influence des cartes est allée bien au-delà de leur utilisation pratique pour déterminer les limites d’un terrain et pour indiquer les itinéraires. « Le remplacement de l’espace de la réalité par un espace restreint est un acte impressionnant en soi », explique l’historien de la cartographie Arthur Robinson. Mais ce qui est encore plus impressionnant, c’est comment la carte « a développé l’évolution de la pensée abstraite » dans toute la société. « La combinaison de la réduction de la réalité et de la construction d’un espace analogique est un progrès exceptionnel dans la pensée abstraite, car elle permet de découvrir des structures qui resteraient inconnues si elles n’étaient pas représentées sur une carte [2] », dit Robinson. La technologie de la carte a donné à l’homme un esprit nouveau et plus perspicace, davantage capable de comprendre les forces invisibles qui modèlent son environnement et son existence.
Les choses commencèrent à changer dans la seconde moitié du Moyen Âge. Les premiers à demander plus de précision dans la mesure du temps furent les moines chrétiens, dont la vie tournait autour d’un horaire de prières rigoureux. Au VIe siècle, saint Benoît avait ordonné à ses adeptes de prier sept fois par jour à des moments précis. Six cents ans plus tard, les cisterciens insistèrent davantage sur la ponctualité, divisant la journée en une séquence rigide d’activités, et considérant que tout retard ou autre perte de temps était une offense à Dieu. Ayant vraiment besoin d’exactitude dans la mesure du temps, les moines prirent les devants afin de développer des technologies pour mesurer le temps. C’est dans les monastères que furent assemblées les premières horloges mécaniques, dont le mouvement était régulé par le balancement de poids, et ce sont les cloches des églises qui les premières firent sonner les heures, permettant ainsi aux gens de fragmenter leur existence.
Le besoin d’une programmation et d’une synchronisation plus serrées pour le travail, les transports, les dévotions et même les loisirs donna le départ d’un rapide progrès dans la technologie de l’horloge. Il ne suffisait plus que chaque ville ou chaque paroisse suive sa propre horloge. Désormais, il fallait que l’heure soit la même partout – faute de quoi le commerce et l’industrie en auraient pâti. Les unités de temps, secondes, minutes et heures, furent standardisées, et les mécanismes d’horloges furent ajustés pour mesurer ces unités avec beaucoup plus de précision. Au XIVe siècle, l’horloge mécanique était devenue courante, c’était un outil quasiment universel pour coordonner le fonctionnement complexe de la nouvelle société urbaine. Les villes rivalisaient entre elles pour installer les horloges les plus élaborées dans les tours de leurs hôtels de ville, de leurs églises ou de leurs palais. L’historienne Lynn White raconte qu’« aucune communauté d’Europe ne pouvait garder la tête haute que si, en son centre, les planètes tournaient en cycles et épicycles, tandis que des anges sonnaient de la trompette, des coqs chantaient, et les apôtres, les rois et les prophètes défilaient dans un sens puis dans l’autre quand retentissaient les coups des heures [5] ».
L’horloge mécanique changea notre façon de nous voir. Et, comme la carte, elle changea notre façon de penser. À partir du moment où elle eut redéfini le temps comme une série d’unités de durée égale, l’esprit humain commença à mettre l’accent sur le travail mental méthodique qui consiste à diviser et à mesurer. On se mit à voir dans toutes choses et dans tous phénomènes leurs élément constituants, puis les éléments dont étaient faits ces éléments. Notre mode de pensée devint aristotélicien dans l’importance qu’il attachait à discerner des schémas abstraits derrière les surfaces visibles du monde matériel. L’horloge joua un rôle crucial en nous faisant sortir du Moyen Âge pour nous jeter dans la Renaissance, puis dans le siècle des Lumières.
Dans Technique et civilisation, où Lewis Mumford méditait en 1934 sur les conséquences humaines de la technologie, l’auteur décrivait comment l’horloge « a contribué à créer la croyance en un monde indépendant des séquences mathématiquement mesurables ». La « structure abstraite du temps divisé » devint « le point de référence à la fois de l’action et de la pensée » [7]. Indépendant des préoccupations pratiques qui inspirèrent la création de la machine à marquer le temps et qui gouvernèrent son utilisation au jour le jour, le tic-tac méthodique de l’horloge contribua à faire naître l’esprit scientifique et l’homme scientifique.
 
 
Toute technologie est une expression de la volonté humaine. Avec nos outils, nous cherchons à étendre notre pouvoir et notre contrôle sur nos conditions de vie – sur la nature, sur le temps et la distance, et les uns sur les autres. On peut diviser nos technologies, en gros, en quatre catégories, selon la façon dont elles complètent ou renforcent nos capacités innées. La première, qui comprend la charrue, l’aiguille à repriser et l’avion de combat, décuple notre force physique, notre dextérité ou notre capacité de résistance. La deuxième, avec le microscope, l’ampli et le compteur Geiger, élargit le spectre de notre sensibilité. La troisième, dans laquelle figurent les technologies que sont le réservoir, la pilule contraceptive et le plant de maïs transgénique, nous permet de remodeler la nature pour mieux servir nos besoins ou nos désirs.
La carte et l’horloge appartiennent à la quatrième catégorie, qu’on pourrait appeler celle des « technologies intellectuelles », pour reprendre un terme utilisé dans des sens légèrement différents par l’anthropologue social Jack Goody et le sociologue Daniel Bell. Ces technologies comprennent tous les outils dont nous nous servons pour étendre ou soutenir nos capacités mentales – pour trouver et classer des informations, formuler et articuler des idées, partager des savoir-faire, prendre des mesures et effectuer des calculs, augmenter la capacité de notre mémoire. Ainsi, la machine à écrire est une technologie intellectuelle, au même titre que l’abaque et la règle à calcul, le sextant et le globe, le livre et le journal, l’école et la bibliothèque, l’ordinateur et Internet. Bien que l’utilisation d’un outil, quel qu’en soit le type, puisse influencer nos pensées et nos perspectives – la charrue a changé la façon de voir du cultivateur, le microscope a ouvert au chercheur de nouveaux mondes d’exploration mentale –, ce sont nos technologies intellectuelles qui ont eu l’impact le plus fort et le plus durable sur le contenu et la forme de nos pensées. Ce sont nos outils les plus personnels, ceux dont nous nous servons pour nous exprimer personnellement, pour mettre en forme notre identité privée et publique et pour entretenir nos relations avec les autres.
Ce que sentait Nietzsche en tapant ses mots sur le papier maintenu dans sa boule à écrire – à savoir que les outils que nous utilisons pour écrire, pour lire et manipuler l’information de toute autre façon, agissent sur notre esprit même quand celui-ci les utilise – est un thème central de l’histoire intellectuelle et culturelle. Comme l’illustrent l’histoire de la carte et celle de l’horloge mécanique, quand se popularise l’utilisation des technologies intellectuelles, celles-ci lancent souvent de nouvelles façons de penser, ou étendent à la population générale des façons de penser qui étaient auparavant l’apanage d’une petite élite. Autrement dit, chaque technologie intellectuelle incarne une éthique intellectuelle, un ensemble de présupposés sur la façon dont fonctionne, ou devrait fonctionner, l’esprit humain. La carte et l’horloge avaient en commun la même éthique. Toutes deux innovaient en mettant l’accent sur les mesures et l’abstraction, sur le fait de percevoir et de définir des formes et des processus au-delà de ceux auxquels les sens avaient accès. L’éthique intellectuelle d’une technologie est rarement perçue par ses inventeurs. Ils sont en général si absorbés à résoudre un problème particulier ou à démêler un dilemme d’ingénierie épineux qu’ils ne voient pas les implications plus larges de leurs travaux. Les utilisateurs de cette technologie, eux aussi, n’ont souvent pas conscience de son éthique. Ils s’intéressent aux avantages pratiques qu’ils tirent à utiliser cet outil. Nos ancêtres n’ont pas créé ou utilisé les cartes pour renforcer leur capacité de pensée conceptuelle ou pour mettre au jour les structures cachées du monde. Pas plus qu’ils n’ont fabriqué des horloges mécaniques pour stimuler l’adoption d’un mode de pensée plus scientifique. C’étaient là des effets secondaires de ces technologies. Mais quels effets secondaires ! En fin de compte, c’est l’éthique d’une invention intellectuelle qui a sur nous l’impact le plus profond. L’éthique intellectuelle est le message qu’un média ou autre outil transmet à l’esprit et à la culture de ceux qui l’utilisent.
Il y a des siècles que les historiens et les philosophes analysent et débattent sur le rôle que joue la technologie pour modeler la civilisation. Certains ont plaidé en faveur de ce que le sociologue Thorstein Veblen a appelé le « déterminisme technologique »: selon eux, le progrès technologique, qu’ils considèrent comme une force autonome échappant au contrôle de l’homme, a été le principal facteur qui a influencé le cours de l’histoire de l’humanité. C’est cette idée qu’exprimait Karl Marx dans sa formule « Donnez-moi le moulin à vent et je vous donnerai la société féodale ; donnez-moi la machine à vapeur, et je vous donnerai la société capitaliste industrielle [8]. » Celle de Ralph Waldo Emerson était plus concise : « Les objets sont en selle et chevauchent l’humanité [9]. » Dans l’expression la plus extrême de la vision déterministe, les êtres humains ne deviennent guère plus que « les organes sexuels du monde de la machine », comme le disait de façon mémorable McLuhan dans le chapitre « L’amoureux des gadgets » de Pour comprendre les média [10]. Notre rôle essentiel est de produire des outils toujours plus sophistiqués – de « féconder » les machines comme les abeilles fécondent les plantes – jusqu’à ce que la technologie ait acquis la capacité de se reproduire elle-même. Alors, nous devenons inutiles.
À l’autre extrémité du spectre se trouvent les instrumentalistes – ceux qui, comme David Sarnoff, minimisent la puissance de la technologie, jugeant que les outils sont des artefacts neutres, entièrement soumis aux désirs conscients de leurs utilisateurs. Nos instruments sont les moyens que nous employons pour arriver à nos fins ; ils n’ont pas de but en eux-mêmes. L’instrumentalisme est l’opinion la plus répandue sur la technologie, ne serait-ce que parce que c’est celle dont on voudrait qu’elle soit vraie. Pour presque tout le monde, l’idée que nous sommes d’une façon ou d’une autre contrôlés par nos outils est une abomination. « La technologie, c’est de la technologie, a déclaré le critique des médias James Carey ; c’est un moyen de communication et de transport à travers l’espace, rien de plus [11]. » Ce débat entre déterministes et instrumentalistes est fort révélateur. Les deux parties ont de solides arguments. Si vous examinez une technologie particulière à un moment particulier dans le temps, il apparaît sûrement que, comme le disent les instrumentalistes, nous sommes bien maîtres de nos outils. Chaque jour, chacun d’entre nous prend en toute conscience des décisions sur les outils qu’il emploie et sur la façon de s’en servir. Les sociétés, elles aussi, effectuent des choix délibérés sur la façon dont elles mettent en œuvre différentes technologies. Par exemple, dans leur désir de préserver la culture traditionnelle samouraï, les Japonais ont réussi à interdire l’utilisation des armes à feu pendant plusieurs siècles. Et certaines communautés, comme celle des Amish en Amérique du Nord, refusent l’automobile et autres technologies modernes. Dans tous les pays, il est interdit par la loi, ou par d’autres moyens, d’utiliser certains outils. Mais si l’on adopte un point de vue historique ou social plus large, les affirmations des déterministes deviennent plus crédibles. Quand bien même les individus et les communautés prennent des décisions fort différentes concernant les outils qu’ils emploient, cela ne signifie pas que, en tant qu’espèce, nous ayons beaucoup contrôlé l’orientation ou le rythme du progrès technologique. C’est une aberration que de dire que nous « choisissons » d’utiliser des cartes et des horloges (comme si nous aurions pu choisir de nous en passer). Il est encore plus difficile d’accepter l’idée que nous « choisissons » la myriade d’effets secondaires de ces technologies, dont beaucoup, comme nous l’avons vu, étaient totalement imprévus quand on a commencé à s’en servir. « S’il est une chose que nous montre l’expérience de la société moderne, dit le chercheur en sciences politiques Langdon Winner, c’est que les technologies ne sont pas simplement des supports pour l’activité humaine ; ce sont aussi des forces puissantes qui agissent pour refaçonner cette activité et sa signification [12]. » Même si nous en sommes rarement conscients, de nombreuses routines de notre existence suivent des voies tracées par des technologies qui ont commencé à servir longtemps avant notre naissance. Il est excessif de dire que la technologie progresse de façon autonome – quand nous adoptons et utilisons des outils, nous sommes fortement influencés par des considérations économiques, politiques et démographiques – mais pas de dire que le progrès a sa propre logique, qui n’est pas toujours compatible avec les intentions ou les désirs des fabricants ou des utilisateurs d’outils. Parfois, nos outils font ce que nous leur disons de faire. D’autres fois, c’est nous qui nous adaptons à leurs exigences.
Ce conflit entre déterministes et instrumentalistes ne sera jamais résolu. Après tout, il implique deux conceptions radicalement différentes de la nature et de la destinée de l’espèce humaine. Ce débat porte autant sur la confiance que sur la raison. Mais il est un point sur laquelle peuvent s’accorder les deux parties : c’est que les avancées technologiques marquent souvent un tournant dans l’histoire. De nouveaux instruments pour la chasse et l’agriculture ont provoqué des changements dans les schémas de l’accroissement, de l’implantation et du travail des populations. De nouveaux modes de transport ont entraîné l’expansion et le réalignement des échanges et du commerce. De nouvelles armes ont modifié l’équilibre des pouvoirs entre les États. D’autres innovations, dans des domaines aussi variés que la médecine, la métallurgie et le magnétisme ont transformé le mode de vie des gens sur d’innombrables aspects – et ce n’est pas fini. Dans une grande mesure, la civilisation a pris la forme qui est la sienne aujourd’hui sous l’effet des technologies que les individus ont adoptées.
Aujourd’hui, enfin, commencent à se lever les brumes qui cachaient l’interaction entre la technologie et l’esprit. Grâce aux récentes découvertes sur la plasticité neuronale, l’essence de l’intellect est encore plus visible, ses étapes et ses limites sont plus faciles à déterminer. Ces découvertes nous disent que les outils utilisés par l’être humain pour soutenir ou pour prolonger son système nerveux – toutes ces technologies qui ont influencé tout au long de l’histoire la façon dont nous trouvons, stockons et interprétons les informations, la façon dont nous dirigeons notre attention et mobilisons nos sens, la façon dont nous nous souvenons et dont nous oublions – ont modelé la structure physique et le fonctionnement de l’esprit humain. Leur emploi a renforcé certains circuits nerveux et en a affaibli d’autres, il a consolidé certaines caractéristiques mentales tout en en faisant disparaître d’autres. La plasticité neuronale nous fournit le chaînon manquant pour comprendre comment les médias d’information et autres technologies intellectuelles ont influencé le développement de la civilisation et contribué à orienter, au niveau biologique, l’histoire de la conscience humaine.
Nous savons que la forme de base du cerveau humain n’a guère changé au cours des quarante derniers milliers d’années [14]. Au niveau génétique, l’évolution procède avec une extrême lenteur, du moins à l’échelle du temps humain. Mais nous savons aussi que les façons de penser et d’agir de l’être humain se sont modifiées jusqu’à devenir quasiment méconnaissables au cours de tous ces millénaires. Comme le faisait remarquer H. G. Wells en 1938 à propos du genre humain dans World Brain, « sa vie sociale et ses habitudes ont complètement changé, elles ont même régressé ou se sont inversées, alors que son hérédité semble avoir très peu varié, pour le moins, depuis le dernier âge de pierre [15] ». Nos nouvelles connaissances sur la plasticité neuronale dissipent cette énigme. Entre les garde-fous intellectuels et comportementaux installés par notre code génétique, la route est large, et c’est nous qui sommes au volant. Par ce que nous faisons et la manière dont nous le faisons – d’un instant à l’autre, d’un jour à l’autre, consciemment ou inconsciemment –, nous modifions les courants chimiques qui passent dans nos synapses et nous changeons notre cerveau. Et quand nous transmettons nos habitudes à nos enfants par les exemples que nous leur donnons, par les enseignements que nous leur fournissons et par les médias que nous utilisons, nous leur transmettons aussi les modifications de la structure de notre cerveau.
Bien que le fonctionnement de notre matière grise échappe encore aux outils des archéologues, nous savons maintenant non seulement que l’utilisation de technologies intellectuelles a probablement modelé et remodelé sans cesse la circuiterie de notre tête, mais aussi que c’était inévitable. Comme toute expérience répétée influence nos synapses, les modifications opérées par l’utilisation d’outils particuliers destinés à prolonger ou à compléter notre système nerveux ont dû être particulièrement importantes. Et même si, au niveau physique, nous n’avons pas d’information sur les changements du mode de pensée qui se sont produits il y a bien longtemps dans le passé, nous pouvons nous appuyer sur des situations analogues dans le présent. Nous voyons, par exemple, une preuve directe du processus de régénération et de dégénération mentales en action dans les modifications du cerveau qui se produisent quand un aveugle apprend à lire le braille. Après tout, le braille est une technologie, un média d’information.
Sachant ce que nous savons sur les chauffeurs de taxi londoniens, nous pouvons postuler que, quand les gens ont commencé à compter davantage sur les cartes que sur leur propre mémoire pour s’y retrouver dans leur environnement, ils ont presque certainement subi des modifications anatomiques et fonctionnelles de l’hippocampe et d’autres aires impliquées dans la représentation de l’espace et dans la mémoire spatiale. La circuiterie dédiée à la conservation des représentations spatiales a dû se réduire, tandis que les aires servant à déchiffrer les informations visuelles complexes et abstraites se sont vraisemblablement étendues et renforcées. On sait aussi maintenant que ces modifications du cerveau déclenchées par l’utilisation de cartes ont pu servir à d’autres usages, ce qui contribue à expliquer comment la pensée abstraite en général a pu se développer par la propagation de l’art du cartographe.
 
 
Le langage en soi n’est pas une technologie. Il est inné dans notre espèce. Notre cerveau et notre corps ont évolué pour parler et pour entendre des mots. L’enfant apprend à parler sans qu’on le lui apprenne, tout comme l’oisillon apprend à voler. Étant donné l’importance qu’ont revêtue la lecture et l’écriture pour notre identité et notre culture, il est facile de croire que ce sont aussi des talents innés. Mais c’est faux. Ce ne sont pas des actes naturels. C’est l’initiative de développer l’alphabet et beaucoup d’autres technologies qui les a rendues possibles. On a appris à notre esprit à traduire dans la langue que nous comprenons les caractères symboliques que nous voyons. La lecture et l’écriture exigent un apprentissage et de la pratique, et donc un modelage délibéré du cerveau.
Les preuves de ce processus de modelage peuvent se voir dans de nombreux travaux de neurologie. Des expériences ont révélé que le cerveau des individus qui savent lire et écrire est différent de celui des analphabètes sur de nombreux points – pas seulement dans la façon dont ils comprennent le langage, mais aussi dans leur façon de traiter les signaux visuels, de raisonner, et d’élaborer des souvenirs. D’après la psychologue mexicaine Feggy Ostrosky-Solis, il a été montré que « l’apprentissage de la lecture façonne fortement les systèmes neuropsychologiques adultes [18]. » Des scanners du cerveau ont aussi révélé que la circuiterie mentale pour la lecture acquise par ceux dont la langue s’écrit avec des symboles idéographiques, comme les Chinois, est très différente de celle que l’on trouve chez ceux dont la langue s’écrit avec un alphabet phonétique. C’est ce qu’explique Maryanne Wolf, psychologue du développement à l’université Tuft, dans son ouvrage sur les neurosciences de la lecture, Proust and the Squid : « Même si toute lecture recourt à certaines portions des lobes temporel et frontal pour organiser et analyser le son et le sens des mots, il s’avère que les systèmes idéographiques activent des parties très différentes de ces aires, en particulier les régions qui interviennent dans les compétences de la mémoire motrice [19]. » On a même montré des différences de l’activité du cerveau selon la langue alphabétique de personnes qui lisent. Par exemple, ceux qui lisent l’anglais exploitent davantage les aires du cerveau associées au déchiffrage des formes visuelles que ceux qui lisent l’italien. Cette différence provient, croit-on, du fait qu’en anglais, il y a une grande différence entre la façon dont les mots s’écrivent et celle dont ils se prononcent, alors qu’en italien, ils ont tendance à s’écrire exactement comme ils se prononcent [20].
Les tout premiers exemples de lecture et d’écriture remontent à de nombreux milliers d’années. Déjà en 8000 av. J.-C. les gens se servaient de petits jetons d’argile sur lesquels étaient gravés des symboles simples pour garder la trace du nombre d’animaux d’élevage et autres choses. Pour interpréter des inscriptions, si rudimentaires soient-elles, il fallait que se développent dans le cerveau des individus des voies nerveuses entièrement nouvelles, reliant le cortex visuel aux aires voisines du cerveau dédiées à la compréhension. Les études modernes montrent que l’activité nerveuse sur ces voies double ou triple quand on regarde des symboles dotés de sens, par rapport à des gribouillis dénués de sens. Comme dit Wolf, « nos ancêtres pouvaient lire les jetons car leur cerveau était capable de connecter leur aire visuelle de base à des aires voisines dédiées au traitement visuel et conceptuel sophistiqué [21] ». Ces connexions, que les gens léguèrent à leurs enfants quand ils leur apprirent à utiliser les jetons, formèrent le câblage de base pour la lecture.
La technologie de l’écriture fit un grand bond en avant vers la fin du IVe millénaire av. J.-C. Ce fut quand les Sumériens, qui vivaient entre le Tigre et l’Euphrate, dans ce qui est maintenant l’Irak, commencèrent à écrire avec un système de symboles en forme de coins (cunéiformes), cependant qu’à quelques centaines de kilomètres à l’ouest, les Égyptiens mettaient au point des hiéroglyphes de plus en plus abstraits pour représenter les objets et les idées. Comme les systèmes cunéiforme et hiéroglyphique comportaient de nombreux caractères logosyllabiques, désignant non seulement des choses mais aussi des sons du langage, ils exigeaient du cerveau beaucoup plus que les simples jetons qui servaient à la comptabilité. Avant de pouvoir interpréter la signification d’un caractère, le lecteur devait d’abord l’analyser pour savoir comment on l’utilisait. Les Sumériens et les Égyptiens durent acquérir des circuits nerveux qui, d’après Wolf, « quadrillaient » le cortex, reliant des aires impliquées non seulement dans la vision et la compréhension du sens, mais aussi dans l’audition, l’analyse spatiale et la prise de décision. Comme ces systèmes logosyllabiques se sont développés jusqu’à comprendre des centaines de caractères, la charge mentale pour les mémoriser et les interpréter devint telle que leur utilisation se limita probablement à une élite intellectuelle disposant de beaucoup de temps et de puissance cérébrale. Pour que la technologie de l’écriture puisse progresser au-delà des modèles sumériens et égyptiens, pour qu’elle devienne un outil accessible à un plus grand nombre, il fallait qu’elle se simplifie.
L’alphabet grec devint le modèle de la plupart des alphabets occidentaux qui suivirent, y compris l’alphabet latin que nous continuons à utiliser aujourd’hui. Son arrivée a marqué une des révolutions les plus retentissantes de l’histoire intellectuelle : le passage d’une culture orale, dans laquelle le savoir s’échangeait surtout par la parole, à une culture littéraire, dans laquelle l’écrit est devenu le média le plus important pour exprimer sa pensée. Ce fut une révolution qui finirait par transformer la vie et le cerveau de presque tout le monde sur la terre, mais ce changement ne fut pas bien accueilli par tout le monde, du moins dans les premiers temps.
Au début du IVe siècle av. J.-C., alors que la pratique de l’écriture était encore récente et controversée en Grèce, Platon rédigea son Phèdre, un dialogue sur l’amour, la beauté et la rhétorique. Le personnage éponyme, un citoyen d’Athènes, se promène dans la campagne avec le grand orateur Socrate ; les deux amis s’asseyent sous un arbre au bord d’un ruisseau et mènent une longue conversation pleine de digressions. Ils parlent des aspects fort subtils de l’élaboration du discours, de la nature du désir, des différents types de folie, et du voyage de l’âme immortelle, avant de porter leur attention sur l’écrit. « Il reste là la question, dit Socrate d’un ton songeur, de l’adéquation et de l’inadéquation dans l’écriture. » Phèdre en convient et Socrate se lance dans un récit sur une rencontre entre le dieu égyptien aux multiples talents, Thot, qui compte parmi ses nombreuses inventions celle de l’alphabet, et un des rois d’Égypte, Thamous.
Socrate, à l’évidence, partage le point de vue de Thamous. Seul un simple, dit-il à Phèdre, jugerait qu’un texte écrit « serait mieux que la connaissance et la remémoration du même contenu ». Bien mieux qu’un texte écrit dans l’« eau » de l’encre, « est un mot intelligent gravé dans l’âme de celui qui apprend » par un discours parlé. Socrate convient qu’il y a des avantages pratiques à résumer ses pensées par écrit – « comme des monuments contre l’oubli de la vieillesse » –, mais d’après lui, la dépendance de la technologie de l’alphabet changera l’esprit d’une personne, et pas en bien. En remplaçant les souvenirs intérieurs par des symboles extérieurs, l’écriture risque de faire de nous des penseurs plus superficiels en nous empêchant d’atteindre la profondeur intellectuelle qui mène à la sagesse et au vrai bonheur.
À la différence de l’orateur qu’était Socrate, Platon était un écrivain et, alors que nous pouvons supposer qu’il partageait l’inquiétude de Socrate que la lecture puisse se substituer à la mémoire, entraînant la perte de la profondeur intérieure, il est clair qu’il reconnaissait aussi les avantages de l’écrit par rapport à l’oral. Dans un passage célèbre et révélateur de La République, dialogue dont on pense qu’il l’a rédigé à la même époque que le Phèdre, Platon amène Socrate à attaquer la « poésie », déclarant qu’il bannirait les poètes de sa cité idéale. De nos jours, la poésie étant une forme d’écriture, elle est censée faire partie de la littérature, mais ce n’était pas le cas du temps de Platon. Déclamée plutôt qu’inscrite, écoutée plutôt que lue, elle représentait la tradition ancienne de l’expression orale, qui restait au centre du système éducatif des Grecs, aussi bien que de la culture générale grecque. La poésie et la littérature constituaient des idéaux opposés de la vie intellectuelle. La charge de Platon contre les poètes, exprimée par la bouche de Socrate, n’était pas dirigée contre la versification, mais contre la tradition orale – la tradition du barde Homère, mais aussi de Socrate lui-même – et contre les modes de pensée qu’elle reflétait et favorisait. Pour citer l’universitaire britannique Éric Havelock dans sa Preface to Plato, « l’état d’esprit oral était le plus grand ennemi de Platon [23]. »
La critique de Platon à l’égard de la poésie renfermait implicitement, comme l’ont montré Havelock, Ong et d’autres spécialistes de la littérature classique, un plaidoyer en faveur de la technologie nouvelle de l’écriture, et des qualités d’esprit qu’elle favorisait chez le lecteur : la logique, la rigueur et l’autonomie. Platon voyait les grands avantages intellectuels que pouvait apporter l’alphabet à la civilisation – et qui étaient déjà apparents dans ses propres écrits. « La pensée philosophiquement analytique de Platon, dit Ong, ne fut possible que grâce aux effets que l’écriture commençait à avoir sur les processus mentaux. » Les idées subtilement conflictuelles sur la valeur de l’écriture qui étaient exprimées dans Phèdre et dans La République, témoignent des tensions que créait le passage d’une culture orale à une culture littéraire. C’était, comme l’admettaient de façon différente Platon aussi bien que Socrate, un changement mis en marche par l’invention d’un outil, l’alphabet, qui allait avoir de profonds retentissements sur notre langage et sur notre esprit.
Dans la culture purement orale, la pensée est soumise à la capacité de la mémoire humaine. Le savoir, c’est ce dont on se souvient, et ce dont on se souvient se limite à ce que son esprit peut contenir [24]. Au cours des millénaires qui précédèrent l’invention de l’écriture, le langage évolua pour aider à stocker les informations complexes dans la mémoire des individus et pour faciliter l’échange de ces informations avec les autres par la parole. Par nécessité, dit Ong, « la pensée sérieuse fut inextricablement liée aux systèmes de mémoire ». La diction et la syntaxe devinrent fortement rythmées et ajustées sur l’oreille, et l’information fut encodée dans des tours de phrase usuels – nos clichés d’aujourd’hui – pour aider à la mémorisation. Le savoir était enchâssé dans la « poésie », comme la définissait Platon et, constituant une classe de spécialistes, les érudits poètes devinrent des dispositifs humains, des technologies intellectuelles de chair et de sang, dédiés au stockage, à la récupération et à la transmission de l’information. Les lois, faits notoires, transactions, décisions, traditions – tout ce qui aujourd’hui serait consigné sur des documents – devaient, comme dit Havelock, dans les cultures orales « être composés en vers stéréotypés et diffusés en étant chantés ou scandés à haute voix [25] ».
Il est bien possible que le monde oral de nos ancêtres lointains ait eu une profondeur émotionnelle et intuitive que nous ne pouvons plus apprécier. Pour McLuhan, avant l’avènement de l’écriture, les gens devaient avoir une « relation sensuelle » avec le monde. En apprenant à lire, disait-il, « nous nous sommes profondément privés des sentiments ou des attachements affectifs que connaîtrait un analphabète ou une société sans écrit  [26] ».
Du temps de Platon, et ensuite pendant des siècles, cette élévation de la conscience était réservée à une élite. Avant que les avantages cognitifs de l’alphabet n’aient pu s’étendre aux masses, il faudrait inventer un autre ensemble de technologies intellectuelles – celles qui interviennent dans la transcription, la production et la diffusion des écrits.
 
 
 
 
[1]. Vincent Virga and the Library of Congress, Cartographia New York, Little Brown, 2007, p. 5.
[2]. Arthur H. Robinson, Early Thematic Mapping in the History of Cartography. Chicago, University of Chicago Press, 1982, p. 1.
[3]. Jacques Le Goff, Pour un autre Moyen Âge : temps, travail et culture en Occident, Paris, Gallimard, 1977.
[4]. David S. Landes, L’Heure qu’il est : les horloges, la mesure du temps et la formation du monde moderne, Paris, Gallimard, 1987.
[5]. Lynn White Jr., Technologie médiévale et transformations sociales, Paris, Mouton et Cie, 1969.
[6]. Landes, op. cit.
[7]. Lewis Mumford, Technique et civilisation, Paris, Le Seuil, 1976. L’éminent chercheur en informatique Danny Hillis observe que « l’ordinateur, avec son jeu mécanistique à partir de règles prédéterminées descend tout droit de l’horloge », W. Daniel Hillis, « The Clock », dans The Greatest Inventions of the Past 2,000 Years, éd. John Brockman, New York, Simon & Schuster, 2000, p. 141.
[8]. Karl Marx, Misère de la philosophie, Paris, M. Rivière 1923, Éditions Sociales, 1977.
[9]. Ralph Waldo Emerson, « Ode, Inscribed to W. H. Channing », dans Collected Poems and Translations, New York, Library of America, 1994, p. 63.
[10]. Marshall McLuhan, op. cit. Pour une expression plus récente de cette idée, voir Kevin Kelly, « Humans Are the Sex Organs of Technology », blog The Technium, 16 fév. 2007, www.kk.org/thetechnium/archives/2007/02/humans_are_the.php
[11]. James W. Carey, Communication as Culture : Essays on Media and Society, New York, Routledge, 2008, p. 107.
[12]. Langdon Winner, « Technologies as Forms of Life », dans Readings in the Philosophy of Technology, David M. Kaplan éd., Lanham, MD., Rowman & Littlefield, 2004, p. 105.
[13]. Ralph Waldo Emerson, « Intellect », dans Emerson : Essays and Lectures, New York, Library of America, 1983, p. 417.
[14]. Maryanne Wolf, Proust and the Squid : The Story and Science of the Reading Brain, New York, Harper, 2007, p. 217.
[15]. H. G. Wells, World Brain, New York, Doubleday, Doran, 1938, p. VII.
[16]. Descartes René, « Lettre au marquis de Newcastle », dans Œuvres et Lettres, Paris, La Pléiade, p. 1254-1257.
[17]. Walter J. Ong, Orality and Literacy, New York, Routledge, 2002, p. 82.
[18]. F. Ostrosky-Solís et al., « Can Learning to Read and Write Change the Brain Organization ? An Electrophysiological Study », International Journal of Psychology, 39, no 1, 2004, p. 27-35.
[19]. Wolf, Proust and the Squid, op. cit.
[20]. E. Paulesu et al., « Dyslexia : Cultural Diversity and Biological Unity », Science, 291 (16 mars 2001), p. 2165-2167. Voir aussi Maggie Jackson, Distracted : The Erosion of Attention and the Coming Dark Age, Amherst, NY, Prometheus, 2008, p. 168-169.
[21]. Wolf, op. cit.
[22]. Citations du Phèdre de Platon dans la traduction de Victor Cousin sur fr.wikisource.org/wiki/Page :Platon_-_Œuvres,_trad._Cousin,_V_et_VI.djvu/576 (N.d.T.).
[23]. Éric A. Havelock, Preface to Plato, Cambridge, MA, Harvard University Press, 1963, p. 41.
[24]. Ong, op. cit.
[25]. Éric A. Havelock, The Muse Learns to Write : Reflections on Orality and Literacy from Antiquity to the Present, New Haven, CT, Yale University Press, 1986, p. 74.
[26]. McLuhan, op. cit.