Si vous voulez que les autres soient heureux, pratiquez la compassion. Si vous voulez être heureux, pratiquez la compassion.
– DALAÏ-LAMA XIV
Il faut apprendre à s’aimer soi-même avant de pouvoir aimer quelqu’un d’autre. Ce lieu commun a si souvent été dit et écrit dans le domaine de la croissance personnelle et de la spiritualité que nous risquons de hocher la tête et de passer à autre chose. Dans un de ses nombreux best-sellers, Ce dont je suis certaine, Oprah Winfrey écrit que «la vie est une odyssée où l’on doit apprendre à s’aimer soi-même avant de pouvoir offrir cet amour aux autres» (2000, p. 31). Si Oprah est certaine de cela, alors ce doit bien être vrai, non? Arrivez à vous aimer vous-même et vous aurez tout ce dont vous aurez besoin pour aimer les autres. Cela semble si évident.
La tradition du yoga aborde le concept de compassion sous un angle très différent. Imaginez que vous partez sur-le-champ pour vous rendre dans un ashram et que, une fois dans l’embrasure de la porte, vous implorez: «Ma vie est sans amour, tout ce que je vois est souffrance, même mes bougies parfumées ne dégagent plus aucun parfum. Aidez-moi!» Savez-vous par quoi commencera fort probablement votre premier pas sur le chemin de la redécouverte du bonheur absolu et de l’amour inconditionnel? Par des corvées. Entrez et venez couper des légumes. Restez avec nous pour la nuit et récurez le plancher. Dans les communautés bâties autour de la pratique du yoga et de la méditation, servir les autres de façon désintéressée, ou seva, est à la base de la croissance spirituelle et de la libération de la souffrance.
Vous ne savez pas comment vous aimer? Pas de problème, disent les yogis, vous pouvez commencer par apprendre à aimer les autres. Vous avez du mal à trouver le bonheur en vous? Alors aidez quelqu’un à trouver le sien. La notion de seva fait un croque-en-jambe à la mentalité du «moi d’abord», selon laquelle le bonheur commence par soi-même. Le présent chapitre abordera donc cette dichotomie en explorant le bonheur qu’on peut trouver à servir les gens autour de soi. Dans la Bhagavad Gîtâ, Krishna pose la question à Arjuna assez clairement:
Dans un esprit de service désintéressé, quiconque peut atteindre l’illumination.
Sans l’esprit d’entraide, Arjuna, comment peut-on être heureux en ce monde ou n’importe où ailleurs? (IV, 31)
Ne pensez pas que j’oserais ici critiquer Oprah; laissez-moi être clair en affirmant que je ne crois pas qu’elle ait tort au sujet de l’amour. Il est absolument vrai qu’un sain amour de soi améliore l’amour que nous donnons aux autres. Le besoin très réel d’amour de soi explique d’ailleurs en grande partie que le chapitre 4 soit consacré à l’art de cultiver la compassion pour soi. Et plus loin dans le présent chapitre, il sera question d’étendre cette compassion aux autres, exactement comme le propose Oprah.
Mais lorsqu’on se dit qu’il faut s’aimer soi-même complètement avant de pouvoir aimer les autres, ou lorsqu’on croit que son propre bonheur doit passer nécessairement en premier, on crée une chronologie du bien-être qui cause autant de problèmes qu’elle en résout. Cela n’existe pas, une journée où vous vous réveillerez pour soudain constater que, enfin, vous vous aimez complètement. Il n’y a pas d’étape unique qui vous débarque enfin dans le bonheur. S’aimer soi-même dépend de relations intérieures qui évoluent constamment et n’ont pas de fin. En récitant sans cesse le mantra selon lequel il faut apprendre à prendre soin de soi d’abord, notre compassion pour les autres s’étiole en attendant qu’arrive un moment idéalisé qui ne viendra jamais. Il ne fait aucun doute que l’amour de soi bonifie l’amour que nous donnons, mais le contraire peut tout aussi être vrai.
Dans une première étude auprès de plus de 2 500 volontaires, Peggy Thoits et Lyndi Hewitt ont évalué comment le fait d’aider les autres influait sur six mesures du bien-être: le bonheur, la satisfaction envers la vie, l’estime de soi, le sentiment de contrôle sur sa vie, la santé physique et la dépression (2001). Leurs résultats ont été clairs et convaincants: le travail bénévole haussait les résultats des six mesures, et l’amélioration de chaque mesure était proportionnelle au nombre d’heures passées à rendre service. Cela n’est guère étonnant, la corrélation entre le bénévolat et le bien-être étant établie depuis longtemps. La véritable question est de savoir si c’est le sentiment de bien-être accru qui porte les gens à faire du bénévolat, ou si c’est le bénévolat qui accroît le bien-être. Après tout, il se pourrait que les gens heureux soient tout naturellement enclins à aider les autres, comme Oprah le prédit. Pour déterminer lequel des deux – bien-être ou bénévolat – est la cause et lequel est l’effet, il a fallu une étude longitudinale, comme celle réalisée par Thoits et Hewitt, afin de suivre des bénévoles sur une longue période. Alors, est-ce le bien-être qui fait faire plus de bénévolat, ou est-ce le bénévolat qui augmente le bien-être?
Les deux. Le bénévolat augmentait le bien-être, et un bien-être accru incitait les gens à faire du bénévolat, créant ainsi une sorte de spirale de renforcement mutuel (Thoits et Hewitt, 2001). La roue tourne dans les deux sens, et on peut commencer n’importe quand, c’est-à-dire qu’on n’a pas à attendre de se sentir parfaitement bien pour rendre service. En fait, ceux dont le sentiment de bien-être est au plus bas sont ceux à qui le bénévolat peut le plus profiter (Piliavin et Siegl, 2007). Parfois, aider les autres est ce qui nous aide le plus lorsque nous sommes dans le besoin.
Cela ne veut pas dire qu’aider les autres remplace la nécessité de prendre soin de soi. On a tous des moments où l’on donne aux autres sans compter alors qu’on aurait besoin de s’allouer temps et ressources à soi-même. Le phénomène débilitant du «burn-out» chez les bénévoles, le personnel soignant et les professionnels de la relation d’aide est très bien documenté (Maslach, Schaufeli et Leiter, 2001; Maslach, 2003). Aider les autres est bon pour soi, pour autant qu’il y ait un équilibre. Mais ce n’est pas une panacée, et ce n’est pas non plus une réserve qu’on transvide d’une personne à une autre, vous laissant vide pendant que vous aidez votre prochain. La véritable relation entre l’altruisme et le bonheur est beaucoup plus complexe et beaucoup plus gratifiante que cela.
Le mot «altruisme» (la capacité de placer le bien-être d’autrui avant le sien) a été utilisé pour la première fois par Auguste Comte en 1830 pour désigner le contraire du mot «égoïsme», une forme d’égocentrisme contre laquelle Krishna et Patanjali nous mettent en garde. L’esprit d’entraide que Krishna encourage est peut-être inné. À l’institut Max Planck, en Allemagne, les psychologues Felix Warneken et Michael Tomasello ont mis sur pied un laboratoire dans lequel ils ont enregistré sur vidéo de jeunes bambins qui jouaient seuls. Warneken et Tomasello ont observé comment les enfants réagissaient lorsqu’un adulte inconnu échappait un objet et qu’il était incapable de le ramasser. Dans leur laboratoire, des enfants aussi jeunes que 18 mois cessaient ce qu’ils étaient en train de faire pour aider un étranger qui avait besoin d’aide (2006).
Ce type de bonté est peut-être non seulement inné, mais également intuitif. Des chercheurs de Harvard et de Yale ont constaté que lorsqu’on donne à des sujets une petite somme d’argent et qu’on leur offre la possibilité de faire don d’une partie de cette somme, ils donnent considérablement moins lorsqu’on les encourage à réfléchir à leur décision et ils sont beaucoup plus généreux lorsqu’ils donnent spontanément plutôt que délibérément (Rand, Greene et Nowak, 2012).
Bien qu’Auguste Comte ait employé le mot altruisme pour désigner l’absolu contraire de l’égoïsme, les deux sont profondément entremêlés dans le cerveau. Les comportements d’aide activent les neurones de certains centres du plaisir, comme le noyau accumbens. Ces régions du cerveau sont les mêmes que celles qui s’activent en présence du plaisir que procurent la nourriture, la sexualité ou l’argent (Harbaugh, Mayr et Burghart, 2007). D’ailleurs, puisque nous parlons d’argent, des travaux de recherche effectués par Elizabeth Dunn ont montré que les gens qui dépensent de l’argent pour les autres sont généralement plus heureux que les gens qui dépensent les mêmes sommes pour eux-mêmes (Dunn, Aknin et Norton, 2009). Ce que je donne à l’autre me revient et me transforme également.
Lorsque la collaboratrice de Dunn, Laura Aknin, a voulu effectuer ultérieurement la même recherche auprès d’enfants, elle a dû changer quelque peu les règles du jeu et remplacer l’argent par des gâteries. (Ce que je trouve totalement sensé: lorsque mon fils de deux ans a reçu un billet de cent dollars flambant neuf à son anniversaire pour qu’on lui ouvre un compte d’épargne, il a essayé de le mettre dans la toilette; en revanche, lorsqu’on lui donne une boîte de raisins secs, il croit être un membre de la royauté.) Aknin et son équipe ont donc donné aux enfants un tas de gâteries et les ont invités à en donner quelques-unes à une jolie marionnette. Comme on pouvait s’y attendre, c’est lorsqu’ils partageaient que les enfants se montraient le plus heureux (Aknin, Hamlin et Dunn, 2012). Ensemble, les recherches d’Aknin et de Dunn ont mis en évidence le même cercle d’autorenforcement que celui mentionné plus tôt chez les bénévoles: donner nous rend plus heureux, et plus nous sommes heureux, plus nous donnons.
On pourrait penser que les participants aux recherches d’Aknin et Dunn étaient heureux parce qu’ils possédaient suffisamment de ressources pour tirer plaisir du privilège d’en donner une partie. Or, des données provenant de 136 pays, incluant de nombreuses communautés défavorisées, montrent elles aussi que donner régulièrement rend heureux (Aknin et coll., 2013). Nous n’avons pas besoin de tout avoir pour donner, et ceux qui possèdent le moins sont souvent ceux qui donnent le plus. En Amérique, le cinquième le plus pauvre de la population donne, proportionnellement à son revenu, deux fois et demi plus à des œuvres de charité (3,2%) comparativement au cinquième le plus riche qui donne seulement 1,3% (Stern, 2013). Et cette tendance ne fait que s’accroître: un rapport publié par Chronicle of Philanthropy en 2012 indique que de 2006 à 2012, les Américains les mieux nantis avaient réduit leurs dons de 4,6%, alors que pour la même période, les Américains ayant un revenu moyen ou faible avaient augmenté de 4,5% leurs dons à des œuvres de charité (Daniels, 2014).
On pourrait facilement arguer que les sommes données par les gens aisés, en dollars absolus, dépassent largement celles des donateurs moins bien nantis, mais il demeure que pour ces derniers, chaque dollar en don de charité représente un pourcentage supérieur de leur revenu. L’enjeu est plus grand pour les gens défavorisés, et pourtant ils donnent davantage. En fin de compte, malgré les actions hautement philanthropiques d’une poignée de milliardaires comme Bill Gates et Warren Buffett, il semble que c’est auprès des gens ordinaires en bas de l’échelle que l’altruisme semble se porter le mieux.
Une mesure bien connue dans la recherche sur la générosité est ce jeu totalement injuste et épouvantablement ennuyant appelé le jeu du dictateur. Imaginez qu’on vous installe dans une pièce vide en vous disant que vous allez jouer à un jeu avec un partenaire anonyme que vous ne verrez et ne rencontrerez jamais. Le butin à remporter est une généreuse somme de vingt dollars, et il s’avère que vous êtes la personne chanceuse qui gagne cet argent au jeu de pile ou face. Avant de sortir de la pièce pour raconter à vos amis que vous venez de vous enrichir de vingt dollars, on vous invite à donner le montant que vous voulez à votre partenaire invisible. Que feriez-vous? Un égoïste pur prendrait l’argent et se barrerait. Cependant, si vous avez obtenu ces vingt dollars, c’est simplement grâce au jeu de pile ou face, et vous imaginez la personne moins chanceuse dans l’autre pièce à qui l’on dit: «Merci d’être venu, maintenant retournez chez vous, perdant». Dans la pratique, la plupart des participants ne repartent pas avec la totalité des vingt dollars, même si le jeu est ainsi fait que les participants savent que personne (ni les chercheurs ni leur «partenaire de jeu») n’observe. Cette expérience effectuée auprès de dizaines de milliers de dictateurs potentiels issus de diverses cultures a démontré l’évidence qu’au plus profond de son cœur, l’être humain n’est pas une créature purement égoïste (Henrich et coll., 2004).
Avant de nous en féliciter, toutefois, voyons un peu les autres façons dont ce jeu a été joué qui ont été moins flatteuses. Imaginez maintenant qu’on vous place dans une pièce aussi terne et vide en vous disant que vous et votre partenaire invisible avez chacun reçu la (moins) généreuse somme de dix dollars. Puis, qu’au jeu de pile ou face, vous devenez le «dictateur». Une montée de pouvoir brut vous envahit. Avant de repartir, vous avez à nouveau le choix de donner ou non une partie de votre argent à votre partenaire, mais vous avez également la possibilité, cette fois, de prendre une partie de son argent. Que faites-vous? Évidemment, comme vous êtes en train de lire un chapitre sur la bonté et la compassion, je suis prêt à parier qu’une petite voix intérieure vous dit: Je pense que je donnerais au moins un peu de mon argent. Mais je suis tout aussi prêt à parier qu’une autre voix en vous, plus forte, sait exactement comment le jeu se termine en général. Et je suis désolé de dire que c’est cette voix qui a raison: quand le jeu du dictateur inclut la possibilité de soustraire de l’argent au partenaire de jeu, la plupart d’entre nous en profitent pour chiper un petit quelque chose à l’autre avant de se diriger vers la sortie (List, 2007; Bardsley, 2008). Dans l’ensemble, toutefois, nous ne sommes pas de parfaits salauds: la plupart des participants laissent au moins quelques dollars au partenaire de jeu avant de repartir. Juste assez pour rentrer pauvrement chez lui en autobus, quoi. Le pouvoir absolu peut ne pas corrompre complètement, mais il ne nous rend pas très généreux.
Une équipe de recherche dirigée par Paul Piff à l’Université de Californie, à Berkeley, a poussé la même expérience un peu plus loin en mesurant le statut socioéconomique des participants avant le début du jeu. Comme on pouvait s’y attendre, ce sont les participants les plus pauvres qui donnaient le plus dans cette variante du jeu du dictateur (Piff et coll., 2010). Dans une expérience subséquente, l’équipe de Piff a influencé les participants de façon qu’ils se sentent mieux nantis ou moins nantis qu’ils ne l’étaient en réalité. Elle les a ensuite fait répondre à un sondage qui leur demandait comment les gens devaient dépenser leur salaire et quel pourcentage chaque citoyen devait donner aux œuvres de charité. Les participants qu’on avait fait se sentir bien nantis suggéraient, dans le sondage, de donner considérablement moins que les participants qu’on avait fait se sentir plus pauvres que les autres (2010).
S’il vous reste un peu d’optimisme à l’égard du lien entre le statut social et l’altruisme, Paul Piff se fait une joie de le dégonfler: au cours de sept expériences séparées, lui et ses collaborateurs ont constaté que plus on est en haut de l’échelle sociale, plus on est enclin à mentir, à tricher et à voler (Piff et coll., 2012). Par exemple, dans une de ces sept études, ils se sont installés à des passages piétonniers en Californie, là où la loi oblige les conducteurs à s’arrêter pour laisser passer les piétons, et non seulement ils y ont compté le nombre de voitures qui enfreignaient la loi, mais ils ont également noté les marques des voitures. Résultat: les voitures les plus vieilles et les plus modestes se sont arrêtées à chaque passage piétonnier. Quant aux autres voitures, plus elles valaient cher, plus elles avaient tendance à passer tout droit et à ne pas laisser passer les piétons comme l’exige la loi. (Les BMW étant apparemment les pires; je ferais gaffe à votre place si j’en voyais une s’approcher d’un passage piétonnier.) Aussi surprenantes que soient les conclusions plutôt parlantes de cette étude, rien ne vaut cette autre expérience de Piff dans laquelle on conduisait les participants dans une salle d’attente où une jarre de bonbons trônait sur une table. On disait aux participants que les bonbons étaient pour des enfants qui prenaient part à une autre étude se déroulant en même temps. Vous me voyez venir: plus un participant avait grimpé l’échelle sociale, plus il était susceptible de voler les bonbons des enfants.
S’il est vrai que nous sommes nés pour être aimables et que la compassion est innée, alors comment expliquer qu’on puisse voler des bonbons à des enfants et renverser des vieilles dames dans la rue? Le stress joue ici un rôle important. Pas besoin d’être scientifique ou philosophe pour comprendre que sous la pression, aucun de nous ne se comporte avec la plus grande bienveillance. Pensez au nombre de fois où vous avez entendu (ou offert) d’humbles excuses qui commençaient à peu près ainsi: «Je suis désolée, je suis tellement stressé…» Cet aveu très banal recèle une proportion étonnante de vérité. Au chapitre 4, nous avons décrit les principales voies biologiques du stress, à commencer par notre vieille amie l’amygdale cérébrale qui envoie des signaux de détresse à l’hypothalamus, ce qui déclenche une réaction en chaîne depuis le lobe antérieur de l’hypophyse jusqu’aux glandes surrénales. Il y a alors libération de deux hormones dans la circulation sanguine: l’adrénaline et le cortisol. Une fois que l’organisme carbure au cortisol, il oriente tous ses systèmes en fonction d’une seule priorité: l’instinct de conservation. Et la conscience dispose alors de bien peu d’espace pour que la conscience envisage de se soucier des autres.
Une expérience révélatrice à ce sujet a été effectuée par Daniel Batson et John Darley, deux des plus importants psychologues qui étudient l’altruisme à l’Université Princeton. Batson et Darley ont réuni un groupe d’étudiants en théologie et leur ont dit qu’ils allaient faire une allocution sur un sujet religieux. Ils ont dit à certains des étudiants que le sujet de leur allocution serait la parabole de Jésus du Bon Samaritain (une histoire importante de la Bible qui parle d’aider les autres, quels qu’ils soient), et ils ont proposé à d’autres étudiants divers sujets sans lien avec cette parabole. Ensuite, les chercheurs ont annoncé à tous les participants que les allocutions avaient lieu dans un autre bâtiment, qu’ils n’avaient pas de temps pour se préparer et, histoire de hausser la barre, que certains d’entre eux étaient même déjà en retard et devaient se dépêcher. Les chercheurs s’étaient préalablement assurés d’une mise en scène sur le chemin de chaque étudiant qui menait vers l’autre bâtiment: il y aurait un homme gisant par terre, toussant et gémissant. En tout, plus de quarante étudiants ont croisé l’homme apparemment souffrant. Nous aimerions tous croire que, si nous croisions une personne en difficulté tout en nous disant combien il est important d’aider les gens dans le besoin, nous nous arrêterions pour l’aider. Toutefois, ce n’est pas ce qui s’est produit en fait. Les étudiants qui se préparaient à faire une allocution sur le Bon Samaritain n’étaient pas plus enclins à venir au secours de l’homme gisant par terre que les étudiants qui réfléchissaient à un autre sujet. L’unique facteur qui a fait une différence a été à savoir s’ils sentaient qu’ils devaient se dépêcher (Darley et Batson, 1973). Ce sentiment a augmenté le niveau de stress des étudiants en théologie et rétréci leur focus, de sorte qu’ils ont passé tout droit, même si l’objet même de leur allocution gisait, souffrant, à leurs pieds.
Le cortisol (aussi appelé «hormone du stress») est souvent perçu négativement lorsqu’il s’agit de compassion, mais il joue un rôle vital: une quantité excessive de cortisol favorise les comportements essentiellement automatiques et centrés sur la survie, tandis qu’une quantité insuffisante nous rend non seulement incapables de réagir à une menace réelle, mais aussi insensibles devant la souffrance d’autrui. De faibles niveaux de cortisol sont en effet associés à un manque d’empathie et même, dans les cas extrêmes, à la psychopathie (Shirtcliff et coll., 2009). En somme, nous avons besoin du cortisol pour «activer» les comportements de compassion, mais lorsque nous sommes incapables de réguler notre propre réaction au stress, le cortisol inonde la machine et noie tout élan de compassion. La recherche a démontré que les gens qui gèrent mieux leurs propres émotions et sont moins sujets à la labilité émotionnelle (émotions tant positives que négatives) témoignent davantage de compassion et d’empathie envers les autres (Eisenberg et coll., 1994). En présence d’émotions fortes, les personnes incapables d’intervenir consciemment pour rediriger leur réaction de stress – qui, elle, est inconsciente – montrent une diminution de leur capacité à éprouver de la compassion.
Sans la capacité de réguler nos propres émotions, le stress prend notre attention en otage, et nous devenons alors de plus en plus prisonniers de nous-mêmes. Les outils de méditation dont il a été question jusqu’à maintenant dans ce livre aident à garder les mains sur le gouvernail et à reprendre rapidement la maîtrise de soi lorsque la vie est imprévisible. De nombreuses données montrent avec évidence que les méditations axées sur la concentration et la pleine conscience améliore la capacité d’attention et la maîtrise des émotions (Davidson et coll., 2003; Feldman et coll., 2007; Tang et coll., 2007). Certaines études indiquent même que la méditation prolongée atténue l’activation de l’amygdale cérébrale, tant durant l’état méditatif qu’en dehors de l’état méditatif, ce qui donne à penser que la méditation modère la réaction de stress avant même que la cascade commence et produise des changements durables dans le cerveau (Lutz, Slagter, Dunne et coll., 2008; Desbordes et coll., 2012). En méditation, il ne s’agit pas de chasser les émotions, mais de ne pas les laisser prendre les commandes. Les émotions sont encore là, mais elles ne vous prennent pas en otage. Et vous acquerrez alors une plus grande liberté afin de voir au-delà de vous-même et dans les autres.
Si le cortisol est le grand responsable biologique du manque de compassion, une autre hormone peut heureusement prendre la relève et favoriser la compassion. L’ocytocine, parfois joliment appelée «hormone du câlin», est produite par l’hypothalamus et stockée dans le lobe postérieur de l’hypophyse. Rappelons que cette petite glande à deux lobes qui est rattachée au cerveau joue un rôle important dans la réaction de stress, mais elle est également cruciale dans l’expression de l’amour et de la compassion. L’hypophyse produit les hormones qui nous aident à avoir peur en zone de combat, mais elle sécrète également les hormones qui nous portent à nous blottir contre quelqu’un hors de cette zone. L’ocytocine renforce toutes sortes de comportements sociaux, depuis la simple reconnaissance sociale à l’attachement maternel (l’ocytocine est sécrétée en abondance après l’accouchement), afin d’augmenter la confiance mutuelle entre les gens (Carter, 1998; Kosfeld et coll., 2005). Dans certaines circonstances, par exemple en réaction à la peur, l’ocytocine ralentit l’activité de l’amygdale cérébrale et elle semble inhiber ou réguler la réaction de lutte ou de fuite face à un stress (Kirsch et coll., 2005; Huber, Veinante et Stoop, 2005). Et comme on pouvait s’y attendre, en plus de modérer la réaction de stress, l’ocytocine nous porte à ressentir plus de bonté et de générosité (Zak, Stanton et Ahmadi, 2007). Au lieu d’alimenter la réaction de lutte ou de fuite, la présence d’ocytocine en situation de stress tend à stimuler certains comportements sociaux, comme prendre soin des autres et créer et entretenir des réseaux sociaux. Il s’agit là d’un phénomène que les premiers chercheurs à l’avoir étudié ont appelé tend and befriend: une réaction qui dispose à la sollicitude pour se rapprocher (Taylor et coll., 2000). En somme, cette minuscule molécule qu’est l’ocytocine semble être la clé de la compassion, et nous devrions tous aimer en avoir un peu plus, non?
Cela dit, tout comme le cortisol peut jouer un rôle positif dans la compassion, l’ocytocine a son côté négatif: ses bienfaits sont pour ainsi dire «ciblés». Ainsi, des sujets à qui l’on donne de l’ocytocine en laboratoire vont effectivement manifester des comportements de compassion dans toutes sortes de situations sociales, mais ces comportements semblent se limiter au cercle familial. Au-delà de ce cercle, les comportements d’aide disparaissent rapidement, et une augmentation du taux d’ocytocine contribuera en fait à amplifier les comportements défensifs et non coopératifs envers les gens perçus comme des étrangers. Autrement dit, la réponse du cerveau à l’ocytocine dans le but de se rapprocher (tend and befriend) deviendra davantage une réaction de défense contre les gens ne faisant pas partie du proche entourage (tend and defend) (De Dreu et coll., 2010; De Dreu, 2012). L’ocytocine nous rend donc radieux en compagnie de nos proches, mais méfiants envers des étrangers. Les limites que nous donnons à notre cercle d’amis ont un effet important sur l’étendue réelle de notre compassion.
On appelle biais intragroupe la tendance à favoriser les gens que nous percevons semblables à nous et que, par conséquent, nous traitons mieux, souvent en punissant les étrangers. Le biais intragroupe est un phénomène flagrant dans la tragédie Roméo et Juliette de Shakespeare, mais nous l’observons encore chaque jour dans mille et une situations. Le biais intragroupe contribue autant à des problèmes sociaux majeurs comme le racisme et le sexisme qu’à des situations banales et rigolotes comme de savoir qui bâille quand vous bâillez (Campbell et deWaal, 2011). Les études portant sur les biais intragroupes sont généralement axées sur des marqueurs sociaux clairement circonscrits, comme le sexe, la race et la classe sociale, mais le groupe auquel vous «appartenez» n’a pas besoin d’avoir une signification particulière pour qu’un biais intragroupe s’introduise. Dans une série d’expériences célèbre, le psychologue anglais Henri Tajfel et ses collaborateurs ont réparti des gens dans des groupes de façon tout à fait arbitraire, entièrement anonyme et sans conséquences attendues, pour finalement constater que même lorsqu’une ligne tracée dans le sable n’a absolument aucune signification, nous serons plus aimables avec les gens se trouvant du même côté de la ligne que nous (Tajfel et coll., 1971).
À l’époque où ces expériences ont été réalisées, un grand nombre de psychologues posaient comme hypothèse que notre propension au biais intragroupe était la conséquence naturelle de la concurrence imposée par la rareté des ressources, mais Tajfel a eu le génie de montrer que même en l’absence du spectre du manque, nous agissons de façon discriminatoire envers les individus différents de nous. Dans ses expériences où il n’y avait aucun objet de concurrence, Tajfel avait émis l’hypothèse que la concurrence ne faisait qu’exacerber une tendance encore plus profonde en nous: celle qui consiste à utiliser notre appartenance à un groupe pour nous bâtir et maintenir une identité stable. Autrement dit, nous nous servons du biais intragroupe pour consolider notre propre estime de soi, souvent au détriment des autres et parfois, paradoxalement, à notre propre détriment (Tajfel, 2010).
Le Dr Seuss a créé une satire à partir du biais intragroupe lorsqu’il a écrit l’histoire des Star-Bellied Sneetches, où des oiseaux au ventre marqué d’une étoile agissent de manière discriminatoire envers leurs frères au ventre sans étoile, jusqu’à ce qu’un homme débarque en ville et offre aux oiseaux sans étoile une machine qui en imprimera une sur leur ventre pour la modique somme de trois dollars. L’histoire veut qu’ensuite, il propose aux oiseaux déjà étoilés de passer dans une autre machine qui retirera leur étoile pour la somme de dix dollars. Pendant que les oiseaux passent d’une machine à l’autre, leur crise d’identité éclate, tant et si bien que les oiseaux avec étoile et sans étoile ne savent plus qui ils sont, si celui-ci était celui-là et si celui-là était celui-ci ([1961], 2006, 10). À la fin, l’homme remballe ses machines et repart en laissant derrière lui les oiseaux sans le sou réfléchir à leur bêtise.
Nous commençons maintenant à mieux distinguer l’ombre que fait l’ego. Selon Paul Piff, le biais intragroupe explique en partie le phénomène que son équipe a observé lors des expériences où des sujets volaient des bonbons ou enfreignaient la loi: la bienveillance dégringole à mesure que le statut social s’élève (Piff et coll., 2012). Lorsque nous accumulons des ressources pour finalement nous isoler dans des groupes indépendants de gens aussi bien nantis que nous-mêmes, alors nous perdons peu à peu contact avec la souffrance d’autrui et comptons de moins en moins sur les autres pour composer avec les difficultés de notre propre vie. La capacité d’être altruiste peut s’en ressentir. Les données d’une étude publiée par Chronicle of Philanthropy en 2012 révèlent la dynamique qu’on observe dans les grandes et plus petites villes américaines: partout aux États-Unis, la contribution moyenne à des œuvres de charité par les familles gagnant plus de 200 000 $ par année s’élève à 4, 2%. Toutefois, lorsqu’une famille gagnant ce même revenu vit dans une région où plus de quarante pour cent de ses voisins font également plus de 200 000 $, le don de charité moyen baisse à 2, 8% (Daniels, 2014). Lorsque, à longueur de journée, nous ne voyons que des gens comme nous et qu’il nous semble que tout va bien pour eux, pour quelle raison rendrait-on service?
Cette évaporation de la compassion a des conséquences graves qui touchent bien davantage que les dollars et les déductions fiscales. Dans une de ses expériences, le psychologue Dennis Krebs a demandé à des sujets d’observer des individus qui jouaient à la roulette. Il a fait croire à ses sujets que les autres joueurs de roulette allaient recevoir une décharge électrique lorsqu’ils perdraient. Lorsque les sujets se croyaient différents d’un joueur sur le plan de la personnalité et des valeurs, ils étaient moins enclins à intervenir pour aider ce joueur à leurs propres dépens (Krebs, 1975). Une récente étude neuroscientifique a permis d’associer cette tendance à une activité neuronale du cortex cingulaire antérieur et de montrer que, du moins en ce qui concerne la race, nous sommes peut-être programmés par défaut pour être moins sensibles à la souffrance des gens que nous jugeons différents de nous (Xu et coll., 2009). Ces barrières qui font obstacle à la compassion ont des conséquences inévitables; elles entraînent l’érosion des fondements de toutes sortes de comportements prosociaux et aidants qui sont essentiels au bien-être non seulement des individus, mais des sociétés (Eisenberg et Miller, 1987; Helliwell et Putnam, 2004).
Une saine conscience de soi est indubitablement essentielle à notre bonheur, mais lorsque nous privilégions exclusivement l’ego et que nous le mesurons en fonction des autres, nous en payons un fort prix. Quand notre image de soi est fabriquée par opposition aux différences avec les autres, qu’elles soient réelles ou imaginées, nous érigeons une barrière autour de notre cœur. Nous nous attachons implicitement à ceux qui se trouvent du même côté de la clôture, et tout ce qui se trouve de l’autre côté devient peu à peu menaçant. C’est là le danger bien réel de la tendance égocentrique de l’asmita contre laquelle Krishna et Patanjali nous mettent en garde. Nous n’allons bien à l’intérieur que si tout ce qui se trouve à l’extérieur ne s’approche pas trop. Avec une telle mentalité, comme le demandait Krishna à Arjuna, comment pourrions-nous être heureux ici ou ailleurs?
Nous sommes maintenant dans une situation difficile: le moi que nous construisons pour nous protéger devient une cage. Le désir de nous accrocher à un «moi» stable et abrité amplifie la peur que des ennemis nous attendent de l’autre côté de la clôture. À ce sujet, dans la Bhagavad Gîtâ, ce que Krishna ordonne à Arjuna est à la fois lumière et ombre:
La pratique du yoga crée une équanimité de la conscience,
Voir le Moi dans chaque être, et chaque être dans le Moi…
Le but suprême du yoga est de voir égaux tous les êtres,
Dans la souffrance comme dans la joie. (VI, 29 et 32)
Krishna suggère que nous ouvrions le portail et repoussions les murs. Vous n’êtes pas le petit moi isolé que vous avez imaginé. Et quand vous apercevez votre véritable Moi, vous verrez à quel point vous êtes inextricablement lié à tous les êtres dans l’univers. La tradition du yoga regorge de pratiques qui visent à brouiller délibérément les frontières entre nous et notre prochain et à faire ressortir ainsi notre interdépendance plutôt que notre indépendance. Dans certaines traditions du yoga et du bouddhisme, les moines et les renonçants n’ont pas le droit de manger quoi que ce soit qui ne leur est pas offert gratuitement. Même s’ils ont choisi de se retirer plus ou moins du monde extérieur, chacun de leurs repas renforce leur dépendance à la communauté environnante. Le seva (l’altruisme dont il a été question en début de chapitre) nous garde constamment en contact avec nos voisins, tenant ouvertes les portes de la compassion. Et, plus important encore, la pratique de la méditation met à notre disposition un coffre à outils profond pour cultiver la bonté et la connexion avec les autres.
Dans le chapitre sur le changement, nous avons commencé à pratiquer la bienveillance, ou metta, à notre propre intention. Ici, nous étendrons la metta à un être cher, à une personne neutre, à une personne difficile et, enfin, à tous les êtres humains. Cependant, comme tous les outils et les techniques présentés dans ce livre, sentez-vous à l’aise de l’adapter d’une façon qui vous convienne.
Certains méditants trouvent difficile de commencer la metta à leur propre intention. Sharon Salzberg, une pionnière de la méditation metta en Amérique, raconte souvent une histoire mémorable dans laquelle elle demandait au dalaï-lama s’il était conseillé de commencer la pratique de la metta ayant soi-même pour objet, considérant qu’elle et un si grand nombre de ses étudiants étaient fréquemment affligés d’un sentiment de haine envers eux-mêmes. Le dalaï-lama a paru déconcerté qu’un tel sentiment existe; il a admis que la langue tibétaine n’avait pas de mots pour désigner la haine de soi. Pourtant, lorsqu’il a demandé aux Occidentaux rassemblés dans la salle s’ils avaient déjà ressenti une telle chose, tout le monde a levé la main. Et, bien franchement, si on pouvait écouter ce qui se passe dans ma propre tête, on m’entendrait parfois me dire à moi-même des choses que je ne dirais pas à mon pire ennemi. Par conséquent, si, depuis le chapitre 4, vous avez de la difficulté avec la méditation de l’autocompassion, essayez cette méditation en pensant plutôt à un être cher, et voyez où cela vous mène.
Au Center for Compassion and Altruism Research and Education (CCARE) de l’Université Stanford, une équipe dirigée par Thupten Jinpa a élaboré un programme de méditation metta appelé Compassion Cultivation Training (CCT). Et le protocole CCT commence par la pratique de la compassion envers un être cher, justement parce que tellement de personnes ont du mal à en éprouver envers elles-mêmes (Singer et Bolz, 2013).
Vous pourriez également commencer votre pratique par l’expression de compassion envers tous les êtres, puis poursuivre à rebours, en dirigeant votre compassion envers certaines personnes. Vous pouvez vous concentrer sur une même personne pendant un long moment (des jours, voire des mois). Vous pouvez également choisir d’exclure une catégorie de personnes si cela est trop difficile pour vous au début. Il n’est pas rare d’arriver à un point où vous devez vous efforcer afin d’éprouver de la compassion envers une personne difficile ou blessante. C’est normal. Offrez ce que vous êtes capable d’offrir quand vous le pouvez, et acceptez que ce soit suffisant. Et, bien entendu, si aucun ennemi ne vous vient à l’esprit, ni aucune personne associée à des émotions négatives, la dernière chose à faire est d’essayer de vous en trouver ou de vous inventer des problèmes! Commencez à semer des graines partout où le sol est fertile pour vous, et voyez ce qui germe à partir de là.
Répandre l’amour
Accordez-vous une vingtaine de minutes dans un endroit sans distraction. Il peut être utile d’avoir une minuterie. Si vous en avez une qui peut sonner à intervalles réguliers, réglez-la pour qu’elle sonne aux trois minutes. Installez-vous dans une position confortable pour méditer, à la fois éveillé et détendu, le corps soutenu.
Commencez par vous concentrer sur votre respiration, comme vous vous êtes exercé à le faire. Observez l’inspiration et l’expiration, le souffle qui monte et descend, et sentez le mouvement de la respiration dans votre corps. Lorsque vous remarquez que votre esprit erre, ramenez votre concentration avec douceur et équanimité sur votre respiration.
Après quelques minutes, lorsque votre alarme sonne ou que vous êtes prêt à faire la transition, commencez la méditation axée sur l’autocompassion que vous avez essayée au chapitre 4. Représentez-vous exactement tel que vous êtes dans le moment présent et utilisez le mantra traditionnel ci-dessous à votre propre intention, ou un mantra semblable que vous créez dans le même esprit:
Puisses-tu être heureux.
Puisses-tu être en santé.
Puisses-tu ne pas souffrir.
Puisses-tu être en paix.
À l’inspiration, dites la première phrase du mantra à votre intention. Imaginez que l’énergie et l’intention des mots entrent en vous en même temps que l’air et se répandent dans toutes les parties de votre corps. Puis, à l’expiration, laissez sortir l’air sans effort, et imaginez que vous laissez également sortir toute chose dont vous n’avez pas besoin présentement. Ne faites pas semblant et n’essayez pas de façon excessive. Ressentez seulement ce qui est présent, et dirigez-les avec votre respiration et votre attention. Ensuite, passez à la phrase suivante du mantra, puis à la suivante, puis à la dernière, synchronisant chaque phrase avec une respiration. Si vous éprouvez de la résistance, ne vous en faites pas. Et si d’autres émotions montent, prenez-en connaissance, puis revenez au mantra dès que vous le pouvez. Si vous sentez des obstacles importants, modifiez votre concentration et offrez le mantra metta directement à l’obstacle lui-même. Poursuivez ainsi jusqu’à ce que la sonnerie se fasse entendre, ou jusqu’à ce que vous soyez prêt à faire une transition.
Maintenant, invitez sous votre regard intérieur un être cher. Ce peut être quelqu’un qui vous a témoigné beaucoup de bonté et de compassion dans votre vie ou quelqu’un à qui vous sentez le besoin instinctif d’exprimer le mantra. En gardant cette personne à l’esprit, offrez-lui les mêmes souhaits que vous vous êtes offerts. Encore une fois, imaginez toute énergie ou émotion, évoquée par les mots du mantra, circulant partout en vous par votre respiration.
Ensuite, invitez dans votre esprit une personne neutre, une personne parmi les dizaines ou centaines que vous croisez peut-être chaque jour. Nul besoin de chercher: choisissez la première personne qui vous vient à l’esprit et offrez-lui les mêmes bonnes choses qu’à vous et à l’être cher. En inspirant et en expirant, une phrase à la fois, continuez à développer et à diriger votre expérience de la bonté.
Ensuite, invitez dans votre esprit une personne difficile. Ce peut être quelqu’un qui vous a blessé ou avec qui vous avez un conflit, ou même une personne que vous détestez. En faisant de votre mieux, gardez cette personne à l’esprit et offrez-lui les mêmes souhaits, respiration après respiration. Offrez ce que vous êtes capable d’offrir, comme vous le pouvez, et acceptez que ce soit suffisant.
Pour terminer, laissez votre conscience s’ouvrir à tous les êtres, comme si votre regard intérieur devenait démesurément grand et pouvait contenir tous les êtres, ceux près et ceux loin, ceux ici et ceux partis. En faisant de votre mieux, offrez le même mantra à cet immense océan de vie, qui vous inclut et inclut tous ceux à qui vous avez dédié le mantra jusqu’ici (remplacez le «tu» par un «nous»: «Puissions-nous être heureux», et ainsi de suite).
Maintenant, concentrez-vous sur votre respiration plutôt que sur le mantra. Laissez l’air entrer et sortir librement alors que vous vous contentez d’observer. Observez toutes les sensations ou émotions présentes, et laissez-les être telles qu’elles sont. Voyez ce que la méditation a laissé derrière en vous, aujourd’hui, ainsi que toute autre chose qui a changé. Lorsque vous êtes prêt, ouvrez les yeux et poursuivez votre journée en pleine conscience.
La méditation metta a fait l’objet de nombreuses études, et son pouvoir de transformation la place parmi les pratiques individuelles les plus prometteuses jamais explorées. Si vous pratiquez sérieusement ne serait-ce qu’un seul des exercices proposés dans ce livre, je miserais tout sur cet exercice. Dans une étude effectuée au sujet de la méditation metta dans le cadre du programme CCARE de l’Université Stanford, on a constaté que le programme CCT améliorait de manière notable non seulement la capacité d’éprouver de la compassion pour soi, mais aussi la capacité de l’exprimer et de la recevoir d’autrui (Jazaieri et coll., 2013). Des examens d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) réalisés par Richard Davidson ont montré comment les exercices metta activent les structures neuronales associées à la compassion, comme l’insula et le cortex cingulaire du système limbique (Lutz et coll., 2008).
La compassion cultivée en soi par la metta peut véritablement modifier notre comportement dans le monde extérieur. Vous vous rappelez le jeu du dictateur? Eh bien, les gens qui pratiquent la méditation metta donnent considérablement plus d’argent à leur partenaire anonyme qui perd le jeu (Reb, Junjie et Narayanan, 2010). Dans une variante du jeu où les sujets étaient les observateurs et pouvaient dépenser leur propre argent pour redistribuer la richesse lorsqu’ils voyaient le dictateur arnaquer son partenaire, les personnes qui pratiquaient la méditation metta donnaient considérablement plus de leur propre argent pour rendre le jeu équitable (McCall et coll., 2014; Weng et coll., 2013). La compassion semble convertir l’avare en chacun de nous.
Les bons vœux que nous envoyons à tous les êtres nous reviennent directement où cela compte le plus. La pratique soutenue de la méditation metta est réputée pour diminuer le stress et améliorer la fonction immunitaire. Elle est également connue pour atténuer la douleur et apaiser la colère (Pace et coll., 2009; Carson et coll., 2005). La méditation metta peut même ralentir le vieillissement: plusieurs études ont montré que les télomères des méditants qui pratiquent souvent la metta sont plus longs. Les télomères sont les capsules qui protègent l’extrémité des brins d’ADN et qui raccourcissent lorsque les cellules se divisent, de sorte qu’au fil du temps, les cellules cessent de croître et finissent par mourir (Jacobs et coll., 2011; Hoge et coll., 2013). Les télomères courts sont habituellement associés au vieillissement accéléré et à la détérioration de la santé. Dans certains cas, la méditation non seulement ralentit ce processus, mais elle allonge littéralement les télomères, permettant ainsi aux cellules de survivre plus longtemps (Schutte et Malouff, 2014).
On comprend encore mal le rôle des télomères dans la santé humaine, et même si la compassion n’est pas une fontaine de jouvence, elle peut assurément nous aider à mieux profiter du temps qui nous est donné. La psychologue positive Barbara Fredrickson a constaté qu’un cours de metta d’une durée de sept semaines améliorait considérablement les émotions quotidiennes ressenties par les participants ainsi que leur sentiment d’intégration sociale (2008). Ce sentiment d’intégration sociale (d’appartenance et de connexion dans une communauté) est peut-être le bienfait le plus important de tous.
Nous sommes présentement plongés jusqu’au cou dans une crise des liens sociaux. La solitude est une épidémie en croissance en Amérique depuis des décennies. Dans son étude charnière de 1995, «Bowling en solo: le déclin du capital social américain», Robert Putnam a rapporté en détail trois décennies d’engagement civique en chute libre, une tendance qui montre l’effondrement de l’influence des liants sociaux de toutes sortes, depuis l’affiliation syndicale aux rencontres parents-enseignants et aux scouts, en passant par le Cercle des fermières, les francs-maçons, les jeux de cartes entre voisins, et à peu près tout ce qui peut être relié. La conclusion franche et dure de Putnam est que les liens sociaux sont en train de se relâcher, sinon de se défaire complètement, en raison des changements technologiques, économiques et sociaux (Putnam, 1995, p. 382). Des décennies ont passé depuis les travaux de recherche de Putnam, et la tendance, loin de régresser, s’accentue. À partir des résultats de la General Social Survey de 2004, qui est la base de données sociologiques la plus importante aux États-Unis, des chercheurs de l’Université Duke et de l’Université de l’Arizona ont pu constater que l’Américain moyen dit avoir seulement deux personnes proches à qui se confier. Vingt-cinq pour cent des répondants de l’enquête disent n’avoir aucun proche – un pourcentage qui grimpe à la moitié des répondants lorsque la famille est exclue (McPherson, Smith-Lovin et Brashears, 2006). Depuis, au fil des ans, les plateformes de médias sociaux comme Facebook et Twitter ont proliféré, une tendance prometteuse pour créer des liens qui s’est pourtant soldée par une déconnexion de plus en plus grande. Dans l’étude qu’il a réalisée à la fin des années 1990, Robert Kraut a suivi un certain nombre de personnes durant les premières années d’exposition à Internet. L’étude a révélé que plus une personne se sentait seule et déprimée, plus elle naviguait sur le Web (Kraut et coll., 1998). Les personnalités les plus en vue semblent avoir un compte Facebook de nos jours, mais il semble bien que cela rende les gens moins heureux: des chercheurs de l’Université du Michigan ont constaté que plus les personnes utilisaient Facebook, moins elles se sentaient heureuses au moment de l’utiliser et moins elles se sentaient satisfaites de leur vie (Kross et coll., 2013). Il est plus facile que jamais de garder contact avec vos anciens camarades de classe, mais les études comme celle de Kross indiquent que partout dans l’immense cyberespace, nous ne naviguons pas, nous coulons.
Le coût de l’isolement en termes de bien-être est incalculable. Dans sa première étude publiée en 1943, A Theory of Human Motivation, le psychologue Abraham Maslow estimait qu’au-delà des besoins fondamentaux comme la survie et la sécurité physique, notre principale motivation en tant qu’humain était d’être en relation: de connaître d’autres personnes et d’être connu par elles, de donner de l’attention et de l’amour aux autres et d’en recevoir. Les recherches des décennies suivantes ont confirmé et consolidé l’hypothèse de Maslow. Le manque de liens sociaux est maintenant associé à un taux de mortalité plus élevé, même en présence d’une bonne santé générale et d’une bonne maîtrise des comportements à risque (Berkman et Syme, 1979). Une analyse ultérieure de près de 150 études comprenant plus de 300 000 participants a permis de conclure que l’intégration sociale influe davantage sur la mortalité que le tabac ou l’alcool, et que l’obésité et le manque d’exercice sont, en fait, des facteurs moins importants (Holt-Lunstad, Smith et Layton, 2010). La solitude blesse, littéralement. Le sentiment d’être seul et déconnecté des autres déclenche une activité cérébrale dans le cortex cingulaire antérieur, soit la même région que celle activée par la douleur physique (Eisenberger, Lieberman et Williams, 2003). Cela dit, des périodes d’éloignement et de déconnexion sont inévitables. Les psychologues emploient les mots suivants pour qualifier le sentiment de solitude occasionnel: tout à fait normal. Cependant, quand ce sentiment prend racine et devient une routine quotidienne, le danger s’installe.
Sans exagération, votre lien avec les autres est le facteur le plus important du bonheur sur lequel vous avez de l’influence. Dans une étude commodément intitulée «Very Happy People», les pionniers de la psychologie positive Ed Diner et Martin Seligman ont examiné plus de 200 personnes pour tenter de repérer le dénominateur commun des dix pour cent de personnes les plus heureuses. Les chercheurs ont constaté qu’aucune variable ne suffisait à elle seule à rendre heureux, mais que le facteur suivant était d’une absolue nécessité: de bonnes relations sociales (2002).
Avant de vous précipiter pour vérifier combien de centaines de contacts se trouvent dans votre téléphone portable, gardez à l’esprit que la connexion sociale se mesure à la qualité et non à la quantité. Certains d’entre nous ont besoin de ratisser large et sont plus heureux entourés de nombreux amis, tandis que d’autres n’ont besoin que de quelques confidents. Quelle que soit la forme de votre réseau social, les pratiques comme la méditation metta peuvent immensément approfondir vos liens.
Dans ce chapitre, nous avons vu que l’éloignement et la déconnexion sont une menace à notre potentiel de compassion. Compte tenu de l’épidémie d’isolement précédemment décrite, la côte sera peut-être longue à remonter. Mais souvent, les fruits de la compassion sont étonnamment accessibles. Rappelez-vous que la compassion nous vient plus facilement envers les gens que nous estimons «semblables à nous» – et les expériences de Tajfel dont nous avons parlé plus tôt nous montrent d’ailleurs que les critères selon lesquels nous estimons qu’une personne est des nôtres peuvent être arbitraires ou accessoires. On sait également aujourd’hui que des choses aussi simples que bouger au même rythme qu’une autre personne [ne serait-ce que taper la mesure avec un doigt] peuvent susciter à la fois plus de compassion et plus d’altruisme (Valdesolo et DeSteno, 2011).
La méditation metta est réputée pour accroître le sentiment d’intégration sociale, même après une seule séance de sept minutes [Hutcherson, Seppala et Gross, 2008]. Si vous avez lu le présent livre jusqu’ici, alors vous pouvez prendre sept petites minutes pour méditer. Et si vous pensez avoir plus de temps que cela, alors les résultats sont encore plus prometteurs. Dans des études réalisées auprès de méditants metta de longue date, Richard Davidson a mesuré l’activité cérébrale par électroencéphalographie [ÉEG] durant les méditations metta. Davidson a pu observer des ondes d’activité coordonnées et concentrées qui se déplaçaient d’une façon qu’on n’avait encore jamais observée dans les études antérieures [Lutz et coll., 2004). Dans des études subséquentes utilisant des examens d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), les mêmes chercheurs ont constaté des changements durables dans les structures neuronales associées à la compassion chez les personnes qui pratiquaient chaque jour cette forme de méditation (Lutz et coll., 2008). Rappelons-nous que les neurones qui déchargent ensemble se connectent ensemble. Ces travaux de recherche nous disent que même un peu de discipline quotidienne peut «reprogrammer» en nous la compassion.
Toute la compassion du monde vous fera peu de bien, à vous et aux autres, si elle reste enfermée dans votre tête. Si nous prenons à cœur le défi de la Bhagavad Gîtâ, nous devons passer à l’action. À l’instar de ce que vous avez fait en méditation metta, allez-y graduellement si vous voulez, puis voyez où cela vous mène. Dans une de ses expériences, Sonja Lyubomirsky a observé ce qui se passait lorsqu’elle mettait ses étudiants au défi de poser chaque semaine cinq actes de bonté posés au hasard (Lyubomirsky, Tkach et Sheldon, 2004). Ses résultats ont été plutôt inattendus: les étudiants qui avaient réparti leurs bonnes actions sur toute la semaine ne se sentaient pas différents de ceux qui n’avaient posé aucun geste de bonté. Par contre, les étudiants qui avaient fait leurs cinq bonnes actions dans la même journée étaient considérablement plus heureux et s’étaient comportés avec plus de bonté tout le reste de la semaine, même lorsqu’ils n’avaient plus aucune bonne action de prévue à leur agenda.
Cet apparent paradoxe se comprend mieux si on se rappelle que la bonté passe par les centres du plaisir du cerveau et qu’elle est sujette au même processus d’adaptation hédonique que tous les autres plaisirs. Lyubomirsky a émis l’hypothèse que la bonté «diluée» sur toute la semaine n’avait pas suffi à activer les centres du plaisir au-delà du seuil correspondant au quotidien ordinaire. En revanche, les étudiants qui avaient accompli plusieurs bonnes actions au cours de la même journée avaient réussi à activer ces synapses, et les effets de cette seule journée où les bonnes actions dépassaient le seuil de l’ordinaire s’étaient répercutés sur les jours suivants. Il existe peut-être un seuil critique pour stimuler les effets agréables de la bonté et les faire durer, mais les études comme celle de Lyubomirsky laissent présumer qu’il n’en faut pas beaucoup pour enclencher le circuit. Et une fois qu’il est enclenché, la compassion semble circuler dans notre vie avec une énergie qui lui est propre.
La bonté spontanée
Demain, engagez-vous à poser cinq actes de bonté extraordinaires. Un acte de bonté extraordinaire n’a pas besoin d’être difficile à poser ni de représenter un grand sacrifice de votre part; le mot «extraordinaire»» ici signifie seulement que les bonnes actions que vous choisirez dépassent vos activités normales de tous les jours. Ces actes de bonté peuvent prendre toutes sortes de formes: acheter un café à la personne qui fait la file derrière vous au restaurant, tenir la porte pour quelqu’un qui porte un sac lourd, offrir votre siège dans le métro, apporter des gâteries à vos collègues. Certains de ces actes de bonté vous viendront spontanément quand vous verrez une personne dans le besoin ou lorsque vous sentirez monter en vous un élan de générosité, et d’autres pourront aussi être planifiés. Essayez toutefois de laisser la journée se dérouler naturellement, sans vous inquiéter à savoir quand et où vous ferez vos bonnes actions. Une de mes étudiantes m’a raconté que durant cet exercice, elle s’était imaginé que l’univers conspirait pour lui envoyer des occasions d’actes de bonté, et que tout ce qu’elle avait eu à faire était de garder les yeux ouverts. Gardez les vôtres ouverts également.
Lorsque nous avons travaillé l’introspection en suivant les instructions de Patanjali, nous nous sommes rendu compte que l’ego que nous avons observé n’est pas si séparé, et nous avons entrepris de défaire ses lourds bagages en nous demandant ce qui restait une fois tombées tant d’histoires et d’étiquettes. Patanjali nous invite à chercher le Moi en rendant le moi de plus en plus petit par l’introspection. Maintenant, Krishna nous guide vers le Moi par l’aide aux autres et la bonté, en rendant le moi de plus en plus grand. Qui suis-«je» lorsque je me rends compte que mon moi est si semblable à celui d’un ami, d’un étranger, voire d’un ennemi? Qui suis-«je» quand le cercle du moi commence à se dilater et à se dissoudre? Nous faisons ces explorations de manière intuitive, car les relations vont et viennent au cours d’une vie, et nous élaborons des rituels de manière instinctive autour des moments où notre moi social est soudainement transformé par une naissance, un mariage, un décès. Au lieu d’attendre l’arrivée du berceau, de l’autel ou du cercueil, Krishna nous met au défi de découvrir le Moi en faisant littéralement exploser les frontières de notre moi chaque fois que nous en avons l’occasion.
Certains psychologues doutent de l’espace dont le moi dispose pour se refaire, dont Daniel Batson, un des piliers de la recherche sur l’altruisme (et créateur de l’expérience du Bon Samaritain). Il écrit que «des concepts comme la fusion “moi-autre” (…) doivent être compris métaphoriquement plutôt que littéralement, du moins lorsqu’ils s’appliquent à l’empathie. La capacité d’empathie de l’être humain est très étendue (…) [mais] se voir comme étant psychologiquement indiscernable d’un meurtrier reconnu coupable et fusionner son expérience à la sienne paraît improbable; une expansion du moi pour y faire entrer une baleine serait encore moins possible» (1997, p. 508). Pour Batson, le comportement altruiste est une «traversée des frontières» du moi vers la sphère d’une autre personne, mais ces frontières elles-mêmes demeurent inchangées. Pourtant, d’autres chercheurs dans le même domaine estiment que c’est précisément ce genre d’auto-expansion qui stimule le plus notre altruisme. Le psychologue Robert Cialdini est d’avis qu’en fait, nous ne traversons pas la frontière mais nous l’effaçons, du moins momentanément. Dans ses recherches, il a constaté que «lorsque la distinction entre le moi et l’autre est indéterminée, la dichotomie habituelle entre égoïsme et altruisme perd son sens» (Cialdini et coll., 1997, p. 490-491).
Au centre de ce débat plutôt théorique réside le fait suivant: après des milliers d’années de divination, d’introspection et d’expérimentation, nous ne savons toujours pas ce qu’est réellement le moi, ni comment il prend vie, ni exactement comment l’expérience le fait évoluer. Dans toutes ses formes, la pratique du yoga nous convie à faire l’expérience pour nous-mêmes avec notre moi. Peu importe ce qu’est finalement le moi, peu importe ses limites et son potentiel, nous avons vu dans ce chapitre qu’une grande partie de notre bonheur se trouve juste au-delà de ses frontières familières, entrelacé à la vie des autres. Quand nous aidons les autres et que nous nous connectons à eux avec compassion, nous nous transformons physiologiquement, émotionnellement et spirituellement. Le poète John Donne avait raison: nul n’est une île. Si nous croyons le contraire, nous faisons naufrage.