On se tait 1. Un silence à présent, fait de nous deux, se porte avec une lenteur chargée de charges invisibles, un poids écrasant de séparation, une masse d’amertume contractée, un bloc de tendresse toute prise dans sa profondeur, et plus dure que glace, - vers nul point du jardin, nulle préférence de fleur, ni de bel arbre, ni de lieu plus aimable qu’un autre. Du même pas, côte à côte, identiques en mauvaises pensées, les cœurs mêmement serrés, les yeux et les gorges mêmement serrés et secs, les regards de même absence douloureuse, les corps dont les ombres se mêlent sur le chemin, procèdent et comme, non dans l’espace, mais dans un temps qui doit finir. C’est un abîme qui se déplace sur la terre, en pleine lumière.

1 De ce poème très proche du précédent par la tonalité, mais cependant bien plus tardif (1935), il n’existe qu’une dactylographie à l’encre rouge où Valéry a porté la lettre O au crayon bleu.