Me voici, tel que je suis, baignant dans l’air indispensable 1. Cet air semble si pur et délicieusement frais que je le sens me faire vivre, au lieu de vivre sans y penser, et que le mot très vide d’AME que l’on prononce à la légère, prend ici et à présent sa valeur personnelle et universelle. Et voici que je n’ignore pas non plus la présence de la terre sur laquelle je pose, marche et puis me coucher, si je veux. Ceci est admirable, ainsi que la lumière qui m’entoure de choses vraies quoique lointaines. Je m’enchante de toutes ces richesses auxquelles on ne pense jamais. Je ressens que je suis fait de tout ce dont j’ai besoin et que je possède de quoi dormir si j’ai besoin de sommeil.
Il est trop donné aux hommes de ne pas percevoir tous ces dons qui ne leur manquent pas en général, et cet équilibre ordinaire dont ils ne remarquent, par la douleur ou l’extrême plaisir, que les fortes variations. Le simple et le naturel sont les plus trompeuses des apparences. La perfection des artifices qui nous font vivre est telle que nous la prenons pour un moindre effort.
Tout ce qu’il faut pour être est aussi caché que possible. Il faudrait inventer indéfiniment pour suivre cette pensée vers sa racine. Va et viens. Regarde et bâille. Casse une tige et fouette le gros arbre. Il arrivera peut-être, comme l’arbre lui-même forme un nœud de plus en montant à son épanouissement, que ta distraction tout à coup se noue et se durcisse en neuve idée.