Madame, mon amie, qui criez que vos fleurs sont belles, que je les vienne respirer, et que vous ne pouvez à vous seule suffire au plaisir, à l’orgueil, à l’ivresse que vous versent vos nombreuses roses, laissez-moi le temps d’accourir, donnez-moi le temps de songer à ce qu’il faut que je vous en dise 1. Attendez que j’aie trouvé quelque parole qui flatte votre goût de vos fleurs... Que si je m’oubliais et ne disais que ma pensée, je pressens que j’irriterais la vanité qu’elles vous donnent... Que me font tous ces calices de chair tendre, ces petits visages penchants ? Je ne sais pas chérir des merveilles si délicates, si sensibles et si fragiles... Vous aimez les fleurs, mon amie, et j’aime les arbres. Des fleurs sont choses et les arbres sont des êtres. J’aime le tout mieux que la partie. Adorez avec moi ce grandiose porteur de branches et de feuilles, ce grand être isolé et complet. Sa stature et sa figure exhaussent mon regard. Il invoque, il appelle l’arbre de vie qui est en moi. Il est axe d’un monde où il rayonne son existence, et je le sens par moi-même qui approfondit jusqu’au granit son idée fixe de la vie... Ne voyez-vous pas qu’il soutient dans toute sa gloire l’exemple et la loi pure de se faire égal dans l’espace à toute la puissance pressante du temps ; comme il répond à sa durée 2, comme il s’augmente et se succède dans l’étendue ! Il ne subsiste qu’il ne croisse, et le nombre de ses feuilles chante à demi-voix ce qui se passe sur la mer.
Arbre, mon arbre, Amour serait ton nom, s’il m’appartenait de te nommer, ô statue d’une soif constante, ta vigueur s’élève en toi comme l’huile entre les fibres et tu ne cesses de te construire car tu ne vis que de grandir. Par le corps ardent des cieux, par la chair de l’air fraîche et fluide, par ce qui brûle aussi, là-haut, tu es appelé à l’altitude. Je t’aime, je voudrais aimer comme toi, être aimé comme tu aimes, frémir, grandir, périr... 3