Harpe arquée (Zande).

République démocratique du Congo.

Bois, peau, boyaux, 65,8 x 44,9 cm.

Musée du quai Branly, Paris.

 

 

Littérature natale en arabe

 

II ne serait pas rigoureusement exact de dire que les nègres ne possèdent qu’une littérature orale et que cette littérature soit nécessairement du genre dit populaire. Sans doute, la littérature orale populaire domine dans l’Afrique noire, mais on y observe aussi une littérature orale savante et une littérature écrite.

 

Cette dernière se manifeste surtout sous le couvert de l’arabe, que très peu de nègres connaissent en tant que langue parlée, mais qui sert de langue écrite à la plupart des Noirs musulmans instruits. Le nombre de ceux-ci est, proportionnellement, beaucoup plus élevé qu’on ne se l’imagine habituellement. Le plus souvent, à la vérité, ils n’usent de l’arabe que pour correspondre entre eux et leur style épistolaire, quoique généralement fleuri, ne mériterait pas de faire de leurs correspondances un genre littéraire, bien que certaines séries de lettres échangées entre des personnages tels que l’askia Mamadou Touré et le réformateur algérien El-Meghili, ou le conquérant toucouleur El-Hadj Omar et le roi peul Hamadou Hamadou, soient à signaler comme modèles de dialectique et de subtilité scolastique. Mais beaucoup aussi de nègres musulmans de l’Afrique tropicale ont composé et composent encore, en un arabe correct et parfois élégant, des ouvrages de théologie, d’hagiologie, de droit, d’histoire, tantôt en prose, tantôt en vers, tantôt en prose mélangée de vers.

 

J’ai parlé plus haut de la floraison intellectuelle qui avait distingué Tombouctou au XVIe siècle, mais cette époque et cette ville n’ont pas eu le monopole de cette littérature. De nos jours encore, des « marabouts », comme on appelle communément en Afrique les musulmans lettrés, rédigent des chroniques souvent fort intéressantes de l’histoire locale, des traités d’exégèse et des œuvres d’érudition qui constituent bien une véritable littérature et dont plusieurs spécimens ne dépareraient pas l’ensemble de la littérature de langue arabe.

 

Entre autres observations qui s’imposent à cet égard, il en est une singulièrement frappante. L’arabe est, pour tous ces écrivains noirs, une langue étrangère ; ils ne peuvent l’apprendre qu’à force de le pratiquer et ne possèdent ni grammaires autres que des grammaires écrites en arabe ni aucun dictionnaire donnant la traduction arabe des mots de leurs idiomes maternels. Il leur faut donc, pour s’assimiler la langue arabe jusqu’à ce qu’elle leur soit familière et qu’ils puissent interpréter leurs concepts par son truchement, un effort intellectuel considérable, bien supérieur à celui qui serait nécessaire, pour arriver au même résultat, à un Européen disposant de grammaires et de dictionnaires rédigés dans sa propre langue. Ceci est tout à l’honneur des facultés intellectuelles de la race nègre.

 

Il existe aussi, depuis une époque beaucoup plus récente, des embryons de littérature écrite dans l’une ou l’autre des langues des nations européennes qui possèdent des colonies en pays noir.

 

 

Littérature écrite en langues maternelles

 

Enfin, il y a une autre catégorie de littérature écrite, plus intéressante peut-être au point de vue des enseignements qu’elle peut procurer sur les aptitudes congénitales des nègres, parce qu’elle est indigène dans son expression. En certaines régions de l’Afrique, les signes de l’alphabet arabe, adaptés parfois, au moyen de points diacritiques additionnels et de conventions nouvelles, à la représentation des sons vocaliques et consonantiques qui n’existent pas en arabe, sont employés pour écrire telle ou telle langue négro-africaine.

 

D’autres fois, ce n’est plus un alphabet emprunté à une langue étrangère, mais un système graphique d’invention locale, qui sert à représenter les sons.

 

À vrai dire, le procédé est peu répandu. On ne l’a signalé jusqu’ici que chez les Vaï de la frontière du Libéria et du Sierra-Leone, qui usent, vraisemblablement depuis plus d’un siècle, d’une écriture syllabique de leur invention ; chez les Bamom ou Bamoun du Cameroun, qui se servent d’un système imaginé vers l’an 1900 par Njoya, roi de Foumbân, système d’abord idéographique, rapidement devenu phonétique et tendant actuellement à passer de l’état syllabique à l’état alphabétique ; enfin chez les Nubiens des districts de Korosko et du Mahas, qui, d’après l’auteur anglais H.A. MacMichael, feraient usage d’un alphabet spécial, plus ou moins directement dérivé d’une écriture orientale[18].

 

Il serait désirable que nous possédions un certain nombre de spécimens des productions écrites au moyen de ce procédé purement indigène. En fait, nous en connaissons très peu, en dehors de quelques lettres et de quelques édits du roi Njoya, sans intérêt au point de vue littéraire. Toutefois, il est certain qu’il existe, en langue et en littérature vaï, des sortes de romans ou de contes que l’on se passe de main en main dans les villages[19].