Masque anthropomorphe (Wum).
Province du nord-ouest, Cameroun.
Bois, 24 x 21 x 33 cm.
Charles and Kent Davis.
Ce masque est un excellent exemple issu de l’aire stylistique divisée entre les Wum et les Fungom à l’ouest. Un grand nombre de masques appelés juju, sont utilisés à chaque festival, comme pour célébrer la récolte du sorgho pendant la saison sèche, ou pour le grand festival du mois de décembre, ou encore pour les funérailles de personnages importants. Ce casque, taillé dans un bois très dur, est typique de l’iconographie wum, avec sa forme compacte et géométrique, sa bouche grande ouverte, ses narines dilatées et ses yeux exorbités. |
Sous la direction du fougueux prédicateur Abdallah Ibn Yassine, Berbère originaire de l’Afrique du Nord, aussi farouche réformateur religieux que guerrier infatigable, et sous le commandement nominal de Yahia ben Ibrahim, chef des Goddala, puis de Yahia ben Omar, de la tribu des Lemtouna, un mouvement se produisit qui ne devait avoir chez les Noirs que des résultats politiques éphémères mais qui en eut de très durables et de fort importants au point de vue religieux. C’est en effet aux Almoravides qu’il convient d’attribuer la conversion à l’islamisme des fractions soudanaises qui, depuis, l’ont propagé à leur tour dans une notable partie de l’Afrique : Tekrouriens ou Toucouleurs, Sarakollé, Dioula et Songoï.
Dès le milieu du XIe siècle commença une lutte âpre et sans merci entre les bandes almoravides, qui représentaient l’islam et qu’excitait le désir de secouer le joug des Nègres, et les rois sarakollé de Ghâna qui, bien qu’ayant été toujours hospitaliers à l’égard des musulmans, passaient pour être les champions du paganisme. En 1054, Aoudaghost, quoique capitale d’un royaume berbère, était attaquée, prise et pillée par Abdallah Ibn Yassine, sous le prétexte que cette ville payait tribut au roi de Ghâna.
En même temps, une active propagande religieuse était faite par les soins du même Abdallah parmi les Noirs qui résidaient alors sur les deux rives du Sénégal, ainsi qu’auprès des populations nigeriennes. À vrai dire, elle rencontrait souvent une résistance qui, lorsqu’elle ne pouvait se manifester autrement, se traduisait par l’exode des habitants. C’est ainsi que la plupart des Sérères émigrèrent sur la rive gauche du fleuve, dans le Tekrour (qui correspondait à peu près à la province que nous appelons le Fouta-Toro), d’où un nombre considérable alla se grouper dans le Sine, où nous les trouvons encore aujourd’hui ; ils laissaient le champ libre aux Berbères dans ce qui est devenu depuis la Mauritanie, chassés à la fois par le désir d’échapper à la contrainte et aux exactions des Almoravides et par le souci de rechercher des terres plus fécondes et moins arides. C’est ainsi encore que, poussés par des motifs analogues, les Peuls du Termès et du Tagant commencèrent à essaimer avec leurs troupeaux vers la même région du Fouta-Toro, où ils devaient, pendant bien longtemps, défendre énergiquement le paganisme contre l’emprise mahométane.
Cependant, certaines familles royales du pays noir, attirées vers la religion nouvelle par le prestige qui s’attachait à ses adeptes, se rangeaient délibérément sous la bannière de Mahomet. Tel fut le cas des princes qui détenaient alors le pouvoir au Tekrour, sous la tutelle plus ou moins lointaine des empereurs de Ghâna et qui devaient appartenir comme ces derniers à la race des Sarakollé. Ils régnaient sur un peuple vraisemblablement très composite, formé d’éléments sarakollé, mandingues, sérères et peut-être wolofs, qui finit par adopter la langue des Peuls ses voisins et qui est connu de nous aujourd’hui sous le nom de Toucouleurs ; ce mot n’est du reste que l’altération du nom primitif de la ville et du royaume de Tekrour[5]. Un disciple d’Abdallah Ibn Yassine, sur lequel courent de nombreuses légendes et dont la mémoire a été transmise sous plusieurs noms différents, dont celui d’Abou-Dardaï, convertit à l’islamisme les princes et les notables du Tekrour, qui devinrent pour les Almoravides des alliés effectifs.
Un Berbère lemtouna, qui, d’après Léon l’Africain, n’était autre que le propre père de Yahia ben Omar et du fameux Aboubekr ou Boubakar, se serait rendu jusque dans le Manding et aurait réussi à enrôler dans la religion nouvelle le roi de ce pays, nommé Baramendana, auquel il aurait fait entreprendre le pèlerinage de La Mecque.
Il ne faudrait pas exagérer pourtant l’importance de ces conversions opérées chez les Noirs par les Almoravides, ni avancer, comme on l’a fait parfois, que ceux-ci gagnèrent tout le Soudan à l’islamisme. En réalité, les conversions ne semblent avoir été sérieuses et durables que chez les princes et les hauts fonctionnaires et dans leur entourage immédiat : la masse du peuple, ou bien résista à l’islamisation par l’exode, comme nous l’avons vu en ce qui concerne les Sérères et les Peuls, ou bien ne se laissa pas entamer par les efforts des prédicateurs almoravides, comme ce fut le cas pour les Wolofs et les Mandingues[6] ou bien n’accepta la foi nouvelle que pour l’abandonner lorsque prit fin au Soudan la puissance éphémère des disciples d’Abdallah Ibn Yassine. Ce n’est guère que chez les Tekrouriens ou Toucouleurs, chez les Songoï et, chose étrange, chez les Sarakollé et les Dioula issus d’eux, que l’islam pénétra largement et fortement.
Les Sarakollé, en effet, qui représentaient dans toute sa vigueur l’élément païen, finirent, contraints et forcés, par accepter après leur défaite la religion de leurs vainqueurs, mais ils devinrent ensuite les meilleurs musulmans de tout le Soudan occidental, transportant avec eux la foi musulmane dans les nombreuses régions du Sénégal, du Sahel et du Massina où ils s’établirent après la chute de Ghâna et la dispersion de ses habitants, et la passant à cette curieuse population, commerçante et entreprenante, des Dioula, qui passe pour être issue des Sarakollé de Dia ou Diakha (Massina) et de Dienné et qui, à son tour, propagea l’islamisme jusqu’à la lisière septentrionale de la grande forêt équatoriale. Dès la fin du XIe siècle, moins de cinquante ans après les premières prédications d’Abdallah et de ses missionnaires, l’islamisme avait atteint quelques points situés à moins de quatre cents kilomètres de la côte du golfe de Guinée ; des Dioula musulmans, attirés dans cette région par les noix de cola qu’elle produit en abondance, avaient fondé Bégho près du coude que forme la Volta noire à hauteur du 8ème degré de latitude Nord, non loin du village actuel de Banda ou Fougoula (Côte-d’Or anglaise). Cette ville ne devait pas tarder à devenir une très importante métropole et un centre actif de commerce et de propagande islamique ; vers la fin du XIVe ou le début du XVe siècle, ses habitants se dispersèrent et allèrent s’installer plus à l’ouest, près de modestes hameaux tels que Gotogo (Bondoukou) et Kpon (Kong), situes dans notre colonie actuelle de la Côte-d’Ivoire, les transformant rapidement en véritables villes, s’y enrichissant dans le commerce des colas, des bœufs, des tissus et de la poudre d’or et y introduisant des habitudes de recherche intellectuelle qui ont subsisté jusqu’à notre époque.
Mais il nous faut revenir à l’histoire de la lutte entre les Almoravides et Ghâna. Aboubekr ben Omar avait, en 1057, succédé comme chef des premiers à son frère Yahia et avait commencé la conquête du sud marocain avec l’aide d’Abdallah Ibn Yassine. La mort de celui-ci, survenue en 1058 ou 1059, fit d’Aboubekr le maître unique et incontesté des Almoravides. L’année suivante, laissant son cousin Youssef ben Tachfine achever la conquête du Maroc et fonder Marrakech, Aboubekr se porta du côté de l’Adrar et du Tagant, où les tribus berbères se faisaient la guerre les unes aux autres et, après avoir ramené la paix parmi elles et raffermi sa propre autorité, il donna tous ses efforts à la destruction de l’empire de Ghâna. Celui-ci cependant ne succomba qu’au bout d’une quinzaine d’années, après une résistance acharnée au cours de laquelle les troupes berbères essuyèrent plus d’une défaite. Enfin, en 1076, les Almoravides s’emparaient de la vieille cité soudanaise et passaient au fil de l’épée tous les habitants qui ne voulurent pas embrasser l’islamisme. Onze ans plus tard, en 1087, peu de temps après que la prise de Séville par Youssef ben Tachfine donnait l’Espagne aux Almoravides déjà maîtres du Maroc, Aboubekr était tué dans l’Adrar, au cours d’une nouvelle révolte de ses sujets les plus directs, et la puissance de sa secte et de sa dynastie, qui venait de s’affirmer d’une manière si éclatante dans le Nord de l’Afrique et le Sud de l’Europe, disparaissait du pays même qui avait constitué son point de départ.
Toutefois Ghâna ne devait plus retrouver sa grandeur passée. Plusieurs provinces de l’empire avaient profité de la lutte entre les Sissé et les Almoravides pour s’affranchir de la tutelle du tounka ou maga suprême et étaient devenues des royaumes indépendants, dont chacun eut son propre tounka ou maga, appartenant à certaines des grandes familles sarakollé chez lesquelles les souverains de Ghâna choisissaient les gouverneurs des districts éloignés de l’empire.
C’est ainsi que la dynastie sarakollé des Niakhaté avait fondé à Diâra, près et au Nord-Est du poste actuel de Nioro, le royaume du Kaniaga ou des mana ou mana-magan, qui ne tarda pas à se rendre maître du Tekrour et à englober à peu près tout ce qui constitue le Sahel soudanais, c’est-à-dire la majeure partie des anciennes dépendances méridionales de Ghâna. Vers 1270, la dynastie des Diawara remplaça à Diâra celle des Niakhaté, elle se maintint au pouvoir jusqu’en 1754, époque de la conquête du Kaniaga par les Bambara-Massassi. Dans l’intervalle, l’autorité des Diawara avait d’ailleurs perdu de sa vigueur et avait été sapée peu à peu par la puissance sans cesse croissante de l’empire mandingue, dont le Kaniaga était devenu vassal vers la fin du XIIIe siècle ou le début du XIVe, pour changer ensuite de suzerain et être incorporé, au XVIe siècle, à l’empire songoï de Gao.