Maternité kwayep (Bamiléké).

Bois, pigments, 61 x 24,9 cm.

Musée du quai Branly, Paris.

 

 

Vers la même époque, soit aux environs de l’an 450 av. J.-C., la présence de Négrilles dans la partie septentrionale du pays des Noirs fut signalée par le même historien. Il rapporte au Livre II de son ouvrage (§ XXXII) que des jeunes Nasamons habitant la Syrte, c’est-à-dire la province située entre l’actuelle Tripolitaine et la Cyrénaïque, traversèrent à la suite d’un pari le désert de Libye et atteignirent, au delà d’une vaste étendue sablonneuse, une plaine où il y avait des arbres et que des marécages séparaient d’une ville arrosée par une grande rivière renfermant des crocodiles ; les habitants de cette plaine et de cette ville étaient de petits hommes au teint foncé, d’une taille au-dessous de la moyenne, qui ne comprenaient point la langue libyque. Certains ont voulu identifier la « grande rivière » dont parle Hérodote avec le Niger, d’autres y ont vu le lac Tchad, d’autres encore un bras ou un affluent occidental du Nil ; quoi qu’il en soit, les Nasamons avaient rencontré des Négrilles à la limite méridionale du Sahara, c’est-à-dire au Nord d’une zone que cette race ne dépasse plus de nos jours.

 

Les traditions indigènes éclairent la question d’une lueur qui n’est pas négligeable et nous permettent presque de passer du domaine des simples conjectures à celui des probabilités.

 

Partout, mais principalement dans les contrées d’où les Négrilles ont disparu depuis longtemps, les Noirs considérés comme les plus anciens occupants du sol disent que celui-ci ne leur appartient pas réellement et que, lorsque leurs lointains ancêtres, venant de l’Est, s’y sont établis, ils l’ont trouvé en la possession de petits hommes au teint rougeâtre et à grosse tête qui étaient les véritables autochtones et qui ont, moyennant certaines conventions, accordé aux Nègres arrivés les premiers sur une terre donnée l’autorisation de jouir de cette terre et de la cultiver. Dans la suite des temps, ces petits hommes ont disparu, mais leur souvenir est resté vivace. Généralement, on les a divinisé et identifié avec les dieux ou génies du sol, de la forêt, des montagnes, des grands arbres, des pierres et des eaux ; souvent on prétend qu’ils revivent sous les espèces d’animaux aux mœurs étranges, tels que le lamantin et des variétés de petites antilopes amphibies (Limnotragus Gratus et Hyœmoschus Aquaticus). Parfois, comme chez les Mandingues, le même mot (man ou ) sert à désigner ces antilopes, le lamantin, les génies de la brousse, les légendaires petits hommes rouges, et signifie également « ancêtre » et « maître » et plus particulièrement « maître du sol ». Ainsi les traditions indigènes tendent à établir que les Négrilles auraient précédé les Nègres sur le sol africain et reconnaissent aux premiers des droits éminents de propriété sur ce sol, dont les occupants actuels ne se considèrent que comme des détenteurs précaires et des usufruitiers.

 

Il semble donc qu’il soit permis, en l’absence de toute certitude à cet égard, de supposer que l’habitat des Nègres africains était primitivement peuplé de Négrilles. Le domaine de ceux-ci ne s’étendait vraisemblablement pas beaucoup au delà des limites de ce qui constitue aujourd’hui en Afrique le domaine des Noirs ; cependant il devait se prolonger un peu plus dans la direction du Nord et couvrir au moins la partie méridionale du Sahara, laquelle était sans doute moins aride qu’elle ne l’est devenue depuis et possédait peut-être des fleuves qui, au cours des siècles, se sont desséchés ou transformés en nappes souterraines. Il est probable que l’Afrique du Nord, très différente déjà du reste du continent et se rapprochant de l’Europe méditerranéenne plus que de l’Afrique centrale et méridionale, était habitée par une autre race d’hommes.

 

Selon toute probabilité, les Négrilles de l’époque antérieure à la venue des Noirs en Afrique devaient être des chasseurs et des pêcheurs, vivant à l’état semi-nomade qui convient à des hommes se livrant exclusivement à la chasse ou à la pêche. Leurs mœurs se rapprochaient vraisemblablement beaucoup de celles des Négrilles qui existent encore à l’heure actuelle et sans doute parlaient-ils, comme ceux-ci, des langues mi-isolantes mi-agglutinantes caractérisées, au point de vue phonétique, par le phénomène des « clics[1] » et par l’emploi des tons musicaux. Les grands arbres des forêts, les grottes des montagnes, des abris sous roche, des huttes de branchages ou d’écorces, des habitations lacustres construites sur pilotis devaient leur servir, selon les régions, de résidences plus ou moins temporaires. Peut-être s’adonnaient-ils à l’industrie de la pierre taillée ou polie et convient-il de leur attribuer les haches, les pointes de flèche, les grattoirs et les nombreux instruments en pierre que l’on trouve un peu partout dans l’Afrique noire contemporaine et que les Nègres actuels, qui en ignorent la provenance, considèrent comme des pierres tombées du ciel et comme les traces matérielles laissées par la foudre. Il est possible, sans qu’il soit permis encore de formuler à cet égard des affirmations définitives, que les Négrilles n’aient connu que la pierre taillée, alors que leurs voisins préhistoriques de l’Afrique du Nord étaient parvenus déjà à l’art de la pierre polie.