La maladie de Parkinson (MP) est classiquement décrite comme une maladie dégénérative des neurones dopaminergiques de la substance noire, à l’origine des signes moteurs de la maladie. Cette perte neuronale de la substance noire s’accompagne d’inclusions intracellulaires dans les somas (corps de Lewy) ou dans les neurites (prolongements de Lewy) des neurones survivants. Un des composants des corps et prolongements de Lewy est l’alpha-synucléine, une protéine neuronale dont la fonction précise n’est pas connue. L’utilisation d’anticorps dirigés contre la synucléine ou sa forme phosphorylée est désormais la technique de référence pour identifier la pathologie de Lewy en immunohistochimie2.
Toutefois, les neurones de la substance noire ne sont pas les seuls ni les premiers atteints par le processus neurodégénératif au cours de la MP. D’autres régions du système nerveux central et du système nerveux périphérique sont en effet touchées précocement par la pathologie de Lewy. C’est en particulier le cas du système nerveux entérique (SNE) qui est atteint chez la quasi-totalité des patients parkinsoniens3.
Le SNE est un réseau neuronal distribué tout le long du tube digestif, composé de plus de 100 millions de neurones, soit autant que dans la moelle épinière. Cette subdivision du système nerveux végétatif est parfois appelée « le second cerveau » car elle est capable de réguler de façon autonome les fonctions digestives, en partie indépendamment du système nerveux central (SNC)4.
Le SNE est organisé en deux plexus principaux : le plexus myentérique (Auerbach), qui contrôle essentiellement la motilité, et le plexus sous-muqueux (Meissner) qui est principalement impliqué dans la régulation de la sécrétion. Les plexus myentérique et sous-muqueux sont de vastes réseaux nerveux organisés en ganglions reliés par des fibres inter-ganglionnaires. Au sein des ganglions, les neurones entériques sont fonctionnellement variés. Les différents neurotransmetteurs qu’ils synthétisent définissent leur codage neurochimique et déterminent leur rôle physiologique. Plus d’une trentaine de neurotransmetteurs ont été identifiés dans le SNE : le peptide vasoactif intestinal et le monoxyde d’azote ont un effet inhibiteur sur la motilité digestive alors que l’acétylcholine a un effet prokinétique5. La dopamine est aussi un neurotransmetteur du SNE ; chez l’Homme, les neurones dopaminergiques sont répartis selon un gradient aboro-oral, représentant 4 % de l’ensemble des neurones entériques dans le côlon et 20 % dans l’estomac6. Leur rôle précis n’est pas connu mais il semble qu’ils aient un rôle inhibiteur sur la motilité digestive.
Bien que le SNE puisse fonctionner indépendamment, le SNC exerce une régulation importante sur le SNE par des afférences et efférences sympathiques (issues du ganglion sympathique pré-vertébral) et parasympathiques (issues du noyau dorsal moteur du vague et du noyau parasympathique sacré)7. Les efférences parasympathiques pourraient jouer un rôle dans la physiopathologie de la maladie en permettant la diffusion du processus pathologique du SNE au SNC8.
Les premières lésions du SNE dans la MP ont été décrites dans les années 1980 à 1990. Des inclusions semblables aux corps et prolongements de Lewy ont été mises en évidence dans le plexus myentérique et à un moindre degré dans le plexus sous-muqueux du côlon, du tiers inférieur de l’œsophage et de l’estomac. Dans leur ensemble, ces premières publications sur l’implication du SNE dans la maladie de Parkinson ne rencontrent alors qu’un écho modeste9.
Ce sont les travaux fondateurs de Heiko Braak en 2002 et 2006 qui ont permis au SNE de faire un retour en force sur la scène parkinsonienne10. La vaste étude neuropathologique menée par cet anatomiste allemand a permis de mettre en évidence une progression temporospatiale ascendante des corps de Lewy dans le tronc cérébral et le prosencéphale, classée en six stades11. De façon frappante, les premières lésions encéphaliques de la MP apparaissent dans le bulbe olfactif et surtout dans le noyau dorsal du vague, bien avant l’atteinte de la substance noire. Le nerf vague innervant la quasi-totalité du tractus digestif, l’hypothèse de l’atteinte inaugurale du SNE dans la maladie de Parkinson voit le jour12.
Depuis, plusieurs travaux autopsiques de grande envergure ont été menés afin de mieux caractériser l’atteinte du SNE au cours de la MP. Nous retiendrons tout particulièrement l’étude de l’Arizona Consortium qui a permis de montrer que les lésions du SNE sont présentes chez la quasi-totalité des patients parkinsoniens (21 sujets sur 23)13. Des expériences complémentaires sur ces mêmes prélèvements autopsiques ont montré qu’il n’y a pas de perte neuronale significative dans les plexus myentériques et sous-muqueux au cours de la MP en particulier des neurones dopaminergiques et que la pathologie de Lewy n’affecte pas préférentiellement un sous-type de neurone entérique14.
L’atteinte du SNE chez les patients parkinsoniens peut avoir deux conséquences principales : les lésions du SNE seraient à l’origine des troubles digestifs fréquents au cours de la MP et seraient impliqués dans la diffusion et donc dans la physiopathologie de la maladie (Hypothèse de Braak)15.
Les signes digestifs sont les plus fréquents des manifestations non-motrices de la maladie, pouvant impliquer l’ensemble du tractus digestif. Les troubles de la vidange gastrique, à l’origine de nausées, de ballonnement postprandial et d’une réduction des prises alimentaires, touchent plus d’un tiers des patients. La constipation est très commune dans la MP. Sa prévalence a été récemment mesurée à 59 % en utilisant les critères de définition internationaux de Rome III, soit presque trois fois plus que chez les sujets témoins d’âge équivalent16. Enfin, la dysfonction anorectale (dyschésie), difficile à distinguer de la constipation fonctionnelle sur le seul interrogatoire, est également très fréquente chez les parkinsoniens. Il est tentant de proposer que ces troubles de la motilité digestive soient la conséquence des lésions du SNE. Toutefois, cela n’est pas prouvé et il est tout à fait possible qu’ils résultent de l’atteinte parasympathique et en particulier de l’atteinte du noyau dorsal moteur du vague17.
Le bulbe olfactif et le noyau dorsal du vague sont des structures en contact indirect avec le milieu extérieur, par l’intermédiaire des nerfs olfactifs et du nerf vague. C’est pourquoi Braak suggère l’implication d’un toxique environnemental neurotrope, inhalé ou ingéré, qui traverserait la muqueuse nasale et la barrière épithéliale intestinale et qui serait à l’origine de la MP. Le noyau dorsal du nerf vague, qui innerve la majeure partie du tube digestif, serait atteint par transport rétrograde, un scénario semblable à celui proposé pour le nouveau variant du prion18. Les données cliniques et épidémiologiques apportent des arguments en faveur du modèle de Braak, puisque les troubles de l’olfaction et la constipation peuvent constituer des signes précurseurs ou des facteurs de risque de maladie de Parkinson19. Ainsi, le SNE serait le premier maillon d’une chaîne d’événements dégénératifs menant à la substance noire. Cette hypothèse de Braak, bien que séduisante repose néanmoins encore sur des fondations fragiles et incertaines. Trois objections peuvent être opposées :
– l’atteinte du SNE et du nerf vague n’est qu’un cas particulier de l’atteinte du système nerveux végétatif. Centré sur le nerf vague, parasympathique, le modèle de Braak est battu en brèche par l’atteinte diffuse du système végétatif dans la MP. Une dénervation sympathique associée à des inclusions d’alphasynucléine a été décrite au niveau du cœur, de la peau, ou du SNE lui-même qui reçoit une double innervation parasympathique et sympathique20 ;
– la classification de Braak repose sur le postulat du caractère pathogène obligatoire des corps de Lewy et non sur la présence d’une perte neuronale
– l’hypothèse d’une origine entérique de la maladie de Parkinson repose largement sur la précocité de l’atteinte du noyau dorsal du vague à l’étage encéphalique.
Kurt Jellinger, neuropathologiste viennois, a récemment éprouvé cette classification en analysant 71 cas de maladie de Parkinson issus d’une banque de cerveaux londonienne. Dans cette série, seuls 53 % des cas sont compatibles avec le modèle de progression caudo-rostral décrit par Braak21.
Le diagnostic de MP reste essentiellement clinique et il n’existe pas, à l’heure actuelle, de biomarqueur validé permettant de faire un diagnostic précoce ou de sévérité de la maladie. Le développement de biomarqueurs a été entravé par la conception traditionnelle de la maladie, selon laquelle l’atteinte neuropathologique prédomine au niveau du mésencéphale, région difficilement accessible aux biopsies. Dans ce contexte, le SNE, qui est accessible et analysable par biopsies digestives, permettrait l’analyse du processus neuropathologique du vivant du patient22.
Nous avons montré que les neurones du plexus sous-muqueux pouvaient être analysés en utilisant des biopsies coliques réalisées en routine23. Cette technique nous a permis d’analyser la présence de pathologie de Lewy du vivant des patients parkinsoniens et de faire des corrélations anatomocliniques. Des prolongements de Lewy étaient présents chez 21 patients parkinsoniens sur 29 et chez aucun des témoins24. La charge lésionnelle des biopsies évaluée par un score quantitatif était corrélée à la sévérité de l’atteinte clinique : les patients avec une charge lésionnelle importante étaient ceux dont les signes axiaux (instabilité posturale, dysarthrie notamment) étaient les plus marqués25. Ces signes axiaux traduisent habituellement la sévérité de la maladie et il est donc possible d’envisager l’utilisation de l’analyse des biopsies coliques comme biomarqueur de sévérité de la maladie. Une étude est en cours pour savoir si une telle analyse permettrait de différencier la MP des autres syndromes parkinsoniens dégénératifs tels que l’atrophie multi-systématisée ou la paralysie supranucléaire progressive (biomarqueur de diagnostic différentiel). À terme, il est possible d’envisager l’utilisation des biopsies coliques combinée à d’autres biomarqueurs (tests olfactifs par exemple) pour un diagnostic précoce de la MP, avant l’apparition des signes moteurs de la maladie26.
Le SNE, longtemps oublié dans la MP, revient sur le devant de la scène. Il est toutefois nécessaire de mieux caractériser son atteinte chez le malade parkinsonien et de développer des modèles animaux plus pertinents que ceux actuellement disponibles27 afin de déterminer le rôle des lésions entériques dans la physiopathologie des troubles digestifs et dans la diffusion de la maladie. L’analyse du SNE par biopsies promet d’être une source originale de biomarqueurs de MP.
1. Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Sources de financement : Le travail de recherche sur l’atteinte entérique dans la maladie de Parkinson à l’Inserm U913 est financé par la Michael J Fox Foundation for Parkinson’s Research, la DRC du CHU de Nantes, l’association ARAMISE, l’association PSP France, la Fédération française des groupements de parkinsoniens (FFGP) et les parkinsoniens de Vendée. © 2012, Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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5. Ibid.
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8. Ibid.
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12. Braak H, de Vos RA, Bohl J, Del Tredici K. Gastric alpha-synuclein immuno-reactive inclusions in Meissner’s and Auerbach’s plexuses in cases staged for Parkinson’s disease-related brain pathology. Neurosci Lett 2006; 396:67-72.
13. Beach TG, Adler CH, Sue LI, Vedders L, Lue L, White Iii CL, et al. Multi-organ distribution of phosphorylated alpha-synuclein histopathology in subjects with Lewy body disorders. Acta Neuropathol 2010;119:689-702.
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16. Ibid.
17. Ibid. Cersosimo MG, Benarroch EE. Pathological correlates of gastrointestinal dysfunction in Parkinson’s disease. Neurobiol Dis 2011, doi:10.1016/j.nbd.2011.10.014.
18. Ibid.
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24. Ibid.
25. Ibid.
26. Lebouvier T, Neunlist M, Bruley des Varannes S, Coron E, Drouard A, N’Guyen JM, et al. Colonic biopsies to assess the neuropathology of Parkinson’s disease and its relationship with symptoms. PLoS One 2010; 5:e12728.
27. Greene JG. Animal models of gastrointestinal problems in Parkinson’s disease. J Parkinson’s Dis 2011; 1:137-49.