Fais ce que tu voudras, bel Instant ! Ame, fais ton office 1 ! Est-il espoir plus pur, si dense diamant dont nul rayon qui a pénétré dans sa perfection n’en ressorte, est-il parcelle de matière ou de vie dans le monde plus précieuse que ce moment de présence et de silence dans l’unité de nos forces et au-dessus de notre esprit qui en précède toutes les pensées ? Être contenu avec toutes choses dans un élément singulier, isolé de muette et souveraine attente, est divin. De quoi donc est fait ce peu de temps privé de parole, ce fragment de puissance et de pureté, et comment se peut-il qu’une certaine sensation soit la sensation d’être capable de toutes les autres ? Il n’est point de pensée de degré plus élevé que ceci. Je ne sais ce qui se prépare, mais je déchiffre ce qui se dispose et je ressens ce qui se choisit. Rendre purement possible tout ce qui existe ; réduire au purement visible ce qui se voit, telle est l’œuvre cachée de l’âme avant qu’elle s’applique à quelque objet et qu’elle s’emploie à quelque dessein ; et c’est là sa réponse essentielle, sa volonté authentique et sa propriété véritablement absolue 2. Bel instant, balcon du Temps, heure surélevée, tu supportes au moyen d’un homme un instinct d’univers, un désir de ce qui fut avant toute chose. Je respire sur toi une puissance indéfinissable comme la puissance qui est dans l’air avant l’orage ! J’attends une proie qui ne doit naître que de moi-même. J’illumine mes déserts semblables à des miroirs de sécheresse où vont jaillir des fontaines et des palmes.

En secret une voix connue essaye de paroles inconnues ; et les figures implicites qui préexistent dans ma structure et dans ma substance attentive se dessinent, se font chercher.

1 Très différent, un état antérieur de ce poème appartient au Cahier ABC.
2 Chez Valéry, l’imminence ou le surgissement de l’idée, souvent liés à la pure sensation du possible et à l’ivresse même qui s’attache à cette potentialité sans limite, est un thème constant : voir par exemple l’ « Aurore » de Charmes, les deux lettres E (Œ.I.351 et II. 662) - et la lettre M, p. 79.