Séance du 6 janvier 1979


« Mon » haïku1

Je vous rappelle le problème que j’ai posé : passer de la Notation (du Présent) au Roman, et donc d’une forme brève et fragmentée (par exemple les « notes » que l’on peut prendre au jour le jour dans un journal intime ou dans un carnet de romancier) à une forme longue et continue qui est celle ordinairement du roman. Donc, de là, a suivi la décision de m’occuper un peu du haïku pour ensuite m’occuper du roman. Cette décision est moins paradoxale qu’il n’y paraît, parce que le haïku est une forme exemplaire de la Notation du Présent : c’est un acte minimal d’énonciation, une forme ultrabrève, une sorte d’atome de phrase qui note (c’est-à-dire qui marque, cerne, glorifie : dote d’une renommée, d’une fama2) un élément ténu de la vie « réelle », présente et concomitante du sujet qui écrit.

Évidemment, ce que je vais avoir à dire du haïku n’aura rien d’historique. Il s’agira de « Mon » haïku – « Mon » ne renvoie pas, ou ne renvoie pas finalement, à un égotisme ou un narcissisme (ce n’est pas la même chose – reproches faits parfois, paraît-il, à ce cours). Or dans mon esprit, le fait de dire « je » sous certaines conditions que j’essaie d’observer sans le dire ne renvoie donc pas à un narcissisme ou un égotisme, mais à une Méthode. Pour moi, le fait de dire « je » est un acte méthodique. Il s’agit d’une méthode d’exposition, d’une méthode de parole qui consiste non pas à dire le sujet, mais essentiellement à ne pas le censurer (ce qui est tout différent). Par conséquent, cette méthode viserait, si elle était bien observée et peut-être au bout d’un certain temps, à changer les conditions rhétoriques de l’Intellectuel, du discours intellectuel. Donc « Mon haïku », ça veut dire simplement que le haïku va me servir de thème cristallisateur, de thème à variations (comme on dit en musique), de lieu géométrique de pensées, de problèmes et de goûts. Le haïku fonctionnera pour nous (si vous voulez bien entrer dans le jeu évidemment) comme une sorte de « simulacre » ou d’« alibi » au sens étymologique du terme ; ou encore mieux, d’une façon plus provocante, comme acte de nomination : « à tout ce que je vais dire, je donne le nom de haïku, avec cependant une certaine vraisemblance ». Ce serait un peu ce qui se passe dans – je ne sais pas si vous avez lu ça – je ne sais pas si c’est dans Les Trois Mousquetaires de Dumas quand Aramis est confiné dans une auberge où il discute avec des prélats et à un moment on leur apporte de la viande le jour de carême (mais peut-être est-ce un faux souvenir) et il dit : « Je te baptise carpe3 ». Je dirais de la même façon : « je te baptise haïku ». Toutes proportions gardées, c’est un peu le même rapport, vague, insistant, et probablement déformant que je vais entretenir avec le haïku, que celui que les classiques avaient avec l’Antiquité, car les classiques avaient un rapport étroit, familier, quotidien avec l’Antiquité, et pourtant de notre point de vue à nous modernes, philologues, c’était un rapport finalement complètement faux, complètement déformant. Est-ce que l’on peut croire aujourd’hui, par exemple, que Racine avait le même rapport aux Grecs que, par exemple, Jean-Pierre Vernant ou Marcel Detienne (qui est venu parler ici il y a deux ou trois semaines) ? Non, évidemment pas. Ce n’étaient pas les mêmes Grecs dont on parlait il y a deux cents ans et dont on parle aujourd’hui. La différence de fait (je ne parle évidemment pas des différences de valeurs), c’est que les classiques savaient très bien le grec et le latin, et moi pas du tout le japonais. Et encore ! Non pas que je sache le japonais, mais toutes les traductions classiques de grec et de latin, si vous y réfléchissez une minute, sont aujourd’hui en général à revoir. Ceux qui, je dirais comme moi par un phénomène de génération, ont fait au moment du lycée et ensuite un peu à la Sorbonne, des études classiques de latin et de grec, savent très bien que lorsqu’il y avait une version latine à faire et qu’on ne savait pas bien la faire ou que tout simplement ça nous ennuyait, eh bien le jeune écolier, le jeune lycéen allait à la bibliothèque Sainte-Geneviève – il n’était pas nécessaire d’avoir une carte – et demandait des traductions de César ou de Tite-Live et on lui apportait toujours des traductions classiques d’autrefois. Le résultat était qu’il faisait beaucoup de contresens d’un point de vue moderne. Les traductions classiques sont donc aujourd’hui en général à revoir et on peut dire qu’une traduction, quelle qu’elle soit, ça doit se refaire tous les vingt-cinq ans. Il n’y a pas d’éternité philologique du sens ; le sens se refait tous les vingt ans ou les vingt-cinq ans. C’est d’ailleurs pour ça que les grands classiques ou les grands classiques étrangers sont périodiquement retraduits. Ceci en dit long sur les certitudes de la philologie. Donc, il s’agit ici d’un Discours, non de l’Explication, ni même de l’Interprétation, mais de la Résonance : comment le haïku résonne.

Et maintenant je voudrais parler du haïku dans sa matérialité

Alors je préviens : dans sa matérialité et non pas dans son histoire, ni même dans sa structure (technique), mais tel qu’il se donne à voir à un Français.

Pardonnez-moi, à ceux qui le savent, de rappeler que le haïku ou le haïkaï, disons le haïku, est un tercet, un groupe de trois petits vers. Nous autres Français, il me semble que nous n’avons pas couramment dans notre poésie cette forme du tercet. Tout existe dans la poésie. Il y a donc certainement des tercets dans la poésie française, mais ce n’est pas une forme normale et courante de la poésie, qui semble commencer plutôt au quatrain, alors que vous savez que toute l’œuvre de Dante4, toute La Divine Comédie, est écrite en tercets. Le hasard a fait que, au moment où je préparais ce cours, je lisais du Valéry et je suis tombé sur cette phrase : « Dante n’a rien donné aux Français. » Pas même le tercet. Simplement d’après Valéry, dans la troisième partie de La Divine Comédie qui s’appelle Paradis, il aurait produit une manière de versification abstraite, que Valéry dit avoir reprise dans Le Cimetière marin5 : « Je lis le Paradis par bribes. Il se trouve que le style de ce langage touche de près à certaines visées que j’ai ou j’ai eues. Une manière de versifier l’abstraction dont j’ai usé un peu dans Le Cimetière marin, sans me douter que j’effleurais une illustre manière. » Donc en France et pour les Français, pas de tercets.

Or, le japonais est une langue très fortement syllabique. C’est une langue qui est faite de syllabes bien nettes, bien posées (même si, lorsque les Japonais parlent à la vitesse normale de leur langue, on ne distingue pas bien le découpage syllabique : en réalité, c’est une langue très syllabique et je dis en passant d’ailleurs, sans en tirer de conséquence, qu’on a pu mettre l’acte de syllabation en rapport avec la manducation, car dans la production de la syllabe et dans l’action de manger il y a à peu près la même action du maxillaire inférieur ; en réalité, nous mangeons nos mots, nous mâchons nos mots ou nous les mordons) ; le japonais est donc une langue très fortement syllabique, cela se voit dans le fait qu’il y a un alphabet syllabique qui s’appelle le kana et qui double les kanji (c’est-à-dire les idéogrammes qui sont l’écriture courante du japonais, que le japonais a empruntés au chinois avec bien sûr une autre prononciation). Il y a donc en japonais deux alphabets supplémentaires, le kana, un alphabet syllabique qui est surtout utilisé pour les noms propres et pour les mots-outils6 (car évidemment les noms propres ne pourraient pas s’écrire en idéogrammes alors on a un alphabet qui aide l’expression des noms propres et c’est un alphabet syllabique). Une autre preuve du caractère syllabique du japonais, c’est que c’est une langue où il est relativement facile de prononcer les mots, et par conséquent de se faire comprendre. C’est une langue extrêmement difficile à apprendre par sa syntaxe, son vocabulaire, et aussi par l’écriture idéographique, mais en réalité c’est une langue qui est facile à percevoir phonétiquement et je dirai, par exemple, à ce sujet, qu’il est beaucoup plus facile de prendre un taxi à Tokyo qu’à New York. Vous pouvez savoir l’anglais par les livres, mais vous donnez une adresse à un chauffeur de taxi américain et il se peut très bien qu’il ne vous comprenne absolument pas, tandis que si vous donnez une adresse en lisant simplement votre papier à un chauffeur de taxi japonais, il vous comprendra, parce que la langue est syllabique et donc facile à comprendre. Il n’y a pas toute cette déperdition, ce remue-ménage de sons qu’il y a dans des langues comme l’anglais surtout, mais même comme le français où la présence de « le » ou « les » complique beaucoup le jeu des syllabes.

Le haïku comme tercet comprend une formule canonique orthodoxe qui est au nombre de trois vers, le premier de cinq syllabes, le second de sept syllabes et le troisième de cinq syllabes. Je vais vous donner un exemple de haïku en japonais pour que vous puissiez vous-mêmes compter les syllabes, pour voir que je ne vous raconte pas d’histoires. Alors je ne sais pas s’il y a des personnes dans une salle dite sonorisée – qui est un euphémisme pour dire qu’elle n’est pas visualisée – mais je m’excuse auprès d’elles parce que je vais écrire ce haïku au tableau.

Je vais compter : Fu-ru-i-ke-ya : cinq ; ka-wa-zu-to-bi-ko-mu : sept ; mi-zu-no-o-to : cinq. Cinq-sept-cinq. C’est un haïku très célèbre, il est de Bashô7. Et un auteur français, Étiemble, préoccupé par ces problèmes de littérature orientale, a voulu traduire (je reviendrai d’ailleurs sur la question) ce haïku en gardant le rythme cinq-sept-cinq, et voilà ce que ça a donné :

 Une vieille mare <cinq syllabes>

 Une raine <c’est la grenouille> en vol plongeant

 Et le bruit de l’eau

Cinq-sept-cinq. Je trouve ça personnellement très mauvais comme traduction ! Et je reviendrai sur ce problème d’avoir à traduire en cinq-sept-cinq (cf. infra8).

La formule canonique du haïku, c’est donc ce que j’appellerai 575 (cinq cent soixante-quinze). Naturellement, il y a des exceptions, comme toujours, des adaptations, des licences, il y a une certaine tendance au vers libre. Ceci nous importe, parce que si le haïku va vers le vers libre, à ce moment-là, tendanciellement, il ne restera plus que la notation pure, non versifiée, non mesurée (avec comme seule contrainte dont je parlerai beaucoup la prochaine fois : la présence de ce qu’on appelle un mot-saison, un mot qui dénote la saison (cf. infra9) : contrainte qui elle-même est, à la fin, contestée), avec, comme toujours dans les cas d’histoire littéraire et d’histoire des formes, un retour du balancier : certains haïkistes réclamant le retour strict au 575 (si vous voulez bien accepter que nous donnions au haïku ce qui est presque le nom d’un canon de la Grande Guerre10 !) ; 575 pour nous, c’est le haïku ; or, ce que nous consommons, nous, c’est un vers libre, et qui nous plaît. Quand nous lisons du haïku traduit, nous consommons un vers libre et un vers qui nous plaît malgré l’absence de métrique. Ici donc, se pose le problème de la traduction des haïkus dont je veux dire un mot sur deux aspects.

TRADUCTION

Premièrement, je voudrais souligner l’énigme, ce qui est pour moi une énigme : comment ce qui me vient d’une langue très étrangère (et par là même très étrange), dont je n’ai pas le moindre rudiment (en lisant des vers japonais je serais absolument incapable de vous dire où sont les substantifs, où sont les verbes, etc. : je ne reconnais absolument rien) – et qui plus est d’un discours « poétique » – cependant vient me toucher, me concerne et m’enchante (et pourtant aussi, je ne puis vérifier, même de loin, la traduction). C’est là qu’il y a une énigme. Quand je lis des haïkus, je suis entièrement livré au traducteur et cependant, le traducteur visiblement ne fait pas barrage. Par conséquent, il y a, de moi au haïku ou du haïku à moi, une situation de familiarité tout à fait paradoxale et tout à fait énigmatique. Et il faut toujours penser à l’exclusion que représente ordinairement une langue étrangère absolument opaque. Je lisais ces jours-ci du Valéry et je retrouvais cette notation lorsque, en voyage à Prague c’est-à-dire au milieu de la langue tchèque, il dit : « Perdu à l’étranger dans la langue ignorée. Tous se comprennent et sont humains entre eux. Et toi, non, et toi, non…11 » Voilà la situation du sujet qui ne parle pas, qui n’entend pas une langue étrangère dans laquelle il est plongé. L’énigme, justement, c’est qu’avec le haïku, qui est écrit dans une langue qui finalement m’est encore beaucoup plus étrangère que le tchèque où je pourrais peut-être reconnaître de vagues mots slaves que je connais, le haïku malgré tout m’est humain, et m’est absolument humain. Comment cela est-il possible (d’autant qu’en ce qui me concerne, je n’ai pour ainsi dire jamais cette sensation de familiarité avec d’autres poésies traduites d’autres langues) ? Les traductions font en général un barrage très sérieux quant à ma lecture. Je peux lire évidemment de grands romans étrangers traduits en français comme Tolstoï ou Dostoïevski ou Don Quichotte, etc. Mais dès qu’il s’agit de poésie, je n’accède pas bien à la traduction. La traduction ne m’est pas précisément humaine, quelle qu’elle soit. Il est très rare qu’une traduction de poésie me soit humaine, et c’est pour ça que j’ai toujours eu tendance, probablement à tort mais c’est un fait, à me replier sur ma langue qui est le français et à avoir un rapport absolument privilégié avec la langue française ; et c’est aussi pour ça que je n’ai pour ainsi dire jamais écrit sur des auteurs étrangers sauf cas d’espèce, dans le cas de Brecht par exemple, parce qu’il s’agissait de théâtre.

Alors comment cette familiarité est-elle possible ? Je me l’explique ainsi : le haïku est la conjonction d’une « vérité » (non conceptuelle, mais vérité existentielle, de l’Instant) d’une part et, d’autre part, d’une forme. Je pense à cet autre mot de Valéry : « faire voir que la pensée pure et la découverte de la vérité en soi ne peuvent jamais aspirer qu’à la découverte ou à la construction de quelque forme12 ». On cherche la vérité pour produire une forme. Position très provocante à l’heure actuelle. Je crois en effet que la forme (le « quelque forme », une forme) prouve, manifeste la vérité (il y a une preuve par la forme distincte de la preuve par le « raisonnement »). Mais pour nous, Français, le haïku n’est pas une forme puisque nous ne le percevons pas dans sa métrique. À quoi je répondrai précisément : si, c’est une forme, c’est une forme même pour nous Français et la seule explication du lien de familiarité que j’ai avec le haïku traduit est alors que la brièveté de l’énoncé – son encadré – est déjà une forme en soi ; voilà déjà ce que le haïku m’apprend : la Forme brève est un inducteur de vérité : et c’est de cela dont nous avons la sensation lorsque nous lisons un haïku, malgré toutes les distances de la langue et de la structure poétique. Nous avons l’impression d’un rapport qui correspond au titre que Goethe donna à l’un de ses recueils : Poésie et Vérité13. « Poésie et Vérité » nous apparaît à travers le haïku comme le syntagme juste. Et peut-être que la seule justification de la Poésie, très paradoxalement, c’est la vérité. Ça n’est pas la beauté, pour reprendre les concepts classiques, ce serait finalement la vérité. Dans la Poésie, la forme, et la forme seule, fait toucher la vérité ; il y a un pouvoir tactile de la forme : on touche le mot, on touche le vers, on touche le tercet, et c’est comme si on touchait la vérité.

Le second problème posé par la traduction des haïkus est celui de la traduction « poétique » du haïku. Comme je vous l’ai indiqué, certains traducteurs ont voulu traduire en vers français (sans rimes) le cinq-sept-cinq syllabes (vous avez vu la traduction d’Étiemble). Mais en fait, je le dis franchement, pour moi cela n’a aucun sens. Nous ne pouvons percevoir un mètre, une mesure, un rythme syllabique que si la formule métrique nous est soufflée par notre propre culture poétique et si le code est comme une trace, un frayage imprimé, incisé dans nos méninges et reparcouru, reconnu par la performance du poème. Autrement dit, je dirai à la limite qu’il me semble qu’il n’y a pas de rythme en soi et que tout rythme est civilisé ; sinon la formule est mate (ce n’est pas une formule) : elle n’opère pas, ne fascine pas, ou si vous voulez n’endort pas. Parce que, dans notre culture, nous n’avons pas la formule cinq-sept-cinq et que nous avons très peu d’heptasyllabes et très peu de cinq syllabes, par là même nous ne pouvons pas accéder au charme et à la fascination de ce rythme. Et par conséquent, ce n’est pas la peine d’essayer de le reproduire en français. Je veux dire que tout rythme (et donc le rythme poétique aussi) a pour fonction d’exciter ou d’apaiser le corps, ce qui, à un certain niveau, à un point très éloigné, profond et primitif, du corps, est la même chose : exciter et apaiser, à un niveau très éloigné, c’est pour ainsi dire la même chose. Exciter ou apaiser le corps, par la formule (la formulation), c’est intégrer le corps à une nature, c’est donc le réconcilier, c’est faire cesser la séparation, c’est le dé-sevrer. On a pu dire (un théoricien de la rhétorique et de la métrique qui est Morier14) que le mètre (avec sa monotonie) conduisait à l’euphorie et à l’idylle, que le vers était pacifique. Peut-être qu’effectivement le vers est toujours pacifique et que sa fonction est, d’une certaine façon, d’endormir, d’apaiser, de calmer, de pacifier, de réconcilier le corps. Or, en français, je répète, il me semble qu’il y a très peu d’heptasyllabes, et pour ainsi dire pas de pentasyllabes (comme toujours, il faudrait évidemment vérifier : je ne suis pas du tout compétent, ma culture poétique est faible et il faudrait vérifier, mais en partant de ce principe que dans la littérature tout existe15, le seul problème c’est de savoir où ça existe : donc il y a sûrement en français des vers de cinq syllabes).

TYPOGRAPHIE. AÉRATION

Ces réserves ou ces précisions sur la traduction étant données, je dois constater que le tercet haïkiste, le haïku, exerce sur nous, en tout cas sur moi, une fascination – non par la métrique, car la traduction ne respecte pas la métrique, mais une fascination qui s’exerce probablement par sa taille, par sa ténuité, c’est-à-dire, métonymiquement, par l’aération dont il est gratifié ou dont il gratifie l’espace du discours. Le haïku, en effet, c’est une forme brève par excellence et c’est un fait de lecture : les formes brèves attirent l’œil sur la page (il faudrait là tenter une sorte de phénoménologie du vers, même et surtout libre : les vers libres ne se lisent pas comme s’ils étaient mis bout à bout ; la cassure blanche de la fin du vers attire, repose et distrait). Et on va toujours à une forme brève parce qu’elle est aérée. On y va toujours sur une page comme à quelque chose qui ne va pas ennuyer. Prenez par exemple une forme qui n’a rien à voir avec le haïku, comme l’Épigramme de Martial par exemple. Eh bien si vous le feuilletez, vous constaterez que vous irez volontiers aux plus courtes ; dès que vous en voyez une de deux lignes, c’est celle-là que vous cueillez d’abord. La lecture est un phénomène extrêmement curieux : d’une part on y cherche un plaisir intense, mais d’autre part (c’est presque la même chose d’ailleurs), on évite d’une façon presque chirurgicale tout ce qui risque d’ennuyer. Il y a une sorte de brutalité dans la lecture qui fait que l’on va chercher ce qui ne vous ennuie pas d’abord. Et la forme brève comporte moins de risque d’ennui que la forme longue. L’aération de la page, du tercet, me paraît donc nécessaire à la cueillette du haïku (par exemple, dans l’édition Munier, il y a en général trois haïkus par page et c’est tout16. C’est excellent pour la lecture).

Donc, pour goûter le haïku – même et surtout en français où il y a évaporation de la métrique –, il faut le voir écrit, avec la rupture des lignes : c’est un petit pavé aéré, un petit bloc d’écriture, comme un carré idéogrammatique. Au fond, à un autre niveau mental, plus profond et débarrassé des découpages superficiels du discours courant, on pourrait dire que le haïku – que un haïku – est à lui tout seul, dans son entier, dans sa finitude, dans sa solitude sur la page, comme un seul idéogramme, c’est-à-dire un « mot ». Et encore une fois, j’étais en train de préparer ce cycle quand j’ai lu des remarques de Valéry et j’ai trouvé ceci, qui allait si bien à ce moment-là avec ce que j’étais très fier d’avoir trouvé tout seul et qui est ce propos de Mallarmé rapporté par Valéry : « Moi, j’en suis arrivé à supprimer la ponctuation ; le vers est un tout, un mot neuf – jamais ouï, celui qui ponctue a besoin de béquilles, sa phrase ne va pas toute seule17 ». Il y aurait beaucoup à dire sur la ponctuation [Sollers !]18, le fait que les écrivains qui aujourd’hui renoncent à ponctuer prennent des risques énormes d’illisibilité, bien que ces risques aient été en quelque sorte prévus et demandés par Mallarmé. Disons que ce qu’il y a de drôle dans l’idée de Mallarmé, c’est que le vers (ou le haïku) soit comme un seul mot, et aussi que la phrase doive aller toute seule. Et que la ponctuation voudrait dire, si on la met, que l’écrivain lui-même a peur et qu’il sent que sa phrase ne va pas toute seule. Le haïku va tout seul. Et c’est en cela que j’ai un bon rapport avec le haïku, c’est qu’en général, il va tout seul jusqu’au bout. Je voudrais vous signaler que dans le recueil ronéotypé que certains d’entre vous, pas tous je crois, ont entre les mains, dans ce corpus de haïkus, en fait, il faudrait supprimer la ponctuation. Je l’ai laissée comme ça par une certaine facilité, mais au fond il faudrait corriger et supprimer la ponctuation. C’était la première remarque : le haïku comme un mot et ça lié à l’aération de la page.

Et deuxième remarque : malgré, ou à travers son raffinement, le haïku ne serait pas sans affinité, sans « sympathie » avec cette expression que depuis Lacan et Julia Kristeva on appelle un ou une « holophrase » (holos veut dire « simple » en grec). L’holophrase est l’espèce de geste verbal indécomposable, qui est manié surtout par les petits enfants en train d’apprendre à parler quand ils ne font pas encore de phrases mais qu’ils manient tout de même des mots, et ces mots ne sont pas évidemment seulement, quand l’enfant lance un mot, des substantifs au sens grammatical du terme, c’est l’expression globale d’un désir19, une pulsion, et c’est donc plus qu’un mot mais ça n’est pas encore une phrase, c’est une holophrase ; l’holophrase étant en quelque sorte l’expression non-thétique du désir (le thétique commence avec la phrase, quand il y a un sujet et un prédicat, il y a thèse, il y a thétique, mais avant d’en arriver au thétique, c’est-à-dire à la phrase avec sujet et verbe, il y a cette phase où l’enfant produit des holophrases). Si on poursuit le vocabulaire freudien, la phrase, c’est-à-dire une syntaxe thétique où le désir est exprimé à travers un code thétique où il y a un sujet et un attribut, vient à l’enfant à peu près en même temps que l’œdipe. Il y a évidemment un lien de structure entre la phrase, qui est une composition d’une loi de la langue, et l’œdipe, tandis que l’holophrase est une période antérieure. On pourrait imaginer que le haïku (bien que ce soit construit bien sûr avec les phrases, avec les syntaxes), virtuellement, tendanciellement, c’est une holophrase.

Donc la typographie est, je crois, une détermination de lecture ; le fait que l’on aille à la ligne après chacun des vers du tercet est très important, car cela constitue le haïku, même lorsqu’il y a abolition de la métrique. Une preuve (si l’on peut dire), un indice qui va dans le sens de ce que je dis, c’est un problème qui a été posé par l’un des traducteurs du haïku, Coyaud20, qui s’est demandé à très juste titre si certains poèmes français pouvaient approcher le haïku ? Est-ce que l’on pouvait considérer certains poèmes français comme des sortes de haïkus ? Eh bien, je pense que non, cela n’est pas possible, pour des raisons qui réapparaîtront plus tard, dans la suite du cours ; mais, pour le moment, je dirais que ce qui est sûr, c’est que si quelque forme pouvait chez nous, de temps en temps, faire penser parfois au haïku, ce ne serait pas un poème, si court soit-il (il y a des poèmes extrêmement courts, par exemple dans Victor Hugo, mais ce n’est pas du tout cela qui pourrait nous faire penser au haïku), ce serait parfois seulement un seul vers – qui peut sonner à lui tout seul comme un haïku, mais encore faudrait-il alors (je suis toujours dans l’idée de l’aération constitutive du poème), même si cela apparaît puéril, tronçonner ce vers en trois parties pour que ça devienne un haïku – c’est-à-dire mimer visuellement le haïku, même si cela n’a aucune réalité métrique : encore une fois l’aération du graphisme fait partie de l’être du haïku. Mallarmé justement, réfléchissant sur le vers libre, avait dit qu’il y avait d’énormes difficultés à faire des vers comme il disait « sans cloisons21 ». On peut dire que quand on va à la ligne après un vers et qu’on laisse par conséquent un blanc, ce blanc est comme une sorte de morceau d’air, un tampon d’air, une cloison de vide, une cloison d’air, et que c’est cela qui fait le vers. Enfin, il faudrait rappeler le rapport de la graphie et de la peinture chez les Orientaux, en tant que ce rapport collabore à la constitution d’espaces dits « vides ». À chaque fois que les poètes calligraphes chinois ont fait des compositions où il y a à la fois des dessins et des vers, il y a toujours cette sorte d’aération, de vide qui revient.

Je vais vous donner comme exemple très subjectif de ce problème du vers français qui peut devenir haïku si on admet de le tronçonner, un vers du poète Milosz (cf. anthologie de Schehadé22) qui est à mon avis presque un haïku – nous verrons peut-être plus tard en quoi à mon avis il ne l’est pas tout à fait. Ce vers se dit et se lit surtout comme un seul vers, sur une seule ligne et c’est :

Toi, triste, triste bruit de la pluie sur la pluie

Ce vers gagnerait en haïku (ou en « haïkité ») si nous l’écrivions en trois tercets :

Cela en devient presque un haïku parce que je dirais que le contenu, c’est-à-dire la notation de sensibilité, est très haïkiste : le rapport des deux bruits, des deux pluies est quelque chose de très haïku, mais encore faudrait-il qu’il y ait cette aération. Et en fait, ce qui n’est pas haïkiste à mon sens, c’est l’interjection Toi.

Alors, je le répète : il ne faut pas sous-estimer les faits de disposition de la parole sur la page. Tout l’art oriental (chinois) est un respect de l’espace, c’est-à-dire (comme je l’ai dit déjà plusieurs fois, je radote) de l’espacement (non pas de l’espace mais de l’espacement). Et vous savez que le japonais ne connaît pas, paraît-il, vraiment les catégories kantiennes essentielles de l’Espace et du Temps, mais une autre catégorie – qui les traverse toutes les deux –, la catégorie de l’Espacement, de l’Intervalle, que ça soit en temps ou en espace, et que l’on appelle en japonais : Ma.

Je ferai là deux remarques :

Quand on parle du « Vide » (oriental), ce ne doit pas être en général dans un sens bouddhiste (nous avons peut-être quelquefois tendance à mettre un peu dans la même région l’Asie, la Chine et le Japon d’un côté et de l’autre le bouddhisme, ça n’est pas la même chose, bien sûr, il y a l’Himalaya entre, et surtout le bouddhisme est rattaché canoniquement à une langue qui est l’indo-européen, le sanskrit, et par conséquent il est très proche de nous, tandis que les langues proprement orientales n’ont aucun rapport avec cette structure de l’indo-européen). Donc le vide ne doit pas être reçu ici dans un sens bouddhiste, mais plus sensuellement comme une respiration, une aération et, si l’on peut dire, une matière ; j’ai lu le mot d’un physicien qui m’a beaucoup surpris (j’espère qu’il est vrai et que ma citation est exacte) : « S’il n’y avait pas d’espace entre la matière, tout le genre humain tiendrait dans un dé à coudre. » Je ne suis pas assez physicien pour vous expliquer cela, mais la métaphore est très belle en tout cas. Et je dirai que le haïku : c’est « l’anti-dé à coudre », l’anticondensation totalisante, et c’est cela que dit le tercet haïkiste. Je laisse libre de se faire les interprétations thématiques de cette « protestation de Vide » (comme on dit : protestation de virilité) : pulsion respiratoire, désangoisse de l’étouffement, fantasme de l’Oxygène, de la Respiration Euphorique, Jubilatoire.

Deuxième remarque : Le Ma japonais, l’espace et temps (espacement et intervalle). Nous verrons que le haïku comporte un espacement visuel sur la page qui implique aussi, impliquera, nous le verrons, une pratique du Temps espacé, du Ma temporel23.

LE FASCICULE

On pourrait me dire que je suis en train de faire une philosophie du haïku écrit (alors qu’à l’origine, il était évidemment dit, il était parlé) ; mais vous savez que je ne m’occupe pas de l’origine, de la « vérité » historique du haïku ; je m’occupe du haïku pour moi, sujet français qui en lit des traductions en recueil (c’est la pratique de ce cours de toujours partir du sujet : énonçant, lisant). Moi-même d’ailleurs, je pense que je ne saurais pas lire un haïku à haute voix : bien sûr je vais en lire, je ne peux pas faire autrement, mais je ne saurais pas (je le sens à l’avance) lire un haïku en produisant un effet de vérité, son effet de vérité. Je ne saurais pas comment le dire. Je vais lire les haïkus dont je parlerai, mais en dehors de la production d’un effet de vérité alors que cet effet de vérité, je l’ai dès que je lis le haïku mentalement par mes yeux. Alors pour articuler ce que je voudrais dire du haïku, j’ai préparé, vous le savez, un petit recueil de ces poèmes et je me référerai à tel ou tel haïku de ce fascicule selon les besoins du propos. Mais je précise tout de suite : ce recueil que certains d’entre vous ont entre les mains n’est pas une anthologie. Il ne s’agit pas du tout des plus beaux haïkus ni même des haïkus que je préfère moi. Il s’agit des haïkus dont j’ai besoin dans mon travail. J’aurais dû même l’écrire pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté : il ne s’agit pas d’une anthologie, il s’agit d’un corpus24 de documents, de poèmes sur lesquels nous allons travailler.

Les traductions proviennent de plusieurs recueils.

Il y a d’abord une œuvre extraite d’un recueil que j’ai eu, que j’avais acheté mais que j’ai perdu comme tous les livres importants. J’ai voulu le retrouver, mais il n’est plus en vente nulle part. Je n’ai même pas pu retrouver la bibliographie. J’ai été à la Bibliothèque nationale, j’ai été dans une bibliothèque spécialisée, je n’ai pas pu resituer la référence bibliographique d’un livre que pourtant j’ai eu entre les mains, donc ce n’est pas un objet halluciné. Ce livre, si vous trouvez la référence, vous me la donnez bien sûr, que j’en fasse part à tout le monde, c’est un recueil de haïkus très complet en quatre volumes. Les haïkus sont traduits en anglais donc par un Anglais dont le nom est Blyth. Si vous trouvez la référence, vous voudrez bien me la donner. Si vous trouvez ce livre, vous l’achetez et je vous l’achèterai25.

En français, il y a tout de même des traductions et le hasard a fait que j’ai appris l’année dernière, donc très récemment, la parution de deux livres de haïkus.

Il y a d’abord le livre de Maurice Coyaud : Fourmis sans ombre. Le livre du haïku. Anthologie promenade, Paris, Phébus, 1978. À ce livre de Coyaud, il faut ajouter ce qui n’est pas à proprement parler un recueil de haïkus, mais où il y a de nombreux haïkus traduits, c’est un autre livre de Maurice Coyaud : Fêtes au Japon. Haïkus, PAF (association modeste qui s’appelle Pour l’analyse du folklore), 36, rue de Wagram, Paris VIIIe.

Le second grand recueil anthologique récent, c’est le livre de Roger Munier, Haïku, avec une préface d’Yves Bonnefoy, Paris, Fayard, 1978.

À cela je vais ajouter personnellement quelque chose qui était dans la bibliothèque de ma maison, un petit recueil publié en 1924 par une Japonaise qui s’appelait Kikou Yamata, Sur des lèvres japonaises, avec une lettre-préface de Paul Valéry, Paris, Le Divan, 1924.

En ce qui concerne les vers français dont je me servirai parce qu’ils ont un rapport problématique avec le haïku, dont j’ai déjà cité le vers de Milosz, je me suis servi d’un livre que j’aime beaucoup, qui est l’Anthologie du vers unique de Georges Schehadé, publié chez Ramsay en 1977.


1.

Pour les premiers développements de la réflexion de Roland Barthes sur le haïku et le zen, voir « L’effraction du sens » et « L’exemption de sens », in L’Empire des signes, op. cit. ; OC, t. 3, op. cit., p. 403 et 407.

2.

Fama : ici « renommée, réputation ».

3.

Roland Barthes évoque la scène des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas lorsque, sous l’habit de prêtre, Aramis rebaptise du nom d’un poisson le copieux plat de viande qu’on lui sert un vendredi.

4.

L’écriture de La Divine Comédie est fondée sur la « tierce rime », strophe formée de trois vers dont le premier rime avec le troisième et le deuxième avec le premier de la strophe suivante.

5.

Paul Valéry, lettre à son frère Jules Valéry, 29 mars 1922 (Paul Valéry, Œuvres, 1, « Introduction biographique » par Agathe Rouart-Valéry, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, p. 45).

6.

Les kana sont utilisés pour transcrire les sons de la langue japonaise. Ils constituent son alphabet. Organisés en deux systèmes d’écriture ou syllabaires, les hiragana et les katakana, ils sont considérés comme la base de l’écriture japonaise. Les kanji sont les caractères de la dynastie Han utilisés dans la langue japonaise et empruntés au chinois. On peut les nommer aussi des « idéogrammes ». La phrase japonaise s’organise sur une association de kanji auxquels les signes syllabiques (kana) donnent, en quelque sorte, un habillage grammatical et un appui pour la prononciation.

7.

Matsuo Bashô (1644-1694).

8.

Barthes s’explique quelques lignes plus loin sur ses réserves à l’égard d’une traduction respectueuse du mètre. Voir également René Étiemble, « Du Japon » (1976), notamment le chapitre intitulé « Furu ike ya », repris dans Quelques Essais de littérature universelle, Paris, Gallimard, 1982, p. 57-130.

9.

Voir p. 84.

10.

Allusion au canon de « 75 », célèbre pièce d’artillerie utilisée pendant la Grande Guerre.

11.

« Éphémérides », octobre 1926 (Paul Valéry, Œuvres, 1, « Introduction biographique » par Agathe Rouart-Valéry, op. cit., p. 50).

12.

Paul Valéry, lettre à Paul Souday, 1er mai 1923, à propos d’Eupalinos, citée par Agathe Rouart-Valéry, ibid., p. 46.

13.

Allusion à Poésie et Vérité (Dichtung und Wahrheit), grand récit autobiographique de Goethe rédigé à partir de 1811.

14.

Voir Henri Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, PUF, 1961.

15.

De la poésie courtoise aux fables de La Fontaine (« La cigale et la fourmi »…), de Musset à Rimbaud ou Valéry (« Si la plage penche, si / L’ombre sur l’œil s’use et pleure / Si l’azur est larme, ainsi… », in Charmes), les exemples de l’utilisation de l’heptasyllabe, vers de sept pieds, sont innombrables. Le pentasyllabe, vers de cinq pieds, est surtout employé en hétérométrie (utilisation, dans un même poème, de deux ou de plusieurs types de vers), mais on le trouve lui aussi dans toute la poésie et, par exemple, dans : « La barque à l’amarre / Dort au mort des mares / Dans l’ombre qui mue » (Louis Aragon, Le Roman inachevé, Paris, Gallimard, 1956).

16.

Pour la présentation des haïkus dans l’un des ouvrages de référence de Barthes sur le sujet, voir Haïkus, édition de Roger Munier, préface d’Yves Bonnefoy, Paris, Fayard, coll. « Documents spirituels », 1978. Réédité dans la collection « Points Poésie » en 2006.

17.

Note rédigée en octobre 1891 par Valéry après sa première visite à Stéphane Mallarmé, citée par Jean Hytier dans son édition de Paul Valéry, Œuvres, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, p. 1762.

18.

L’incise de Roland Barthes entre crochets, non prononcée à l’oral, renvoie à l’œuvre de Philippe Sollers et notamment à H (1973), texte dépourvu de signes de ponctuation.

19.

L’holophrase est une structure syntaxique réalisée en deçà des exigences syntaxiques de la phrase ; c’est une opération de langage sans thèse prédicative. Les premiers morphèmes prononcés par l’enfant sont des exemples d’holophrases. Utilisé en psychanalyse pour désigner ce qui, dans le discours, est motivé par la pulsion et s’organise autour d’une concaténation de noms, le verbe étant souvent signifié non dans la langue mais dans le geste, la voix, l’attitude. Voir Jacques Lacan, Le Séminaire, livre XI, leçon 17 (3 juin 1964), Paris, Seuil, coll. « Le Champ freudien », 1990 ; voir aussi Julia Kristeva, La Révolution du langage poétique, Paris, Seuil, coll. « Tel Quel », 1974, p. 267 sq.

20.

Maurice Coyaud, Fourmis sans ombre. Le livre du haïku. Anthologie promenade, Paris, Phébus, 1978, p. 25. Maurice Coyaud évoque les « poètes occidentaux souvent verbeux » et commente certaines exceptions, notamment Verlaine.

21.

Note rédigée en octobre 1891 par Valéry après sa première visite à Stéphane Mallarmé, citée par Jean Hytier dans son édition de Paul Valéry, Œuvres, op. cit., p. 1762.

22.

Georges Schehadé, Anthologie du vers unique, Paris, Ramsay, 1977. Roland Barthes prend les vers librement choisis par Schehadé à travers l’histoire de la poésie comme autant d’exemples pouvant « sonner comme un haïku ». Dans sa présentation de l’Anthologie du vers unique, Robert Abirached écrit : « Composant son anthologie, [Schehadé] ne pioche pas dans les livres ni ne s’enfonce dans l’histoire de la littérature […] il rassemble tout simplement les vers qu’il sait par cœur […] des vers qui, de flotter tout seuls et sans signature sur la page blanche, privés de leur contexte et de leurs étais, regagnent une étrange virginité, s’animent d’une autre vie et composent ensemble une mélodie singulière, inattendue, qui est à la fois le chant d’un seul et de tous. » Le vers de Milosz, tiré de « Les terrains vagues », in Adramandoni (1918), est cité p. 48.

23.

Voir p. 112-113.

24.

Roland Barthes ayant indiqué qu’il aurait dû finalement supprimer les signes de ponctuation des traductions qu’il a choisies, nous les avons retirés ici de notre transcription. Les haïkus dont les sources ne sont pas précisées sont extraits de l’ouvrage de H. R. Blyth, A History of Haiku, Tokyo, Hokuseido Press, 1963, 4 vol. ; leur traduction (de l’anglais) est de Roland Barthes. Ceux non signés sont probablement tirés de différents ouvrages de vulgarisation. Nous publions en annexe (p. 557-565) la transcription intégrale du fascicule composé par Roland Barthes (archives BNF), avec la ponctuation originale.

25.

Horace Reginald Blyth, A History of Haiku, op. cit.