Sculpture (Nok),
500 av. J.-C.-500 ap. J.-C.
Terre cuite, 50 cm.
Musée du quai Branly, Paris.
Quoi qu’il en soit, et quelque nom qu’il convienne de donner à ces soi-disant « Bene Israël », il paraît bien certain que c’étaient des Sémites à la fois pasteurs, cultivateurs et artisans, d’une civilisation assez avancée, qui ne se contentèrent pas, comme leurs congénères de Carthage et d’Abyssinie, de commercer avec les Noirs et de favoriser par rayonnement le développement de la civilisation de ceux-ci, mais qui se portèrent en groupes nombreux dans le pays des Nègres ou tout au moins à la limite septentrionale de ce pays, amenant avec eux le zébu ou bœuf à bosse et le mouton à laine, construisant au Soudan des maisons en maçonnerie et des puits cimentés par un procédé spécial, introduisant l’art de l’élevage et la culture maraîchère, contribuant dans une certaine mesure au peuplement du Sahel et du Massina et au métissage des populations noires déjà installées dans ces régions, formant peut-être le noyau de tribus pastorales qui, sous le nom de Peuls que nous leur donnons et sous celui de Foulbé qu’elles se donnent elles-mêmes, se répandirent plus tard du Sahel et du Massina jusqu’à l’Atlantique d’une part et jusqu’au delà du lac Tchad d’autre part, enfin créant dans l’Ouest de Tombouctou, à Ghâna, un État dont ils demeurèrent longtemps les maîtres et qu’il est permis de considérer comme le berceau et le modèle de ce qu’il y eut de plus perfectionné dans la civilisation des Noirs de l’Afrique.
Sans que je veuille ni que je puisse me prononcer sur le mystère qui, jusqu’à présent, entoure l’origine de ces « Bene Israël » ou prétendus tels, le rôle qu’ils jouèrent dans l’Afrique noire, ou que, tout au moins, leur attribuent les traditions locales, me parait trop considérable pour qu’il soit possible de le passer sous silence. Peut-être après tout est-ce à eux, plutôt qu’aux Carthaginois ou concurremment avec ces derniers, qu’il conviendrait d’attribuer l’importation dans les langues soudanaises des mots sémitiques d’origine ancienne dont j’ai parlé précédemment.
Quant aux Romains, quoi qu’on en ait dit, il semble bien que leur intervention ne se produisit pas au delà du Sahara et que leur influence fut nulle sur les Noirs de l’Afrique. Les seules relations qu’ils eurent avec ceux-ci consistèrent à en acquérir un certain nombre comme esclaves, mais ils n’allèrent jamais les chercher eux-mêmes et se contentèrent de les acheter aux traitants de Carthage ou de la Numidie. Il est probable que l’expédition romaine qui poussa le plus loin dans la direction du Sud fut celle de Julius Maternus qui, sur l’ordre de l’empereur Domitien, partit en 80 ap. J.-C. à la recherche des mines d’or du Soudan, mais ne dépassa vraisemblablement pas l’Aïr.
Les Libyens ou Berbères, descendants plus ou moins directs — et probablement très métissés — des anciens autochtones blancs de l’Afrique du Nord, vivent depuis bien des siècles au contact des Noirs les plus septentrionaux.
II n’apparaît pas cependant qu’ils aient jamais eu une influence appréciable sur le développement de la société noire, de même que l’influence des parlers libyco-berbères sur les langues soudanaises semble avoir été tout à fait négligeable, sauf peut-être en ce qui concerne le haoussa. Dans les autres langues nègres répandues à la lisière du Sahara, c’est à peine si l’on découvre une dizaine de vocables d’origine berbère : le nom du cheval parfois et celui du chameau presque toujours (encore la chose n’est-elle pas démontrée de façon certaine), le nom de l’épée droite, celui d’une espèce de galette, l’une des appellations données aux pauvres et gens de peu, et enfin le nom de la Pâques et celui du péché, ces deux derniers d’ailleurs empruntés par les Berbères au latin lors de la prédominance du christianisme dans l’Afrique du Nord. Et c’est tout ou à peu près tout.
Cela n’est pas aussi surprenant qu’on pourrait le supposer à première vue. D’une part, les Berbères nomades du désert, les seuls qui aient été et qui soient encore en contact direct avec les Noirs, ne passent pas pour avoir jamais joui d’une civilisation très avancée : leur vie même ne s’y prête guère. Ensuite, l’un des caractères généraux des Berbères, ainsi que l’a fort bien montré M. Henri Basset en son livre[3], est d’adopter facilement la langue et certains aspects extérieurs de la civilisation et de la religion du peuple étranger qui les domine momentanément et de n’exercer aucune action visible sur ce peuple ni sur les autres populations étrangères vivant à leur contact. C’est ainsi que les Noirs de l’Afrique ont fort peu d’obligations envers leurs voisins berbères, tandis qu’ils en ont de considérables vis-à-vis des Sémites, depuis l’époque lointaine où un premier courant d’influence sémitique vint se faire sentir parmi les autochtones préhistoriques de l’Afrique du Nord jusqu’à l’époque de l’islamisation du même pays par les Arabes et des expéditions dirigées de Mascate sur la côte du Zanguebar, en passant par les périodes des colonies phéniciennes, de la splendeur de Carthage et des immigrations israélites ou pseudo-israélites.
Mais il est temps de clore ce trop long exposé, consacré aux divers apports méditerranéens et asiatiques qui ont introduit un très important élément de civilisation chez les Noirs du Soudan et de l’Afrique orientale, d’où il s’est répandu peu à peu, en s’atténuant progressivement, jusque dans l’Afrique du Sud. Nous allons maintenant aborder dans un nouveau chapitre, en commençant par cet État de Ghâna auquel il a été fait allusion plus haut, ce que nous savons de l’histoire proprement dite des Noirs de l’Afrique.