S ’épanouir n’est facile pour personne. L’épanouissement des personnes hors normes est plus difficile encore. Les surdoués épanouis ont un parcours sinueux, délicieusement atypique, plein d’originalité. Pour pouvoir harmonieusement suivre sa propre voie, il y a une étape qui se confond avec la globalité du chemin. Socrate la formulait ainsi : « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux . » Pour les surdoués, la connaissance de soi passe en partie par la reconnaissance de sa surdouance. Jeanne Siaud-Facchin dit que « l’enfant surdoué est un enfant atypique qui deviendra un adulte singulier ». Elle ajoute : « Savoir qui on est est un préalable incontournable pour comprendre ce que l’on devient. »
Pour des raisons évidentes, nous ignorons combien de surdoués ignorent leur surdouance. Intuitivement, je pense que la plupart des surdoués ne savent pas qu’ils le sont. Cette inconscience est dans une large mesure le reflet d’un rapport ambigu que la société entretient avec cette marginalité réduite à une supériorité intellectuelle. À ce jour, peu de gens connaissent la réalité complexe des surdoués. J’écris ce livre pour tordre le cou aux clichés toxiques qui empêchent les zèbres de se sentir zèbres et de vivre en paix dans les savanes rurales et urbaines avec les nonzèbres. Je me réjouis d’avance qu’une seule personne se reconnaisse dans cette imparfaite description et que cette révélation augure une ère de pacification avec elle-même. Mais en publiant, mon ambition est plus grande. J’ai très à cœur de contribuer à une reconnaissance massive des cygnes et des canards, dans le respect de la biodiversité.
Pour un développement durable de soi et du monde, il importe que l’intelligence soit aux commandes de soi et du monde. Je fais mienne une fois encore cette maxime rabelaisienne : l’intelligence de la science sans l’intelligence de la conscience est inintelligemment destructrice. Imaginez au pouvoir de l’ONU, des États, des entreprises, de toute structure humaine… des intelligences multiples, celle de la tête qu’on peut appeler sagesse, celle du corps qu’on peut appeler courage, celle du cœur qu’on peut appeler amour.
Dans ce livre, je n’ai pas voulu faire l’éloge des surdoués. Je ne veux pas laisser entendre que nous sommes plus intelligents que les autres. Nous sommes bourrés de défauts et pétris de qualités. Les zèbres sont simplement différemment intelligents. Puissent ces quelques chapitres aider les êtres humains à mieux se comprendre, donc mieux se respecter ! Je souhaite que cette connaissance se mette autant au service des surdoués que des non-surdoués. L’adaptation des uns aux autres doit impérativement être mutuelle. Mais d’importants rapports de force contraignent les minoritaires à s’adapter aux normes de la majorité. Cette adaptation est partiellement légitime. Mais elle doit être réciproque. Quel gâchis pour une société de ne pas être à l’écoute de ses minorités !
Les cygnes ont des choses à dire. Écoutons-les ! Leur perception du monde est précieuse, pleine de subtilités. En ces temps de crise profonde, leur prégnante empathie les rend poreux, réceptifs à la misère de la Terre. Telles les truites qui pompent la pollution des rivières et en meurent bien avant tout signe d’alerte 46 , les hypersensibles sont des sentinelles avant-gardistes qu’il faut impérativement écouter pour prévenir les catastrophes et les empêcher.
En refusant son amour à Apollon, Cassandre fut condamnée par le dieu éconduit à toujours prophétiser la vérité sans être crue. Plus Cassandre voit les réalités du monde avec lucidité, moins on apporte de crédit aux redoutables événements qu’elle prédit.
Pour certains, cette épuisante tendance altruiste et universaliste finit par s’effacer au profit d’une urgence égocentrique. Afin de ne pas avoir à faire un choix binaire et réducteur, les Cassandre doivent apprivoiser leur intelligence. Et pourquoi pas un bon cours de com et de marketing pour toucher le grand public et lui parler un langage qu’il comprend ? Je me suis personnellement engagé dans cette voie. Je m’adapte en espérant ne pas me suradapter . Je me suis demandé, avant d’écrire, si un livre simple pourrait intéresser un surdoué. Peut-être, ai-je alors pensé, s’il est simple sans être simpliste, s’il est complexe sans être compliqué. À vous de juger…
« Surdoué, toi ?! » Puisqu’il semble que ce ne soit finalement pas une insulte, tu peux maintenant te poser la question presque sereinement. Mais peutêtre y as-tu déjà répondu. Pour certains, comme cela le fut pour moi, la découverte de la surdouance est le début d’une aventure passionnante. Paisible, rassurante ou bouleversante, cette porte qui s’ouvre sur soi, il faut la franchir avec courage 47 . Cela ne résout pas tous les problèmes que de faire la paix avec son haut potentiel. Quitte à flirter avec le hors-sujet, le fond de ma pensée est que nous avons tous un très haut potentiel. Que tu sois surdoué(e) ou pas, la question maintenant est de savoir ce que tu vas faire de ce que tu connais de toi. Pour ma part, j’ai décidé d’en faire un livre. Et toi, que vas-tu en faire ? Quels sont tes talents latents, refoulés ou manifestes ? Je te souhaite de les découvrir et d’en tirer le plus grand parti.
46. Source INRA-AGROCAMPUS de Rennes – Unité mixte d’écobiologie et qualité des hydrosystèmes continentaux.
47. Quelques repères dans Surmonter ses peurs. Enfin libre , Hervé Magnin Jouvence, 2008.