Pasiphäe (Pasiphaé), vers 1943.

Huile sur toile, 142,5 x 243,8 cm.

The Metropolitan Museum of Art, New York.

 

 

Krasner et Pollock furent particulièrement attristés par la mort de leur cher ami Putzel. De nombreux biographes sont convaincus que ces disparitions ont influencé l’attitude de Pollock face à la vie et la mort. Peut-être ont-elles aussi influencé sa tendance à s’autodétruire, lentement par l’alcool ou rapidement en défiant les limites de vitesse.

Suicides

Walsh remarque que la mort de Pollock ne fut pas la seule à soulever la question du suicide parmi les artistes de son époque. Avant Pollock, Arshile Gorky s’était pendu en 1948. (Certaines des œuvres les plus anciennes de Gorky furent exposées à la Jack Rutberg Fine Arts, une galerie de Los Angeles, en février 2005.) (345) Gorky est actuellement présent dans au moins seize musées américains ou galeries. (346) Kline s’est noyé en 1962. David Smith, le sculpteur, est mort dans un accident d’automobile en 1965 et, en 1970, Rothko s’est entaillé les veines au-dessus du coude et s’est laissé saigner à mort. (346)

Revue des influences

En dehors de son enfance, de la théosophie et de « l’Ouest », un résumé des influences de Pollock peut aussi nous éclairer sur sa vie professionnelle, de ses débuts avec Benton jusqu’à ses œuvres ultimes. Il ne semblait jamais oublier aucune de ses expériences complètement – même avec Benton. Après ce dernier, c’est l’atelier de Siqueiros qu’il investit en 1936, établissant un lien entre l’inconscient et l’art, qui découlait de sa connaissance rudimentaire de la psychothérapie jungienne. En 1939, sa confiance fut renforcée par sa rencontre avec John Graham. Puis vint son alliance avec Krasner fin 1941, juste avant de faire la connaissance de Greenberg. Il fut également influencé par ses contacts avec l’automatisme et la découverte des ‘drip paintings’ de Motherwell et de Matta.

Parallèlement à toutes ces influences, il entretenait toujours des relations, pas toujours civilisées, avec les membres de l’avant-garde. Certains font remonter le début de sa carrière à l’année 1942 et à ses premières expositions personnelles dans la galerie AOTC de Guggenheim, lorsque son travail commença à jouir d’un certain succès critique, puis culmina au milieu du siècle. Dans son autobiographie, Guggenheim se souvient : « Lorsque j’ai exposé Pollock pour la première fois, les surréalistes et Picasso exerçaient encore une très grande influence sur lui. Mais très vite, il la surmonta pour devenir, chose curieuse, le plus grand peintre depuis Picasso.» (42)

« Je suis la nature »

Lorsqu’il vit certaines œuvres de Pollock pour la première fois, Hofmann encouragea l’artiste à étudier à ses côtés afin « d’apprendre de la nature ». Dans la fameuse réplique de Pollock – « Je suis la nature » – l’artiste révèle, une nouvelle fois, l’une de ses idées-clefs, qui pourrait puiser ses racines dans la théosophie, assimilée quinze ans plus tôt. Mais Hofmann arriva lui aussi avec certains antécédents à cette mémorable rencontre. Tina Dickey, l’éditrice du catalogue raisonné Hans Hofmann, fait remarquer : « En 1948, Hofmann avait consacré la moitié d’un siècle à l’étude de la nature, mais dès le début, ses amitiés avec les peintres fauves et cubistes de Paris l’avaient convaincu de rejeter les conventions de l’art figuratif.» (17)

Dans le film d’Ed Harris, ce n’est pas à Hofmann, mais à Lee Krasner que Pollock adresse sa célèbre tirade « Je suis la nature ». Harris explique dans le DVD qu’il a pris cette licence théâtrale pour des raisons d’ordre cinématographique. En attendant, pour Harris, Pollock est en train de peindre Male and Female (1942) lorsqu’il fait cette déclaration. C’est historiquement correct, car apparemment, c’est dans le courant de l’année où fut créée cette œuvre, qu’Hofmann et Pollock eurent cette conversation.

Bien que Pollock ait été un homme de peu de mots, écrits ou parlés, il est probable qu’il a prononcé les paroles « Je suis la nature » plus d’une fois, et en s’adressant à plus d’une personne. Il peut les avoir dites de différentes manières, mais jamais de façon plus concise. Plus important encore, la philosophie qui sous-tend la phrase, est mise en évidence dans la manière dont il s’impliquait personnellement dans la croissance organique de ses créations. Son corps ne faisait plus qu’un avec ses instruments, surtout quand il dansait autour de ses vastes toiles. Il dansait autour d’elles, à la fois littéralement, mais aussi – lorsqu’il les « expliquait » – au sens figuré. Une part de la dissimulation de lui-même provient sans doute de ses trop rares, et obscures, révélations de la vision unique de son œuvre.

Déplacement du centre de gravité des influences

La fin des années 40 assista au déferlement sur les Etats-Unis de plusieurs artistes européens et, en particulier, au déplacement de la capitale du monde artistique de Paris vers New York. Ce mélange d’influences suscita assurément une vision critique plus objective de la société américaine d’après-guerre.

Walsh cite Serge Guilbault qui suggéra : « Ils (les peintres) en avaient assez de la politique et pensaient, de ce fait, en avoir assez de l’histoire également. En utilisant une imagerie primitive et des mythes pour se couper de la réalité historique de leur temps, ils espéraient se protéger de la manipulation et de la désillusion dont ils avaient souffert auparavant.» (301)