Une propriété essentielle d’une pensée est ce pouvoir qu’elle a de traverser d’autres pensées sans s’y confondre, comme les images ou les voix de convives opposés se traversent sans se troubler 1. Les pensées apparaissent aussi au milieu des circonstances les moins conformes à elles et où elles se trouvent le moins attendues.
Le corps parfois passe au travers de l’âme ; un désir vole comme une flèche tirée d’un point de notre chair vers le ciel même de notre esprit. Une douleur, une lueur perce la substance du présent, la vérité se montre et fuit au travers d’un songe ; le jour passé reluit, se développe et s’efface une fois de plus dans une fissure du jour : et moi, comme je respirais sans conscience le parfum qui suffit à me rendre vaines toutes les choses non infinies, et comme je n’avais qu’à oublier pour être, à m’abandonner pour agir, une idée pure m’apparut, une lumière tout étrangère à la volupté, et tout étrange pour la tendresse. Ensuite, elle fit place à côté d’elle à un bizarre sentiment de quelque anachronisme. Entre un moment si doux, si trouble et si obscurément venu et ce penser d’une pureté tout inhumaine, l’absence de relation me fit sourire, me fit du bien et du mal.