Les six premiers chapitres du traité 52 (II, 3) critiquent de manière assez technique l’astrologie. Les objections de Plotin ne peuvent en effet se comprendre qu’à la lumière des principes mis en œuvre par les astrologues. Pour permettre au lecteur de mieux comprendre le fil de la réfutation plotinienne, cette annexe et les figures qui l’accompagnent résument les doctrines astrologiques auxquelles Plotin s’attaque. Les informations ici présentées sont, pour l’essentiel, tirées de l’ouvrage classique de A. Bouché-Leclercq, L’Astrologie grecque.
L’astrologie grecque repose sur une conception géocentrique de l’Univers. C’est en fait le système astronomique du Timée de Platon, devenu canonique, qui lui sert de fondement. Platon considère que la Terre repose immobile au centre de l’Univers, qu’elle est entourée de sept planètes qui se meuvent en cercle autour d’elle, et qu’à la limite extrême de l’Univers se meut une sphère contenant les étoiles fixes, celles qui forment les constellations et qui ne bougent pas les unes par rapport aux autres. Les fixes se déplacent de manière régulière dans le sens de la rotation diurne. Les planètes ont elles aussi des mouvements réguliers mais différents, car la vitesse et le sens de leur déplacement varient de l’une à l’autre. Partant de la Terre, le Timée range les planètes dans l’ordre suivant : Lune, Soleil, Vénus, Mercure, Mars, Jupiter et Saturne. Cette succession fut largement adoptée et conserva toujours des partisans, au détail près que Mercure et Vénus sont parfois intervertis. L’Antiquité n’eut jamais les moyens de fixer avec certitude l’ordre des planètes. Aristote refuse de se prononcer sur le sujet, alors que d’autres les classent selon leur masse, leur vitesse ou autre. Les astrologues préfèrent, par souci de symétrie, la classification instituée au II e siècle avant J.-C. et qui place le Soleil au milieu : Lune, Mercure, Vénus, soleil, Mars, Jupiter, Saturne. Pour en revenir au Timée, ces planètes se déplacent sur une trajectoire oblique par rapport à la Terre, c’est-àdire qu’elles se meuvent selon le plan de l’écliptique (la route du Soleil). La révolution complète du Soleil détermine l’année, alors que celle de la Lune délimite la durée des mois. Les sept planètes possèdent en outre un mouvement parallèle à l’équateur, entraîné par le déplacement diurne, et qui explique l’alternance du jour et de la nuit.
Les astrologues grecs réservent une place de choix au zodiaque, car c’est sur lui que reposent d’autres instruments théoriques de l’astrologie, par exemple les aspects et les domiciles. Le zodiaque astrologique est une conception de l’esprit : il consiste en douze signes ou constellations de dimensions égales qui se répartissent en portions de trente degrés sur une bande circulaire qui se superpose à l’écliptique. L’observation montre que la nature n’a pas constitué le ciel de cette façon, que les signes du zodiaque n’ont pas les mêmes dimensions et que les étoiles qui tracent ces figures débordent de la bande qui, sur l’écliptique, contient en fait le trajet des planètes. Mais la répartition astrologique se prêtait mieux aux calculs et à la géométrie. Les documents montrent aussi que la division en douze signes n’allait pas de soi et que certains zodiaques comprenaient moins de douze constellations. Le chiffre douze, par exemple, ne fut atteint qu’au temps d’Hipparque, lorsque le Scorpion se vit retrancher ses pinces, qui formèrent ensuite la Balance. Le type de figures imaginaires qui se dessinent dans le ciel a bien sûr de l’importance, car il détermine la nature de ce signe, ses effets et ses propriétés. Prenons le Bélier, qui est considéré comme le premier signe. Ceux qui sont friands de mythes prétendent qu’il s’agit soit du bélier à la Toison d’or, celui que se disputaient Atrée et Thyeste, soit de celui qui conduisit le cortège de Bacchus à l’oasis d’Ammon. Le caractère du Bélier a une influence sur celui des gens qui naissent sous ce signe : ce sont des hommes à la voix chevrotante, prompts à des accès de colère, timides et sots, qui travaillent la laine et confectionnent des vêtements. Au point de vue météorologique, le Bélier engendre le tonnerre, la grêle, les pluies et les vents. Les douze signes ont en outre un sexe relativement fixe, qui alterne de signe en signe en commençant avec le Bélier masculin, mais qui peut varier selon la position qu’occupe un signe. Le sexe compte pour beaucoup dans le calcul des influences, car il règle un système de sympathie et d’antipathie entre les signes, entre les planètes, qui ont aussi un sexe, et entre les signes et les planètes. De manière générale, les signes ou planètes de même sexe sont en sympathie, alors que les sexes opposés manifestent de l’antipathie.
Parmi les sept planètes, le Soleil et la Lune, aussi appelés les deux « luminaires », occupent des positions privilégiées. Le Soleil, planète masculine par excellence, est le chef de file des astres diurnes (Saturne et Jupiter), alors que la Lune, planète féminine par excellence, est celui des astres nocturnes (Mars et Vénus). Mercure, à plusieurs points de vue, reste une figure ambivalente, n’étant décidément ni diurne ni nocturne. Cela est vrai aussi de son sexe. Car le clan diurne est mâle et le clan nocturne est féminin. Mercure devient alors hermaphrodite. Un élément crucial de l’astrologie planétaire est la divinisation par les astres, qui reçoivent les noms des dieux mythologiques. Aux noms astronomiques d’« Astre du matin », d’« Igné » ou de « Lumineux » se sont substitués des noms astrologiques : Kronos, Zeus, Arès, Aphrodite et Hermès. La vie et les caractères mythologiques de ces dieux entrèrent ainsi dans l’astrologie et s’appliquèrent aux astres. Mais en assimilant les astres à des dieux anthropomorphiques, les astrologues commencèrent à leur assigner des actions humaines : les astres se regardent, ils se voient et s’écoutent, ils se poursuivent et se dépassent, ils se réjouissent, ils ont des chefs de file et des suivants, ils entrent et sortent de leurs domiciles. Mieux encore, les planètes acquièrent une qualité morale : elles sont bonnes ou mauvaises, rancunières ou indulgentes. Elles peuvent passer de la bonté à la méchanceté, comme les hommes, au gré de leurs pérégrinations, les unes se fâchant, devenant mauvaises, se vengeant, les autres s’adoucissant, devenant bonnes et prodiguant leurs bontés. La Lune, Jupiter et Vénus sont bonnes ; Saturne et Mars sont mauvaises ; Mercure et le Soleil sont variables, indifférentes ou mixtes. Mais ces qualités morales varient. Elles sont sujettes à modifications selon la position des planètes eu égard au Soleil, à l’horizon ou au sexe du signe zodiacal qu’elles occupent.
Nous avons vu jusqu’ici les propriétés qui appartiennent en propre aux signes du zodiaque et aux sept planètes. À ces caractéristiques s’ajoutent celles qui résultent de la combinaison des signes entre eux et des planètes entre elles. C’est à déterminer ces rapports que s’applique la théorie des configurations ou aspects, qui se résume à de la géométrie. Commençons par l’appliquer au zodiaque, qui fournit l’exemple le plus aisé. Le zodiaque, on l’a vu, consiste en douze constellations réparties en cercle autour de l’écliptique, chaque signe occupant une section égale de trente degrés. Les astrologues tracent quatre figures qui relient les signes les uns aux autres : le diamètre, le trigone, le tétragone (ou aspect quadrant) et l’hexagone (ou aspect sextil). L’aspect diamétral relie les signes deux par deux, selon le diamètre du cercle zodiacal. Les signes reliés diamétralement sont toujours de même sexe et, en général, sont en rapport d’antipathie. L’aspect trigone relie trois signes de même sexe selon un triangle dont les angles intérieurs ont cent vingt degrés. Il a une influence bienfaisante. L’aspect quadrant relie quatre signes par un carré, dont deux sont mâles et deux sont féminins, les signes de sexe différent étant rattachés par un aspect diamétral. Le tétragone est défavorable. L’aspect sextil rattache six signes de même sexe par un hexagone. C’est un aspect favorable. La combinaison de ces aspects permet déjà de complexifier la doctrine d’un cran, car ces aspects agissent simultanément et doivent tous être calculés par l’astrologue. Il se tisse ainsi un réseau d’influences croisées qui ont toutes la terre pour centre. Les constellations du zodiaque affectent la Terre comme si elles y dardaient leurs rayons. Le diamètre transperce directement le globe terrestre, alors que les autres configurations, du triangle à l’hexagone, lancent leurs rayons de plus en plus loin de la terre. C’est pourquoi l’efficacité des aspects décroît en allant du diamètre à l’hexagone. La même théorie des aspects s’applique également aux sept planètes. Dans leur cas, cependant, il arrive rarement qu’un nombre suffisant de planètes se trouve au bon endroit pour former les sommets d’un triangle, d’un carré ou d’un hexagone. Les astrologues se contentent de relier deux planètes selon les angles requis : cent quatre-vingts degrés pour le diamètre, cent vingt pour le triangle, quatre-vingt-dix pour le carré et soixante pour l’hexagone. Lorsque deux planètes s’opposent en aspect diamétral, on dit aussi qu’elles sont en opposition, la terre s’interposant entre elles. De même que, pour les signes du zodiaque, les aspects planétaires agissent de concert et influencent le cours des événements terrestres. Si nous les ajoutons à l’écheveau des influences zodiacales, nous avons déjà un aperçu de la complexité que pouvait atteindre l’astrologie savante.
Après avoir considéré les constellations en elles-mêmes, les planètes en elles-mêmes, la combinaison des constellations et la combinaison des planètes, les astrologues devaient considérer la combinaison des planètes avec le zodiaque. L’une des théories à cet égard est celle des « domiciles ». Il s’agit d’assigner aux planètes un ou des signes du zodiaque qui seraient leurs domiciles et dans lesquels elles se réjouissent. La distribution des planètes dans leur domicile zodiacal semble s’être faite, à l’origine, selon la position initiale que les planètes auraient occupée au début du monde : la Lune était dans le Cancer, le Soleil dans le Lion, Mercure dans la Vierge, Vénus dans la Balance, Mars dans le Scorpion, Jupiter dans le Sagittaire et Saturne dans le Capricorne. Cette répartition laissa malheureusement cinq constellations sans planète maîtresse, ce qui poussa certains astrologues à assigner un domicile à la Lune et un au Soleil, puis à en assigner deux pour les autres planètes, sous prétexte que celles-ci avaient un domicile de jour et un de nuit. Ces cinq planètes marquent cependant leur préférence pour le domicile qui appartient au luminaire qui est de même sexe qu’elle.
L’astrologie prétend dresser un thème de géniture, c’est-àdire déterminer et interpréter la position qu’occupaient les planètes et le zodiaque à l’heure de la naissance d’un individu. Cette tâche se réalise au moyen d’instruments théoriques particuliers, qui nécessitent d’établir les quatre « centres ». Le premier est le centre « horoscope », qui correspond au signe zodiacal qui s’élève à l’horizon du côté du Levant au moment de la naissance. En opposition diamétrale avec lui, s’établit le centre du « couchant », qui n’est autre que le signe qui se couche de l’autre côté de l’horizon au même instant. S’ajoutent ensuite deux centres, eux aussi en opposition diamétrale l’un avec l’autre, et qui naissent de l’intersection du plan zodiacal avec le plan méridien. Ils se nomment « culmination supérieure » (MC : medium caelum) et « culmination inférieure » (IMC : imum caelum). Les centres forment ainsi une sorte de croix dont chaque branche relie deux signes en opposition diamétrale. Dans le sens du mouvement diurne, les centres se répartissent dans l’ordre suivant : Horoscope, Culmination supérieure, Couchant et Culmination inférieure. Les astrologues déterminent donc, pour chaque individu et selon l’instant de sa naissance, les signes du zodiaque qui occupent les centres et les planètes qui résident à ce moment dans ces signes. Les centres ont des vertus propres et même une énergie spécifique qu’ils transmettent aux signes et aux planètes avec lesquelles ils coïncident. La puissance d’une planète, par exemple, se décuple lorsqu’elle se trouve en un centre. L’Horoscope et la Culmination supérieure sont tenus pour avoir le plus d’effet sur les signes et les planètes qui les occupent.
Établir les centres n’est que la première étape à franchir pour dresser un thème de géniture. La véritable interprétation de l’action des astres sur les périodes de la vie ne commence qu’avec l’établissement des lieux. Il s’agit d’une construction purement théorique, un cadre dans lequel s’insèrent les révolutions zodiacales et planétaires dont on a bloqué le mouvement à un moment précis, celui de la naissance d’un individu. Le système le plus en vogue compte douze lieux. Imaginons que la sphère entière de l’Univers, étoiles fixes incluses, est enveloppée par un autre cercle, immobile celui-là et divisé en douze compartiments de dimensions égales (de 30 degrés). La première case est celle de l’Horoscope ; la quatrième, celle de la Culmination inférieure ; la septième, celle du Couchant ; et la dixième, celle de la Culmination supérieure. Entre chacun de ces centres se répartissent deux cases, pour un total de douze. Chaque case devient un lieu dont la dénomination s’aligne plus ou moins sur les étapes de la vie. Le premier lieu est celui de la « Vie », le deuxième est celui de la « Porte de l’Enfer », le troisième est celui des « Frères et amis » ; les autres lieux étant dans l’ordre les lieux des « Parents », des « Fils », de la « Mauvaise Fortune », des « Noces », de la « Mort », des « Voyages », des « Actions et honneurs », du « Bon Génie » et du « Mauvais Génie ». Muni de cette grille d’analyse fixe et de l’instant de la naissance d’un individu, l’astrologue place les douze signes du zodiaque dans les douze lieux, se basant sur les points de repère que sont les centres, puis il y distribue les sept planètes. L’astrologue peut alors se prononcer sur la vie de son client et faire des pronostics sur son mariage, le nombre de ses enfants, les honneurs qui lui seront échus, et ainsi de suite. Car chacun des lieux est influencé par le signe qu’il contient et, le cas échéant, par le ou les astres qui s’y trouvent. Le calcul des aspects, la prééminence des centres et les « domiciles » entrent aussi en jeu.
Le calcul de l’ascension d’un signe du zodiaque a une grande portée sur la manière de fixer les centres et d’établir un thème de géniture. Les sections précédentes prenaient pour acquise une conception naïve dans laquelle chaque centre est séparé du suivant par quatre-vingt-dix degrés et où chaque lieu fait trente degrés. C’était la façon dont l’astrologie primitive, et même parfois plus avancée, considérait les choses. Mais des observateurs s’aperçurent que certains signes se lèvent plus rapidement au-dessus de l’horizon, alors que d’autres se lèvent plus lentement. Le Bélier, par exemple, monte plus vite que la Vierge. Ce phénomène s’explique par l’obliquité du zodiaque, qui modifie la vitesse angulaire des signes. Il en découle que le thème de la géniture peut rarement partager le zodiaque en quatre quadrants égaux, de manière à ce que l’Horoscope et le Couchant coïncident avec l’horizon, et que les culminations supérieures et inférieures coïncident avec le méridien. La culmination supérieure, par exemple, peut aboutir dans le onzième lieu plutôt que dans le dixième. Il fallut donc trouver une manière de fixer les centres avec précision. Le calcul n’est pas simple et les mathématiciens anciens n’arrivèrent ni à s’entendre ni à déterminer la solution appropriée. Le défi consiste à convertir les degrés d’ascension oblique (par rapport au zodiaque) en degrés d’ascension droite (par rapport à l’équateur). L’obliquité du zodiaque est une donnée fixe, mais l’horizon de l’observateur varie selon la latitude qui est la sienne sur le globe terrestre. Les anciens produisirent une foule de tables d’ascension, distinguant jusqu’à sept « climats » (latitudes). Les chiffres obtenus importent peu. L’essentiel est que les astrologues identifièrent six signes à ascension rapide et six à ascension lente. Le tableau fourni par A. Bouché-Leclercq (p. 269) assigne 21º 40’ d’ascension au Bélier et 38º 20’ à la Vierge, calculés au climat d’Alexandrie. On est loin des astrologues naïfs qui supposent que chaque signe a trente degrés d’ascension et que chacun apparaît en entier au-dessus de l’horizon en deux heures. Quoi qu’il en soit, les tables d’ascension permettaient de fixer les lieux du cercle de la géniture, car une fois que le signe à l’horizon ou au méridien est déterminé, les autres centres sont déduits par opposition diamétrale avec eux.
2. Trigone
4. Sextil
6. Douze lieux