Comme le temps est calme, et la jeune fin de la nuit délicatement colorée 1 ! Les volets repoussés à droite et à gauche par un acte vif de nageur 2, je pénètre dans l’extase de l’espace. Il fait pur, il fait vierge, il fait doux et divin. Je vous salue, grandeur offerte à tous les actes d’un regard, commencement de la parfaite transparence ! 3 Quel événement pour l’esprit qu’une telle étendue ! Je voudrais vous bénir, ô toutes choses, si je savais !... Sur le balcon qui se propose au-dessus des feuilles, sur le seuil de la première heure et de tout ce qui est possible, je dors et je veille, je suis jour et nuit, j’offre longtemps une amour infinie, une crainte sans mesure. L’âme s’abreuve à la source du temps, boit un peu de ténèbres, un peu d’aurore, se sent femme endormie, ange fait de lumière, se recueille, s’attriste, et s’enfuit sous forme d’oiseau jusqu’à la cime à demi nue dont le roc perce, chair et or, le plein azur nocturne. Quelque oranger respire là dans l’ombre. Il subsiste très haut peu de fines étoiles à l’extrême de l’aigu 4. La lune est ce fragment de glace fondante 5. Je sais trop (tout à coup) qu’un enfant aux cheveux gris contemple d’anciennes tristesses à demi mortes, à demi divinisées, dans cet objet céleste de substance étincelante et mourante, tendre et froide qui va se dissoudre insensiblement. Je le regarde comme si je n’étais point dans mon cœur. Ma jeunesse jadis a langui et senti la montée des larmes, vers la même heure, et sous le même enchantement de la lune évanouissante 6. Ma jeunesse a vu ce même matin, et je me vois à côté de ma jeunesse... Divisé, comment prier ? Comment prier quand un autre soi-même écouterait la prière ? - C’est pourquoi il ne faut prier qu’en paroles inconnues 7. Rendez l’énigme à l’énigme, énigme pour énigme. Élevez ce qui est mystère en vous à ce qui est mystère en soi. Il y a en vous quelque chose d’égal à ce qui vous passe 8.