9 – Raisonnable ?

Athéna se reprochait d’autant plus sa sévérité avec Arachné qu’elle voyait bien que le comportement des dieux n’était pas impeccable non plus. Elle commençait à comprendre les colères de la pauvre Héra, que Zeus trompait si souvent.

Et il n’était pas plus correct avec les femmes qu’il voulait séduire !

Justement, son père approchait, l’air un peu coupable :

— Ma fille chérie, pourrais-tu me rendre un service ?

Prudente, elle répondit :

— De quoi s’agit-il ?

— Je suis ennuyé… Une femme vient d’abandonner son bébé dans un champ près de Thèbes. On ne peut pas laisser faire ça !

Athéna plissa le front :

— Tiens, tiens, tu te soucies des enfants des mortelles, maintenant ?

— C’est que…, fit Zeus, embarrassé, c’est celui d’Alcmène…

— Et ?

— Et… tu le sais sans doute, Alcmène est mariée avec Amphitryon. Elle est très amoureuse de lui… seulement elle est aussi très jolie.

Athéna fronça les sourcils :

— Tu veux dire… que tu as encore imaginé un coup fumant ?

— Eh bien… Comme son mari était parti en mission, j’ai pris son apparence pour… Enfin… Alcmène m’a accueilli chez elle sans se douter de rien, et pour qu’elle soit convaincue que j’étais son mari, je lui ai raconté « ma » mission.

— Tu veux dire « sa » mission, celle qui l’avait éloigné de sa maison ?

— Euh oui. Avec mes dons de divination, je savais déjà tout. Mais… en fait…

— En fait… quoi ? s’impatienta Athéna.

— Je me suis trouvé si bien avec Alcmène que, pour prolonger la nuit, j’ai demandé au Soleil de dételer son char et de rester chez lui, à la Lune de se déplacer plus lentement et au Sommeil d’endormir les mortels pour qu’ils ne se rendent compte de rien. La nuit a ainsi duré trois jours.

Incroyable ! Athéna aimait son père mais, non, vraiment, elle ne l’approuvait pas !

Zeus reprit :

— En entendant Amphitryon arriver, j’ai filé. Évidemment, quand il lui a fait le récit de sa mission, sa femme s’est étonnée : « Mais tu me l’as déjà raconté hier ! »

— Et Amphitryon s’est douté de quelque chose…

— Voilà. Alors elle a dû se débarrasser du bébé que nous avions conçu ensemble…

Cette nouvelle perfidie de son père mit Athéna en colère. Quand elle serait grande, elle n’agirait pas comme ça. Ah non ! Et même, elle ne se marierait jamais !

Zeus ajouta :

— Ce serait bien que tu ailles te promener avec Héra dans ce champ…

Athéna fronça les sourcils.

Il insista :

— Le mari d’Alcmène lui fait des histoires, tu comprends ? Et Héra me fait des histoires, à moi…

Elle grinça :

— Je COMPRENDS très bien, oui. Tu veux que je t’aide à te tirer d’une affaire sordide dans laquelle tu t’es mis tout seul !

— Oh ! Je t’en prie, ma fille. Ce bébé n’y est pour rien. Et comme il est né d’une mortelle, il n’est que demi-dieu. Il ne deviendra pas immortel s’il ne boit pas le lait de la Grande Déesse Héra.

Là, Athéna explosa :

— Non mais tu t’entends ? On croit rêver ! En plus, Héra, ta propre femme, devrait allaiter cet enfant ?

— Je t’en supplie ! Tu ne peux pas laisser un bébé dans un champ, à la merci des bêtes sauvages.

Athéna poussa un soupir exaspéré. Non, bien sûr, elle ne pouvait pas.

Son père proposa :

— Et si, pour apaiser Héra, tu donnais son nom au petit ? Par exemple, Héra-clès…

— Héraclès1 ! Donner son nom à un bébé qui n’est pas le sien pour inciter Héra à l’adopter ! Tu ne recules devant rien ! Et tu ne crois pas que ça va lui mettre la puce à l’oreille ?

— Ah oui… Pour l’instant, laissons donc à cet enfant son nom de naissance : Alcide. Donc tu t’en occupes et, moi, je file chez le mari. Il vient de condamner la malheureuse Alcmène au bûcher.

— Quoi ?!

Mais l’exclamation indignée d’Athéna résonna dans le vide, Zeus avait déjà disparu.

1. Les Romains l’appelleront Hercule.