Pendant ce temps, sur les hauteurs de l’Olympe, Zeus se tordait de douleur. Pourquoi avait-il mal à la tête ? D’ordinaire, les dieux ne souffraient de rien ! Or il était bel et bien victime d’épouvantables migraines ; il avait l’impression que sa tête résonnait comme un tambour de guerre.
Il se prit le crâne entre les mains. Il commençait à comprendre les humains qui se plaignaient si souvent de cruelles douleurs : il n’en pouvait plus !
Seulement, lui, il était un DIEU. Et, s’il devait malgré tout avoir mal au crâne, ça ne valait vraiment pas la peine d’être immortel ! C’était même un sacré désavantage : la souffrance pouvait durer toute l’éternité !
Ne supportant plus ces tourments, Zeus appela à son secours son fils forgeron :
— Héphaïstos ! Vite !
Celui-ci arriva en boitant.
C’était un dieu très laid, avec un cou puissant, des jambes grêles et un torse velu dont les poils en bataille débordaient par le haut du tablier de cuir.
— Que se passe-t-il, père ? Quelqu’un vous attaque ?
— La DOULEUR m’attaque !
Héphaïstos n’avait jamais entendu parler d’une chose pareille, toutefois il proposa :
— Vous voulez que j’assaille cette cruelle déesse ? Où se trouve-t-elle ?
— Dans mon crâne ! Vite, fends-le avec ta hache !
Héphaïstos hésita. Si quelqu’un le voyait faire un tel geste, il serait enfermé pour l’éternité dans sa forge souterraine.
Mais Zeus, n’en pouvant plus, rugit :
— Vas-y, je te dis ! C’est un ordre !
Alors le dieu forgeron leva sa hache de bronze et, d’un coup bien appliqué – et malgré tout retenu pour ne pas faire trop de dégâts –, il fendit le crâne de son père.
La petite déesse enfermée là vit alors une brèche s’ouvrir au-dessus d’elle, et le ciel apparut. Croyant qu’on attaquait sa grotte, elle se redressa, tout armée, en poussant un cri terrible pour impressionner l’ennemi ; un cri presque aussi puissant que celui du Furieux. Le ciel lui-même en trembla.
Mais d’ennemi, il n’y avait pas. Juste un dieu boiteux, sidéré, la hache pendant au bout du bras.
Suffoqué par la surprise, Héphaïstos souleva avec peine son bonnet en cuir pour saluer la merveilleuse apparition.
— Ah ben ça, alors…
Il détailla d’un œil ébahi la petite chose perchée sur la tête du roi des dieux : une très belle enfant en tunique brodée de couleurs chatoyantes, coiffée d’un casque d’or et brandissant une lance – d’or elle aussi. Sa peau était plus blanche que l’ivoire scié1 et ses yeux comme des parcelles d’azur. Le soleil lui-même arrêta un instant ses chevaux pour l’observer.
Zeus, qui ne la voyait pas, s’impatienta :
— Eh bien ! Que se passe-t-il ?
Ravie de découvrir le monde autrement qu’à travers ce qu’elle avait pris pour des jumelles, la fillette sauta sur le sol et se mit à danser la pyrrhique2 comme elle l’avait vu faire à Arès, mais joyeusement.
Zeus comprit :
— C’est donc toi qui étais dans ma tête, ma petite Athéna3 !
Un grand sourire éclaira son visage, et il précisa :
— Je suis Zeus, ton papa.
Elle reconnut la voix qui venait des « souterrains d’en bas » et comprit que sa grotte était en fait le crâne de son père, et les « jumelles » ses narines.
Reprenant ses esprits, Héphaïstos dit dans un souffle :
— Puisque c’est moi qui l’ai délivrée de sa prison, je demande qu’elle devienne un jour ma femme.
— Non mais tu rêves ! protesta Zeus. Elle est beaucoup trop…
Il faillit dire « trop jolie pour toi », mais il ne voulait pas fâcher son sauveur. Il se reprit :
— Elle a beaucoup trop de caractère. Elle ne voudra sûrement jamais se marier.
Athéna approuva :
— Bien parlé, papa ! Je suis sur terre pour aider les mortels, pas pour me consacrer à mon mari.
Zeus ne put s’empêcher de sourire. Elle était sa fille bien-aimée, et déjà sa petite préférée !
Quelque chose se montra alors dans le ciel, un oiseau immense, un vautour au bec crochu.
— Aïe ! grommela Zeus. Il ne manquait plus que lui.
1. Le plus beau compliment, pour une femme.
2. Danse guerrière.
3. « Ath » est un mot très ancien qui signifierait « tête » ou « sommet ».