Depuis trois ans, on attend l’apparition de l’Alphabet, cette suite de poèmes en prose où le génial créateur de Monsieur Teste veut enfermer le cycle des heures et dont la typographie magistrale doit être établie par les Éditions Au Sans Pareil, avec le concours de Louis Jou.
Les souscripteurs de ce volume de la « Grande Collection » ont, à différentes reprises, montré un impatient désir de connaître l’œuvre qui leur a été promise, mais que l’auteur remet sans cesse sur le métier 2.
Nous sommes heureux de pouvoir imprimer ici, avec l’autorisation de M. Paul Valéry, la lettre qu’il a adressée à l’éditeur du futur Alphabet et qui fournira aux admirateurs du grand écrivain l’explication de leur attente et les raisons de nos espoirs :
Samedi.
Cher monsieur Hilsum,
Sachez bien que l’Alphabet ne cesse de me préoccuper. Je l’ai pris et repris à chaque éclaircie. [Je touche, il me semble, au moment où je pourrai l’attaquer une bonne fois et arriver à la décision. 3]
Mais j’ai eu contre moi l’idée de le traiter en poème, c’est-à-dire en chose infinie, et surtout l’accumulation des ennuis, des besognes, de l’activité des fâcheux.
On ne sait pas ce que j’ai à régler, à expédier, à faire et à supporter. Mais enfin, je refuse tous engagements.
Le médecin m’ordonne impérieusement le repos.
Si je le trouve, l’Alphabet en sera le premier fruit.
Voilà ce qu’il faut dire de ma part aux réclamants. Dites-leur aussi que j’ai refait la lettre E quinze fois de quinze façons et n’en suis pas encore content.
Patience, patience.
Tout vôtre.
Paul VALÉRY