Dedisti nos tamquam oves escarum et in gentibus dispersisti nos. Psal. 43
Est-il des moyens de rendre les juifs plus utiles et plus heureux en France ? L’amour de l’humanité a dicté cette question. Entraîné par le même motif, un prêtre catholique va parler aux âmes sensibles en faveur des plus grands ennemis de sa religion, il se promet que tous les amis de la vertu seront les siens et qu’en faveur de son cœur ils feront grâce à des talents médiocres.
Jetons d’abord un coup d’œil rapide sur l’état malheureux des juifs, détruisons les calomnies dont on les a chargés, établissons leur caractère physique et moral, examinons leur population et leurs usures, balançons d’une manière impartiale les avantages et les inconvénients, les accusations et les apologies. Cette discussion amènera la solution du problème et nous indiquera les moyens de conquérir les juifs pour la vertu, pour la patrie et de travailler à leur bonheur en agrandissant la force et le bonheur public.
L’ouvrage que j’ai l’honneur de présenter à l’académie de Metz n’est que l’extrait d’un plus considérable, fait il y a huit ans et depuis cette époque renfermé dans mon portefeuille. Il n’est point calqué sur l’édit de Joseph ni sur l’ouvrage de M. Dohm par une raison fort simple, c’est qu’il existait avant l’émission de la loi et la publication du livre. C’est un fait que je puis prouver par le témoignage de plus de vingt personnes, tous gens de lettres, car mon écrit à été lu ainsi que plusieurs autres sur le même sujet dans un comité littéraire qui avait proposé le même objet à traiter et qui voulait couronner celui-ci lorsque des événements imprévus anéantirent les fonds destinés aux prix. J’avance ces faits bien sûr qu’ils sont ignorés de tous les membres de l’académie de Metz et que par conséquent je ne viole pas la loi du secret imposée aux concurrents. On trouvera cependant quelques articles surajoutés postérieurement à mon ouvrage dans lesquels j’ai cité M. Dohm, mais ils sont en petit nombre, je n’avais pas la traduction de la première partie de son ouvrage, la seconde n’est pas traduite et je commence à peine à comprendre l’idiome allemand, et j’en appelle à la comparaison de son ouvrage avec le mien comme preuve évidente que je ne lui ai fait aucun larcin.
Je me suis beaucoup étendu sur le caractère physique et moral du peuple juif, sur son état actuel et passé, j’ai cru intéressant de traiter ces objets pour mieux faire connaître ce qu’il faut combattre et rectifier chez les juifs et la manière d’y réussir. Malgré cela les premiers chapitres et plusieurs notes (quoique j’en aie supprimé plus de moitié) paraîtront peut-être inutiles, comme n’ayant qu’un rapport éloigné au sujet proposé, alors ils seront censés nuls et non existants.
Je prie Messieurs de l’Académie de ne point imputer à négligence les fautes d’orthographe, les erreurs dans les citations et les dates qui peut-être seront très nombreuses. Accablé par une maladie qui sans être dangereuse m’interdit le travail, j’ai été obligé d’emprunter une main étrangère pour copier une grande partie de l’ouvrage. Ma santé ne me permet pas de vérifier les citations, de corriger les fautes d’orthographe etc. ni même de relire le manuscrit, je l’abandonne aux lumières et surtout à l’indulgence de la société savante à qui j’en fais hommage, me proposant dès que je le pourrai de rectifier les contresens, de distribuer mes idées d’une manière plus méthodique et de refondre l’ouvrage.
Chapitre Ier. Considérations générales sur l’état du peuple juif depuis sa dispersion jusqu’à nos jours. 1er cahier.
Chapitre IIe. Réfutation de plusieurs calomnies dont on a chargé les juifs dans le Moyen Âge. 1er cahier.
Chapitre IIIe. Causes de la haine des nations contre les juifs et réciproquement réflexions sur le caractère moral de ce peuple. 1er cahier.
Chapitre IVe. Réflexions sur le caractère physique du peuple juif. 1er cahier.
Chapitre Ve. Réflexions sur la dispersion des juifs, population prodigieuse de ce peuple, quelles en sont les causes. 1er cahier.
Chapitre VIe. Danger de tolérer les juifs tels qu’ils sont actuellement. 2e cahier.
Chapitre VIIe. Continuation du même sujet, nécessité et possibilité de réformer les juifs, ce projet n’est point contraire aux principes de la religion. 2e cahier.
Chapitre VIIIe. Causes et prétextes des usures des juifs. 2e cahier.
Chapitre IXe. Moyens employés jusqu’à présent pour réprimer les usures des juifs, insuffisance de ces moyens. 2e cahier.
Chapitre Xe. Nouveaux moyens proposés pour réprimer les usures des juifs, commerce des juifs. 2e cahier.
Chapitre XIe. Moyens de les réformer, arts et métiers, acquisition de terre, agriculture. 2e cahier.
Chapitre XIIe. Habitation, service militaire. 3e cahier.
Chapitre XIIIe. Liberté de conscience, jurisprudence, etc. 3e cahier.
Chapitre XIVe. Magistrature, noblesse, éducation. 3e cahier.
Chapitre XVe. Considérations sur la nature et les causes des préjugés des juifs, remèdes à y apporter. 3e cahier.
Chapitre XVIe et dernier. Temps nécessaire pour opérer la réforme des juifs, nécessité de préparer les juifs et les chrétiens à cette réforme, réflexions, conclusion. 3e cahier.
Depuis Vespasien l’histoire des juifs n’est qu’une sanglante tragédie. Ce peuple malheureux vit alors son temple brûlé, ses villes rasées, son corps politique dissous, ses enfants désolés se traîner dans tous les coins du globe pour y mendier des asiles. Devenus le jouet des nations et le rebut de la terre, toujours haletants entre les poignards et la mort, ils crurent sans doute que la mesure de leurs maux était comblée. Ils se trompaient. Un empereur romain sut encore renchérir sur la barbarie de ses prédécesseurs. Onze cent mille juifs avaient péri au siège de Jérusalem, 580 mille avaient été égorgés dans la révolte de Simon bar Kokhba ; le fer, le feu, la faim en détruisirent près de quatre millions sous le règne d’Adrian2 et l’on ravit à ceux qui restaient la consolation même de voir les ruines de Jérusalem foulées sous les pieds des gentils. Auparavant on les voyait en foule et couverts de haillons errer en sanglotant sur la montagne des Oliviers sur les débris du temple3. Ils furent réduits à économiser sur leurs misères pour payer cette grâce à l’avarice des soldats et les juifs achetaient le droit de répandre des larmes dans les lieux où ils avaient acheté et répandu le sang de Jésus-Christ. Partout on leur disputait les droits sacrés de l’humanité. Ils allaient en tremblant baiser les pieds des nations qui les levaient pour les écraser et chez lesquelles ils n’échappaient au supplice qu’à la faveur du mépris. Leurs soupirs même étaient traités comme des cris de rébellions et la fureur populaire qui s’alluma comme un incendie parcourait les provinces en les massacrant. On craint de se rappeler les horribles boucheries d’Alexandrie et de Césarée où les intervalles du carnage n’étaient que le temps nécessaire au délassement des bourreaux.
Au milieu de ces horreurs l’autorité souveraine tourna quelquefois vers eux des égards pacifiques et les juifs plus ou moins vexés sous les princes païens eurent souvent à se louer de la bonne volonté des empereurs chrétiens jusqu’à Théodose II. Honorius avait même accordé la liberté de conscience, mais son édit et plusieurs autres insérés dans le code Théodosien en défendant de maltraiter les juifs prouve par là même qu’on les maltraitait. Leurs privilèges n’étaient que des concessions momentanées qui leur donnaient seulement le droit de n’être pas réputés bêtes de somme. D’ailleurs la faiblesse de l’Empire romain écrasé sous sa propre masse avait énervé les lois et la haine qu’on n’ôtait pas avec des ordonnances n’étant pas réprimée par la force ne cessait de renouveler ses fureurs. On vit même quelques fois des législateurs consacrer d’une manière authentique les violences exercées contre les juifs. Si jamais peuple descendant du Nord vint mériter dans le Midi le surnom de barbare, ce sont les Wisigoths. Lecteur sensible ouvrez leur code4 et vous lirez en caractères de sang ce que des âmes féroces ont dicté contre un pauvre peuple qu’on y appelle secte détestable parce qu’elle était détestée et qu’on ravale au rang, j’ai presque dit, au-dessous des animaux. Les effets de la haine étaient ralentis et non suspendus lorsque les nations étaient occupées de leurs propres désastres. Le peuple hébreu n’avait guère alors que les malheurs communs à supporter et c’était ses moments de paix. Mais la rage de ses ennemis assoupie quelque temps se réveilla lors des expéditions dans la Terre sainte et la population juive ne s’est accrue que pour fournir de nouvelles victimes. À Rouen5, on les égorgea sans distinction d’âge ni de sexe, à Strasbourg on en brûla 1 500, à Mayence 14 000 et le feu se communiquant à la ville faillit la réduire en cendres, à Trêves les juifs enfoncèrent eux-mêmes le couteau dans le sein de leurs femmes, de leurs enfants disant qu’ils aimaient mieux les envoyer dans le sein d’Abraham que les livrer aux chrétiens ; douze mille, si l’on en croit Aventin6, furent égorgés en Bavière. Cologne, Worms, toute l’Europe, l’Allemagne surtout devint un théâtre de cruauté. Les juifs ne pouvant fuir nulle part sans y rencontrer la mort prenaient le parti de se tuer eux-mêmes pour se dérober aux tourments inévitables qu’on leur préparait ; en un mot les guerres d’outre-mer que tant de gens jugent sur parole parce qu’ils sont incapables d’en juger autrement sont consignées dans l’histoire juive comme l’époque la plus désastreuse depuis la ruine de Jérusalem et St Bernard qui prêcha la croisade prêcha vainement contre la férocité des croisés.
Qu’on me permette de remarquer que les juifs persécutés sans cesse le furent très rarement par le clergé ; car il ne faut pas juger de son esprit par celui de l’inquisition d’Espagne. Quand même on prouverait que St Cyrille d’Alexandrie égaré par son zèle les maltraita dans cette ville, il en résulterait seulement que cette faute particulière est une tache à la mémoire d’un particulier. J’espère tracer un jour les révolutions du peuple dont je vais plaider la cause et discuter la narration des fidèles des accusateurs de Cyrille ; narration adoptée par Barbeyrac et le savant Jacques Basnage7 n’en déplaise à un autre écrivain qui vante l’impartialité de celui-ci8. Je motiverai quelque jour mon assertion en accusant Basnage de partialité surtout contre l’église romaine et la force de la vérité l’emporte sans doute lorsqu’il vante l’humanité constante des papes envers les juifs qui les ont payés quelquefois d’ingratitude. On accuse le clergé d’intolérance, cela est si aisé à dire et il y a tant de gens qui sont si aisés de le répéter. L’auteur d’un journal très répandu vient cependant de rendre un témoignage absolument contraire en faveur du clergé de France et certainement son éloge ne doit pas être suspect9.
Qu’on nous cite un Agobard aigri contre les juifs10. Nous alléguerons un Sidoine Apollinaire évêque de Clermont intimement lié avec eux et leur rendant des services multiples11, un Ferréol évêque d’Uzès les admettant à sa table les comblant de présents ; un St Hilaire d’Arles regretté des juifs qui courent à ses obsèques mêler leurs larmes à celles des chrétiens et chanter des prières hébraïques pour honorer sa mémoire12. À Mayence, à Spire nous verrions des prélats les soustraire à la fureur des croisés et faire pendre leurs assassins. Le zèle éclairé des successeurs de Pierre protégea les restes d’Israël ; on admire le courage dont s’arma St Grégoire le Grand pour les défendre. On lit encore avec transport une épître d’Alexandre II adressée aux évêques de France qui avaient condamné les violences exercées contre les juifs et ce monument honorera éternellement la mémoire du pontife romain et des prélats français. En 1235, Grégoire IX écrit en leur faveur à St Louis ; deux autres de ses lettres adressées à tous les chrétiens censurent avec force ceux qui du manteau de la religion couvrent leur avarice pour vexer les juifs ; il y propose l’exemple de ses devanciers qui se sont déclarés leurs défenseurs. En 1247, Innocent IV écrit en leur faveur les justifiés des crimes qu’on leur impute et dit qu’ils sont plus malheureux sous les princes chrétiens que leurs pères sous Pharaon. Tandis que l’Europe les massacrait au XIVe siècle, Avignon devint leur asile et Clément VI leur consolateur n’oublia rien pour adoucir le sort des persécutés et désarmer les persécuteurs13.
Quand la féodalité naquit, les juifs soumis aux révolutions des autres peuples changèrent comme eux d’existence dans l’ordre civil. Dès le IXe siècle, ils commencèrent à porter dans toute l’Europe les chaînes de la servitude qui les fournit à autant de tyrans qu’il y avait de seigneurs. Laissons parler l’auteur de la félicité publique14. Rien de mieux tourné que ce passage : « sous le gouvernement féodal les juifs payaient des capitations énormes ; lorsqu’un d’eux voulait se faire chrétien, à lui permis, mais il devait indemniser son seigneur. C’était une âme dérobée à l’enfer, mais un corps à rembourser au monde ; tel était l’esprit fiscal qui régnait alors qu’une conversion était regardée comme une banqueroute et que le paradis même n’avait pas droit d’asile ». Dans quelques contrées les souverains, les empereurs allemands surtout, ont souvent contesté aux seigneurs particuliers, aux États de l’empire la supériorité territoriale et le droit de recevoir des juifs. La bulle d’or restreignit aux électeurs l’usage de ce droit. Si la politique des souverains eût été plus fine ils auraient habilement opposé les juifs au brigandage à l’indocilité des grands vassaux souvent révoltés toujours disposés à la révolte avec plus de lumière et d’énergie. Louis le Débonnaire protecteur de la nation juive dont il était aimé aurait pu mouvoir utilement ce ressort.
La servitude ne les empêchait pas toujours d’acquérir des terres. On voit même qu’en France ils ont possédé de vastes domaines15 mais on sent qu’il était facile de ravir la propriété des biens à des gens qui n’avaient pas la propriété de leurs personnes. Les Croisés avaient tué les juifs au nom de la religion pour avoir droit de les piller. Les usures trop réelles de ces mêmes juifs servirent ensuite de prétexte aux princes pour les piller à leur tour. L’avarice suspendait quelques fois le paroxysme de la haine ; une politique également absurde et barbare calculait ce qu’elle pouvait tirer de numéraire en les vexant et enfin la haine réunie à l’avarice, tuait cette poule d’or, et s’apercevait alors qu’elle avait mal calculé. On commençait ordinairement par confisquer leurs immeubles ; après avoir débuté par là, Philippe Auguste qui les chassa de France pour les y rappeler ensuite, leur permit seulement de vendre leurs meubles, mais le peuple profitant de la circonstance refusa d’acheter ou de payer, on arracha même à ces malheureux le peu d’argent qui leur restait16 et plusieurs périrent faute de subsistances. Les Philippe Auguste, Philippe le Bel et Philippe le Long sont marqués en caractères de sang dans les fastes des juifs. La justice (si cependant elle peut alors s’honorer de ce nom) la justice aiguisait les poignards, et donnait le signal de l’injustice et des carnages. Les juifs de Bretagne ayant ruiné les cultivateurs méritaient sans doute l’animadversion du gouvernement, mais on n’en frémit pas moins en lisant l’édit porté contre eux en 1239 par Jean le Roux duc de cette province. À la requête des trois États de la nation bretonne, il bannit les juifs de ses États, décharge leurs débiteurs, permet à ceux qui en avaient des effets de les garder et défend d’informer contre quiconque aurait précédemment tué des juifs17. C’est comme s’il eût dit à ceux-ci je vous ravis tout, patrie, honneur, biens et même le droit à la commisération publique. Il vous restera la vie mais si vous ne trouvez ailleurs comme ici que des âmes fermées à la pitié, il faudra bien que vous expiriez tous dans les convulsions du désespoir. Si Néron fut un monstre, qu’était-ce que Jean le Roux ?
Qu’on ne croie pas cependant qu’ailleurs ils furent traités d’une manière plus humaine. Les chassait-on ? Avant leur sortie du pays ils étaient sûrs de recueillir des outrages des tourments ou la mort. Les rappelait-on ? C’était pour les abreuver d’humiliations, de douleurs mille fois pires que la mort. À Toulouse, trois fois l’année, on les souffletait juridiquement ; à Béziers, on les chassait tous à coups de pierres de la ville le jour des Rameaux, ils n’y rentrèrent que le jour de Pâques. En Angleterre, tous les ans, on en choisissait un pour lui arracher les dents ; Henri III, roi de ce pays, vendit un jour les juifs de ses États à son frère Richard afin dit un historien18 que le comte arrachât les entrailles à ceux à qui son frère n’avait arraché que la peau. Pour des crimes ou plutôt pour des fautes souvent légères on les pendait par les pieds à côté d’un chien qui est cependant le symbole de la fidélité et cette barbarie a duré en divers pays jusqu’à nos jours19. Il semble qu’on ait voulu reprocher au Créateur de les avoir formés à son image et détruire cette divine empreinte.
Partout la hache était levée sur leurs têtes. Une peste se manifeste en Sardaigne, on y envoie 4 mille juifs pour les rendre victimes de la contagion. Ceux d’York voyant qu’on allait les brûler égorgent leurs enfants, leurs femmes et se précipitent dans les flammes. En 1391, l’empereur Venceslas ayant également déchargé les villes et la noblesse des dettes contractées envers eux toute l’Allemagne saisit ce moment pour les massacrer20. L’Espagne exerçait alors contre eux les mêmes barbaries et cent ans après le Portugal fit fondre sur eux tous les malheurs. Pendant trois jours consécutifs Lisbonne s’enivra du plaisir de les égorger. Les uns étaient attachés vivants à des cadavres, les autres brûlés en tas. M. Mezence et Phalaris, Cortez et des Adrets n’inventèrent jamais d’atrocités plus révoltantes. On enflerait des in-folio en racontant les cruautés de cette nature dont les peuples ont souillé leurs histoires ; aussi disent les rabbins en style de rabbin, dans ces différentes persécutions on versa tant de sang de la nation sainte qu’il s’en forma des torrents et ces torrents entraînèrent plus d’une lieue en mer des rochers qui avaient trois cents pieds de circonférence.
Comme il est essentiel de parler au cœur, ainsi qu’à l’esprit, ces détails préliminaires des malheurs du peuple hébreu ne sont pas inutiles. En rappelant aux juifs la douceur des gouvernements actuels à leur égard, leurs âmes s’ouvriront sans doute à la reconnaissance ; en rappelant aux chrétiens les forfaits de leurs pères, ils verront ce qu’il leur reste à faire pour les expier. Souvenons-nous que les juifs commencent à peine à respirer et que depuis la prise de Jérusalem, jusqu’au XVIe siècle, il est peu de contrées où ils n’aient été successivement chassés, rappelés, chassés de nouveau, pillés, massacrés et brûlés. On peut même prolonger jusqu’à nos jours la durée de leurs maux. L’univers en fureur s’est acharné sur le cadavre de cette nation. Presque toujours le mieux-être des juifs fut de ne verser que des larmes, et leur sang a rougi l’univers. Nous ne parlons qu’avec horreur du massacre de la Saint-Barthélemy, mais la pauvre nation juive a été deux cents fois victime de scènes plus tragiques et quels étaient les meurtriers ?
Dans les siècles ténébreux du Moyen Âge, les juifs punis, mais de la manière la plus affreuse et sans distinction d’innocents, quelquefois pour des crimes avérés, l’étaient plus souvent encore pour des forfaits chimériques ; il eût été plus simple de les déclarer tous sorciers et d’en faire des cendres. Je ne sais pas même comment cet expédient est [sic] échappé à nos ancêtres qui avaient autant de lumières que d’humanité. Des lumières ! Oui certainement ils en avaient ; ils surent deviner que les juifs avaient causé l’égarement d’esprit de notre roi Charles VI, qu’au couronnement d’un Richard, roi d’Angleterre, ils étaient venus souffler sur lui le poison du maléfice. De l’humanité ? Ils en avaient certainement car dans les deux cas qu’on vient de citer, ils en furent quittes en France pour être chassés, outragés, volés, réduits à la dernière misère. En Angleterre, on se contenta pendant un an de massacrer tous ceux qu’on put trouver, mais on ne les brûla pas21.
Les juifs, nous dit-on, empoisonnaient les fontaines, correspondaient provisoirement avec les Sarrasins, immolaient des enfants chrétiens, outrageaient des saintes hosties, etc. Remarquez d’abord que profanation, impiété, sacrilège, sont des termes relatifs. Leur application dépend des principes religieux de chaque homme. Quand les Espagnols s’emparèrent des belles mosquées de Grenade, ils étaient des profanateurs aux yeux des Maures qu’ils venaient de chasser. Quand au siècle dernier les Français détruisirent en riant la synagogue de Worms, ils étaient de véritables impies aux yeux des juifs, persuadés que sur un des murs était gravé le nom ineffable de Jéhovah. Et quand des juifs forcenés outrageront les saintes hosties ou l’image du Sauveur, à plus forte raison les traiterons-nous d’abominables sacrilèges, nous autres chrétiens éclairés des rayons de la vérité. On applaudit à la sévérité des tribunaux qui sévissent contre de tels attentats, quoique les châtiments qu’ils infligent alors doivent être indépendants de la vérité ou de la fausseté des principes religieux, et les coupables (s’ils sont d’une religion différente de celle qu’ils ont outragée), punis seulement comme séditieux, comme ayant profané ce qu’il y a de plus respectable pour une partie de leurs concitoyens. Les bornes de cet ouvrage nous interdisant la discussion approfondie de beaucoup de témoignages historiques, nous sommes forcés de réserver cette tâche pour un autre écrit. Nous remarquerons seulement que dans ce genre assurer ou nier tout sont deux extrémités également vicieuses, et dont n’ont pas su se garantir deux écrivains estimables22. Mais voici une réponse qui sera toujours victorieuse. Quelques juifs, de Paris ou de Cologne, auront profané les choses les plus sacrées de notre religion. Soit : il y a dans ce genre des faits incontestables, et la ville de Saint-Dié en conserve un monument authentique23. Trois ou quatre juifs de Trente, de Haguenau, de Tyrnau, de Paris auront immolé des enfants chrétiens24. La rage, le délire, la haine, le désir de se venger par représailles auront pu conduire à ces excès quelques fanatiques mais la nation entière sera-t-elle coupable ? On ne sent pas assez combien l’homme est enclin à tirer des inductions générales de faits particuliers et l’histoire du voyageur qui mettait sur son album que toutes les femmes de Blois étaient rousses et acariâtres parce que son hôtesse l’était, n’est que l’image de ce qui se répète tous les jours dans la société. Parce qu’Angoulême fut la patrie de Ravaillac, les habitants de cette ville sont-ils complices d’un régicide ? Parce qu’un médecin juif aura aveuglé Jean roi de Bohême, en lui promettant de le guérir d’une ophtalmie, qu’un autre aura empoisonné Joachim, électeur de Brandebourg, et que Sédécias aura empoisonné Charles le Chauve, les juifs contemporains et postérieurs deviendront-ils responsables de ces deux crimes, comme si la nation entière avait conduit la main des coupables ? Que dis-je coupables ? M. de Boissi vous prouve que le crime de Sédécias est aussi chimérique que la trahison prétendue des juifs pour livrer Toulouse aux Sarrasins25.
L’empoisonnement des fontaines par des paquets d’herbes ou des mictions pestiférées forme une accusation bien plus absurde car enfin, pour commettre des crimes, il faut des motifs et l’espoir d’un succès ; il en faut même à l’atrocité la plus stupide. Et quels succès pouvaient espérer les juifs en empoisonnant, je ne dis pas le Rhin et le Danube, comme on l’a si ridiculement avancé, mais les sources qui se renouvelleraient constamment, où l’on puisait journellement, où ils puisaient eux-mêmes. Demandez au Pharisien si, dans un temps où la chimie était au berceau on connaissait, si, actuellement que cette science a fait des progrès, on connaît un poison assez actif pour produire un tel effet. Peut-on se persuader que les juifs ayant le plus grand intérêt à ménager les nations aient tenté des crimes dont l’exécution était évidemment impossible, et dont ils ne pouvaient espérer que de nouveaux massacres ? Si les hommes, dit un auteur, sont extravagants contre leurs propres intérêts, il est permis de ne le concevoir pas et de ne le croire qu’avec peine. Et comment donc a-t-on pu croire universellement des crimes destitués de preuves ?
Pour le concevoir, figurez-vous être dans ces siècles du Moyen Âge, siècles brillants où les docteurs avaient le secret d’expliquer tout. Une mortalité se manifeste telle que la peste de 1348 qui enleva le tiers de l’Europe ; les profonds spéculateurs de ce temps se proposent de connaître, et de faire connaître les causes de la contagion, ils se gardent bien de consulter la nature tandis qu’ils ont en main une foule de traités de omni scibili. On pourrait au besoin faire intervenir la sympathie, la magie, les causes occultes, mais on préfère d’attribuer au poison les ravages de l’épidémie ; dès lors, il est décidé que les juifs sont auteurs des fléaux dont il plaît au ciel d’affliger la terre. Personne n’en a été témoin, mais tout le monde l’assure. D’ailleurs ils ont un idiome inconnu au vulgaire et peut-on parler hébreu, si ce n’est pour tramer des crimes ? Ils se sont concertés avec les rois musulmans pour faire périr tous les chrétiens. Ce projet a été confié à toute la nation hébraïque parmi laquelle il ne s’est trouvé aucun indiscret, elle a eu le talent de découvrir et de répandre à propos un poison aussi inconnu présentement que le nid du Phénix ou le verre malléable. Il fallait bien que ce poison très subtil circulât dans les entrailles de la terre et remontât vers les sources tortueuses des fontaines, pour infecter jusqu’au réservoir qui en alimentait le cours, car faute de cette précaution, la source renouvelée sans cesse eut détruit l’activité du poison. Il fallait encore que d’un accord unanime, les juifs se fussent interdit l’usage de l’eau, pour n’être pas eux-mêmes victimes de leurs forfaits. Tout cela est un peu difficile à croire ; mais on n’examine pas la possibilité de la chose, on ne veut pas voir que les inventeurs de cette calomnie grossière sont les débiteurs des juifs, qui veulent se libérer sans payer26. On commence par égorger, sauf à examiner ensuite si les défunts étaient coupables. La haine qu’on porte aux accusés fait dévorer et croire les absurdités les plus révoltantes ; des analystes contemporains les insèrent dans leurs chroniques ; quatre siècles après, un Eisenmenger recueille le tout, pour enfler des in-quarto qui sont un arsenal de mensonges27. Un père Daniel adopte leur récit ; le commun des lecteurs reçoit ces faits d’autant plus facilement qu’ils sont attestés par un historien, d’ailleurs estimable28, et l’on répète aujourd’hui que sous Philippe le Long, les juifs empoisonnaient les fontaines. Et dans quel temps ? Précisément dans le même siècle où la calomnie et l’avarice traînaient au bûcher le vénérable grand maître des templiers et des chevaliers29 ; et tous ces faits sont consignés non pas dans l’histoire des tigres, mais dans celle des hommes.
Quel spectacle nous présente d’une nation dispersée parmi les autres sans jamais se confondre avec elles, humaine envers ses enfants, cruelle envers les autres hommes, souvent proscrite pour des crimes qu’elle n’avait pas commis et méritant de l’être pour ceux dont elle était coupable, tour à tour massacrée et massacrant quand elle l’a pu, payant partout le droit d’exister, et obtenant à peine celui de respirer un air impur, abjurant son libérateur et toujours dupée par des brigands qui usurpaient le titre30, devenue méprisable par son insensibilité au mépris. À l’étude des vérités saintes, mêlant des rêveries pires que l’ignorance, n’offrant plus guère que des âmes sans énergie, et sur qui les ressorts de l’honneur… pardon, enfants d’Israël, mes larmes ont presque effacé ce tableau, mais pouvais-je démentir les monuments de l’histoire ? Quand j’ai tracé ces affreuses antithèses, la douleur et la vérité conduisaient le crayon ; je m’empresse cependant de répéter que souvent la calomnie vous a supposé des crimes et si l’on ne peut vous disculper sur tous, on verra qu’ils furent presque toujours notre ouvrage.
La résistance des juifs dans la dernière guerre contre les Romains avait aigri ceux-ci, qui ne manquèrent pas d’inspirer leurs préventions à tous les peuples de l’empire. Les juifs chassés de leur patrie, mais exaltés sans cesse par les impostures de faux messies qui nourrissaient leur fanatisme, ne souffraient qu’avec peine une domination étrangère, et ils conservèrent jusqu’au VIIe siècle un esprit séditieux qui réveillait la haine.
La religion est d’ailleurs l’article sur lequel on pardonne le moins aux autres de penser différemment et s’il est une religion capable de choquer l’amour-propre de ceux qui n’en sont pas sectateurs, c’est surtout la religion juive. Ainsi l’avait faite à dessein son divin auteur pour établir une barrière séparatrice entre son peuple et les peuples idolâtres et corrompus qui de toutes parts l’avoisinaient. Le judaïsme offre un culte absolument exclusif et dont la singularité paraît tendre à faire envisager les autres hommes comme d’odieux profanes, il professe l’unité de Dieu et les gentils se révoltaient contre un dogme qui sapait les fondements du paganisme. Les chrétiens voyant dans les Hébreux les auteurs d’un déicide, oublièrent quelquefois l’exemple de leur fondateur qui en mourant avait prié pour ses bourreaux. Les musulmans qui argumentaient avec le sabre, renfermaient les juifs dans la proscription de toutes les religions contraires à l’islamisme. Voilà les sources de la haine que toute la terre a vouée aux juifs et des persécutions qui les ont suivis partout. Nous verrons plus bas que le commerce les ayant conduits à l’opulence, leurs richesses éveillèrent l’envie, la cupidité, et les rendirent plus odieux encore.
Le résultat de ces événements offre action et réaction. Les juifs ont toujours été assez unis entre eux parce qu’il y avait chez eux peu de disproportion dans les rangs et très peu de luxe. Leurs années jubilaires les rapprochaient de l’égalité primitive que les institutions sociales détruisent souvent. Leur dépendance chez les nations les a fait considérer tous sur le même pied. Leurs malheurs ont fortifié leur union et resserré leurs nœuds. Honnis, proscrits, outragés partout, ils ont dû concevoir de l’aversion pour tous les peuples ligués contre eux, surtout pour les chrétiens, qu’ils regardaient comme des intrus coupables d’avoir envahi leur splendeur religieuse. En Afrique on observe qu’ils sont plus animés, plus cruels que les Maures, envers les chrétiens31.
Les prodiges opérés en faveur des anciens hébreux inspirent à leurs descendants un mépris pour les nations que l’éternel n’a pas honorées des mêmes faveurs et actuellement encore, dit Bossuet, ils regardent les grâces du Ciel envers leurs ancêtres comme une dette envers les enfants. Leur grandeur à la vérité, n’est pas tout à fait illusoire, mais il n’en est pas moins vrai que l’orgueil est chez eux une ancienne maladie. Naturellement vains, ils deviendraient facilement insolents si n’étant plus courbés sous le joug, on les livrait à leur effort. Leur zèle penche vers le fanatisme et la synagogue entre en fureur lorsqu’un de ses membres l’abjure. On se rappelle encore ce rabbin italien qui voulant se faire chrétien, il y a quelque 20 ans, reçut le baptême de sang de la main des juifs. Une foule de traits analogues viendraient au besoin appuyer celui-là.
Trajan leur avait défendu de lire leur loi, Adrien le leur permit en payant un droit, mais il leur interdit la circoncision et leur défendit de remettre le pied en Palestine, de peur que la vue de ce pays ne ranimât leur rébellion. Ailleurs, on a cent fois répété les mêmes défenses, et brûlé leurs livres. Une partie de leur culte était devenue d’une pratique impossible depuis la destruction du temple. On a mis des obstacles à l’accomplissement du reste, mais les obstacles multipliés n’ont fait qu’irriter et renforcer leur opiniâtreté. Ils ont sans cesse les yeux tournés vers leur ancienne métropole et si actuellement la liberté leur tendait les bras sur les frontières de la Palestine, ils y voleraient de tous les coins du globe. Dix-sept siècles de calamités n’ont pu leur ôter l’espoir d’un libérateur, et quand au siècle dernier Zabbathaï Zévi s’annonça pour tel, les juifs de Metz32, d’Italie, d’Allemagne étaient déjà prêts à vendre tout pour l’aller joindre. Leur zèle se refroidit en apprenant que ce messie avait fini sa mission par se faire Turc.
En s’appliquant à la réforme des juifs, un grand avantage est de pouvoir adopter à peu près le même plan pour tous les individus car c’est la nation la plus semblable à elle-même dans tous les temps. Boulanger prétend qu’ils ont quitté souvent leurs usages pour les étrangers33. Un autre savant très estimable, assure que, dispersés parmi les peuples, ils en ont pris le caractère34. Un juif portugais de Bordeaux, dit-il, et un juif allemand de Metz, paraissent deux êtres absolument différents : d’accord sur les différences morales qu’entraînent communément la disparité de fortune, la disette ou l’opulence, le luxe et la misère. On sait encore que les juifs portugais se croyant de la tribu de Juda évitent les alliances avec les autres juifs. Oxentsirm comptait 70 sectes parmi les juifs, d’autres les réduisent à trois35. Quelques variétés d’opinion n’établissent pas entre leurs partisans une différence de culte, pas plus qu’entre les Thomistes et les Molinisles. En France, en Italie, en Allemagne, etc., nous ne connaissons que des juifs rabbanistes, et quand il s’agira de dogmes et de rites à Bordeaux et à Metz, vous retrouvez la même chose et voici l’essentiel du raisonnement pour combattre les savants que l’on vient de citer. Il n’est pas de religion qui établisse autant d’uniformité dans la conduite que la religion juive qui jointe aux traditions des docteurs règle les détails les plus minutieux de la vie ; de là cette nation a conservé un caractère presque invariable et quand on nous dit que les femmes juives de Maroc s’empressent à copier les usages des Maures36, il n’est question là que de costumes et de mode. Ce peuple a porté partout sa langue et sa religion ; sa dispersion lui a donné de nouvelles mœurs, mais les mêmes partout et il n’a quitté de ses usages que ceux qu’il n’a pu conserver. On ne voit rien de nouveau en lui qu’une haine violente contre l’idolâtrie à laquelle il était si porté avant la captivité de Babylone et une crédulité aveugle qui se repaît de chimères. Nous parlons ici des rabbinistes. Le commerce est ce qui a produit le changement le plus notable dans leur caractère. Plus bas, nous en détaillerons les causes et les effets en traitant de leurs usures, mais le commerce même qui tend à effacer les caractères nationaux, à les mettre à l’unisson, ou à ne laisser que des nuances, a laissé presque intact celui du peuple hébreu. À peine s’est-il même modifié par la différence des climats, parce que l’uniformité de son régime de vie en combat et en affaiblit les influences. Aussi la différence des siècles et des pays n’a-t-elle fait que renforcer son caractère, loin d’en atténuer les traits natifs. On a vainement entravé son génie, on n’a pu le changer et peut-être y a-t-il plus de ressemblance entre les juifs d’Éthiopie et ceux d’Angleterre, qu’entre les habitants de la Picardie et ceux de la Provence.
Voilà pourquoi, comme on l’a observé, à Londres le juif n’est pas Anglais, il n’est pas Hollandais à La Haye, ni Français à Metz. C’est toujours un peuple à part, un État dans l’État et quelle absurdité de lui reprocher qu’il n’ait presque jamais de patrie tandis que nulle part, ou peu s’en faut, on ne lui a concédé le droit de patrie ; on l’a toujours compté pour rien dans les états libres même où le peuple actif dans la législation n’obéit qu’à soi-même. Les juifs sont toujours passifs en sorte que les gouvernements doivent leur être à peu près indifférents.
On les a souvent accusés de trahison. Nous avons déjà montré (ch. 2) que ces accusations étaient souvent filles de l’imposture ; rien de plus injuste, répétons-le, que de juger une nation sur des faits particuliers, parce que dans le Mariland on aura pendu deux juives pour correspondance avec les troupes anglaises37, qu’en conclure ? On répond abondamment à cette anecdote par des faits contraires, on citera Malte délivrée par un juif d’une conspiration terrible38. Nos juifs de Bordeaux se cotisant pour subvenir aux frais de la guerre. Je ne crois pas avoir lu nulle part qu’aucun juif ait figuré dans les guerres de la ligue. En remontant plus haut, on voit les juifs anglais dans un moment où on leur permettait de respirer, s’empresser d’avancer de l’argent aux rois et aux grands pour le voyage d’outre-mer. On ne résiste pas au plaisir de citer d’après le roi de Prusse39 un trait de générosité auquel il ne manque que d’avoir été appliqué d’une manière plus légitime. Quand Guillaume d’Orange voulut détrôner Jacques II son beau-père, Schwartzau, juif d’Amsterdam, lui prêta 2 millions, en disant si vous êtes heureux vous me les rendrez, sinon je consens de les perdre.
Il serait injuste d’imaginer que toute la nation n’est qu’une tourbe de gens sans cœur et sans mœurs. On trouve une foule d’exceptions éclatantes parmi les juifs portugais de France, d’Italie, de Hollande, parmi les juifs allemands d’Amsterdam, de Berlin et même de Lorraine. On assure que depuis deux siècles aucun juif portugais d’Amsterdam et de La Haye n’a été condamné à mort. Parmi ceux des colonies anglaises, beaucoup d’entre eux ont su captiver la considération publique et si l’on fait attention à la prévention générale contre eux, on sentira que des juifs estimés sont incontestablement estimables. On ne résiste pas au plaisir de mentionner ici des vertus reconnues pour être communes chez les juifs. L’union conjugale chez eux est presque toujours édifiante ; ils sont bons époux, bons pères de famille, ils conservent un respect profond pour les auteurs de leurs jours, et en outre pour les vieillards, vertu presque inconnue dans nos mœurs, mais si célèbre surtout dans la haute Antiquité et qui rappelle le gouvernement patriarcal. Ajoutons à leurs louanges qu’en général on ne peut pas leur reprocher la débauche qui flétrit et dépeuple nos villes. Un auteur récent assure que la circoncision émousse en eux la salacité, d’un autre côté il est avoué des physiologistes que l’éléphantiasis et la lèpre, dont le principe est affaibli et non éteint chez les hébreux produisent un effet contraire et rendent libidineux en charriant dans toute la masse des humeurs beaucoup de particules acrimonieuses40. Quoi qu’il en soit, par les peines et la honte et surtout par les mariages précoces, ils ont opposé de fortes barrières au libertinage. Rien de plus rare chez eux que l’adultère. Cardoso41 les loue de n’avoir aucun de ces livres détestables dont le but est d’attiser les passions, il prétend même que la décence est en eux une vertu presque innée. On sait d’ailleurs que suivant les ordonnances des docteurs, les poutres même de la maison ne doivent pas les voir dans une attitude immodeste42. Ockley dans l’ouvrage déjà cité nous assure que les femmes juives de Maroc aiment passionnément les liqueurs fortes ; elles feraient donc encore exception à l’observation générale par laquelle il conte que les juifs ne connaissent guère de l’ivrognerie que le nom.
Qu’on ne croie pas cependant qu’aux dépens de la vérité, nous voulons faire leur apologie universelle, ni les revêtir de la robe de l’innocence. Un voyageur vient de nous répéter que les juifs allemands établis en Angleterre sont le rebus, l’excrément de l’espèce humaine ; fripons, receleurs, etc.43. Cette peinture peut convenir à beaucoup d’autres, soyons-en peinés mais pas surpris.
Demandez à l’univers comment on a partout envisagé les juifs. La politique avec les yeux de l’intérêt ; le vulgaire avec ceux de la haine ou du mépris. Les écrivains même ont fortifié ces sentiments. Quand on voit un des auteurs examiner sérieusement si les juifs sont infâmes de droit ou de fait et se décider pour le fait44, quand un dissertateur vient nous dire qu’ils existent comme on laisse exister les bourreaux, les femmes publiques et autres infâmes ; quand, dans un livre heureusement oublié intitulé Decisiones aureœ, on lit que les juifs sont pires que les Sarrasins et les habitants de Sodome45, quand on voit même un savant comme Buxtorf commencer son traité sur la synagogue en disant qu’on ne trouve chez les juifs que fausseté et hypocrisie, rappelons-nous que ces bénins écrivains n’étaient que les échos de l’opinion publique.
À la honte de notre siècle le nom juif est encore un opprobre et l’on voit encore quelques fois des disciples du maître le plus charitable insulter des malheureux dont le crime est d’être juifs et qu’on rencontre quelques fois sur nos routes couverts des lambeaux de la misère.
Au lieu de combler l’intervalle qui sépare les juifs de nous, on s’est plu à l’agrandir. Loin de leur fournir des motifs pour s’éclairer et se perfectionner, on leur a fermé toutes les avenues du temple de la vertu, de l’honneur, des sciences. Plusieurs législateurs les ont regardés comme incapables de témoigner contre les chrétiens ; en Orient on a vu Montakaval les assujettir à n’avoir pour monture que des ânes ou des mulets ; un Abdalla les faire marquer à la main d’un fer chaud46. Actuellement encore en Perse, en Afrique et ailleurs on les insulte impunément47, en Europe on les a soumis aux mêmes péages que les animaux les plus vils et auxquels ils répugnent par principe religieux ; dans plusieurs contrées pour des délits légers, on leur inflige des peines flétrissantes ou même capitales. Car en général les gouvernements plus empressés à punir les crimes qu’à récompenser la vertu, n’ont guère su faire que des lois prohibitives, peu d’encourageantes ; ils ont trouvé plus facile de tourmenter les criminels que de prévenir les crimes. Que pouvait devenir le juif faible, accablé, haï, persécuté, martyr de l’opinion, n’ayant rien à perdre ni à gagner pour l’estime publique ? Il était méprisé, il est devenu méprisable.
Shaftesbury observe que les juifs sont naturellement sombres, mélancoliques48. Cela est concevable ; ils ont presque toujours été environnés de terreurs ; de là cet air contraint et timide qui règne sur leurs physionomies, se développe dans leurs attitudes et fixe leur attention sur un seul petit objet49. La crainte est fille de l’esclavage et la persécution enfante la misère ; celle-ci conduit au crime. Telle est la généalogie incontestable de beaucoup de vices et la marche infaillible de la nature humaine, et telles sont les raisons qui ont perpétué chez les nations et les juifs une haine réciproque. Voilà comment ils ont dégénéré. À leur place peut-être eussions-nous été pires. Leurs maux, leurs préjugés, leurs vices accusent notre conduite à leur égard, ils ont produit les effets, nous avons posé les causes. Quels sont les plus coupables ?
Clénard parle dans ses lettres des beautés juives de Fez et de Maroc, on cite encore celles d’Avignon. Le voyageur Roques trouva les hébreux de Moka en Arabie assez bien faits et très civils50, mais dans nos contrées si l’on en croit ses propres yeux il est peu de juifs bien conformés. La plupart des physionomies juives sont rarement ornées du coloris de la santé, conséquemment elles s’annoncent par des nuances qui leur sont propres et par des traits aussi marqués qu’inexplicables. Lavater dans son ouvrage sur les physionomies parle peu de celles des juifs, mais il m’a dit avoir observé qu’en général ils ont le nez crochu, les yeux enfoncés, le menton avancé et les muscles constricteurs de la bouche fortement prononcés. Je saurai quelque jour quelles conséquences morales il en déduit. Misson observe quelque part que les juifs portugais sont basanés mais ceux de Prague, dit-il, pas plus que les autres habitants de la Bohême, effectivement ils sont moins bruns que les juifs portugais, mais néanmoins rarement trouve-t-on dans aucun pays des juifs blonds et au teint clair ; quelques-uns sont roux, mais presque tous ont une teinte de brun et des cheveux crépus qui rappellent leur origine des contrées méridionales ; quant à la stature, ils ne passent guère la moyenne. On ajoute que presque tous ont la barbe rare, marque ordinaire des tempéraments efféminés et qu’en général leurs femmes ont la vue faible.
Nombre d’auteurs assurent que les juifs sont très cacochymes et sujets aux maladies qui indiquent corruption dans la masse des humeurs comme autrefois la lèpre et aujourd’hui le scorbut, maladie qui a tant de rapport dit Buchan avec la précédente51. Pierre de Lancre les dit très sujets aux flux de sang, etc.52 Et si au témoignage de ces auteurs on joint l’aveu d’Abravanel53, on sera fort tenté de croire que les hémorroïdes sont endémiques chez eux et les affaiblissent ; Marc Zimara l’attribue à leur mélancolie54 et comme cette maladie a quelques fois des retours périodiques, différents écrivains tels que Tostat, Bonsinius, Alexandre d’Alexandre55 et autres en ont conclu très sérieusement que les juifs étaient soumis aux mêmes infirmités que les personnes du sexe féminin. Cardoso cite et réfute plusieurs écrivains qui ont débité les mêmes sottises56.
On prétend aussi que les juifs exhalent constamment une mauvaise odeur, cette opinion n’est pas nouvelle, on la trouve déjà dans Martial Rutilius, Fortunat et Marc Aurèle lui-même au rapport d’Ammien Marcellin était imbu de ce préjugé57. De siècle en siècle on a répété les mêmes accusations contre les juifs qui nous les ont rendues, car leurs rabbins par représailles ont assuré que le serpent avait répandu sur Ève une puanteur transmise à toute sa postérité et dont les seuls juifs sont exempts.
Ramazzini dans son traité sur les Maladies des artisans a inséré un chapitre sur les maladies des juifs. Il ne doute pas qu’ils ne répandissent une très bonne odeur lorsqu’ils étaient dans la splendeur à Jérusalem et il assigne pour cause de leur puanteur prétendue et de leur pâleur plus réelle, 1° leurs occupations comme la friperie, cette raison seule ne pourrait produire l’effet indiqué d’une manière sensible ; les habitants de la rue Tirechape à Paris ou du marché aux guenilles à Strasbourg ne sont pas moins colorés que ceux des rues voisines, 2° leur pauvreté, quia sint illis angustoe domus et res angusta domi. D’autres attribuent ces effets à l’usage fréquent des oignons et de la viande de bouc. Hecquet et Saury à la trop grande quantité d’ail qu’ils consomment58. Lemery fils et Beckrens prétendent que la chair d’oie pour laquelle ils ont un goût décidé les rend atrabilaires et livides59 attendu que cette nourriture contient beaucoup de sucs grossiers et visqueux.
En admettant l’influence de ces raisons particulières sur le tempérament, les diverses explications qu’on en tire ne sont pas satisfaisantes, ni applicables à tous les juifs qui ne sont pas tous pauvres et fripiers, et l’usage des mets dont on vient de parler n’est pas général chez eux.
M. Venel après avoir remarqué que l’épilepsie est commune chez eux, que la plupart paraissent vieux de bonne heure et parviennent rarement à un âge avancé, prétend que leurs ablutions, contribuent beaucoup à leur énerver le tempérament60. On peut lui répondre que l’usage des bains si commun chez les Romains n’avait point amolli ce peuple, que les Turcs soumis dans ce genre à plus de cérémonies légales que les juifs ne sont pas si efféminés qu’eux, ce que d’ailleurs les ablutions froides telles qu’elles sont usitées chez les mêmes juifs loin d’efféminer le tempérament doivent le fortifier et donner aux muscles plus d’élasticité.
Peut-être rencontrerons-nous vrai en assignant diverses causes dont l’action réunie peut abâtardir la figure et lui imprimer le sceau de la dégradation. 1° Telles sont la malpropreté source courante de maladies cutanées si communes chez les juifs, leurs ablutions devraient cependant, nous dit-on, produire un effet contraire et purifier la peau ; d’accord. Mais observez que ces ablutions moins fréquentes qu’on ne les suppose sont un joug auquel le juif est soumis et non une précaution de santé, rarement sont-elles administrées d’une manière utile et d’ailleurs leur effet est nul tant qu’on n’y fait pas concourir la propreté des meubles, des linges, des aliments, le renouvellement de l’air, etc. 2° Leur genre de nourriture plus convenable au climat de la Palestine qu’au nôtre ; car indépendamment des raisons religieuses et morales l’abstinence de quelques aliments telle que l’a prescrite Moïse est souvent justifiée par la connaissance du climat comme l’a après tant d’autres prouvé M. Bagard61. 3° L’usage presque général d’aliments mal préparés. Il est d’expérience que cette cause fait promptement dégénérer l’espèce humaine et l’autorité de M. de Buffon62 donne à cette assertion un nouveau poids. Or il est certain que par crainte de manger du sang ils l’expriment presque entièrement des viandes qu’ils préparent et leur enlèvent par là beaucoup de suc nourricier. S’il est vrai d’ailleurs qu’ils salent peu comme on l’assure, leurs mets doivent avoir une qualité malsaine et rendre les digestions laborieuses car on sait combien l’usage du sel a d’heureuses influences sur l’économie animale.
4° Le défaut de croisement dans l’espèce : défaut qui abâtardit les races et dégrade la beauté des individus. Mais s’il est vrai comme l’assure Vaudermonde63 que la défense de s’épouser entre frères et sœurs eût été chez les anciens législateurs l’effet de la plus haute politique, je croirais cette politique fondée sur l’idée de multiplier les rapports moraux entre les hommes et d’étendre leur bienveillance, plutôt que sur des expériences physiques. Quoi qu’il en soit c’est une vérité de fait portée à l’évidence et sur laquelle on ne pourrait que répéter. Je citerai seulement un fait qu’on vient de me donner pour incontestable, c’est qu’à Salenci l’habitude de ne pas vouloir chercher des épouses hors de cet asile de la vertu, a fait dégénérer les races. Revenons à nos juifs. Ils s’épousent souvent au deuxième degré de consanguinité et comme ils sont ordinairement répandus en petit nombre dans les mêmes lieux ils se dispensent de courir au loin pour former des alliances et c’est presque toujours le même sang qui circule dans des familles différentes.
5° L’usage général de se marier fort jeune, cet usage nuisible aux deux sexes qu’il énerve, procure des grossesses prématurées qui, selon le même M. Venet, n’étant pas dans l’ordre de la nature affaiblissent la mère et son fruit. Cette vérité se renouvelle constamment sous nos yeux. Il suffirait même d’en appeler à l’expérience pour réfuter ceux qui croient que la nubilité est fixée à l’époque de la puberté et que ces sortes de mariage sont dans l’ordre naturel. Joignons nos réflexions à celles de l’auteur qu’on vient de citer et portons les choses à l’évidence.
On a donné dans l’erreur pour avoir confondu la nubilité avec la fécondité ; celle-ci qui se déclare la première n’est que la faculté de produire son semblable. On sait qu’elle s’annonce communément chez les filles par l’établissement de l’évacuation périodique, si toutefois les révolutions menstruelles sont une institution de la nature, ce qui n’est point encore décidé64 et en outre par des phénomènes communs aux deux sexes. Mais la nubilité établit en outre des rapports moraux entre l’homme et la femme. Elle exige donc l’assemblage des qualités propres à remplir dans toute leur étendue les devoirs de père et de mère. Elle suppose donc que les facultés morales sont développées à l’égal des facultés physiques et que pour faire éclore celles-ci, on n’a pas forcé la marche progressive du tempérament, car alors l’ouvrage avorté ressemblerait à ces fruits dont la maturité contrainte n’offre jamais cette saveur exquise que leur donne la nature. Si la fécondité attestait qu’une personne est nubile, il faudrait en conclure que les filles des Indes souvent fécondes dès l’âge de huit ou neuf ans, sont déjà propres à remplir tous les devoirs maternels. Par la même raison les filles valétudinaires et délicates seraient plus propres à l’état du mariage que les filles robustes attendu que chez celles-ci les phénomènes de la puberté sont plus tardifs que chez les premières.
Mais, répliquera-t-on, si la fécondité précède la nubilité, comment justifier la nature ? Aurait-elle doué l’homme d’une faculté qui pourrait quelquefois devenir son tyran parce que le temps d’en faire usage serait encore éloigné ? N’outrageons pas la nature c. à d. son auteur en la chargeant de nos torts, l’empreinte de sa main est encore gravée sur son plus bel ouvrage ; mais nos conventions sociales en ont bien altéré les traits. L’homme de la nature n’existe plus parmi nous, nul part on n’a réglé les principes de l’éducation et le développement des connaissances, sur celui des deux substances dont l’homme est composé. Et de là qu’arrive-t-il ? Que souvent l’esprit a déjà trente ans, tandis que le corps n’en a que dix en sorte qu’une imagination précoce souffle dans un cœur enfantin le feu des passions et l’embrase. Les progrès du mal sont encore plus marqués chez les jeunes gens nourris d’aliments très substantiels et recherchés. Le suc nourricier trop abondant s’ouvre de nouvelles routes et accélère la fécondité ; voilà pourquoi les deux sexes atteignent plus tôt la puberté dans les villes où le luxe établit son emprise que dans les campagnes, où règne plus de frugalité, où l’on est plus voisin de la nature.
Il paraît bien évident que dans l’ordre établi par le créateur l’époque de la fécondité et celle de la puberté doivent être la même, et que l’une et l’autre ne doivent jamais précéder l’entier développement de la stature et des organes ; mais ne nous lassons point de répéter que cet ordre est présentement interverti parce que l’homme dénature tout ; et si la puberté se déclare prématurément, ne consommons pas le dépérissement de l’espèce par des mariages trop précoces.
Cette digression n’est point étrangère à notre sujet. Il était essentiel d’attaquer un préjugé dont les funestes effets ne se font que trop sentir chez les juifs. Ajoutons que leurs femmes sont constamment énervées par une vie sédentaire, qu’un grand nombre des hommes est dans le même cas et que les autres, livrés à un sort errant qui n’exerce que les jambes, n’ont jamais les bras nerveux de nos cultivateurs. Cette dégradation physique jointe à la misère d’une partie de ce peuple s’opposerait à sa population si des causes infiniment supérieures ne la favorisaient.
La dispersion des juifs est un événement unique dans l’histoire du monde ; de grands peuples ont été engloutis par de grandes révolutions. Seulement les restes de quelques-uns forment encore aujourd’hui des classes isolées, mais peu nombreuses et répandues dans leur ancienne patrie ou dans quelques coins de la terre. Les Cyganis ne sont que des hordes errantes dans les forêts de la Moldavie, dans les villages de la Valachie, de l’Espagne où ils portent le nom de bohémiens ; on ne trouve des Berbères qu’en Barbarie, des Banians et des Guèbres que dans quelques coins de l’Orient, au lieu que le souffle de la colère divine a dispersé les enfants de Jacob sur toute la Terre. La sotte crédulité a parlé d’un juif errant, ils le sont tous. Vaincus tour à tour par les Assyriens, les Perses, les Mèdes, les Grecs et les Romains, ces nations puissantes disparaissent et le juif dont elles ont brisé le sceptre, survit avec ses lois aux débris de son royaume, à la destruction de ses vainqueurs. Dépositaire des premières archives du globe et des oracles qu’il a méconnus, il va, la Bible en main, vérifier les prédictions de ce livre et rendre témoignage à la vérité d’une religion qu’il abhorre. Sans cesse il a les yeux tournés vers Jérusalem, ne désirant qu’elle pour patrie, et n’obtenant jamais cette ville possédée successivement par les païens, les chrétiens et les musulmans. Le sang du Christ est retombé sur les juifs comme ils l’ont désiré. Depuis la journée sanglante du calvaire, ils sont en spectacle à l’univers qu’ils parcourent demandant un messie qu’ils ont cherché jusque dans Cromwell65. Depuis dix-sept siècles ils se débattent, se soutiennent à travers les persécutions et le carnage ; toutes les nations se sont vainement réunies pour anéantir un peuple qui existe chez toutes les nations, sans ressembler à aucune, sans être d’aucune. En un mot, les juifs étrangers, chassés, persécutés partout existent partout. Qu’on trouve un phénomène semblable dans les fastes de l’histoire, tel serait un arbre qui n’aurait plus de tige et dont les rameaux épars continueraient cependant de végéter avec force66.
La population juive sous David est évaluée à près de sept millions par M. Wallace67 et son aperçu paraît incontestable ; mais il s’est trompé en assurant que le nombre des juifs actuel est aussi grand que dans l’âge le plus brillant de leur existence en Palestine. Michaelis dit qu’en Allemagne l’opinion commune est d’admettre cinq millions de juifs existant sur le globe68 et cette assertion encore exagérée, ainsi que la plupart des calculs sur la population, paraît cependant se rapprocher davantage de la vérité. Si nous voulons rassembler des probabilités sur cet objet, ne consultons pas les relations des juifs et surtout celles de Benjamin de Tudèle et d’Orobio. Ils ont toujours exagéré le nombre de leurs frères pour se donner à nos yeux le relief d’une nation florissante jusque dans la dispersion. C’est sans doute par ce motif que dans le siècle dernier, Luzzatto, rabbin de Venise, suivi en cela par Lancelot et Adisson69 portait à plusieurs millions le nombre des juifs établis dans l’empire turc. Tandis que toutes les présomptions établissent un calcul bien inférieur. Jean-Jacques Schadt mort en 1722 s’est également trompé en comptant plusieurs millions de juifs dans les seuls pays de la Barbarie et de la Mauritanie70. Basnage, contemporain de Schadt, mais appréciateur plus exact réduisait à trois millions le nombre des juifs contemporains et il appuyait son calcul de raisons plausibles71. Depuis cette époque, c’est-à-dire depuis le commencement de ce siècle, ils n’ont éprouvé aucune révolution sanglante et l’on peut augmenter ce nombre de moitié, ce qui ferait 4 500 000 personnes. La lecture de ce qui suit rendra ce calcul vraisemblable. Un littérateur de Strasbourg prétend qu’un siècle suffit pour en tripler le nombre et la province qu’il habite en fournit une preuve72. En 1689 on ne comptait en Alsace que 587 familles juives ; en 1716 il y en avait 1 348, et en 1761 le nombre était de 3 04573. Supposons que dans ce laps de temps 400 familles nouvelles y aient été attirées par la douceur du gouvernement français, ou par l’avarice des seigneurs à qui les juifs payent droit de protection, déduction faite des nouveaux venus, on trouve encore une multiplication quadruplée, dans le cours de 72 ans, tandis que M. Moheau dans ses recherches sur la population, trouve à peine 1/9 d’augmentation sur la population française dans l’espace de 74 ans. On remarque également ailleurs cette multiplication prodigieuse du peuple juif ; c’est une vérité de fait dont il faut développer les causes.
Nous n’irons pas, comme quelques auteurs, les chercher dans la permission du divorce et de la polygamie. Le divorce est rare ; la polygamie n’a plus lieu, excepté peut-être dans quelques coins de l’Orient ; et l’effet résultant de cette double liberté est trop faible pour entrer en ligne de compte. À 20 ans un juif sans femme est censé vivre dans le libertinage. Nous avons remarqué précédemment que l’usage de se marier trop tôt énerve les individus, ainsi les principes de la reproduction étant constamment affaiblis dans des corps efféminés, les juifs ne transmettront pas à leur race une vigueur, dont eux-mêmes ne sont pas doués et même s’il faut reconnaître des maladies héréditaires, leurs enfants naîtront avec le germe des maladies cutanées (qui doivent cependant avoir un avantage, celui de les soustraire à l’invasion d’autres maladies, parce que les premières font sur le corps la fonction de cautères) mais les principes reproductifs auront encore assez d’énergie pour se développer de manière que numériquement la population n’y perdra pas. D’ailleurs ceux qui connaissent leurs observances légales relatives à l’état du mariage, savent qu’elles sont également conformes aux lois de la physique et de la décence. Elles économisent les ressources de la nature, et les réservent chez les deux sexes pour les instants les plus favorables à la propagation74. Après l’enfantement, leurs femmes daignent encore se souvenir qu’elles sont mères et l’usage respectable d’allaiter elles-mêmes vient à l’appui des autres causes.
Parmi nous la pauvreté empêche un grand nombre de mariages. Chez les juifs le mariage sert de consolation à la pauvreté. De tous les hommes ils sont les plus ardents à multiplier et l’espérance de voir un messie sortir de leur race les rend encore plus exacts à remplir le précepte qu’ils croient imposé dans la Genèse. Parmi nous dans les classes opulentes de la société et même dans celles d’une aisance médiocre, un luxe déprédateur, la vanité ou le crime arrêtent souvent les progrès de la population ; chez eux une famille nombreuse est réputée un gage honorable des bénédictions du Ciel. Nous avons loué précédemment l’austérité de leurs mœurs, qui jointe à la frugalité, à leur éloignement du luxe tourne encore au profit de la population.
Les mêmes causes qui la favorisent servent à la conserver ; sans quoi la nation se fût éteinte par les massacres répétés qu’on a faits dans tous les siècles. Quel sera donc dans cent ans l’accroissement d’un peuple chez qui la stérilité est un opprobre, qui abhorre le célibat comme un état maudit, et réprouve le veuvage, qui exempte de porter les armes, s’exempte encore des dangers de la mer75, d’un peuple dont l’existence est respectée par tous les gouvernements actuels de l’Europe et dont tous les individus livrés à un genre de vie assez uniforme, éprouvent très rarement les crises violentes, qui chez les autres nations ruinent souvent les santés les plus robustes ?
On répète sans cesse qu’une population nombreuse est une source de prospérité pour un État. Discutons ce principe et, supposé qu’il soit admissible, voyons si la population juive n’y fait pas exception. Les avantages n’en peuvent jamais être que relatifs à la facilité de se nourrir et au besoin de se défendre, et c’est peut-être faute de s’entendre qu’on a tant disputé sur cette matière.
On m’accordera sans doute que la prospérité d’un État se compose de celle de ses membres, d’où je pourrais conclure qu’un royaume dont les citoyens auraient le nécessaire et le superflu, serait un État florissant, n’eût-il qu’une population très bornée. Il faut cependant convenir que dans l’état actuel des choses humaines, rien ne garantirait la stabilité de ce bonheur ; il suffirait pour le troubler qu’un monarque voisin tourmenté par la démangeaison de la vanité ou des conquêtes, envoyât contre un peuple paisible des armées formidables auxquelles on ne pourrait opposer que des forces inégales. Le carnage terminerait les maux d’une partie de cette nation, et l’autre serait contrainte de recevoir des fers. Tant que les hommes seront altérés de sang, la nation la plus florissante sera celle qui aura plus de facilité pour égorger les autres.
Sous ce point de vue une population nombreuse peut assurer la félicité publique ; mais il faut au moins supposer qu’on peut nourrir tous les individus. L’État tire ses comestibles ou de son sein ou de l’étranger. Cette alternative l’expose au refus de la nature ou de ses voisins et la souffrance augmente en proportion du nombre de ses sujets. On ne peut donc prévenir les disettes qu’autant qu’il y a toujours un nombre suffisant d’hommes occupés à procurer les denrées de première nécessité, et tandis qu’avec raison le luxe est accusé d’enlever beaucoup de bras aux campagnes, nous conservons chez nous une nation à qui nous interdisons l’agriculture, une nation qui consomme sans reproduire et qui jamais ne remplira les vides de sa consommation par son commerce de détail. Ainsi, les juifs n’ayant pas la permission de nourrir la patrie, ni de la défendre deviendront tous les jours plus nuisibles.
Il est vrai que la population parvenue à un certain terme s’arrête. Les bornes en sont marquées par la nature du gouvernement civil et religieux sous lequel on vit, par l’étendue du pays qu’on occupe, par la fertilité du sol qu’on cultive. La multiplication des hommes se proportionne à la facilité de se procurer des établissements, des subsistances. C’est d’après ces principes que la population juive est dans le cas d’aller plus loin que la nôtre. Nous avons vu avec quelle facilité ils pullulent et comme ils rendent partout les cultivateurs tributaires ; les objets de première nécessité passeront d’abord en leurs mains et leur population continuera d’étendre ses rameaux. Ce sont donc des plantes parasites qui rongent la substance de l’arbre auquel elles s’attachent et qui pourraient enfin l’épuiser, le détruire.
Si les juifs payent au souverain des taxes considérables, ils savent bien s’en dédommager sur les classes les plus pauvres de la société et l’impôt qu’ils fournissent à l’État est un véritable impôt sur le peuple. Ils font des avances aux cultivateurs en leur laissant des bestiaux à crédit, en leur prêtant de l’argent pour acheter les instruments qui constituent le train du labourage, mais c’est une bienfaisance meurtrière qui sustente un moment des victimes pour usurper le droit de les dévorer et grâce à la probité du peuple hébreu, on sait partout ce que signifie l’expression vulgaire être entre les mains des juifs, livrés au maquignonnage. Ils ont le talent funeste de donner à des chevaux ruinés une vigueur factice, une jeunesse empruntée qui trompe les plus clairvoyants et remarquez qu’en cela comme dans toutes les espèces de vente, presque toujours ils surfont de moitié, tant il est vrai qu’il ne leur manque que des dupes pour faire payer les choses au double de leur valeur.
Il n’est sorte d’inventions diaboliques dont ils n’usent pour tromper. Un débiteur ne peut à l’époque convenue liquider sa dette ; pour éviter des poursuites ruineuses, on le forcera d’acheter à valeur triple un cheval qui n’a plus de prix que pour le tanneur. Ce débiteur va porter la somme, tantôt on le couvre du masque d’une bonté infernale en lui disant que la chose n’est pas pressée, afin qu’employant ailleurs son argent, on puisse l’assigner au dépourvu et le vexer. Tantôt on lui rend une créance copiée sur la sienne avec un artifice capable d’en imposer aux plus adroits. C’est là votre promesse ? Oui, vous aurez du plaisir à la voir brûler, on la jette au feu, le débiteur part, se croyant libéré et quelque temps après on vient lui produire en justice la créance originale. Le moyen d’éviter la surprise serait peut-être de statuer qu’en pareil cas, le juif en rendant le billet donnerait encore quittance.
Pokoke, voyageur anglais surpris de trouver peu de juifs dans l’île de Scio en demanda la raison aux habitants ; nous sommes, lui dirent-ils trop fins pour eux. Pierre le Grand supplié d’admettre les juifs dans ses États, répondit à l’intercesseur : félicitez-les de mon refus, ils sont fripons, mais les Russes le sont encore plus ; ils leur dameraient le pion. On peut révoquer en doute les assertions des Sciotes et du Tsar. Personne n’a porté plus loin que les juifs l’art de ruser et d’épier le malheur pour tomber lâchement sur les victimes. Au moment où l’on se flatte d’avoir dévoilé toutes les ressources de leur brigandage, ils vous précipitent dans de nouveaux pièges. Cependant, je n’assurerai pas avec un écrivain récent qu’alors ils s’honorent d’un parjure comme d’une œuvre méritoire76. Mais si leur probité n’était fort sujette à caution, aurait-on pris, en Allemagne surtout, tant de précautions, écrit tant de traités sur la manière de leur faire prêter des serments, qui malgré cela sont encore réputés insuffisants pour faire naître la confiance ? La crainte du châtiment sera donc le seul frein qui les arrêtera ; mais le flambeau de la justice ne peut pas toujours dissiper les ténèbres dont le crime s’enveloppe. On sait d’ailleurs que la justice est parfois aussi un effet commerçable et qui est pour certaines gens une branche d’industrie assez lucrative. Avec des écus le juif achète des protecteurs en crédit qui le couvrent de leurs ailes et par ce moyen la fourberie devient une maladie contagieuse qui altère la pureté des mœurs nationales.
Peut-on par exemple fermer les yeux sur le tort que les juifs font à la jeunesse en favorisant le libertinage par des prêts usuraires ? Que fera cet officier dont les affaires sont dérangées par le jeu ou la débauche ? L’israélite se présente à propos, fait sonner les espèces et mesure son gain sur l’embarras de l’emprunteur. L’usurier sait bien qu’il ne pourra réclamer l’appui des lois, qu’elles lui refusent action contre un mineur et lui défendent expressément de prêter aux fils de famille. Mais fallut-il attendre la majorité ordinairement peu éloignée : à cette époque il trouvera un moyen de faire ratifier les dettes antérieures. D’ailleurs les lois civiles n’anéantissent pas celles de l’honneur et pour peu qu’un débiteur respecte l’opinion publique, il se libère en cédant à grande perte des effets de grand prix. Les parents même s’empressent de contribuer pour effacer des écarts de jeunesse dont la honte rejaillirait sur eux et qui pourrait faire manquer à leur fils un établissement avantageux.
Que deviendra cet honnête laboureur ruiné par les juifs ? Son âme est avilie par l’indigence ; il n’a plus qu’un pas à faire pour être un scélérat. Égaré par le désespoir, bientôt il franchira cette faible barrière. Si sa femme n’est pas encore morte de chagrin, il faudra bien qu’elle se rende complice de son époux et ses enfants mal élevés prépareront à la génération suivante une race de citoyens pervers. Habitants infortunés du Sundgau, répondez si vous en avez encore la force, cet effrayant tableau n’est-il pas celui de l’État auquel les juifs vous ont réduits ? Cette contrée jadis fertile et qui enrichissait vos pères produit à peine un pain grossier à une foule d’entre leurs neveux et des créanciers aussi pitoyables que fripons vous disputent encore le prix de vos sueurs. Avec quoi les entretenez-vous désormais ces champs dont vous n’avez plus qu’une jouissance précaire ? Vos bestiaux, vos instruments d’agriculture vont être vendus pour assouvir des vipères, pour acquitter seulement une partie des rentes usuraires accumulées sur vos têtes. Ne pouvant plus solliciter la fécondité de la terre vous êtes réduits à maudire celle de vos épouses qui ont donné le jour à des malheureux. On ne vous a laissé que des bras desséchés par la douleur et la faim et s’il vous reste encore des haillons pour attester vos misères et les baigner de vos larmes, c’est que le juif a dédaigné de vous les arracher.
Boulainvilliers assure que pendant les guerres du siècle dernier, les juifs avaient été d’un assez grand secours aux habitants de l’Alsace77. Nous n’avons garde de contredire un trait si honorable et nous nous hâtons d’associer Cerf Berr à cet éloge. Mais il n’en est pas moins vrai qu’on pleure d’attendrissement, qu’on frémit d’indignation à l’aspect des maux causés par les juifs dans cette province. Ami lecteur, parcourez-la pour vérifier les maux dont nous venons de tracer une faible ébauche et si vous n’êtes pas féroces ou dignes de l’être bientôt, votre cœur gonflé laissera échapper des sanglots, votre âme s’ouvrira à la pitié et votre bourse à l’indigence. Il est bien étrange que presque tous les journaux se soient tus sur les événements dont cette contrée a été le théâtre il y a 4 à cinq ans ; et nous ne ferons que les indiquer à ceux qui les ignorent.
Les juifs multipliés en Alsace plus qu’ailleurs y ont multiplié leurs usures et réduit nombre de chrétiens à la mendicité. Une foule d’autres menacés du même sort ont usé de représailles en opposant friponnerie à friponnerie. Tout à coup le pays a été inondé de fausses quittances ; les juifs ont crié à l’imposture, à réclamer la vengeance des lois sans discontinuer leur ouvrage. Cette affaire envisagée dans toute son étendue offre un monument d’iniquité, une œuvre de ténèbres qu’il n’est ni prudent ni possible de trop approfondir. Les foudres de la justice n’ont pu écraser tous les coupables. Condamnons les juifs en les plaignant ; plaignons leurs débiteurs en les condamnant.
L’histoire de Verdun nous offre un fait d’une singularité frappante. En 1434, les habitants ayant envoyé leurs députés au concile de Bâle, ils présentèrent requête pour exposer qu’étant limitrophes d’un pays souvent dévasté par la guerre, il leur fût permis d’admettre dans leur cité pauvre des juifs qui par leur industrie puissent la vivifier et y amener l’aisance. Cette requête, dit Wassebourg78, fut agitée et rejetée bien vigoureusement. Les juifs pouvaient-ils effectivement réaliser les désirs de cette ville ou les Verdunois avaient-ils mal spéculé ? C’est ce que nous n’examinons pas, mais il est au moins très douteux qu’aucune ville demandât présentement une telle permission. Vainement nous dit-on que les juifs utiles au commun y jettent de l’intérêt, de l’activité. Ils y jettent plutôt de la défiance et altèrent cette bonne foi qui en fait l’âme. S’ils favorisent le libertinage des fils de famille, s’ils corrompent la probité, la franchise nationale par l’exemple de la fourberie la plus criante, tous ces maux proviennent de ce qu’ils sont exclusivement livrés au commerce. 1° Ce genre d’occupation faisant circuler abondamment en leurs mains les espèces monnayées, leur donne la facilité d’exercer l’usure et d’altérer la valeur du numéraire. Un juif pendu pour avoir rogné des guinées appelle cela l’amour des belles lettres. 2° Le commerce les met en relation avec un grand nombre de citoyens ; nouveau moyen pour tramer des manœuvres sourdes, consommer des marchés frauduleux et répandre plus efficacement leur maligne influence.
Il faudrait bien opter cependant entre les laisser végéter dans l’inaction ou rectifier leur commerce, s’il était vrai qu’ils ne fussent propres ni à l’agriculture, ni à aucun art nécessaire. Un auteur allemand nous l’assure79, mais quelle raison en donne-t-il ? Aucune. Nous voilà donc dispensés de réfuter une assertion que l’expérience a démentie ; nous réfuterons plus bas ce que cet écrivain va réfuter lui-même, car enfin il nous accordera sans doute que les combinaisons du commerce exigent pour le moins autant de pénétration que l’agriculture et les arts mécaniques ; et cependant il assure avec aussi peu de fondements qu’un État commerçant ne saurait tout à fait se passer des juifs, car pourquoi ne le pourrait-il pas ? Tire et Carthage ont fleuri sans en avoir. Genève, Augsbourg et Nuremberg n’en ont point et même cette dernière ville ne les souffre pour quelques moments dans ses murs que sous l’escorte d’une garde qui tranquillise le gouvernement sur leur démarche ; et ce raisonnement simple détruit en même temps l’assertion du spectateur anglais qui les considère comme les chevilles et les clous absolument nécessaires pour lier les parties d’un grand édifice80. Leurs fonctions mercantiles sont-elles donc de nature à ne pouvoir être exercées par d’autres mains ? Faut-il absolument tenir à la synagogue pour acheter des fonds de boutique, s’occuper de la friperie, et s’employer à la remonte de la cavalerie ? Bielfeld avoue cependant qu’une trop grande quantité de juifs peut être nuisible et pour empêcher leur multiplication, divers législateurs ont mis des obstacles à la facilité de leurs mariages. Un édit de Prusse en 1722 leur défend d’en contracter sans la permission du roi et les soumet à payer alors un droit au trésor militaire. Dans le territoire de Culembach et en Hesse, on a reculé leur mariage jusqu’à des époques tardives, l’âge de 20 ans pour les filles, de 24 ans pour les garçons. Le nombre des juifs étant déterminé, un seul des enfants peut remplacer le père mort et les autres n’ont pas droit d’exister sur le sol qui les vit naître81. Ces défenses sont des attentats contre la nature qui les désavouerait même dans le silence des passions. Mais lorsque les juifs devenus trop nombreux infesteront le pays, qu’en fera-t-on ? C’est ce que Bielfeld ne dit pas et cependant quand on fait des institutions politiques, il paraît assez convenable de traiter une question politique de cette nature. Quand le mal sera parvenu à son comble on reviendra peut-être à l’expédient usité tant de fois, celui de les chasser. Serait-ce donc un crime d’examiner la justice de ce traitement ? Les meilleures raisons ne prévaudront jamais contre le droit de force ; mais peut-être que le droit des bêtes féroces ne sera pas toujours celui des hommes.
Si l’Allemagne par exemple bannit tous les juifs et qu’à l’imitation des autres puissances, nous refusions de les recevoir, ces malheureux seront donc forcés de se précipiter dans le Rhin, parce qu’ils n’auront pas seulement la liberté de gémir sur les rives de ce fleuve. Nos ancêtres ont ouvert des asiles aux ancêtres des juifs actuels ; mais cette grâce à l’égard des pères n’a pas empêché les enfants d’acquérir un droit. Je ne connais pas d’homme pour qui la Terre n’ait été créée et si après avoir été reçu sous la protection des lois, après avoir rempli les devoirs de patriote dans ma terre natale, je n’y ai pas acquis le droit de patrie, qu’on me dise ce qu’il faut pour l’obtenir.
Mais les crimes des juifs, leurs usures… Et bien leurs usures sans contredit doivent être réprimées ; mais le droit de punir les coupables n’est pas celui de les bannir, et par quel droit en effet mettrais-je un voleur dans le cas de prendre la bourse des autres de peur qu’il ne m’arrachât la mienne ? Par quel droit enverrions-nous dans les États voisins des bandits qui infesteraient le nôtre et qui retraceront ailleurs la scène de leurs crimes ? La peine du ban est encore un de ces usages également anciens et barbares, mais il en sera sans doute de celui-là comme de la torture : nous autres Français seront les premiers à dévoiler l’abus, les derniers à le réformer.
Il n’est qu’un moyen d’obvier aux inconvénients de l’excessive multiplication des juifs, c’est de les rendre utiles. Nous ne croyons pas qu’il suffise pour cela de leur accorder des lettres de naturalités. Les juifs portugais qui jouissent en France de ce bienfait depuis le règne de Henri II ont ordinairement des connaissances plus sensées, des sentiments plus délicats que les autres juifs calomniés sous Henri III, et ils furent justifiés d’une manière éclatante ; cependant ils ne sont pas encore Français et l’œuvre de leur changement n’est que commencée. En naturalisant les juifs il faut prévenir leurs usures, diriger leurs esprits vers d’autres objets que ceux du commerce, leur montrer la fortune dans le chemin de l’honneur, les incorporer, les fondre pour ainsi dire dans la masse nationale, au point d’en faire des citoyens dans toute l’étendue du terme. Tant qu’ils seront esclaves de leurs préjugés et victimes de notre haine, ne vantons pas la sensibilité de nos cœurs. Dans leur avilissement actuel, les juifs sont encore plus malheureux que coupables, car telle est leur déplorable situation que pour n’en être pas profondément affectés, il faut avoir oublié qu’ils sont hommes ou avoir soi-même cessé de l’être.
La douceur des gouvernements modernes a un peu calmé l’effervescence du zèle religieux des juifs et mitigé leur haine contre nous. Nous en convenons avec un savant distingué de l’Allemagne qui a écrit en leur faveur, mais qu’il nous soit permis de ne pas adopter son avis lorsqu’il veut justifier les juifs par des raisons qui ne peuvent convenir qu’au troupeau faible et dispersé des Caraïtes ennemis des traditions orales. Le principal livre de leur religion nous dit M. Dohm, est le livre de Moïse82. Avec eux nous vénérons ce livre, en avouant qu’ils en ont altéré la morale. Mais, ajoute l’auteur, les opinions erronées et contraires à la morale qu’ont avancées quelquefois les rabbins ne doivent pas faire de tort à la doctrine des juifs prise en général, de même que des idées semblables avancées par des théologiens chrétiens ne doivent pas être mises sur le compte de la sainte doctrine de l’Évangile. Cette comparaison est inexacte ; il y a grande disparité en ce que les opinions erronées de nos théologiens n’influeront jamais que sur le cercle étroit de leurs adhérents, au lieu que les décisions rabbiniques sont des autorités irréfragables, puisqu’on doit croire un rabbin quand même il assurerait que la main droite est la gauche, et si deux docteurs se contredisent, tous deux doivent être réputés raisonnables et préférés à Moïse83. Ils comparent la Bible à l’eau, la Mishna au vin et la Gemara à l’hypocrats. Ces deux parties forment le Talmud, ce vaste réservoir ; j’ai presque dit ce cloaque où sont entassés mille délires de l’esprit humain. Plusieurs de nos théologiens ont avancé des maximes réprouvées par la sainte morale, mais jamais ils n’eussent outragé la raison par des axiomes aussi détestables que ceux qu’on va citer. Il faut, selon Moïse (Maimonide), convertir l’idolâtre ou le tuer. S’il se noie il ne faut pas le secourir et c’est lui faire grande grâce que de ne pas le pousser dans le précipice84. Remarquez que dans le style de cet auteur, nous sommes des idolâtres, observez encore que les juifs ont tant de vénération pour lui qu’ils le nomment l’aigle des docteurs et que depuis Moïse (le législateur) personne n’a paru plus grand que Moïse (Maimonide). Salomon Jarchi (Rashi) ayant décidé qu’il faut briser la tête d’une femme comme celle du serpent explique sa pensée et restreint sa dureté aux femmes chrétiennes85. Basnage a recueilli et cité plusieurs autres décisions de cet acabit. Selon le Talmud, un juif ne doit saluer un chrétien qu’en le maudissant dans son cœur, et lui souhaiter un bon voyage en ajoutant dans son cœur comme celui de pharaon dans la Mer rouge et d’Aman, à la potence86. On sait encore qu’un édit du roi de Prusse en 1702 proscrivit une formule de prières usitée dans les maisons et les synagogues et défendit aux juifs, sous peine d’exil et même de la mort, de87 l’enseigner à leurs enfants. Un juif qui vient de lire Maimonide ou Salomon Jarchi, un juif qui ouvrant le Talmud y trouve le conseil de tuer le meilleur homme qui se trouve parmi les nations, s’il n’était contenu par la crainte, il ne serait pas loin de m’enfoncer le couteau dans la gorge pour peu qu’il respectât son Talmud et l’on sait que ce livre est classique chez tous les rabbanistes. À ne les considérer que d’après leur éducation actuelle je ne voudrais pas habiter un pays où ils pourraient impunément tirer le glaive contre moi. Basnage assure même qu’ils ont érigé en dogme leur haine contre nous et qu’elle va jusqu’à la fureur. J’aime à croire cependant qu’il se sera trompé en attribuant aux juifs un axiome horrible, de quelques têtes forcenées, le voici : que celui qui ne nourrit pas sa haine et ne se venge pas de ses ennemis est indigne du titre de rabbin88. Que conclurez-vous de là ? Qu’il faut les chasser, les détruire ? Non, cela prouve plus démonstrativement encore combien il est essentiel de régénérer ce peuple dégradé au physique et au moral. 4 à 5 millions de juifs sont errants sur le globe, nous en avons au moins 30 mille en France ; leur éducation rectifiée intéresse le bonheur de ce peuple et celui des autres nations.
Dans les premiers siècles de la dispersion, les juifs ont souvent tenté de se rétablir en corps national. Des brigands s’en déclaraient libérateurs et des milliers d’hommes volaient sous l’étendard de la révolte, mais en voulant secouer leurs chaînes ils les ont toujours rendues plus pesantes, leurs efforts n’aboutirent jamais qu’à les couvrir de confusion, à leur produire de nouveaux malheurs. Trois hommes d’entre les chrétiens passent pour avoir eu chacun en particulier le projet ou du moins le désir de rassembler les juifs dans quelque coin du globe. La Peyrère au siècle dernier et dans le nôtre le duc de Riperda mort à Tétouan en 1737 et le marquis de Langallerie mort en prison à Vienne 20 ans auparavant. Les îles de l’archipel étaient, dit-on, l’asile que ce dernier destinait au peuple hébreu. Quoi qu’il en soit de la réalité vraie ou prétendue de ces projets, ils étaient dignes de leurs auteurs et sont enterrés avec eux.
Supposons toutefois qu’ils eussent fait des tentatives couronnées par le succès, seraient-ils parvenus à policer ce peuple ? Non, ils n’eussent rassemblé que des fanatiques dont le fanatisme eût empiré tous les jours, parce qu’enivrés d’une prospérité passagère, ils eussent cru bonnement que le messie allait venir pour leur donner l’empire du monde et soumettre tout à Israël. Réunir les juifs pour les guérir de leurs préjugés, c’est jeter du soufre sur un brasier pour en éteindre l’activité ; on verra plus bas combien il est essentiel de les isoler, de rompre autant que faire se pourra toute communication entre eux.
Mais ce peuple n’est-il pas incorrigible ? C’est la question de ceux qui leur reprochent de n’avoir pas aimé une patrie qu’ils n’avaient pas, de n’avoir pas chéri des peuples qui étaient leurs bourreaux, d’être nuisibles, corrompus, après qu’on les avait forcés à le devenir ; croyons-les susceptibles de devenir des citoyens utiles, jusqu’à ce qu’on nous montre des obstacles invincibles dans leur organisation physique ou dans leur constitution morale, religieuse et nationale. Et pourquoi faut-il qu’entrant chez l’israélite mon voisin j’y trouve un ennemi ? Il y a longtemps qu’on nous répète qu’ils sont hommes comme nous, qu’ils le sont avant d’être juifs. Dans les contrées qui commencent à les traiter en hommes, on voit éclore en eux des vertus et des talents. Voilà une donnée, un point de départ pour prouver la possibilité de les incorporer à la société générale. Essayons au moins, et quand même l’expérience parlerait contre nous, nos tentatives inspirées par l’amour de l’humanité, mériteraient encore l’approbation des contemporains et les éloges de la postérité.
Quelques personnes avaient craint que ce projet de réforme ne fût contraire aux principes de la religion, elles se sont rassurées par les considérations suivantes. Les oracles qui annoncent la désolation d’Israël montrent dans le lointain l’instant qui doit la terminer et quand même avant cette époque nous allégerions les fers de ce peuple, il serait également sans sceptre et sans autel car en accordant aux juifs la liberté de conscience, nous ne leur rendons pas le temple de Jérusalem ; sans sceptre, on s’en doute bien, nous ne verrons pas de juif ceindre le diadème et en leur donnant une terre de Gessen nous n’irons pas choisir nos pharaons chez eux.
N’essayons donc pas de rendre la religion complice d’une dureté qu’elle réprouve ; en prédisant les malheurs de la nation juive l’Éternel n’a pas prétendu justifier les barbaries des autres. D’ailleurs le Ciel dirige les événements d’une manière conforme à ses vues suprêmes et peut-être qu’il nous réserve la gloire d’accomplir ses desseins en préparant par nos bontés la révolution qui doit régénérer ce peuple. Il viendra cet heureux jour et peut-être touchons-nous à son aurore.
L’état politique des puissances européennes dans le Moyen Âge fournit aux juifs bien des moyens même légitimes pour s’enrichir. Toutes les ressources du trafic se trouvaient naturellement en leurs mains ; car alors, le clergé mis à part, de quels hommes étaient composées les nations ? De seigneurs et d’esclaves. Ceux-là livrés à la dissipation, à la chasse ou aux exploits militaires, ne pensaient pas à bonifier leur fortune par la voie du commerce ; ils l’auraient dédaignée, s’ils l’avaient connue. Ceux-ci n’avaient ni la facilité de quitter leurs chaumières pour faire circuler les productions de la nature et des arts, ni le désir de multiplier les jouissances des tyrans qui ne leur en laissaient aucune. Les juifs pour la plupart étaient serfs également, mais n’étant point attachés à la glèbe, ils jouissaient d’une certaine portion de liberté. Cette liberté ouvrait la carrière à leurs industries ; vendre et acheter furent des occupations réservées à eux seuls. On laisse à penser si, avec de l’avidité pour le gain, de l’intelligence pour le commerce, de la facilité pour la correspondance avec leurs frères des autres pays et des occasions pour faire valoir tous ces moyens, ils durent amasser des richesses. Leur génie calculateur fit naître l’art des finances presque inconnu jusqu’à présent, et bientôt la comptabilité passa totalement en leurs mains. Aussi furent-ils presque partout les seuls traitants jusqu’à ce que la Lombardie vomît une nuée de fripons qui sous le nom de Caorsins ou Corsins vinrent partager les dépouilles des peuples, surtout en France et en Angleterre89. Les rois armés de toute leur puissance eurent peine à extirper cette vermine qui rongeait leur État. Les Corsins disparurent, mais les juifs chassés tant de fois eurent toujours le secret de rentrer. Pendant leur exil ils avaient trouvé moyen de retirer leurs effets consignés entre les mains de leurs confidents par des lettres secrètes et conçues en peu de mots. Ils faisaient valoir ces lettres par l’entremise des voyageurs, des marchands étrangers ; de là naquirent les lettres de change, chose inconnue à l’ancienne jurisprudence grecque et romaine. Fischer fait honneur aux Allemands de cette invention90. L’auteur de L’Instruction sur les lettres de change l’attribue aux Florentins de la faction Guelphe, lorsque chassés par les Gibelins ils se retirèrent en France et autres lieux de l’Europe ; mais l’histoire dépose du contraire et selon que le raconte Jean de Villani dans je ne sais plus quel livre de son histoire, les juifs furent inventeurs des lettres de change et des assurances adoptées ensuite par les Vénitiens et les villes hanséatiques. Et c’est encore aux juifs que nous devons l’établissement des banques à Bayonne et Bordeaux.
On sait quand et comment fut créé le tiers état dans les diverses contrées de l’Europe et comment fut rétablie la liberté civile qu’on doit plutôt à l’embarras où la féodalité avait jeté les princes, qu’à l’humanité de leurs cœurs. Nous avons déjà insinué ci-devant que les juifs avaient été en partie cause occasionnelle de l’affranchissement des serfs, nous ajoutons ici une remarque que peut-être personne n’a faite. C’est que cet affranchissement devint une digue qui arrêta souvent leurs brigandages. Les corporations et les communes aiguillonnées par le désir d’avoir des propriétés et mises en action par le ressort de la liberté, se livrèrent à toutes les spéculations, à tous les détails du commerce. Les chrétiens purent alors traiter en paix avec leurs frères. La bonne foi reparut dans les échanges et une raison lumineuse, la marche tortueuse de l’usure apprit aux peuples à se tenir en garde contre les surprises de l’usurier.
Léon de Modène a tenté de justifier sa nation sur l’article de l’usure91 en alléguant les défenses portées dans le Pentateuque. C’est une singulière apologie que de citer le texte d’une loi pour prouver qu’on ne l’a pas enfreinte. Qui ne sait au contraire que les livres saints ont servi de prétexte aux brigandages des juifs et qu’appuyés sur un passage du Deutéronome92 commenté par la cupidité ils ont étendu partout la terre de Chanaan pour avoir droit de trouver partout des Ammonites et des Philistins. D’ailleurs toujours préoccupés de l’idée du messie qui doit leur soumettre l’univers, ils ont cru sans doute que leurs profits usuraires n’étaient qu’une légère anticipation sur ses conquêtes ; aussi Tostat93 et avec lui foule d’auteurs prétendent que les juifs ne croient pas pécher en fraudant les chrétiens. Si l’assertion était vraie, trouverait-on de la franchise parmi des hommes qui auraient trouvé le secret de friponner sans remords et qui ne pourraient être honnêtes gens qu’en agissant contre leurs principes ? Léon de Modène avoue cependant que dans leur état abject chez les nations ils ont pu quelquefois dégénérer de l’ancienne probité israélitique. Cet aveu est quelque chose, mais il eût encore mieux valu convenir que depuis longtemps ce vice a gangrené le peuple hébreu ; c’est par là qu’il s’est avili, car la noblesse des sentiments, la vivacité du génie et l’avarice sont trois choses presque inalliables.
Mais si les juifs devenus courtiers de toutes les nations n’ont plus d’autre idole que l’argent ni d’autre lèpre que l’usure ; si les juifs hommes sans patrie ont presque toujours vendu leur probité au plus offrant, les gouvernements doivent s’accuser de les avoir conduits à cet excès en leur ravissant tous les autres moyens de subsister. Pourquoi toujours leur ont-ils imposé le joug de l’oppression la plus dure, en leur interdisant l’exercice des arts et métiers ? Ils ont limité l’objet de leur travail et les ont forcés à devenir commerçants. Une preuve sensible de cette vérité, c’est qu’ils ne le sont guère que depuis la dispersion. On parle des flottes marchandes de Salomon, mais on ne peut en citer d’autres. Le génie d’un grand prince les avait créés, et l’on ne voit aucun de ses successeurs continuer son ouvrage. Tant que les hébreux eurent une forme du gouvernement, borné à la culture d’un territoire fertile, ils négligèrent le commerce quoiqu’ils habitassent un pays maritime et pourvu d’excellents ports. Après la dispersion, la voie du commerce était donc la seule qui leur fût ouverte pour parvenir à la fortune ; tous ne pouvaient marcher avec un certain éclat parce qu’il faut pour cela des capitaux considérables et un crédit qui tranquillise les créanciers. Ainsi la plupart étant bornés à un trafic du détail le plus vil, la nécessité les forçait presque à suppléer par la fourberie aux gains modiques d’un commerce subalterne ; ce qui prouve que loin d’être utiles pour celui de la campagne c’est au contraire pour cette partie qu’ils sont plus dangereux, surtout lorsque les ventes et les achats ne se font pas à prix comptant.
Presque toujours on a vu la partie la plus nombreuse de cette nation se traîner péniblement sous les lambeaux de la misère, tandis qu’un petit nombre avait le talent d’accumuler des trésors. Mais ces richesses acquises par des voies odieuses furent souvent la proie d’une populace effrénée qui prétextait le recouvrement de son bien ; c’est par cette raison que le jurisconsulte Damhouderius94 prétend que les chrétiens peuvent faire l’usure sur les Turcs, détenteurs injustes des biens qu’ils nous ont pris. On va loin avec de tels arguments. Quand l’orage était passé, le même prétexte autorisait les juifs à des vexations nouvelles et ces vexations répétées donnaient lieu à de nouveaux pillages. Revenu sur la scène le juif, suivant l’expression du Cardinal Hugues contemporain de St Louis, sans battre monnaie, d’un fol tournoi faisait un parisis95 et suivant les expressions de Chrysippe, dans Lucien, ils tiraient l’intérêt de l’intérêt. Comme d’une conséquence on en tire une autre, ils usuraient l’excès de leurs usures sur le risque qu’ils couraient de perdre tout. Ainsi toujours exposés à la rapacité des peuples et du fisc il dut s’attacher de préférence à l’argent qui était le plus portatif des dons de la fortune et en même temps représentatif de tous les autres.
Plus d’humanité dans les peuples, plus de sagesse dans les gouvernements ont rendu moins fréquentes les vexations dont nous venons de parler ; mais souvent autrefois on vit des chefs des nations feindre de les ignorer pour avoir confisqué leurs biens et déchargé leurs débiteurs96. On a remarqué sans doute que ces traitements vexatoires enveloppèrent l’innocent avec le coupable, attaquèrent essentiellement et sans raison le droit de propriété et par conséquent excédaient les bornes de l’autorité souveraine. La question voulut cependant quelques fois procéder d’une manière moins illégale ; mais en examinant les divers règlements portés en différents siècles sur cet objet on les trouve souvent injustes et presque toujours inutiles.
J’ai lu quelque part, sans pouvoir me rappeler où, un acte législatif de je ne sais quel pays pour recommander tout bonnement aux juifs de ne pas acheter des effets volés ; la recommandation doit paraître étrange d’autant plus qu’elle n’ajoutait rien à l’obligation prescrite par la loi naturelle, puisqu’elle n’imposait aucune peine aux contrevenants. Autant vaudrait, comme certain auteur qui a écrit sur les feux d’artifice, recommander de ne pas mettre le feu à un magasin à poudre. Mais une chose plus étrange peut-être, c’est qu’en d’autres pays les juifs aient eu le droit de ne rendre les choses volées, qu’on ne leur rendît le prix ; nous l’apprenons par le témoignage d’un évêque d’Olmutz97. Un droit encore bien singulier c’est la permission accordée aux juifs par les empereurs Charles V et Ferdinand Ier de percevoir des intérêts plus forts que les chrétiens98, tandis que tous les autres codes législatifs attestent les efforts des deux puissances pour réprimer les usures des juifs.
Le 4e Concile de Latran en 1215 voulant obliger les juifs à réparer le tort causé par leurs vexations leur défend jusqu’à ce qu’ils eussent satisfait à cette loi d’avoir aucune communication avec les chrétiens. D’autres conciles99 renouvelèrent ces ordonnances trop vagues pour être applicables.
Un concile d’Albi en 1254, un autre de Montpellier quatre ans après100 furent beaucoup plus sévères ; ils dispensèrent les chrétiens de payer ce que les juifs leur répétaient pourvu qu’ils jurassent qu’il y avait usure, on n’était pas assez éclairé en ce temps-là pour sentir qu’un tel décret livrait les juifs à la cupidité de leurs débiteurs et fournissait des armes à un scélérat.
Une assemblée tenue à Melun sous St Louis défendit absolument d’emprunter auprès des juifs101 et le souverain pontife Paul IV renouvelant un statut d’un concile de Frifingue102 leur ôta la liberté de tirer aucun intérêt de leur argent. On sent combien il était facile d’éluder ces deux lois. La première en traduisant les emprunts sous le nom de vente et la 2e en stipulant les intérêts comme partie du capital. Un édit de l’an 1228 sous la minorité de St Louis avait déjà ordonné que pour dettes contractées envers les juifs on dresserait trois exemplaires du billet obligatoire, dont l’un serait remis aux officiers royaux, un autre au débitant et le 3e au juif créancier103. En Normandie il fut un temps où les dettes contractées envers les juifs n’étaient censées valides que lorsqu’elles avaient été enregistrées en présence du Bailly, devant lequel les créanciers étaient obligés de citer leurs débiteurs.
En Hesse, on leur a défendu (édits de 1728 et 1748) de prêter sous seing privé une somme excédant 20 florins. Dans les terres de Darmstadt on a exigé que l’emprunteur marié fût accompagné de sa femme104 et défendu en outre au juif, sous peine de perdre l’intérêt, de prêter pour laps de temps plus long que 2 ans. Toutes ces formalités prescrites ont eu l’effet qu’on en devait attendre, elles n’ont produit leurs effets que très imparfaitement.
Une loi impériale a défendu aux juifs qui auraient des créances sur des chrétiens de les transférer à qui que ce fût sous peine de perdre la somme. L’auteur déjà cité105 regrette de voir en désuétude une loi qu’il appelle fort sage, je ne sais pourquoi car tout ce qu’elle pouvait produire était de réduire le juif à faire l’usure pour son compte particulier et certainement ce n’est pas enchaîner la rapacité.
Un recès de l’empire en 1551 ordonne que les actes entre juifs et chrétiens seront passés devant les magistrats et défend aux premiers les actes sous seing privé, excepté en temps de foire, parce qu’on a supposé qu’en public la fraude était plus difficile. Plusieurs souverains ont adopté cette loi, ainsi a-t-on vu Louis XV par une déclaration de 1733 défendre aux juifs les billets sous seing privé contre les chrétiens ; ainsi en Lorraine le bon prince Léopold par son édit du 30 décembre 1728 défend de commercer avec les juifs par billet, sous seing privé ordonne que pour vente et emprunts on ne s’engage que par actes passés devant notaire à la vue desquels se fera la tradition des deniers ; en cas d’emprunts défend de cumuler l’intérêt avec le capital, etc., etc. En différents pays ces ordonnances ont été réitérées cent fois et violées, cent mille fois l’expérience a réfuté tous ces moyens et telle que l’hydre de la fable l’usure renaissait sans cesse pour faire de nouveaux ravages.
Voilà les principales ordonnances portées en différents pays en différents siècles contre l’usure judaïque ; les princes et les conciles en ont encore fait de moins importantes dont l’énumération serait aussi fastidieuse qu’inutile et dont l’insuffisance en fait désirer d’autres. Basnage est choqué de voir des conciles faire des règlements sur des objets qui paraissent hors de leurs compétences. Il aurait dû remarquer que dès la 2e race de nos rois et en général dans le Moyen Âge beaucoup de conciles tant en France qu’en Allemagne étaient des espèces d’assemblées parlementaires, où l’on statuait par le concours de deux puissances et d’ailleurs les princes s’empressaient de confirmer les décrets ecclésiastiques pour en garantir l’exécution. C’est ainsi que Clotaire Second avait confirmé celui du 5e concile106 de Paris en 614 qui défend aux juifs d’intenter aucune action contre les chrétiens. Cette loi préférable à toutes celles qui l’ont suivie aurait en grande partie extirpé l’usure si on l’avait exécutée à la rigueur : le Sénat de Bâle par un règlement du 31 décembre 1768 interdit aux juifs tout trafic de chevaux et de bestiaux excepté aux seuls jours de marché de la ville et aux foires du canton. Il leur défend en outre de faire en ces jours même aucun marché à crédit. Le projet qu’on va développer se rapproche de l’esprit du concile de Paris qu’on vient de citer et de la loi du magistrat de Bâle puisqu’en cette matière il est permis de hasarder les idées ; voici les nôtres, nous les exposons toutefois avec défiance et timidité.
Réduisez les juifs à ne vendre qu’à prix comptant ; annulez toutes les créances107 qu’ils pourraient à l’avenir avoir sur les chrétiens, voilà peut-être la plus forte barrière qu’on puisse opposer à la rapacité judaïque. Les créances ont pour objet de garantir le paiement des dettes et lorsque l’usure n’aura plus d’autre garant que la bonne foi des débiteurs, il est douteux que pour commettre une injustice le juif veuille se livrer à la discrétion de ses victimes ; ainsi prêter sur parole, vendre à crédit sur parole ne sera jamais de son goût, car il augure d’autant plus mal de la probité des hommes, que la sienne lui sert de règle pour en juger. Prêter ou vendre devant témoins ne le rassurera pas, en eût-il cent, parce que n’ayant jamais action pour dettes contre un chrétien, il ne pourra réclamer l’appui de la justice au cas que le débiteur niât la dette. On n’est pas tenté de convertir en argent comptant des billets dont on ne peut faire aucun usage après les avoir achetés. Voilà donc encore par la même loi l’agiotage usuraire des juifs anéanti. Une clause essentielle de cette loi serait de fixer un temps à dater du jour de sa promulgation, pendant lequel tout juif ayant des billets sur un chrétien serait obligé de les faire enregistrer au greffe de la juridiction dont il ressortirait ; son titre serait invalidé par sa négligence. Le motif de cette clause n’est pas difficile à saisir, on empêcherait par là le juif de venir dans 10 ans, dans 30 ans présenter des créances récemment fabriquées, mais antidatées de manière à éluder la loi.
Je ne vois qu’un moyen de l’éluder, c’est par l’usage des billets au porteur. On sait que le créancier n’y est pas désigné. D’anciens règlements les avaient défendus en France. Louis XV les avait abolis de nouveau en 1716 mais par une déclaration du 21 janvier 1721, il en rétablit l’usage. Les inconvénients de ces billets en ont assez constamment balancé l’utilité, et si l’on veut créer un peuple, si l’on veut que les juifs deviennent citoyens, la proscription de ces billets doit entrer peut-être dans le plan qu’on suivra pour réaliser ce vœu. Au moins pourrait-on en revêtir l’usage de formalités qui serviraient de digue à l’abus ; telle serait celle d’exiger qu’on déclarât, qu’on prouvât de qui on tient les billets, lorsqu’on les aurait achetés quoique deux arrêts aient décidé qu’on n’y est pas obligé. Telle est encore celle d’assujettir ces billets à un contrôle qui indiquât d’une manière sûre, le premier propriétaire du billet, afin qu’au moindre doute sur cet article, on pût consulter un registre qui éclaircirait le fait. Lorsqu’on a soumis à quelques formalités les actes sous seing privé, on a presque toujours excepté de la loi les lettres de change, les billets à ordre et au porteur, comme constituant un ordre à part. C’est ce que portent expressément et l’édit d’octobre 1704 et avant cela la déclaration du 15 mai 1703, qui les excepte de la disposition de l’édit d’octobre 1684. La nécessité du contrôle que nous proposons pour les billets au porteur pourra à la vérité retarder un peu la circulation des effets, mais ce léger inconvénient serait abondamment compensé par d’heureux fruits.
Cependant, quand même on n’adopterait pas le parti de proscrire entièrement ces billets ; quand même on contesterait l’utilité des formalités auxquelles nous proposons de les soumettre, l’édit qui annulerait les créances des juifs obtiendrait encore presque toujours son effet. Voici pourquoi : le juif ne pouvant personnellement faire valoir ses billets, ne pourrait frauder qu’en se confiant à des chrétiens, juifs de caractère, à qui il vendrait sourdement ses billets au porteur ou qui lui serviraient de prête-nom pour les billets d’une autre sorte ; mais le fripon capable de contrevenir aux lois de l’État en se prêtant à cette manœuvre serait également capable de déférer le juif comme contrevenant à ces lois, ou de frauder le commettant qui jamais n’aurait action contre son commis. D’ailleurs il faut payer des prête-noms et les billets qu’on commerce ne rendent pas au vendeur le total de la somme portée par son écrit. La diminution de gains dans l’un et l’autre cas et la crainte d’encourir les peines très sévères qui seraient infligées aux délinquants, diminueront, ou coûteront même le désir de faire une fourberie, qui ne pourrait se consommer de part et d’autre qu’en courant de très grands risques. La loi ne pourra donc jamais s’éluder que par des voies très obliques très difficiles pour ne pas dire impossibles et à coup sûr elle obtiendra l’effet désiré.
Cette loi ne contredit qu’en apparence les principes de la liberté civile dont nous voudrions étendre les avantages à toute la nation juive ; quoi qu’on emploie du corrosif contre un mal invétéré et qui ne peut céder qu’à des remèdes violents, toujours il est vrai de dire qu’on tend au bien du malade. D’ailleurs les juifs ne constituent jamais qu’une faible partie d’une nation quelconque qui a le plus grand intérêt à ce qu’on empêche les brigandages, ainsi le gouvernement qui en prendra les moyens tendra également à son but qui est la fidélité du plus grand nombre.
Il est sans doute inutile de remarquer que tous les règlements proposés cesseraient d’avoir lieu dès que les circonstances les rendraient inutiles. On sent bien qu’un édit ne détruira pas tout à coup l’usure dans son principe, car ce vice est trop enraciné chez le peuple hébreu et l’on ne change pas le caractère national comme l’uniforme d’un corps militaire ; ce changement ne peut s’opérer qu’à la longue et nous déduirons les moyens qui doivent y concourir. On a vu que le penchant des juifs à faire l’usure est une suite de leur position malheureuse dans les différents pays, dès lors il est évident qu’une révolution dans leur état en produira une autre dans leur conduite ; forcés à devenir citoyens on éloignera leur génie du commerce et l’usure ne sera pas plus commune chez eux que chez les autres sujets de l’État auxquels ils seront assimilés en tout. En attendant que le cœur soit converti, nous arrêtons les ravages de l’usure, nous la réduisons à l’inaction et l’on sait que le feu s’éteint quand on ne l’alimente pas.
Joignons à cette loi un autre moyen qui en obviant au prêt usuraire des juifs soulagerait les malheureux ; ce serait d’établir dans toutes les villes un peu considérables des Lombards ou monts-de-piété qui jouiraient de la confiance publique. On y prêterait surtout des nantissements sous intérêt ou du moins l’intérêt serait très modique, et les campagnards comme les citadins, les juifs même y auraient accès. On sait combien l’Italie se loue des établissements de ce genre créés par les papes précisément pour réfréner l’usure hébraïque, comme porte l’inscription de celui de Bologne et l’on n’en peut assez prôner les avantages.
On a demandé quelquefois s’il ne serait pas expédient d’interdire tout commerce aux juifs ; ce serait l’équivalent d’assassiner des malheureux qui privés tout à coup du seul moyen qui leur reste pour avoir du pain ne pourraient se sustenter que par le vol au défaut du trafic.
Faudra-t-il aussi les agréger au corps des marchands (en les soumettant bien entendu à ne faire les échanges qu’à prix comptant conformément aux principes que nous avons établis) ? Cette question qui dans plusieurs tribunaux a causé des débats fort aigres, aurait été décidée facilement si on n’avait consulté que la raison et l’humanité ; celle-ci aurait invoqué la commisération en leur faveur et l’autre aurait fait leur apologie. Elle aurait pu alléguer leur soumission aux puissances, leur résignation dans le malheur, leur activité dans tout ce qui s’appelle le commerce de détail108 avec autant de patience et de courage que les marchands arméniens ; ils ont plus de sagacité pour épier l’occasion et la saisir. Dans chaque pays il y a des branches de commerce, des manufactures abandonnées ou languissantes et l’on supplée à la paresse nationale en important de chez l’étranger ; voilà de vraies mines d’or et les juifs industrieux pour tout ce qui est lucratif sauraient les exploiter. Outre l’avantage de les fournir par le ministère, bientôt ils feraient baisser le prix des marchandises importées et empêcheraient le numéraire de passer chez l’étranger. Mais lorsqu’enfin leurs ouvrages auraient acquis une supériorité décidée ils viendraient peut-être tyranniser les acheteurs en réglant les prix d’après leur avarice, peut-être aussi que sous prétexte de faire le cabotage ou d’exploiter leurs ouvrages, quelques-uns se livreraient au commerce interlope ; dans ces deux cas on sévirait contre eux en rectifiant les lois trop peu sévères qui punissent le monopole et les lois trop sévères qui punissent la contrebande.
Tant que les juifs pourront subsister par le commerce et l’usure, ils le feront. Mais n’oublions pas qu’il est essentiel de les éloigner de cette route afin de les forcer à d’autres objets ; et si pour opérer une réforme on croit qu’il soit essentiel de leur interdire le commerce il faudrait à partir de la date de l’édit promulgué, laisser un intervalle de quelques années pour les préparer à cette réforme et en outre il paraîtrait aussi juste que nécessaire de ne pas y soumettre les individus mariés ou qui sans l’être auraient 24 ans révolus ; car le juif lié à cet état ou parvenu à cet âge a probablement formé son plan d’occupation pour la vie ; il a pris son pli et vouloir le soumettre à la prohibition, ce serait en pure perte torturer son génie et peut-être renverser l’édifice de sa fortune.
L’édit que nous avons proposé n’offre aucun de ces inconvénients. 1. Il leur laisse la liberté du commerce en faisant les échanges à prix comptant. 2. Il ne les expose pas à être frustrés de ce qui leur est dû parce que n’ayant pas force rétroactive il laisse subsister les créances antérieures à la promulgation. On pourrait même en publiant cet édit reculer de quelques années le moment où il commencerait à être en vigueur. Le juif qui dans un avenir peu éloigné verra les entraves préparées à son commerce s’assurera d’autres moyens de vivre, quoiqu’on le dise ennemi du travail manuel, et son fils qui grandit cherchera dans l’exercice d’un métier une subsistance assurée.
Voilà donc la nation conduite à la culture des arts et métiers et dût-elle y porter son génie rapace, rarement pourra-t-elle en recueillir un gain frauduleux, parce que les ouvrages mécaniques étant constamment fournis à l’inspection des acheteurs, ordinairement il est facile d’en constater le mérite ; un second avantage qui en résulte évidemment c’est établir entre eux et les chrétiens des liaisons plus intimes ; on ne trouve en Europe que très peu de juifs artisans ou artistes ; dira-t-on que c’est faute d’aptitude, de talents naturels ? On en a vu, ou on en voit encore fréquemment signaler leur adresse. Plusieurs réussissent dans la gravure en creux et actuellement même la Prusse s’honore de posséder un juif Samson célèbre médailleur en Orient. Quoique la plupart des marchés passent par leurs mains ils sont teinturiers, ouvriers en soie, etc.109 Dans les royaumes de Fez et de Maroc, en Éthiopie où ils sont si nombreux et sur les côtes orientales de l’Afrique où le commerce a peu d’activités ils sont orfèvres, forgerons, taillandiers, tisserands, etc.110 Ils exercent tous les métiers. Nos juifs seraient bientôt assimilés à ceux d’Orient et d’Afrique, si malgré les clameurs de la haine, l’autorité publique daignait à l’exemple de l’empereur les introduire et maintenir dans l’exercice de tous les arts mécaniques. La plupart n’exigent que des avances assez modiques pour l’apprentissage et l’emplette des instruments nécessaires. Leur indigence ne serait point un obstacle. Bientôt on verrait des âmes ardentes et sensibles des sociétés philanthropiques ouvrir des souscriptions pour former des ateliers gratuits et les dons de la fortune couler dans des canaux creusés par la bienfaisance. On pourrait même obliger les juifs à n’habiter en certains lieux que les maisons qu’ils auraient bâties ; à ne porter que les vêtements qu’ils auraient fabriqués, et l’on pense bien que pour n’être pas aussi injustes que ridicules ces règlements exigeraient des modifications, suivant les circonstances du temps et du local ; que d’ailleurs on accorde une libre circulation à leurs ouvrages ; qu’on encourage leur industrie, qu’on couronne leurs efforts par des distinctions et des récompenses, la nécessité cette maîtresse impérieuse aura développé les facultés de l’israélite dont le génie souple se plie à tout. L’honneur et l’amour du gain lui donneront plus d’énergie. Beaucoup de chrétiens verraient sûrement avec peine qu’on les admît dans les corps d’artisans ; faut-il les forcer à l’admission ? Non il ne faut pas brusquer les préjugés afin de les combattre d’une manière plus efficace, et d’ailleurs la rivalité établira un foyer d’émulation qui tournera encore au profit de l’art en le perfectionnant et au profit des acheteurs en maintenant le bas prix pour fixer la concurrence dans le débit ; et qu’importe d’ailleurs qu’ils soient admis dans les corps d’artisans, si leur exclusion ne leur en dérobe aucun avantage, aucun privilège.
C’est ici le cas d’observer que dans les commencements de leurs révolutions il serait prudent de leur interdire des occupations d’un certain genre comme par exemple la tenue d’auberge, chose si commune en Pologne ; cet état facilite les manipulations pernicieuses. Les falsifications de comestibles laissent trop à l’arbitraire les taxations de dépense et conséquemment en leurs mains il présenterait un appât à la friponnerie et préparerait aux voyageurs des vexations pécuniaires et des dangers pour la faute.
Depuis leur dispersion les juifs n’ont guère été cultivateurs, Petachias qui au XIIe siècle a voyagé en Orient en vit cependant qui labouraient du côté de Ninive111. Lorsqu’au même siècle Benjamin de Tudèle passa dans la Grèce il trouva le mont Parnasse habité par deux cents juifs qui le cultivaient et y recueillaient des légumes112 et pour citer des faits plus voisins de notre temps on voit encore des juifs cultivateurs dans la Perse septentrionale113 et en Lituanie. Coxe prétend que ce dernier pays est le seul en Europe où les juifs soient agricoles114. N’y en aurait-il donc plus en Ukraine ? Au siècle dernier le cardinal Commendon y en trouva beaucoup livrés au labourage et dont les travaux honnêtes n’étaient point avilis par l’usure115. Son affection est très croyable. Quoique la rosée du ciel ne fertilise pas toujours le champ du laboureur, la bénédiction céleste paraît presque toujours répandue sur la personne et parmi les classes inférieures de la société il n’en est pas où l’on ne rencontre encore des mœurs plus pures, unies, probité plus intègre.
Ce préambule fera demander sans doute s’il faut aussi rendre les juifs cultivateurs. Je voulais arriver là. On ne sera pas surpris de nous voir embrasser l’affirmative si l’on réfléchit qui nous ne passons pas brusquement d’une extrémité à l’autre, on ne dira pas aux juifs fermez aujourd’hui vos boutiques et demain labourez cette plaine, assurés du fait par nos propres yeux ; nous déclarons que sur l’article de la culture, ils poussent l’ignorance jusqu’au point de ne savoir pas semer des légumes. Il est cependant très probable qu’en peu de temps on les rendrait agricoles et que bientôt ils s’estimeraient heureux de saigner un marais, de défricher une lande, qu’ils fertiliseraient, où ils bâtiraient et pour ne parler que de notre royaume, plusieurs de nos colonies, quelques âmes de nos provinces comme la Guyenne, la Bretagne demandent des bras. Que la voix du gouvernement les appelle dans ces contrées en les dispersant parmi les chrétiens. Si l’Espagne appauvrie au milieu de ses trésors, eût connu ses vrais intérêts, elle eût vu constamment l’abondance circuler dans son sein et ses campagnes s’embellir sous la main de quatre cent mille juifs qu’elle a chassés116.
Ne croyons pas que les juifs devenus cultivateurs voulussent suivre les dispositions du Pentateuque relativement aux années sabbatiques ou jubilaires. Persuadés que ces ordonnances étaient purement locales, ils les ont toujours restreintes aux limites de la Palestine. Trop heureux s’ils avaient compris que leur religion étant la seule dont l’ensemble soit devenu partout d’une pratique impossible, le Très Haut les appelait dans une nouvelle alliance dont la première n’était que la figure. Il est à la vérité certaines défenses relatives à l’art rustique qui, si l’on en croit M. Léon de Modène, sont encore censées obligatoires ; telle est celle de semer du méteil, de croiser diverses espèces d’animaux pour se procurer des mulets. Mais on ne voit là que des usages différents des nôtres et non des inconvénients, il est même douteux que jamais les rabbins voulussent presser l’observation de ces statuts. Le neuvième chapitre du Lévitique qui les contient en offre d’autres sur la conservation de la barbe dont les juifs portugais ont cependant abrogé l’usage. Ne craignons donc pas qu’ils soient longtemps asservis aux règlements talmudiques dont heureusement la partie la moins absurde est celle qui concerne l’agriculture. Espérons d’ailleurs que bientôt les juifs en mettraient les rêveries au niveau de celles de Matthieu Lansberg. Il lira d’abord la défense de greffer des arbres, d’avoir dans son terrain des arbres greffés, tandis qu’on lui permet d’en manger le fruit117. Cette contradiction choquante l’aura bientôt révolté et de telles chimères s’évanouiront en souffle d’une raison cultivée.
Une question se présente naturellement ici : obligerez-vous les juifs à chômer avec vous les dimanches et les fêtes ? Alors deux jours consécutifs de la semaine seront dérobés au travail. Leur permettrez-vous d’y vaquer en ces jours ? Cette innovation révoltera les peuples et l’on ne doit pas ce semble la permettre, du moins actuellement. Mais on peut interdire à un juif le travail extérieur ou trop bruyant, sans cependant le réduire à l’inaction. On n’ira pas l’épier dans sa maison pour savoir s’il s’occupe à tailler son chanvre, à cribler son grain tandis que son épouse manie l’aiguille ou la quenouille. Et lorsqu’une moisson dépérissante ou d’autres raisons exigeraient le travail du dimanche, le juif aurait la même liberté que le chrétien. On sait combien est stricte l’observation du sabbat ; malgré cela il est à croire que les rabbins se relâcheraient sur cet article lorsque leurs décisions seraient autorisées par le besoin des circonstances, et le juif écarterait ses scrupules lorsqu’il aurait pour caution l’infaillibilité de ses docteurs. Une conséquence du système qu’on propose, c’est de permettre aux juifs d’acquérir des fonds, car jamais la terre n’est si bien cultivée que par la main du propriétaire. Lorsqu’ils auront des possessions terriennes, leur fortune mieux connue donnera plus de facilité pour empêcher qu’ils ne déshéritent ceux de leurs enfants qui se convertiraient mais en conservant les droits de ceux-ci, on éviterait de leur donner une extension injuste, comme fit Giasar Sadek en faveur de sa loi ; il ordonna que les enfants des chrétiens et des juifs qui se feraient musulmans seraient héritiers universels. La loi qui aurait annulé les créances des juifs sur les chrétiens, leur défendrait aussi d’avoir des hypothèques sur les biens de ceux-ci, sans quoi l’usure rentrerait par cette porte. Il faudrait encore, en leur laissant la liberté d’acquérir des terres ou de prendre des fermes à bail, les obliger bientôt à les exploiter eux-mêmes, ou par les mains d’autres juifs. Que la mauvaise politique de la Pologne nous serve de préservatif : outre que les juifs y faisaient tout le commerce extérieur et intérieur, ils y possédaient encore les meilleurs fonds de terre118. Le règlement aurait le double avantage de les forcer à la culture et d’empêcher qu’ils n’agrandissent trop leurs domaines. Au reste ils ne désireront d’acquérir des immeubles qu’autant qu’ils auront une patrie et qu’ils pourront se promettre une existence légale dans toute l’étendue du terme. Leurs privilèges, étendus ou restreints suivant l’exigence des cas, les conduiront à demander tous les avantages de citoyen et que ne fait-on pas pour mériter ce qu’on désire ardemment ?
M. Michaelis prétend qu’ils envisageront toujours la Palestine comme un lieu de repos et ne verront jamais les autres pays que comme des lieux de passage et sans s’y attacher119. Qui faut-il croire de lui ou de Boulanger ? Celui-ci nous assure que le fanatisme des juifs se refroidit et qu’à la fin il pourra s’éteindre totalement120. On ne peut sur ces objets en appeler qu’à l’expérience future ; mais différents traits qu’on a lus et qu’on lira dans cet ouvrage militent en faveur de la dernière opinion. Le juif espère un retour en Palestine, mais il espère en même temps la conquête de l’univers qui assurerait ses possessions en d’autres contrées. D’ailleurs dans sa manière de voir, ce retour est fixé à une époque incertaine et comme il a des sens ainsi que nous, ses espérances ne sont pas un motif d’abandonner des jouissances actuelles lorsqu’il peut les obtenir. Dans le temps que le malheur pèse sur lui et qu’il mange en tremblant un pain mouillé de ses larmes, il soupire après l’avènement du messie ; mais sa venue lui paraîtra moins désirable lorsque l’humanité des peuples le laissera respirer paisiblement sous les toits paternels habités par le calme et le bonheur qui auront pour lui tous les charmes de la nouveauté. Une fois devenu membre de la nation, attaché à la législation, à l’État par les liens de plaisir, de sécurité, de liberté et d’aisance, on verra diminuer en lui l’esprit de corps. Il chérira sa mère c’est-à-dire sa patrie dont l’intérêt sera confondu avec le sien, et il n’ira pas porter ailleurs ses richesses. La tolérance et ses terres le fixeront dans le pays où il les aura acquises. Toland insiste beaucoup sur cette dernière raison dans121 son ouvrage sur la naturalisation des juifs en Angleterre.