NOTES

1. Dans sa Vie de Plotin (§ 6.22, puis § 24.18), Porphyre donne deux titres différents à ce traité 53 : Qu’est-ce que le vivant ? (Tí tò z ō̂ ion), lorsqu’il énumère les traités selon leur date de rédaction (le traité 53 appartient aux quatre traités dont Porphyre dit qu’ils ont été écrits en Campanie alors qu’il était lui-même en Sicile et que Plotin va bientôt mourir : il s’agit des traités 51 à 54, rédigés durant les années 269 et 270), puis Qu’est-ce que le vivant et qu’est-ce que l’homme ? (Tí tò z ō̂ ion kaì tís ho ánthr ō pos), lorsqu’il décrit le contenu de chacune des six Ennéades entre lesquelles il répartit les cinquante-quatre traités. Ce second titre est plus précis. Nous retenons, comme à notre habitude, le titre qui figure dans la liste « chronologique » des traités.

2. Cette énumération des différentes affections (qui a un équivalent très proche en 26 (III, 6), 3) renvoie le lecteur à la terminologie platonicienne et aristotélicienne, ici mêlée comme si Plotin entendait faire comprendre à son lecteur que sa question porte bien sur la totalité des affections (páth ē) dont les principaux philosophes ont pu traiter. Les termes énumérés désignent donc, par métonymie, toutes les affections ou « passions ». Les textes des prédécesseurs où l’on trouve mention et définition de ces couples de termes (et de la manière dont ces affections « meuvent » l’âme) sont en nombre, selon qu’on se tourne vers Platon (Lois X 897a ; Phédon 83b et 84a ; puis Philèbe 39d et 47d-48d ; République IV 429c-d ; Timée 42a-b et 69d), vers Aristote (De l’âme I 4, 408a-b) ou bien encore vers la psychologie stoïcienne et sa liste des passions (à laquelle est par exemple consacré l’exposé de Diogène Laërce VII 111-114, qui cite Hécaton et Zénon). Toutefois, comme il en va très souvent dans les traités qu’il consacre à l’âme, Plotin paraît s’appuyer avant tout sur l’œuvre d’Alexandre d’Aphrodise. Comme l’a récemment noté C. Marzolo (p. 81-83 du commentaire qui accompagne sa traduction du traité 53), Plotin renvoie en effet probablement son lecteur au traité De l’âme d’Alexandre, et à la manière dont ce dernier définit l’âme comme forme du corps et partie du corps. Nous citons deux longs extraits de ce texte, parce que le traité 53 paraît le mentionner ou le suivre à plusieurs reprises : au chap. 4, où Plotin semble réfuter très explicitement Alexandre, mais aussi bien à la fin du chap. 13, où il semble cette fois lui répondre, avec une certaine ironie, en visant la thèse d’Alexandre selon laquelle l’âme, sans être ni en mouvement ni au repos, est la cause du mouvement du corps.

Alexandre écrit d’abord ceci : « Que l’âme est la forme du corps et non pas une substance par soi, on pourrait le comprendre également à partir des activités de l’âme. Car il n’est pas possible qu’une activité psychique se produise sans un mouvement corporel, comme il ne peut y avoir un mouvement selon des impulsions naturelles sans un mouvement corporel, parce que c’est le corps qui les accomplit grâce à la puissance qui se trouve en lui. Le fait de se nourrir, de croître et d’engendrer un être semblable à soi vient en effet d’une puissance psychique, alors que les activités appartiennent au corps. De plus, l’animal perçoit au moyen d’organes sensoriels, qui sont des corps, et les désirs naissent manifestement d’un corps mis en mouvement, car les appétits, les fureurs et les colères naissent de cette manière dans les animaux. En outre, dans les peurs, il se produit une altération et une contraction du corps. Et même la représentation implique le corps, s’il est vrai qu’elle dépend de la sensation en acte, comme on le démontrera. Et que dans les impulsions ce soit le corps qui est mû, personne ne le niera. Et le fait de penser, s’il n’existe pas sans la représentation, se produira également au moyen du corps. Et s’il est impossible de trouver en l’âme une activité qui n’implique pas un mouvement corporel, il est évident que l’âme est une partie du corps et qu’elle en est inséparable » (12.7-22). Puis il ajoute plus loin : « C’est pourquoi il est plus vrai de dire que l’âme n’est par soi ni en mouvement ni en repos, mais que le vivant accomplit chacune de ces deux choses grâce à elle. En effet, de même que nous ne disons pas que c’est l’âme qui se promène, qui voit ou qui entend, mais bien que c’est l’homme en vertu de son âme, de même aussi, c’est l’homme qui accomplit toutes les autres activités et mouvements en tant qu’il est animé et qu’il est un homme ; ce n’est pas l’âme qui agit et qui est en mouvement, même si nous avons souvent tendance à le dire, parce que nous ne connaissons pas aussi bien le corps qui est mû lors de semblables activités. Mais dans ces activités également, c’est le vivant, à savoir l’homme, qui agit par son âme, laquelle fait de lui un homme. C’est en effet par son âme que l’homme se réjouit, a de la peine, se met en colère, a peur, aime, hait, apprend, pense, se ressouvient et se rappelle : il peut faire tout cela, parce qu’il possède une forme de ce genre et une telle perfection » (23.6-18 ; trad. R. Dufour : Alexandre d’Aphrodise, De l’âme, introduction, texte grec, traduction et commentaire par R. Dufour et M. Bergeron, Paris, Vrin, 2008). Ces citations font apercevoir l’importance décisive qu’occupent dans le traité 53 la lecture et la critique du traité d’Alexandre.

3. Ou « qui se sert d’un corps ». L’hypothèse est celle de l’Alcibiade de Platon 129e-130d, qui définit l’homme comme l’âme et soutient que l’âme est ce qui se sert du corps. Plotin va examiner cette définition pour la réfuter dans le chap. 3. La « tradition de l’Alcibiade », c’est-à-dire l’histoire philosophique de la définition de l’homme comme âme (faisant usage du corps) est l’objet de l’étude de J. Pépin, Idées grecques sur l’homme et sur Dieu, p. 55-203.

4. Les affections peuvent donc être attribuées à trois sujets distincts : 1. à l’âme elle-même ; 2. à l’âme pour autant qu’elle se sert du corps, qu’elle en fait usage ; 3. au mélange que forment l’âme et le corps. Ces trois possibilités donnent leur plan aux chapitres 2 à 4, qui vont les examiner pour les réfuter toutes. Encore faut-il choisir entre deux variantes de la troisième possibilité, puisque Plotin demande que l’on distingue l’hypothèse selon laquelle le sujet des affections serait le mélange lui-même, de l’hypothèse selon laquelle le sujet serait une autre réalité, issue du mélange. Nous avons donc quatre possibilités, quatre sujets possibles des affections, qui chacun correspond à ce qu’ont proposé une ou plusieurs doctrines philosophiques. L’hypothèse selon laquelle l’âme elle-même serait le sujet des passions est avant tout une thèse stoïcienne, mais que l’on pourrait également imputer à Aristote, voire à Platon. Les stoïciens, qui définissent l’âme comme une réalité corporelle, en font bien le sujet des « passions ». Il est dans la nature de l’âme, telle que la conçoivent les stoïciens, d’être « pathétique », comme l’a rappelé et dénoncé le traité 26. Cette même thèse pourrait être toutefois également imputée aux aristotéliciens, qui attribuent des affections à l’âme et qui expliquent à la suite d’Aristote que la sensation est une affection de l’âme (De l’âme III 8, par exemple), et même aux platoniciens qui retiennent du Philèbe qu’il existe des plaisirs purs, propres à l’âme et conformes à sa nature (Philèbe 50e-53c, Plotin y revient dans la dernière phrase du chap. 2). On a donc là une thèse, celle qui prononce qu’il est dans la nature ou la réalité de l’âme d’être affectée et passible, que l’on peut imputer à différentes doctrines mais que Plotin entend rejeter absolument.

6. Où l’on voit de nouveau que la question de la sensation est proprement générique dans la mesure où elle entraîne à sa suite la question de l’ensemble des facultés et opérations psychiques. Selon la manière dont on définit la sensation, ce sont à sa suite le jugement, l’opinion, la pensée et même l’intellection, qui se trouveront définis de façon différente. La définition de chacune de ces opérations psychiques est en effet tributaire de la conception que se font les philosophes des rapports que l’âme entretient avec le corps, et de la manière dont elle dépend de lui ou non, pour les exercer. L’opinion est en effet traditionnellement définie comme un jugement porté sur les données de la sensation, et la question peut être ensuite posée de la dépendance éventuelle de la pensée sur ces mêmes données. C’est ainsi la sensation comme éventuelle condition de possibilité des autres opérations psychiques qui est examinée, en des termes semblables à ceux du début du traité 26 (III, 6), 1, 1-14 (voir les notes de J. Laurent). La question de savoir (ce) qui conduit un examen recevra une réponse, à terme, dans les deux premières lignes du chap. 13.

7. Le chapitre 7 va revenir sur cette distinction entre la sensation et l’affection. Dans l’ordre de la perception des objets externes, des objets « sensibles », la sensation est première. Si du moins on la considère comme rencontre entre les organes sensoriels et un objet externe (car le sens du terme aísth ē sis peut être plus vaste et embrasser d’autres aspects du processus de la perception sensible). Le corps est affecté par la perception sensorielle, et ces affections sont des « impressions », des páth ē. Il y a impression lorsque le stimulus sensoriel est perçu. Comme le chapitre 7 y reviendra, la perception des impressions corporelles suppose donc déjà une forme de perception et d’activité psychiques.

8. La question que pose Plotin et la définition de l’âme comme composé ne sont compréhensibles que reconduites au texte aristotélicien sur lequel Plotin s’appuie pour affirmer que si une chose et l’être de cette chose sont distincts, c’est que cette chose est un composé sensible susceptible d’être affecté. Plotin cite ici la Métaphysique, dont le livre H affirme que « l’âme et l’être de l’âme sont une seule et même chose » (chap. 3, 1043b2). Il n’en va pas de même en revanche des êtres vivants, de l’homme par exemple, puisque, selon Aristote, la réalité naturelle est un composé de matière et de forme. C’est ce que rappelle Alexandre d’Aphrodise dans son De l’âme, notamment en 3.24-25, puis 7.6-7, et surtout en 10.1-9, où il donne cette définition du vivant, dont il est probable que Plotin la connaît et la commente ici : « Ces distinctions étant donc admises et établies, je crois que personne ne contestera l’idée que le vivant est lui aussi un corps naturel et composé, puisqu’il est constitué d’une âme et d’un corps. Et si, en étant un corps, il tient de ces composants son existence et que tout corps est composé d’une matière et d’une forme, il est évident que, parmi ces composants du vivant, l’un sera sa matière ; l’autre, sa forme. Ainsi, en se basant sur ce que l’on a dit des plantes, il est évident que son âme est sa forme. On peut néanmoins l’apprendre de ce qu’on a dit au début de notre argumentation, car on a établi que chaque chose tire sa quiddité de sa forme et de sa perfection. Et pour le vivant, sa quiddité réside dans une âme d’une nature déterminée, car son âme est sensitive » (trad. R. Dufour) ; Alexandre se propose de distinguer de la sorte les « animaux » des autres êtres vivants. Les éditeurs (H.-S.) renvoient le plus souvent ces remarques de Plotin au texte d’Aristote qu’il cite explicitement et à l’argument de Métaphysique H, 3, 1043b, qui rappelle d’abord que le même nom, pour une réalité sensible, désigne à la fois ce qu’est la chose composée, dans sa matérialité particulière, et la forme de sa chose, qui est sa définition et sa détermination (la « maison » nomme tel abri composé de tels matériaux, mais elle nomme aussi la définition et la forme de l’abri), puis qui explique donc que, là où l’âme et l’être de l’âme sont une seule et même chose (l’âme n’est pas un composé, elle est acte et forme), il n’en va pas de même pour l’homme et l’être de l’homme, qui sont distincts (le composé d’un côté, la forme de l’autre). Si le texte d’Aristote est bien le prétexte de la distinction, il est probable que Plotin la lit à travers la définition qu’Alexandre donne de l’âme et du vivant dans son traité. Notamment lorsqu’il rappelle ceci : « Mais il ne pourrait y avoir dans l’âme un mélange et une mixtion d’aucune chose différente de l’âme, car l’âme deviendrait cette chose et ne resterait pas une âme. En fait, l’âme est identique aux êtres au sens où elle est la puissance qui peut recevoir leurs formes par la pensée ou par la sensation. Car c’est en cela que réside l’être d’une telle âme » (92.8-11, trad. R. Dufour). En outre, cette distinction de l’être de l’âme et de l’âme particulière est courante dans les traités plotiniens. Elle est notamment examinée dans le traité 22 (VI, 4), 13-15. Les notes qui suivent y reviennent.

9. La disposition (diáthesis) et l’état (héxis) sont distingués selon l’usage qu’en fait Aristote (Catégorie 8) ; selon Aristote, l’état est plus stable que la disposition. Voir 42 (VI, 1), 11, et l’ensemble des explications de J.-M. Flamand, dans le volume Traités 45-50, n. 147, p. 471-472.

10. Que l’âme soit une forme est la conséquence qu’il faut tirer, avec Aristote, du fait qu’elle n’est pas identique au composé. Une réalité, selon Plotin, est définie par l’activité qui lui est propre. Si les activités sensorielles ne sont pas son fait, alors l’âme ne saurait être définie par elles. C’est ce qu’a rappelé le traité 52 (II, 3), chap. 15, 17-28, où Plotin a déjà expliqué, de façon négative, qu’il faut distinguer entre les puissances et les activités de l’âme, d’une part, et celles du composé, de l’autre. Il poursuit ici son enquête, de manière positive cette fois, en rappelant que l’âme, stricto sensu, ne descend pas dans les corps (6 (IV, 8), 8, 1-4 ; 27 (IV, 3), 12, 1-5), mais leur confère la puissance au moyen de laquelle ils vont recevoir et employer des puissances psychiques. Le même propos est souvent exposé dans les traités. Il l’a été notamment avec précision en 22 (VI, 4), 14, où Plotin désigne l’âme comme une réalité unique et universelle, qui contient cet intelligible qu’est « l’homme de là-bas », distincte du composé vivant particulier qui va recevoir de l’âme, selon son aptitude, une « trace » de l’âme. Sur la définition de l’homme (de « l’homme de là-bas » comme de « l’homme d’ici-bas »), voir 38 (VI, 7), 4-5 et les notes de F. Fronterotta. L’activité propre de l’âme est la contemplation ; entre autres développements, voir 30 (III, 8), 5-6.

11. Il s’agit d’une nouvelle conséquence de ce qui précède : si l’âme est le sujet des affections, alors elle est identique au composé. Si elle en est différente, elle possède une réalité, c’est-à-dire une activité propre. Elle n’est donc pas affectée. Elle est impassible. Et qu’elle soit impassible implique qu’elle soit incorruptible et immortelle. Plotin l’avait semblablement expliqué en 26 (III, 6), 1, 25-30.

12. Plotin rappelle ici, de manière générale, l’une des principales leçons de sa doctrine : les principes que sont l’Un, l’Intellect et l’âme ne sauraient être affectés par ce qu’ils engendrent et qui procède d’eux. Un principe, parce qu’il en est issu et qu’il en est l’acte second, est déterminé par cela seul dont il procède et selon la manière dont il (le conçoit et) le reçoit. Aussi, tout comme l’Intellect est selon ce qu’il reçoit de la puissance surabondante de l’Un, de même l’âme n’est-elle déterminée que selon la manière dont elle se rapporte à l’Intellect. Le rapport avec le principe antérieur et supérieur est la seule forme de détermination extérieure qu’admet Plotin. Le lien entre une réalité et son principe n’est du reste pas d’absolue extériorité, comme il le rappelle ici, parce que la réalité n’est pas absolument séparée de son principe, elle n’en est pas « coupée », et qu’en se rapportant à ce qui la précède et l’a engendrée, elle se rapporte toujours à soi comme à ce qu’elle a de plus propre. On trouve de très nombreuses mentions de cette continuité, sans coupure, en 9 (VI, 9), 9, 8, en 27 (IV, 3), 9, 30 ; ou encore en 33 (II, 9), 16, 12 ; la formule la plus claire de ce principe se trouve en 11 (V, 2), 1, 22 : « rien n’est séparé ni coupé de ce qui le précède ». Que l’âme, plus particulièrement, ne soit pas coupée de ce qui la précède, est une affirmation également récurrente. Plotin l’avait affirmé de manière élaborée dès le traité 6, en expliquant que l’âme était d’autant moins séparée de l’intelligible qu’une « partie » d’elle-même, non descendue, s’y trouve toujours (6 (IV, 8), 4).

13. L’audace (thárros) figure dans la liste des affections de la première phrase du traité. Elle est une forme réfléchie de courage, dont le traité 33 (II, 9), 14 avait souligné la valeur éthique et philosophique. Elle est l’une des passions fondamentales qu’examine le livre II de la Rhétorique d’Aristote (5, 1383a-b).

14. Le plaisir corporel est conçu, traditionnellement, comme une forme de « remplissage » d’un vide, une « réplétion » (pl ḗ r ō sis). C’est ainsi que le plaisir attaché au corps est défini par Platon dans le Philèbe (31e-32b, ou encore, par exemple, dans le Gorgias 494e-505b et dans le livre IX de la République), et Aristote reprend cette idée dans l’examen du plaisir que propose l’Éthique à Nicomaque (livres VII et X).

15. Le terme de mélange (míxis) est introduit soudainement. La mention en est toutefois aisément compréhensible pour peu que l’on rappelle que le mélange est au cœur de la définition stoïcienne de l’âme comme corps, comme du rapport de l’âme et du corps : voir de nouveau 2 (IV, 7), 82 et les références données en note, ainsi que l’ensemble du traité 37 (II, 7), consacré à la réfutation du « mélange total » stoïcien. La question du mélange est semblablement traitée par Alexandre dans le De l’âme 92.8-11, cité, supra, dans la n. 8. Alexandre écarte l’hypothèse selon laquelle la nature de l’âme consisterait en un mélange d’autre chose qu’elle-même. Plotin en fait de même, en employant l. 19 le terme ousi ō̂ des (rendu par « qui existe réellement »), qu’il avait déjà employé pour distinguer le mode d’existence du composé de matière et de forme de la forme véritable qui produit la réalité (44 (VI, 3), 3, 12-16). Ce qui existe réellement, c’est la réalité intelligible.

17. La simplicité (« simple dans sa réalité » rend aploûn en ousíai) et le fait de se suffire à soi-même (nous rendons ainsi l’adjectif autárk ē s) caractérisent les réalités principielles (le Premier principe est ainsi ce qui est le plus simple et ce qui se suffit le plus à soi-même : 7 (V, 4), 1, 12 ; quand bien même il est au-delà de l’autosuffisance : 49 (V, 3), 17, 14). Sur cette « autarcie », voir 9 (VI, 9), 6, 15-25 et 38 (VI, 7), 33, 23, ainsi que les notes de F. Fronterotta. Dans le volume des Traités 7-21, voir les notes 98 et 101, p. 114-115, ainsi que l’étude de L.-A. Dorion, « Autarcie et métaphysique chez les Grecs ». Au sens strict, l’âme ne se suffit pas à elle-même, puisqu’elle est tributaire du principe qui l’a engendrée (l’Intellect). Mais elle n’en demeure pas moins cause de sa propre réalité et n’est en rien tributaire de ce qui est différent d’elle et qu’elle produit : les corps. Par rapport à eux et à leur différence, l’âme est alors une réalité qui se suffit à elle-même. Voir 2 (IV, 7), 11 et 12, qui établit déjà l’immortalité et la simplicité de l’âme.

18. En disant de la sensation qu’elle est la « réception d’une forme », Plotin fait allusion à la définition de la sensation qu’on trouve dans le De l’âme d’Aristote, en II 12, 424a18 (« Mais de toute sensation, en général, on doit concevoir l’idée que le sens constitue ce qui est propre à recevoir les formes sensibles sans la matière », trad. R. Bodéüs, qui rend aísth ē sis par « sens » ici, au motif qu’Aristote désigne le sens comme faculté et non pas les organes sensoriels). Ainsi la sensation est soit réception de la forme de l’objet externe perçu (et non pas de sa matière, ce qu’Aristote avait bien dit), soit réception d’une affection interne du corps. Ces deux possibilités sont également deux aspects ou deux étapes de la sensation (la réception de la forme de l’objet et des affections qu’il produit éventuellement sur le corps). Comme Plotin l’a expliqué en 2 (IV, 7), 6 ou encore et très explicitement en 27 (IV, 3), 26, la sensation est soit réception des impressions corporelles, c’est-à-dire des modifications du corps, soit perception de la détermination formelle, c’est-à-dire perception du jugement issu des données des sens. Voir les explications de L. Brisson dans la Notice des Traités 27-29, p. 40-41, puis 48-51. Ici, le chap. 7 va donner des éclaircissements : voir, infra, la n. 48 et 54. La fin de la phrase a fait l’objet de corrections textuelles. Les manuscrits donnent apathoûs, que les éditeurs ont presque tous corrigé en kaì páthous. Le texte des manuscrits donnerait en effet au propos un sens difficile à comprendre (celui que traduisait toutefois Ficin : « Sensus enim vel speciei vel impatibilis corporis perceptio est ») : la sensation serait soit perception de la forme, soit perception de corps impassibles.

19. Comme l’annonçait le chap. 1, la question de la sensation appelle celle des autres opérations de l’âme. L’opinion, qui est un jugement porté sur les données de la sensation, est donc tributaire de cette dernière. La question se pose donc désormais de l’intellection et du plaisir pur, dont on se demande s’ils appartiennent à l’âme en propre ou bien s’ils sont le fait du composé. La mention du plaisir pur est empruntée au Philèbe, dans lequel Platon explique qu’il existe des plaisirs mélangés (mélangés de plaisir et de douleur), mais également des plaisirs « vrais » et purs de toute douleur (51a-e). Platon en donne notamment pour exemple la perception d’un beau raisonnement, d’un beau son ou d’une belle figure, et il définit cette sorte de plaisirs comme embrassant « tout ce qui donne lieu à des réplétions qui sont sensibles, plaisantes et pures de toute douleur » (51b, trad. de J.-F. Pradeau dans cette même collection). Le plaisir pur qu’évoque Platon est donc bien tributaire, encore, de la sensation. La question que se pose Plotin est celle de savoir si l’âme « seule », c’est-à-dire séparée du corps et indépendamment de la sensation, éprouve ou non des plaisirs. Plotin y revient chap. 4 et à la fin du chap. 5. Voir, infra, les n. 36-38.

20. Citation du Phèdre de Platon, 246c5 (z ō̂ ion tò xúmpan ek ḗ th ē), extraite du mythe de l’attelage ailé qui donne une représentation de l’ascension ou de la chute de l’âme, depuis les hauteurs célestes jusqu’aux corps. Il s’agit donc pour Plotin de renvoyer son lecteur à un texte qui démontre le caractère immortel et incorporel de l’âme.

21. Voir la discussion du chap. 8 du traité 2 (IV, 7), qui avait déjà montré, à l’encontre de la définition stoïcienne de l’âme, que cette dernière n’est pas homogène à ce dont elle fait usage. La définition du corps comme instrument (órganon) de l’âme remonte à l’Alcibiade de Platon. Toutefois, et c’est la raison pour laquelle Plotin ne la lui attribue pas nommément, elle est relativement courante et commune dans la tradition philosophique (peut-être remonte-t-elle à Démocrite ; elle est, après Platon, adoptée par Aristote ; voir, par exemple, Éthique à Nicomaque VIII 13 ou Parties des animaux I 1).

22. Il s’agit donc de la situation où le corps est malade et où l’âme en prend soin. Voir 28 (IV, 4), 19.

23. Cet exemple d’une affection identique et partagée est récurrent dans les traités, qui le mentionnent le plus souvent au titre d’indice de l’existence d’une sympathie psychique universelle. Plotin l’avait employé en outre dans le traité 8 (IV, 9), 2, en évoquant alors les rapports de l’âme et du corps et en cherchant à démontrer que seuls les corps sont réellement divisibles et distincts les uns des autres, quand l’âme, pour sa part, demeure par nature une réalité indivisible. L’âme est une et indivisible, et si deux individus ont des affections spécifiques, qu’ils ne partagent pas, c’est parce que le composé individuel d’âme et de corps spécifie et détermine individuellement le rapport de l’âme avec tel ou tel corps particulier. Voilà la raison pour laquelle deux individus humains, c’est-à-dire deux composés distincts, n’éprouvent pas les mêmes affections. Cet argument est une objection adressée à Aristote (De l’âme, I, 3) comme aux stoïciens, qui ne séparent pas de manière tranchée la nature corporelle et la nature psychique. Parce qu’il entend au contraire établir fermement la différence des deux natures, et qu’il veut préserver l’âme de toute affection par le corps, Plotin se retrouve dans l’obligation d’expliquer que l’âme ne reçoit rien du corps. La comparaison avec le rapport instrumental (et la distinction entre un outil et celui qui s’en sert) est un moyen opportun d’illustrer cette séparation. Que l’usager ne reçoive rien de son outil n’interdit en revanche pas qu’il soit gêné, voire modifié ou accablé, par l’usage qu’il en fait.

24. L’entrelacement (qui rend le verbe diaplékein) est le terme que Platon emploie dans le Timée, 36e2, pour désigner la façon dont le démiurge divin fabrique le monde en entrelaçant tout ce qui est corporel dans les mouvements de l’âme. Ici, dans cette énumération, Plotin fait se succéder les principales conceptions philosophiques des rapports de l’âme et du corps, en évoquant donc le mélange stoïcien, l’entrelacement platonicien ou encore la doctrine aristotélicienne de l’âme comme forme (distincte mais non pas séparée) du corps. La présence de l’âme dans le corps comme un pilote en son navire est une image courante. On la trouve sous des formes semblables chez Platon (Phédon 113d5 ; Politique 272e-273e ; Critias 109c), mais surtout et explicitement chez Aristote, qui mentionne cette analogie de manière interrogative (« Cependant, on ne voit pas encore si l’âme est réalisation du corps, en ayant avec lui la relation du navigateur à son navire », De l’âme II 1, 413a8-9, trad. R. Bodéüs). Plotin réfute longuement cette analogie en 27 (IV, 3), 21. Il suit alors (voir les textes cités dans les notes de L. Brisson) la critique qu’en fait Alexandre (De l’âme 15.9-28, que Plotin paraît avoir sous les yeux tant il en est proche ici).

26. Cette dernière hypothèse de rapport possible entre l’âme et le corps est la suivante : l’âme compterait deux parties, dont l’une serait séparée du corps, et l’autre mélangée avec lui. Une partie resterait intelligible, quand l’autre œuvrerait dans le corps. C’est une hypothèse qui ressemble certes un peu à celle que défend Plotin, lorsqu’il distingue entre la partie non descendue de l’âme et celle qui descend dans les corps, de sorte qu’on a là l’hypothèse la plus recevable parmi celles qui viennent d’être évoquées. Elle ne correspond toutefois pas, comme la suite du traité va le rappeler, à la manière dont, selon Plotin, seule une certaine image et puissance de l’âme se porte au niveau des corps. Voir toutefois la distinction très semblable que donne le chap. 5 du traité 38 (VI, 7).

27. Comme il l’a souvent fait dans les traités, (et notamment dès le traité 2 (IV, 7), 6-83), Plotin s’en prend ici à la définition stoïcienne de l’âme comme une réalité corporelle (voir tout particulièrement l’argument parent du chapitre 8). Les stoïciens pensent le rapport de l’âme et du corps comme un mélange de deux réalités homogènes. Plotin objecte que l’âme est antérieure au corps, qu’elle est sa cause et qu’elle est d’une autre nature que lui. Le vocabulaire platonicien du pire et du meilleur en nous (par exemple, Lois I 626c-627b) est repris ici pour rappeler que l’homme est une multiplicité hétérogène, et qu’il y a, par nature, du meilleur et du pire en lui (voir 22 (VI, 4), 15 et les notes ad loc. de R. Dufour).

28. Le mélange de l’âme et du corps est une absurdité logique, si du moins les deux réalités sont hétérogènes, comme le soutient Plotin. Comme Igal l’a noté, l’exemple du blanc et de la ligne (qui ne peuvent se transformer l’un dans l’autre) est probablement emprunté à Aristote, Génération et corruption I 7, 323b.

29. Le sens de la remarque est que l’âme, si elle peut être comparée à la lumière, est susceptible de parcourir tout le corps bien plus entièrement que ne saurait le faire la lumière « sensible ». Sur la lumière de l’âme et la façon dont elle illumine les corps, voir 28 (IV, 4), 22 et 38 (VI, 7), 21-22 et 41.

31. L’exemple est emprunté à Aristote (qui l’emploie notamment dans son traité De l’âme, II, 1, 412b12) ; Plotin le cite plusieurs fois (voir, par exemple, en dernier lieu, 51 (I, 8), 8, 13).

32. Plotin précise que le corps du vivant n’est pas n’importe quel corps. Cette précision est faite en langage aristotélicien, puisque les trois caractéristiques sont empruntées à Aristote, qui explique en effet dans son traité De l’âme que l’âme est la « réalité » (ou la « substance », ousía) d’un corps dans la mesure où elle est sa forme. Non pas la forme de n’importe quel corps, mais bien d’un « corps naturel », « pourvu d’organes » et qui « a potentiellement la vie » (De l’âme II 1, 412a19-b6). Ce rappel aristotélicien permet à Plotin de souligner que l’âme n’est pas à proprement parler le sujet des mouvements affectifs, pas même selon les aristotéliciens. Les affections ne sont donc pas les affections de l’âme, mais celles du vivant. De nouveau et plus encore que le traité De l’âme d’Aristote, c’est davantage le De l’âme d’Alexandre que Plotin paraît suivre (en adoptant le cours de l’argument des chap. 14-17 et le rappel des définitions aristotéliciennes du corps et de l’âme que propose Alexandre).

33. Aristote explique en effet que, si l’âme est bien concernée par les affections qui sont des sortes de mouvements, ce n’est pas au sens où elle accomplirait elle-même les mouvements ou les actes (comme si elle tissait ou comme si elle bâtissait), mais au sens où elle est soit le point de départ, soit le point d’arrivée des mouvements que sont les affections (I 4, 408b).

34. Plotin écrit simplement « soit comme étant le commun » ; nous explicitons ce que le commun désigne, en l’occurrence la réunion de l’âme et du corps. « Le commun » rend l’expression tò koinón. Pour désigner le « composé » qu’est le vivant, Plotin emploie le terme sunamphóteron (dans ce chapitre, par exemple, aux lignes 8 et 16), qui désigne littéralement le fait de tenir deux choses ensemble, de les assembler ou de les accoupler. Dans la mesure du possible, nous rendons différemment koinón (commun, communauté) et sunamphóteron (composé), mais la distinction des deux termes n’est pas si tranchée dans le vocabulaire de Plotin, qui peut les employer tous deux pour désigner le vivant. Voir, au chap. 9, les lignes 3 et 26, et, infra, la note 76. Pour un usage semblable du même vocabulaire, parmi d’autres passages, voir les définitions du traité 27 (IV, 3), 26.

36. Plotin fait allusion ici au parcours de la sensation, dont le mécanisme reste très proche de celui qu’expose Platon dans le Timée et le Philèbe. En bref, l’objet externe affecte l’organisme (les organes sensoriels), et cette affection est perçue à son tour (elle ne l’est pas nécessairement, puisque certaines affections restent « insensibles » : voir 8 (IV, 9), 2). Cette perception de l’affection est ce que l’on nomme en propre « sensation ». La sensation est un jugement que l’âme porte sur les modifications et affections du corps, telles qu’elle les perçoit, telles qu’elles lui « parviennent ». C’est ce qu’exposent avec précision les traités 27 à 29 : voir ici 27 (IV, 3), 28, puis 28 (IV, 4), 17 et surtout 19. Le processus de la sensation présuppose ainsi une forme de transmission de proche en proche (une diádosis ; voir 2 (IV, 7) 6-7 ou encore 27 (IV, 3), 28), mais elle suppose également une forme d’hétérogénéité des données transmises, puisque les affections corporelles (la modification des organes) n’est pas du même genre que le jugement de l’âme. De sorte que ce qui est transmis, ce ne sont pas des modifications corporelles. La difficulté est reprise plus loin ; voir, infra, n. 46.

37. Comme on le rappelle dans la note précédente, la sensation exige une forme de continuité, pour que l’affection du corps soit perçue, c’est-à-dire « sentie » par l’âme. Voir de nouveau 2 (IV, 7), 6-7, qui propose une critique de la doctrine stoïcienne de la sensation et lui oppose la thèse selon laquelle l’objet véritable de ce jugement psychique qu’est la sensation n’est pas un corps. S’il y a bien une diádosis, une transmission de l’affection, celle-ci n’est pas, comme le tiennent les stoïciens, une transmission de modifications corporelles. Faute de cette précision, le processus qui conduit à la sensation resterait incompréhensible.

38. Plotin s’appuie sur le Philèbe de Platon, auquel il renvoie son lecteur pour justifier le fait que la douleur sentie est une opinion que l’âme se forge sur l’état du corps. La modification du corps (du fait par exemple d’une plaie ou d’un choc) n’est pas en elle-même une douleur : la douleur est le jugement que porte l’âme sur ce qu’elle perçoit de la modification de l’état du corps. Voir Philèbe 31d-e et 37d-38b, puis l’explication de la douleur (et de la sensation) que propose Plotin en 28 (IV, 4), 18-20, en expliquant notamment que « la sensation elle-même n’est pas douleur, mais connaissance de la douleur » (chap. 19). Voir enfin 26 (III, 6), 3-4.

40. La faculté désirante, le désir, est l’órexis ; l’élément psychique désirant est l’orektikón (les deux termes sont employés ici). Plotin l’examine notamment dans le traité 27 (IV, 3) ; voir particulièrement les chap. 26 et 28, ainsi que les notes de L. Brisson et les références bibliographiques.

41. Plotin fait allusion aux considérations introductives du traité De l’âme où Aristote explique qu’une même affection peut être expliquée du point de vue de l’âme comme du point de vue des mouvements corporels en quoi elle consiste : la colère est ainsi, du point de vue psychique, le désir de rendre le mal pour le mal, quand, du point de vue organique, elle est une forme d’ébullition du sang qui entoure le cœur (De l’âme I 1). Plotin en donne une explication en 28 (IV, 4), 28.

42. La traduction explicite ce que le texte désigne implicitement en ne parlant que des « puissances » (dunámeis). Plotin énonce ici une thèse, après avoir réfuté les trois réponses qu’il a examinées, et rappelé ce qu’est un vivant. En l’occurrence, il rappelle que le vivant n’est pas un mélange ou un entrelacement de l’âme et du corps, mais de quelque chose de psychique et du corps. L’élément psychique qui est lié au corps est en effet une puissance (qui se spécifie en « puissances » ou « facultés ») inférieure de l’âme, une « lumière » ou « trace » d’elle qui descend jusqu’au corps, les informe et leur donne la vie. Voir, supra, les références indiquées dans les notes 10 et 26. Nous employons ici « puissance » pour rendre le terme de dúnamis, auquel nous avons pourtant donné le plus souvent pour équivalent « faculté ». Lorsqu’il est question des « puissances » de l’âme, nous optons en effet pour faculté, qui est plus explicite (c’est le choix que nous avons retenu dans les traités qui, comme l’ensemble formé par les traités 27 à 29, évoquent avec précision le statut des différentes facultés de l’âme : végétative, nutritive, désirante, représentative, rationnelle, etc.). Lorsque Plotin parle en revanche de la dúnamis de l’âme, de manière plus générale, pour désigner par exemple ce que l’âme donne au corps, nous avons opté pour l’équivalent de « puissance ».

43. Aux lignes 5, ici, puis 7 et 9, Plotin n’emploie pas le substantif z ōḗ, la vie, mais tò z ē̂ n, que nous rendons soit par « la vie », soit dans la phrase qui suit par « le fait de vivre ». La nuance n’est pas décisive, mais elle souligne donc que le terme z ē̂ n désigne plus exactement le fait de vivre pour le composé, quand la vie à proprement parler est identifiée à l’âme. On trouve une semblable nuance dans le De l’âme d’Alexandre, voir par exemple 16.13 et 29.4-5.

44. Plotin donne ici une réponse doctrinale ferme à la plupart des apories qui précèdent. Le début du chap. 2 (l. 6-7) avait déjà expliqué que « l’âme est une forme qui ne reçoit pas toutes ces activités qu’elle confère à un autre qu’elle ». Autrement dit, et c’est l’argument qu’il fait valoir ici, l’âme peut très bien donner au composé une puissance ou faculté sensitive, sans posséder elle-même une sensation semblable à celle qui anime le composé vivant. La thèse a une valeur générale : si le composé qu’est le vivant peut accomplir certaines activités, cela n’est possible que parce qu’il est animé, c’est-à-dire qu’il reçoit de l’âme une aptitude (à percevoir, à accomplir telle ou telle activité). L’âme lui a donné des « puissances ». En revanche, cela n’implique nullement que l’âme elle-même possède ou exerce ce qu’elle a donné au corps. Cela explique enfin, en dépit de leur différence et de leur hétérogénéité, comment l’âme peut être la cause d’opérations ou d’activités qui ne sont pourtant pas les siennes. Elle est la cause de facultés, de puissances, qui sont en autre chose qu’elle. Elle mène bien, comme le dira plus loin le chap. 13, deux vies.

45. En l’occurrence, à l’organisme vivant qu’est le composé. Plotin a ainsi distingué la puissance de l’âme, « la faculté de sentir » par exemple, de ce qui sent parce qu’il en reçoit de l’âme la puissance (le composé). Voilà qui n’est possible que parce que le composé vivant est déjà un produit de l’âme, et qu’il a déjà de ce fait reçu quelque chose de l’âme. Voir notamment 28 (IV, 4), 13 et 33 (II, 9), 2-3.

46. Plotin en revient à la difficulté liée à la transmission des impressions corporelles jusqu’à l’âme (voir, supra, n. 36). Si l’on écarte l’hypothèse stoïcienne d’une transmission corporelle des impressions, on peut retenir celle, platonicienne, de la transmission d’un mouvement (comme la défendent le Philèbe 33d-34a, et plus particulièrement 34a4-5, que Plotin cite presque littéralement ici, puis le Timée 61c-69a). Plotin ne va pourtant pas la retenir. C’est du reste l’un des rares points de rupture assumés avec la doctrine platonicienne que de refuser que l’âme puisse être désignée ainsi comme un ensemble de mouvements tributaires des mouvements corporels. S’il en allait ainsi, alors l’âme serait homogène au corps, et elle serait surtout passible.

48. C’est le deuxième terme d’une alternative dont le premier terme figurait l. 10 : soit la sensation est un mouvement qui va du corps à l’âme, soit elle n’est pas un mouvement. Si la sensation ne se meut pas en parcourant de proche en proche le chemin qui va de la partie du corps qui est affectée jusqu’à l’âme, comme le supposent aussi bien les stoïciens que les platoniciens, alors on ne paraît plus en mesure d’expliquer la sensation. Il faut bien que, d’une manière ou d’une autre, la modification organique parvienne à l’âme et « traverse » le composé. Ou pour le dire autrement, il faut qu’une forme de continuité existe entre l’âme et le corps. Plotin la rejette (voir, supra, n. 46), au motif qu’une telle continuité suppose d’une manière ou d’une autre que le corps et l’âme soient homogènes, au moins partiellement, et qu’ils se tiennent, pour ainsi dire, à un même niveau de réalité. Or il n’en est rien. L’âme n’est pas en continuité avec le corps, pas plus qu’elle n’est en tant que telle dans le corps. Comme va l’expliquer le chap. 7, c’est une certaine puissance d’elle-même, une « lumière », qui se tient dans les corps. De telle sorte que l’âme perçoit dans les corps sa propre image et sa propre puissance, sans être en contact avec lui.

49. Ici, sans supposer que le verbe « être » est sous-entendu par Plotin (comme le croit et le traduit Bréhier, parmi d’autres), nous supposons plutôt une reprise implicite du verbe « sentir », employé aux l. 13 et 14 (aisth ḗ setai).

50. Nous supposons de nouveau que le verbe « sentir » est implicitement appelé (voir la note qui précède), et que de présupposer le verbe « être » ne convient pas.

51. Nous traduisons en explicitant quelque peu ce que le texte grec dit de manière plus elliptique. On a là pourtant une thèse majeure du traité, qui selon Plotin doit dissiper la plupart des difficultés liées au statut du composé et de la sensation : le composé n’est pas, stricto sensu, l’union de l’âme et du corps. Il est le composé du corps et d’une puissance issue de l’âme, que Plotin désigne donc comme une « lumière » (le chap. 4, 14-16, l’avait déjà indiqué). La « présence » (la parousía ; le verbe employé ici est pareînai) de l’âme dans le corps ne signifie donc pas qu’elle s’y trouve comme en un lieu (elle n’a pas besoin de lieu et ce n’est que la dernière de ses puissances qui s’avance dans les corps, avaient déjà expliqué 2 (IV, 7), 13 et 4 (IV, 2), 1). Cette présence de l’âme a été examinée avec précision dans le traité 28 (IV, 4), 18, dans des termes identiques à ceux que l’on trouve ici.

52. Le corps dont il est question ici est celui qui a été mentionné chap. 4, 24 : il s’agit de l’organisme d’un vivant particulier, animal ou végétal, doté d’une individualité propre et de ce fait déjà qualifié ou « déterminé ». Plotin le désigne en des termes aristotéliciens, comme il l’a notamment fait en 28 (IV, 8), 18, avec davantage de détails (voir les notes de L. Brisson à ce chapitre). Plotin a recours alors à l’expression aristotélicienne de toiónde s ō̂ ma (Aristote, De l’âme II 1, 412 27-28 et 412b5-6), en des termes qui sont strictement équivalents à ceux que le traité 53 reprend ici de manière beaucoup plus rapide.

53. L’organisme vivant est donc bien désigné comme un produit psychique. Comme tous les corps, le corps d’un vivant particulier n’est pas une matière indéterminée : il a une configuration, il est déterminé par une raison. Celle-ci est issue de l’âme, et plus exactement de la faculté « descendue » de l’âme du monde. Dans un organisme vivant, doué de sensation et de motricité, ce sont donc en outre des facultés psychiques qui viennent s’ajouter au corps et font qu’il est tel ou tel corps qualifié. Ce sont ces facultés que Plotin désigne comme la « lumière » issue de l’âme.

54. La définition de la sensation atteint ici son terme. Sur ces questions, voir les études de L. Lavaud, « La diánoia médiatrice entre le sensible et l’intelligible » et surtout D’une métaphysique à l’autre : figures de l’altérité dans la philosophie de Plotin, II : « Au seuil de la pensée : le sensible ». L’exposé plotinien le plus complet est celui qu’en donne le traité 28 (IV, 4), chap. 18 à 29.

55. Le traité reprend ici sa question inaugurale, en demandant qui au juste « sent », et en examinant désormais le statut du « nous ». S’il avait d’emblée admis que nous sommes notre âme, alors nous ne « sentirions » rien. La question du « nous » a de la sorte un volet ontologique et épistémologique (il s’agit de savoir quelle est cette réalité, qui n’est ni l’âme elle-même ni le corps, mais qui est le sujet des affections) et un volet anthropologique, puisque à définir le « nous » on définira également ce vivant humain que nous sommes.

56. Cette libération, ou ce « détachement », est la fin de l’éthique plotinienne (voir, par exemple, 9 (VI, 9), 3, 19, ainsi que les remarques conclusives de 54 (I, 7), 3). Le vivant « qualifié », ou « déterminé », est donc le vivant individuel désigné précédemment comme possédant un « corps qualifié ». Voir, supra, n. 52.

58. Plotin précise ici la manière dont il conçoit la sensation, sans retenir l’hypothèse d’une continuité entre les impressions corporelles et la perception qu’en a l’âme. Plutôt que de retenir une explication de la sensation qui ferait de l’âme le terminus perceptif de modifications ou de mouvements corporels, il choisit de soutenir qu’en réalité ce que nous tenons pour des impressions corporelles ne sont pas corporelles. Comme on l’a rappelé (n. 53), le corps est un produit de l’âme, configuré par elle à travers une raison (lógos). Cette thèse est commentée par E. K. Emilsson, Plotinus on Sense-Perception. A Philosophical Study, chap. VI (l’interprétation en est résumée p. 117) et elle est examinée dans les traductions récentes de G. Aubry (p. 208-214) et de C. Marzolo (p. 134-136). Ces interprètes soulignent une même difficulté, dont le tour leur paraît être paradoxal : si les impressions corporelles sont bien corporelles, comment et pourquoi Plotin peut-il affirmer qu’elles sont « déjà intelligibles » ? C’est, selon E. K. Emilsson, qu’il faudrait sans doute distinguer entre deux types de sensation, selon que l’on parle de l’affection du corps sentant par un corps sensible, ou bien du jugement que l’âme porte sur cette affection. L’ambiguïté tiendrait ici à l’usage relativement étendu du terme aísth ē sis. Il faudrait distinguer, comme l’écrit G. Aubry, deux moments dans la sensation : celui de « la passion du sensible » (corporel) et celui de « l’acte du sentant » (psychique), (p. 209 ; la distinction est tributaire de la lecture de E. K. Emilsson : Plotinus on Sense-Perception. A Philosophical Study, p. 116). Cette lecture fait sans doute sens, mais elle ne résout en rien l’objection que Plotin adresse justement à toute explication « continuiste » de la sensation, qui irait ainsi, par abstraction, du corporel au psychique, de la modification des organes au jugement de l’âme. Évoquer un tel processus d’abstraction (G. Aubry soutient ainsi que les empreintes sont « du sensible, décorporéisé de telle sorte qu’il peut être, pour l’âme, objet de perception », p. 210), c’est manquer la thèse plotinienne et la définition du corps sur laquelle elle repose. Le « paradoxe » que relèvent les interprètes n’existe que si l’on se demande comment Plotin entend soumettre une information de type corporel à un jugement psychique. Mais le corps qualifié qui est affecté n’est justement pas selon Plotin une réalité « seulement » corporelle, c’est-à-dire simplement matérielle. Et les deux « moments » de la sensation ne sont pas davantage un moment d’activité corporelle auquel succéderait un moment d’activité psychique : le corps du vivant est « déjà » un produit de l’âme, et Plotin rappelle simplement ici que ce corps possède, fût-elle affaiblie comme l’est une image ou un reflet, une forme de rationalité. Il est en effet le produit de l’âme (du monde), qui l’a configuré rationnellement au moyen des raisons (lógoi) qui sont en elle les images des formes intelligibles (voir les explications et les références textuelles de l’étude de L. Brisson, « Logos et Logoi chez Plotin : leur nature et leur rôle »). De ce fait, c’est donc d’emblée que l’âme trouve dans le corps un reflet de sa puissance, et c’est d’emblée qu’elle le pense rationnellement, c’est-à-dire perçoit en lui les modifications de sa configuration rationnelle (ce sont ces images que l’âme voit ; voir 49 (V, 3), 2). La sensation consiste bien en cela, c’est-à-dire en la perception, par l’âme, de ce qui est d’emblée intelligible dans les corps. Une âme dont Plotin n’a cesse de rappeler qu’elle est dans le corps tout entier (et non pas confinée à telle ou telle localisation). La thèse plotinienne a une portée ontologique (puisqu’elle dit dans quelle mesure le corps participe de l’âme et de l’être) et épistémologique (puisqu’elle explique comment l’âme perçoit les affections du corps). L’âme a donc conféré au corps sa puissance sensitive, qui est le reflet de sa puissance perceptive : elle perçoit dans le corps les modifications de sa configuration rationnelle (sensation), qui sont les images des intelligibles qu’elle perçoit au moyen de la « perception » intellective qu’est l’antíl ē psis. Plotin emploie ce terme pour désigner une perception qui est une appréhension de la forme, aussi bien de la configuration rationnelle dans les corps (ce qu’il nomme le plus souvent morph ḗ), perçue par la faculté sensitive, que de la forme intelligible, perçue par la faculté intellective. Il objecte ainsi à la théorie de la perception aristotélicienne que défend Alexandre dans son De l’âme (qui emploie abondamment ce même terme ; voir, par exemple, 24.11 ou 44.6). Voir enfin 10 (V, 1), 12, l’ensemble du traité 41 (IV, 6) et 49 (V, 3), 1, ainsi que les notes ad loc. de F. Fronterotta.

59. Dans le droit-fil de ce qui précède, Plotin confirme que c’est bien le même sujet, l’âme, qui est actif et « perceptif » lorsqu’il prend pour objet les « images » sensibles ou les réalités intelligibles, et donc selon qu’il forme sur ces images des opinions ou bien sur les réalités des intellections. Certains commentateurs, comme J. Igal (n. 25, p. 194 de sa traduction), ont voulu distinguer entre les intellections reçues de l’Intellect et des intelligibles, et les intellections qui, comme ici, seraient obtenues par abstraction et réflexion sur le sensible. Il est vrai qu’elles correspondent en effet à ce que l’âme perçoit de « déjà intelligible » dans les sensations (ligne 12) ; toutefois, pour les raisons qu’expose la note précédente, la distinction de deux sortes d’intellections paraît incertaine.

60. C’est de nouveau l’indication de ce que le « nous » ne saurait coïncider avec le vivant. Le « nous », psychique, domine les affections du vivant. Plotin s’en est expliqué dès le traité 3 (III, 1), 5, 20-24, et il y est revenu à plusieurs reprises : voir la note 82 p. 158 de R. Dufour au traité 52.

61. La traduction explicite en ajoutant « du composé », là où le texte dit simplement « la totalité » (tò súmpan).

62. Plotin fait ainsi allusion à la manière dont Platon, dans le livre IX de la République, 588b-590b, propose une image de l’âme comme une bête polycéphale, qui possède des têtes d’animaux domestiques et sauvages, puis encore une tête de lion et une tête d’homme. Trois têtes, donc, pour les trois facultés de l’âme. Si la tête d’homme se fait obéir du lion, alors l’âme sera capable de justice ; si la tête « bestiale » l’emporte avec le lion, l’âme sera injuste. Ce que suggère cette image et à quoi Plotin veut faire allusion, c’est donc que l’âme, multiple, hésite entre la bestialité vicieuse et l’humanité vertueuse. La hiérarchie est ainsi rappelée : le pire état du vivant est celui de la « bête sauvage », celui du lion l’emporte sur elle, et celui de la tête humaine, que Plotin associe ici à l’homme véritable, est la meilleure. Voir 9 (VI, 9), 8, 10, pour une semblable comparaison, où l’âme est inscrite dans l’intervalle qui va du dieu à la bête sauvage.

63. Si le propos paraît changer ici d’objet, en traitant non plus de l’âme mais de l’Intellect, le principe dont elle est issue, c’est en réalité une même remontée que poursuit Plotin. Il s’agit de savoir si des facultés ou des activités plus éminentes encore que la faculté intellective psychique sont susceptibles de nous appartenir, d’entrer dans la constitution du « nous ». La réponse de Plotin est positive : nous possédons bien l’Intellect (et la suite de l’argument, dans le traité 54 (I, 7), ajoutera que nous possédons également le Bien, c’est-à-dire le premier principe). Voilà qui conforte une compréhension « dynamique » de l’identité du « nous ». Ce dernier n’est pas une faculté déterminée de l’âme, il est bien plutôt susceptible de s’identifier à différentes facultés, selon qu’il en fait usage, ou bien encore au principe de l’âme, l’Intellect, s’il s’unit à lui. Le caractère mouvant de l’identité du « nous » est examiné par G. Aubry, « Un moi sans identité ? Le hêmeis plotinien ».

65. Le chapitre 8 entame ainsi une discussion relative au rapport que le « nous » entretient avec les réalités supérieures à l’âme. En premier lieu, il s’agit d’apprécier la façon dont « nous » nous rapportons à l’Intellect. Plotin va rappeler alors un point de doctrine souvent exposé dans ses traités : l’âme comporte une partie ou faculté d’elle-même qui n’est pas descendue et qui est intellective ; cette partie intellective de l’âme appartient à l’Intellect et à l’intelligible, et elle est elle-même un intellect, un intellect particulier. Voir le propos complémentaire de 49 (V, 3), 9.

66. L’expression « âme première » (pr ṓ t ē psukh ḗ) désigne ici la primauté de la partie « non descendue » de l’âme, c’est-à-dire l’intellect psychique. Voilà qui signifie que l’intellect de l’âme, comme toute « partie » de l’intelligible, possède l’Intellect tout entier. L’âme première est donc l’âme supérieure, que Plotin désigne également comme « la plus divine » : voir 27 (IV, 3), 27 et, infra, la n. 117.

67. « Déroulées » rend le terme aneiligména, qui est un hapax dans l’œuvre de Plotin. Ce qu’il désigne est toutefois courant : plus les formes s’éloignent de l’intelligible, plus elles se déploient en nombre comme en extension. Là où l’intelligible est tout entier, dans une forme de compréhension intensive, la rationalité formelle se disperse dans les produits corporels de l’âme : la forme se déploie ou, comme ici, se déroule. Et cela de deux manières : soit parce qu’elles sont pensées de manière discursive, les unes après les autres, soit parce que des images d’elles sont produites dans les corps, en l’espèce des « raisons » qui sont précisément des images « déroulées » ou « déployées » des corps. Voir les remarques du traité 49 (V, 3), 9, 31 et la note ad loc. de F. Fronterotta.

68. Voir la note précédente : le double rapport possible de l’âme à la forme (c’est-à-dire à l’intelligible) est soit discursif (lorsque les formes sont « déroulées »), soit intuitif et compréhensif, quand l’âme s’identifie à l’Intellect. C’est ce que résume à elle seule la formule d’origine anaxagoréenne du « tout ensemble » (homoû (tà) pánta), dont Plotin fait un usage abondant dans les traités pour désigner l’unité compréhensive de l’intelligible. Parmi de très nombreuses occurrences, voir 45 (III, 7), 3, 37 et la n. 101, p. 81 de M. Guyot, qui renvoie aux passages pertinents. Ainsi et parce qu’elle appartient elle-même à l’intelligible dont elle n’est pas séparée, et parce qu’elle est elle-même une forme, l’âme comprend la totalité de l’intelligible et en ce sens le possède (voir encore 49 (V, 3), 8).

69. L’ascension se poursuit maintenant jusqu’au premier principe, l’Un-Bien, qui est ici qualifié de « dieu ». C’est l’indice, d’abord, de ce que l’ascension de l’âme (à l’intérieur d’elle-même) ne s’interrompt pas à l’Intellect, et que la discussion du traité 54 (I, 7), relative à la manière dont l’âme possède le Bien, poursuit celle du traité 53. Que le Premier principe soit désigné comme « dieu » peut paraître déroutant, puisque le plus souvent Plotin réserve ce titre à l’Intellect (comme le montre l’étude de J. M. Rist, « The One of Plotinus and the God of Aristotle »). Les exceptions existent toutefois, notamment lorsque Plotin veut distinguer les intelligibles (les dieux) et le Premier principe : voir l’exemple de 39 (VI, 8), 1, 19 et la n. 11 de L. Lavaud, p. 245-246 (qui indique d’autres emplois identiques du terme « dieu » et conteste donc le caractère systématique de l’analyse de J. M. Rist).

70. Citation de Platon, Timée 35a1-3 (« Entre l’essence indivisible et qui reste toujours le même et l’essence divisible qui devient dans les corps, il forma par un mélange des deux premiers une troisième sorte d’essence ; et de nouveau en ce qui concerne le même et l’autre, il forma un composé tenant le milieu entre ce qu’il y a en eux d’indivisé et ce qu’il y a de divisible dans les corps ; et, prenant ces trois ingrédients, il forma de la même façon par un mélange, où ils entraient tous, une seule réalité en unissant harmonieusement par force la nature de l’autre, rebelle au mélange, au même, et en les mêlant à l’essence, formant une unité à partir de ces trois choses » ; 35a-b, trad. L. Brisson). Il s’agit du passage que Plotin cite le plus communément pour expliquer comment l’âme possède à la fois la nature intelligible et la nature corporelle, dans sa division et sa multiplicité, et pour désigner ainsi le statut intermédiaire qui est le sien, entre l’intelligible dont elle fait partie et ne quitte pas, et le sensible qu’elle produit et anime. Dans le passage cité du Timée, c’est en effet la constitution de l’âme du monde qui est décrite en ces termes : le démiurge fabrique un mélange des deux natures et forge l’âme à partir de lui. Plotin fait une lecture particulière et passablement partielle du texte platonicien : voir l’étude de H. R. Schwyzer, « Zu Plotins Interpretation von Platons Tim. 35a ». Il consacre à cette phrase du Timée des remarques en 27 (IV, 3), 19, et surtout, lui consacre la presque totalité du traité 4 (IV, 2).