Au commencement sera le Sommeil 1. Animal profondément endormi ; tiède et tranquille masse mystérieusement isolée ; arche close de vie qui transportes vers le jour mon histoire et mes chances, tu m’ignores, tu me conserves, tu es ma permanence inexprimable ; ton trésor est mon secret. Silence, mon silence ! Absence, mon absence, ô ma forme fermée, je laisse toute pensée pour te contempler de tout mon cœur. Tu t’es fait une île de temps, tu es un temps qui s’est détaché de l’énorme Temps où ta durée indéfinie subsiste et s’éternise comme un anneau de fumée 2. Il n’est pas de plus étrange, de plus pieuse pensée ; il n’est pas de merveille plus proche. Mon amour devant toi est inépuisable. Je me penche sur toi qui es moi, et il n’y a point d’échanges entre nous 3. Tu m’attends sans me connaître et je te fais défaut pour me désirer. Tu es sans défense. Quel mal tu me fais avec le bruit de ton souffle ! Je me sens trop étroitement le captif du suspens de ton soupir. Au travers de ce masque abandonné tu exhales le murmure de l’existence stationnaire. J’écoute ma fragilité, et ma stupidité est devant moi. Homme perdu dans tes propres voies, inconnu dans ta même demeure, muni de mains étrangères qui enchaînent tes actions, embarrassé de bras et de jambes qui entravent tes mouvements, tu ne sais même pas le nombre de tes membres et tu t’égares dans leur éloignement. Tes yeux mêmes se sont arrangé leurs ténèbres où ils rendent néant pour néant, et leur nuit regarde leur nuit. Hélas ! comme tu cèdes à ta substance, et te conformes, chère chose vivante, à la pesanteur de ce que tu es ! Quelle faiblesse t’a disposé, combien naïvement tu me présentes ma figure de moindre résistance ! Mais je suis le hasard, la rupture, le signe ! Je suis ton émanation et ton ange 4. Il n’y a qu’un abîme entre nous, qui ne sommes rien l’un sans l’autre. Ma vigueur en toi est éparse, mais en moi tout l’espoir de l’espoir. Une suite de modulations insensibles tirera ma présence de ton absence ; mon ardeur, de cette inertie ; ma volonté, de cette plénitude d’équilibre et d’accablement. J’apparaîtrai à mes membres comme un prodige, je chasserai l’impuissance de ma terre, j’occuperai mon empire jusqu’aux ongles, tes extrémités m’obéiront et nous entrerons hardiment dans le royaume de nos yeux... 5 Mais il ne faut renaître encore. O repose encore, repose moi... 6 J’ai peur de retrouver de malheureuses pensées. Attendons séparés que le travail naïf et monotone des machines de la vie use ou détruise grain par grain l’heure qui nous divise encore. Je fus, tu es, je serai... Ce qui sera se déduit doucement de ce qui n’est plus. Voilà pourquoi ma tendresse anxieuse est sur toi... Or cette Chose s’agite, et cette forme change de forme, et les lèvres qu’elle semble tendre à soi-même, dessinent l’acte d’un discours. Personne à personne ne le prononce, et il y a un appel, une amour, une demande suppliante, un babil isolés dans l’univers, et sans attaches, et sans quelqu’un ni quelqu’autre... Il y a des essais de lumière, des efforts maladroits de résurrection. Allons ! Voici ma fatigue 7, le miracle, les corps solides ; mes soucis, mes projets et le Jour ! 8