Statue eyema byeri (Fang).

Cameroun. Bois, laiton, miroir,

patine noire, hauteur : 50 cm.

Collection ABG.

 

 

Le peuple fang, composé de plusieurs groupes répartis sur trois pays d’Afrique équatoriale atlantique, pratiquait un même culte des ancêtres caractérisé par la conservation des crânes des défunts, symboliquement gardés par des statuettes de bois. L’un de ses groupes a développé une statuaire originale facilement identifiable à sa silhouette géométrique : le style ngumba. Avec sa tête ronde aux yeux en miroir, une coiffe à coques multiples très féminine et une remarquable patine, cette figure du byeri en est un parfait exemple.

 

 

Les Noirs africains à l’époque d’Hérodote

 

J’ai dit plus haut qu’il convenait peut-être d’attribuer aux Noirs de la deuxième vague d’immigration l’invention locale du travail du fer. Il ne s’ensuit pas nécessairement qu’ils connussent déjà ce métal lorsqu’ils abordèrent en Afrique ni qu’ils n’aient pas emprunté à une influence étrangère le secret de sa fabrication. Un passage de l’Histoire d’Hérodote est, à cet égard, fort instructif. Dans son Livre II (§§ XXIX et XXX), l’auteur grec nous a fixé à peu près sur les limites septentrionales atteintes de son temps dans la vallée du Nil par les Noirs, qu’il appelle « Éthiopiens » ; ces limites étaient sensiblement identiques à celles qu’ils atteignent de nos jours. On trouvait déjà des Noirs, nous dit-il, « au-dessus d’Éléphantine », c’est-à-dire en amont de la première cataracte, les uns sédentaires et les autres nomades, vivant côte à côte avec des Égyptiens ; mais leur vraie patrie ne commençait qu’un peu au Nord de la ville actuelle de Khartoum, à Méroé, qui était leur capitale d’après Hérodote et au Sud de laquelle vivaient les « Automoles », ceux-ci étant des Égyptiens qui, passés au service du roi des « Éthiopiens », s’étaient établis dans le pays de ces derniers, avaient épousé des femmes noires et avaient fait bénéficier de la civilisation égyptienne les Nègres de la région.

 

Plus loin (Livre VII, § LXIX), passant en revue les contingents cosmopolites dont l’ensemble constituait l’armée de Xerxès, il nous dit que les « Éthiopiens » — mot par lequel il convient toujours d’entendre les Noirs africains — étaient :

 

« vêtus de peaux de léopard et de lion, avaient des arcs de branches de palmiers de quatre coudées au moins, et de longues flèches de canne à l’extrémité desquelles était, au lieu de fer, une pierre pointue dont ils se servent aussi pour graver leurs cachets. Outre cela, ils portaient des javelots armés de cornes de chevreuil pointues et travaillées comme un fer de lance, des massues pleines de nœuds. Quand ils vont au combat, ils se frottent la moitié du corps avec du plâtre et l’autre moitié avec du vermillon. »

 

Qui ne reconnaîtrait dans ce portrait les guerriers nègres de maintes tribus actuelles du golfe de Guinée, de la boucle du Niger et de l’Afrique équatoriale ou méridionale ? À part les pointes de flèche et de javelot, qui sont maintenant en fer au lieu d’être en pierre ou en corne, et en remplaçant les termes « plâtre » et « vermillon » du traducteur français[2] par « terre blanche » et « terre rouge », il est frappant de constater combien l’équipement des Noirs de l’armée de Xerxès, quatre siècles et demi avant notre ère, différait peu de celui que nous pouvons voir, vingt-quatre siècles plus tard, sur beaucoup de leurs descendants.

 

Et qu’on ne s’y trompe pas : les « Éthiopiens » dont il vient d’être question étaient bien des Nègres et non point les ancêtres des Abyssins actuels, auxquels nous donnons communément ce nom d’Éthiopiens. Hérodote lui-même précise ce détail un peu plus loin (même Livre, § LXX) en désignant les Abyssins sous l’expression d’« Éthiopiens Orientaux » et en faisant observer qu’ils se différenciaient des autres « Éthiopiens » en ce qu’ils avaient les cheveux droits, tandis que les Nègres ou Éthiopiens Occidentaux, qu’il appelle « Éthiopiens » tout court ou « Éthiopiens de Libye », les avaient « plus crépus que tous les autres hommes ». Il ajoute que les uns et les autres parlaient des langages différents.

 

De ces divers témoignages d’Hérodote, joints à ceux de Hannon et de Sataspe, l’on peut inférer que, dès le Ve siècle avant notre ère, les Noirs occupaient en Afrique les mêmes territoires où on les rencontre aujourd’hui, qu’ils avaient à peu près achevé leur formation ethnique, bien que l’absorption par eux des Négrilles ne fût pas tout à fait aussi complète qu’elle l’est devenue depuis, et enfin que les mœurs et la civilisation matérielle des plus avancés d’entre eux étaient sensiblement celles que l’on observe de nos jours chez les Nègres demeurés les plus primitifs.

 

Ce sera là la conclusion de ce premier chapitre, qui, ainsi qu’on le voit, est rempli par des conjectures plus que par des faits. Comme son titre l’indique, il a trait à de la préhistoire, et la préhistoire demeure fatalement dans le domaine des hypothèses, quelles que soient les sociétés humaines auxquelles elle s’applique. Seulement, en ce qui concerne les Noirs de l’Afrique, la préhistoire a duré beaucoup plus longtemps que l’histoire et celle-ci ne commence qu’à une époque très voisine de notre temps.