Statue dyonyeni (Bambara).
Bois et métal, hauteur : 72 cm.
Collection privée.
Les seins de taille exagérée de cette statue illustrent l’idée de fertilité. Elle était montrée lors des cérémonies de clôture liées aux sociétés Dyo ou Kwore. |
À partir de la Guinée Française, des peuples apparentés aux Mandingues contribuèrent avec ceux-ci à pousser ces tribus vers la mer en l’atteignant eux-mêmes : tels les Soussou ou Sosso, qui habitaient autrefois dans le Fouta-Diallon et qui furent rejetés du côté de l’Atlantique ; tels encore les Mendé du Sierra-Leone, à moitié islamisés aujourd’hui comme les Soussou et doués comme eux d’un esprit assez entreprenant ; tels aussi les Vaï ou Veï de la région de Gallinas et de Cape-Mount (Sierra-Leone et Libéria), qui usent pour écrire leur langue d’un alphabet syllabique inventé de toutes pièces par quelques-uns d’entre eux vers la fin du XVIIIe siècle ou le début du XIXe.
J’ai cité le nom du Fouta-Diallon et je ne puis passer outre sans dire au moins un mot de cette contrée de montagnes et de vallées, où un mélange de Soussou prétendus autochtones, de Peuls venus du Massina et du Termes, de Sarakollé de Diakha (Massina), de Toucouleurs du Fouta-Toro et de Mandingues du haut Sénégal arriva à former une sorte de nation, dite des Foula, relativement homogène, surtout pastorale mais agricole aussi, parlant le peul et pratiquant en immense majorité la religion musulmane, qui s’est constituée en un État théocratique assez analogue à celui des Torodo du Fouta-Toro et chez laquelle le goût de l’étude et des belles-lettres est en honneur jusqu’à nos jours.
J’ai parlé aussi du Libéria. L’on sait en quoi consiste cet État et quelle en est l’origine. Des esclaves noirs libérés par des sociétés philanthropiques y furent amenés de l’Amérique du Nord, à partir de 1822, et s’y multiplièrent. En 1847, ils se constituèrent en une république indépendante dont la constitution fut copiée sur celle des États-Unis et qui fut reconnue par toutes les puissances d’Europe et d’Amérique. Les Libériens proprement dits, c’est-à-dire les Noirs et mulâtres de provenance américaine, vivant à la mode européenne, ayant l’anglais pour langue maternelle, ne sont guère plus de quinze mille et n’exercent qu’un contrôle très restreint sur les quelque sept cent mille indigènes qui leur ont été octroyés comme sujets par les traités conclus avec la France et la Grande-Bretagne.
Au Sud-Est du Fouta-Diallon, en bordure de la forêt dense, nous rencontrons une série de peuplades généralement très primitives, parfois encore anthropophages, qui se sont spécialisées dans la culture des colatiers et en vendent les fruits à leurs voisins du Nord, Malinké et Dioula. Ce sont, en allant du pays des Kissi à Bondoukou, les Toma, les Guerzé ou Pessy, les Manon, les Dan ou Mêbé, les Toura, les Lo ou Gouro, les Mouin ou Mona, les Ngan, les Gbin.
Au Sud de cette série de peuplades, confinées dans la forêt dense, est un peuple plus primitif encore peut-être, sauf en ce qui concerne la fraction vivant en bordure de la mer. Il est en grande partie adonné à l’anthropophagie et se divise en une multitude de tribus qui s’étendent depuis le Saint-Paul jusqu’au delà du Sassandra. Celles qui habitent la côte, connues sous le nom générique de Kroumen que leur ont donné les Anglais, sont utilisées depuis cinq siècles environ par les navigateurs et les commerçants de toutes les nations pour fournir des manœuvres aux navires et des équipes de canotiers aux factoreries.
À l’Est des Kroumen, la forêt équatoriale et ses abords sont habités principalement, du Bandama à la Volta, par un groupe de populations remarquablement développées sous le rapport intellectuel, quoique d’une civilisation matérielle parfois très rudimentaire, et souvent abâtardies par un usage immodéré des liqueurs fortes. Elles surprennent tous ceux qui les approchent par une propreté corporelle méticuleuse et une étiquette mondaine compliquée. Certaines de leurs fractions ont atteint un stade politique relativement avancé, tandis que d’autres vivent dans l’anarchie la plus absolue. Les portions christianisées par les missionnaires protestants de la Côte-d’Or britannique fournissent une quantité stupéfiante de docteurs en théologie ou en droit, d’avocats et de littérateurs. Ce groupe renferme notamment les Baoulé, les Agni, les Nzema ou Appoloniens (ou Appolos), commerçants avisés ; les Abron, lesquels ont fondé au XVe siècle, dans la région de Bondoukou, un État savamment organisé qui existe encore, les Achanti ou mieux Assanti, lesquels avaient créé, avec Coumassie comme capitale, un royaume puissant et fort bien constitué qui dura de 1700 à 1895 ; enfin les Fanti, chez lesquels les Anglais ont trouvé une abondante pépinière d’excellents fonctionnaires et employés subalternes, comme chez leurs voisins orientaux, les Gan d’Accra.
En continuant vers l’Est, nous trouvons encore des peuples étonnamment doués aux points de vue intellectuel, artistique et politique. Ce sont les Ehoué du bas Togo, les Mina et les Fon ou Djedji du bas Dahomey, puis, dans un groupe ethnique différent quoiqu’assez voisin, les Yorouba ou Nago, les Bénin ou Edo et les Noupé de la Nigéria méridionale. Tout le monde en France a entendu parler du royaume du Dahomey, qui, fondé dès avant le XVIe siècle[9], avec Abomey comme capitale, fut annexé par nous en 1894 à la suite d’une campagne fameuse ; les rois du Dahomey furent de grands guerriers et de grands rabatteurs d’esclaves et se rendirent célèbres par leurs sacrifices humains, mais il convient de dire d’autre part qu’ils avaient su organiser leur État et leur armée et administrer leur royaume d’une façon qui leur fait honneur ; il faut ajouter aussi que les talents des Dahoméens comme cultivateurs et comme artisans, joints à leurs indéniables capacités intellectuelles, les placent à l’un des tout premiers rangs parmi les peuples noirs de l’Afrique.
Contrairement à toutes les populations que je viens d’énumérer à partir de l’embouchure du Sénégal, à l’exception des Wolofs, des Soussou, des Vaï et des habitants du Fouta-Diallon, contrairement aussi aux populations ouest-africaines qu’il me reste à citer, les Yorouba sont en grande partie islamisés. Ils se répartissent entre plusieurs États pourvus d’assemblées législatives et parfois de journaux, officiels et privés, rédigés en anglais. L’un de ces États a pour capitale Abéokouta, cité extrêmement populeuse et très industrieuse.
Quant au Bénin, il a formé depuis sans doute le XVe siècle et peut-être depuis une époque plus lointaine, un État puissant et redouté, où les arts industriels et notamment l’art du bronze et celui de l’ivoire ont fleuri d’une façon remarquable ; certains bronzes du Bénin des XVe et XVIe siècles, que l’on peut voir aujourd’hui dans les musées de Hollande, d’Allemagne et d’Angleterre et dans des collections privées, sont dignes de rivaliser avec les produits analogues de plusieurs civilisations renommées.
La nécessité de suivre les côtes de l’Océan nous a contraints à laisser provisoirement de côté quantité d’autres peuples intéressants, répandus dans l’intérieur de la boucle du Niger : les Tombo ou Habé, qui habitent au Nord du Yatenga, dans des demeures creusées dans les falaises rocheuses de Bandiagara et de Hombon ; les Samo, qui les avoisinent dans la direction du Sud-Ouest ; les Foulsé, Nioniossé, Kipirsi, Nourouma, Sissala et autres tribus communément englobées sous le nom générique de Gourounsi ; les Dagari, Birifo ou Birifor, Gbanian ou Gondja, Dagomba, Nankana et autres peuplades ethniquement apparentées de très près aux Mossi ; les Bobo, Lobi, Dian et autres peuples plus ou moins barbares ; les Koulango de la haute Côte-d’Ivoire orientale, les Soumba du haut Togo et du haut Dahomey, etc.
On peut dire de tous ces peuples qu’ils sont, dans leur ensemble, demeurés des primitifs ; à part quelques exceptions, ils n’ont pas su arriver à un stade politique quelque peu élevé et, la plupart du temps, n’ont pas dépassé l’unité familiale. Quoique voisins d’États puissants et bien organisés, comme les empires mossi et les royaumes du Gourma et du Bergo, habités par des populations de même groupe ethnique, ils n’ont pas profité en général de ce voisinage ; les uns se sont trouvés englobés comme sujets ou vassaux dans ces États, les autres sont demeurés en dehors, semblant n’avoir qu’un but, sauvegarder, à force de sauvagerie, leur farouche mais stérile indépendance. Par une contradiction singulière, presque tous sont de merveilleux cultivateurs et l’attachement à la terre semble la seule institution solide et féconde de leur société chaotique.
Il convient de mettre à part l’importante population des Sénoufo, répandue depuis la région de San et de Koutiala sur la rive droite du Bani jusqu’à celle de Bondoukou et du coude de la Volta noire, où elle atteint la limite septentrionale de la grande forêt. En partie dégrossies par les Dioula établis parmi elles et qui souvent, comme à Sikasso et à Kong, ont exercé dans le pays une hégémonie durable, beaucoup de fractions sénoufo sont arrivées à constituer de petits États de superficie restreinte mais offrant de la cohésion et de la vitalité. L’industrie du fer et celle de la poterie, l’agriculture, l’art musical ont atteint chez certains Sénoufo un développement qui mérite de retenir l’attention.