Statue assise (Yoruba),
XIIIe-XIVe siècle. Tada, Nigéria.
Cuivre, 53,7 x 34,8 x 36 cm.
The National Commission for
Museums and Monuments, Lagos.
Ceci est sans doute le chef-d’œuvre de l’art des forgerons ifé. Ses proportions sont réalistes, alors que normalement la tête fait un quart de la taille totale d’une statue. Les jambes et les restes des bras sont de taille humaine. La figure porte un pagne maintenu par des perles. À l’origine, le pied droit se trouvait peut-être à l’avant de la base, signifiant que cette statue a pu être placée sur un trône en pierre circulaire. Le métal utilisé pour mouler cette pièce était quasiment du cuivre pur. Elle était trop lourde pour être fondue à la cire perdue ; au contraire le moule a sans doute été à moitié enterré dans le sol, le métal versé dans plusieurs moules scellés. Chaque jour, les villageois portaient la statue à la rivière et la frottaient avec des sédiments, dans le but d’assurer la fertilité à leurs femmes et aux poissons grâce auxquels ils vivent. Cela explique l’aspect lisse de la statue. |
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L’Afrique noire au Moyen Âge |
Nous ne savons pas à quelle époque ni par qui exactement fut fondé le royaume qui donna plus tard naissance à l’empire de Ghâna. Les traditions locales, confirmées par les ouvrages des savants de Tombouctou et des historiens arabes, nous laissent seulement entendre que cet État remontait au moins au IVe siècle de l’ère chrétienne, que ses premiers souverains appartenaient à la race blanche et que le pouvoir passa, un certain temps après l’Hégire, entre les mains d’une famille de race noire appartenant au peuple des Sarakollé. Les auteurs arabes, par ailleurs, nous apprennent que l’empire de Ghâna était florissant aux IXe et Xe siècles de notre ère, que son déclin commença vers le milieu du XIe siècle sous la poussée conquérante et destructive des Almoravides, que ses débris tombèrent sous le joug des Mandingues et que sa capitale, dernier vestige de sa gloire déchue, cessa d’exister à partir du milieu du XIIIe siècle environ.
Cette capitale, dont le nom se trouve mentionné pour la première fois, semble-t-il, dans les Prairies d’Or de Massoudi, lequel mourut en 956, fut visitée dans la seconde moitié du Xe siècle par le célèbre géographe arabe Ibn-Awqal, et Bekri en donna, au siècle suivant, une description assez détaillée. Elle n’était appelée Ghâna que par les étrangers et notamment les Arabes, qui la firent connaître sous ce nom à l’Europe et à l’Asie. Ce n’était pas son nom, mais, comme le dit expressément Bekri et comme le confirment les traditions soudanaises, l’un des titres portés par le souverain, que l’on désignait encore sous celui de kaya-maga ou simplement maga ou magan (le maître) ou encore sous celui de tounka (le prince). La ville elle-même était connue des habitants sous le nom de Koumbi ou Koumbi-Koumbi (la butte ou les tumulus), par lequel on désigne encore aujourd’hui son emplacement. Celui-ci se trouve entre Goumbou et Oualata, à une centaine de kilomètres environ au Nord-Nord-Est de la première de ces localités, dans une région du Hodh que les Maures nomment Aouker ou Aoukar (terme géographique d’ailleurs commun à beaucoup de régions subsahariennes), les Mandingues et les Bambara Bagana ou Mara, les Khassonké Bakkounou et les Sarakollé Ouagadou[4], et qui s’étend d’une façon générale au Nord et au Nord-Est de Goumbou.
L’explorateur Bonnel de Mézières, qui a visité et fouillé cet emplacement en 1914, y a retrouvé les vestiges d’une grande cité correspondant très exactement à celle décrite par Bekri, avec des ruines de constructions en pierres taillées et parfois sculptées.
La contrée où s’élevait Ghâna ou Koumbi est actuellement très aride. Il y pleut à la vérité tous les ans, mais on n’y trouve pas de rivières et, sauf en quelques points où existent des mares ou des nappes d’eau souterraines peu profondes, la végétation, quoique assez touffue çà et là, se réduit à de maigres pâturages et à des gommiers et autres arbustes épineux. La région est peu peuplée, principalement parcourue par des Maures nomades et des chasseurs de la tribu des Némadi ou Nimadi. Mais les traces très nombreuses et très étendues d’anciennes habitations et de sépultures que l’on relève à chaque instant montrent que le pays était autrefois peuplé, en partie tout au moins, de sédentaires et laissent supposer qu’il était mieux arrosé qu’aujourd’hui et plus propre à la culture. Au reste, Bekri parle de champs vastes et prospères qui s’étendaient à l’Est de Ghâna et les traditions locales sont unanimes à attribuer le déclin du royaume et la dispersion de ses habitants au dessèchement du Ouagadou et à la famine qui en fut la conséquence. Il est probable que ces circonstances eurent en effet beaucoup plus d’influence sur la fin de l’empire de Ghâna que les pillages successifs dont la ville fut l’objet de la part des Almoravides en 1076, du roi de Sosso, Soumaoro Kannté, en 1203 et enfin du roi du Manding, Soundiata Keïta, vers 1240. Une ville populeuse et un État florissant survivent au pillage et à la défaite, mais ne résistent pas au manque d’eau et de nourriture.
Le Bagana ou Ouagadou et la plupart des districts subsahariens que nous englobons aujourd’hui sous les noms de Hodh dans l’Est et de Mauritanie dans l’Ouest devaient, à l’époque lointaine où ils se prêtaient à la culture et à la vie sédentaire, être habités par des Noirs, plus ou moins métissés de Négrilles et d’autochtones blancs nord-africains. Ces Noirs formaient un ensemble, assez disparate peut-être par certains côtés, que les traditions maures désignent généralement par le terme de Bafour et d’où sont sans doute sortis depuis, par ramification, les Songoï ou Songaï vers l’Est, les Sérères vers l’Ouest et, vers le Centre, un grand peuple appelé Gangara (Gangari au singulier) par les Maures, Ouangara par les auteurs arabes et les écrivains de Tombouctou, et comprenant de nos jours, comme fractions principales, les Mandingues proprement dits ou Malinké, les Bambara et les Dioula.
C’est dans cette région et parmi ces Bafour, déjà ramifiés sans doute, que se fixèrent vraisemblablement les immigrants de race sémitique dont il a été question au chapitre précédent, lesquels passent pour avoir colonisé notamment le Massina et le Ouagadou et avoir fondé le royaume et la ville de Ghâna. Ces immigrants comprenaient probablement, comme nous l’avons vu, à la fois des cultivateurs et des pasteurs. Quelque considérable qu’ait pu être leur nombre, il était certainement très inférieur à celui des Nègres au milieu desquels ils s’installèrent et sur lesquels ils établirent leur domination. Il dut y avoir, dès le début, quantité d’unions entre Blancs et Noirs et de ces unions naquirent, semble-t-il, deux très importantes populations, dont chacune devait jouer par la suite un rôle de premier ordre dans l’histoire du Soudan occidental et central et dans le développement de sa civilisation.
À Ghâna même, dans le Ouagadou, dans le Massina et ailleurs encore, l’union des Sémites en majorité sédentaires avec des Ouangara notablement plus nombreux que les premiers engendra probablement le peuple qui se donne lui-même le nom de Sarakollé, c’est-à-dire « hommes blancs », en souvenir de l’une de ses ascendances, que plusieurs tribus soudanaises appellent Soninké et les Maures Assouanik, que les Bambara dénomment Mara-ka ou Mar-ka (gens du Mara ou Ouagadou) et que les auteurs arabes et les Songoï de Tombouctou désignent par le terme de Ouakoré. Ce peuple parla une langue très voisine de celle des Ouangara ; elle devint la langue usuelle de Ghâna et est encore aujourd’hui celle des Sarakollé du Sahel et du Sénégal, des habitants sédentaires de race noire dits Azer ou Ahl-Massîne (gens du Massina) de certaines oasis telles que Tichit et enfin de quelques tribus qui ont adopté les habitudes errantes des Maures leurs voisins ou conservé celles de leurs ancêtres blancs nomades, telles que celles des pasteurs Guirganké et, croit-on, des chasseurs Némadi.
À l’Ouest de Ghâna, dans la région de pâturages du Termès, le mélange de Sémites nomades avec des Sérères et surtout la longue cohabitation de ces Sémites au milieu des Sérères durent donner naissance au peuple des Peuls ou Foulbé, qui parla une langue assez voisine de celle des Sérères et qui, plus tard, essaima vers le Massina et, de l’autre côté, vers le Tagant et le Fouta-Toro, pour envoyer ensuite quelques-unes de ses fractions au Sud-Ouest dans le Fouta-Diallon, à l’Est et au Sud-Est dans la boucle du Niger, le Haoussa, l’Adamaoua et les pays voisins du Tchad.
Cependant, à Ghâna même, après une succession de princes de race blanche qui, d’après le Tarikh es-Soudân, auraient été au nombre de quarante-quatre, dont vingt-deux avant l’Hégire et vingt-deux après, mais dont le dernier, au dire du Tarikh el-fettâch, aurait été contemporain de Mahomet, le pouvoir passa à la dynastie sarakollé des Sissé qui, peut-être, comme le prétendent ses descendants actuels, était apparentée à la dynastie de race blanche et ne constituait, en quelque sorte, qu’une continuation de celle-ci, de plus en plus métissée de sang nègre.
Quoi qu’il en soit, c’est sous le règne de ces Sissé, que Massoudi et les autres auteurs arabes disent formellement avoir été des Noirs, que l’État de Ghâna atteignit son apogée. Au témoignage de Bekri, de Yakout et d’Ibn-Khaldoun, son pouvoir se faisait sentir dès le IXe siècle sur les Berbères Zenaga ou Sanhadja (Lemtouna, Goddala ou Djeddala, Messoufa, Lemta, etc.) qui avaient depuis peu poussé leurs avant-gardes méridionales jusque vers le Hodh et dans la Mauritanie actuelle ; Aoudaghost, capitale de ces Berbères, située sans doute au Sud-Ouest et non loin de Tichit, était vassale du roi noir de Ghâna et lui payait tribut ; une tentative d’indépendance de la part du chef des Lemtouna motiva, vers 990, une expédition du roi de Ghâna, qui s’empara d’Aoudaghost et raffermit son autorité sur les Berbères sédentaires et sur les « Zenaga voilés » du désert, ainsi que s’expriment plusieurs auteurs arabes.
Du côté du Sud, les dépendances de Ghâna s’étendaient jusqu’au-delà du fleuve Sénégal et jusqu’aux mines d’or de la Falémé et du Bambouk, dont le produit alimentait le trésor des Sissé et servait à opérer de fructueux échanges avec les caravanes marocaines venues du Tafilalet et du Dara ; elles s’étendaient même jusqu’au Manding, sur le haut Niger. Vers l’Est, les limites du royaume atteignaient à peu près la région des lacs situés à l’occident de Tombouctou. Au Nord, son influence se faisait sentir en plein cœur du Sahara et sa renommée avait pénétré jusqu’au Caire et à Bagdad.
Cependant l’islamisme commença, au début du XIe siècle, à pénétrer chez les Berbères du Sahara et de la lisière du Soudan qui, jusqu’alors, semblent avoir pratiqué en majorité une religion mêlée de christianisme et de paganisme. Vers 1040, un mouvement de propagande musulmane prit naissance parmi quelques fractions de la tribu des Lemtouna, qui habitait principalement le Tagant et le district d’Aoudaghost, et de celle des Goddala ou Djeddala, qui nomadisait entre l’Adrar mauritanien et l’Atlantique et formait avec la première une sorte de confédération. D’un monastère, situé sur une île du bas Sénégal ou à proximité de son embouchure, allait sortir, pour prêcher l’islamisme et guerroyer du Soudan jusqu’à l’Espagne, la secte fameuse des Almoravides (al-morabetîne, les « marabouts », étymologiquement « ceux qui s’enferment dans un ribât ou monastère »).