CHAPITRE 11

La notion de comptabilité publique et les principes de l’organisation comptable

Si le budget est une prévision à portée juridique (l’autorisation) et est fixé ex ante, la comptabilité « désigne traditionnellement, en droit français, non seulement les dispositions relatives à la tenue des écritures retraçant les opérations financières des collectivités publiques mais encore les règles à respecter lors de l’exécution et du contrôle de ces opérations. Aussi, la comptabilité publique peut-elle être définie comme l’ensemble des règles juridiques applicables à l’exécution, à la description et au contrôle des opérations financières des personnes publiques. »1

La comptabilité publique conduit à tenir les comptes, établir des états financiers, exécuter des dépenses et des recettes publiques (cf. chapitre 10) selon des règles. Cette expression renvoie aussi à une administration : la direction générale des finances publiques (DGFiP), anciennement (pour les sujets qui nous intéressent dans le présent chapitre) direction générale de la comptabilité publique (DGCP).

Si l’ordonnance organique de 1959 ne s’attardait pas sur la comptabilité publique, un chapitre entier, le V, lui est dédié dans la LOLF comprenant notamment l’article 27 relatif aux trois types de comptabilité et l’article 30 relatif à la comptabilité générale laquelle tient compte des « spécificités de l’action de l’État ».

1 La comptabilité, système d’organisation de l’information financière et instrument de gestion publique

1.1 La comptabilité publique doit offrir une vision globale et sincère du résultat et du bilan de l’État

Sous l’empire de l’ordonnance organique de 1959, la comptabilité générale était modeste. En effet, elle n’intégrait ni l’ensemble des actifs, ni l’ensemble des passifs ; ne connaissait ni les amortissements ni les provisions ; et ses règles d’évaluation étaient sommaires. Enfin, la comptabilité analytique était peu présente.

Aussi une réforme comptable s’imposait avec un niveau d’exigence comparable à celui des entreprises privées : selon l’article 27 de la LOLF, « les comptes de l’État doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle de la situation financière et patrimoniale de l’État ». Le comptable public n’est plus uniquement responsable de la régularité mais aussi de la qualité.

Les informations fournies par le compte général de l’État (CGE), lequel figure dans la loi de règlement, sont les suivantes : le bilan, le compte de résultat, le tableau des flux de trésorerie et des annexes précisant ces états financiers.

Le CGE offre une vision globale de la situation financière et patrimoniale de l’État. Les pays anglo-saxons, s’ils étaient en avance en matière de comptabilité davantage exhaustive, présentent la situation financière et patrimoniale par département ministériel ; or les particularités de comptabilisation de chaque département rendent la consolidation laborieuse. La vision globale du CGE permet une bonne connaissance des marges de manœuvre possibles des finances publiques, des effets des politiques mises en œuvre ou des choix de gestion faits. Grâce à ces informations, les parlementaires, le gouvernement, l’administration peuvent décider en connaissance de cause.

1.2 Le décret relatif à la gestion budgétaire et comptable publique (GBCP)

Le GBCP traduit pour l’ensemble des structures et organismes majoritairement financés par des fonds publics2 les nouvelles obligations comptables

b Un champ d’application élargi pour le GBCP

Si le GBCP dispose pour l’État et les établissements publics nationaux (EPN), il étend son champ d’application notamment aux collectivités territoriales et aux établissements publics locaux (EPL), lesquels n’étaient concernés que partiellement par le RGCP. Le GBCP intègre également le passage à une logique pluriannuelle, de programmation, ainsi que la nécessaire dématérialisation et le déploiement du système d’information financière et comptable de l’État : Chorus3. Enfin, et c’est toute sa dimension budgétaire, il intègre la nouvelle nomenclature budgétaire issue de la LOLF, en déduit des nouvelles règles de gestion et de responsabilité des acteurs.

Trois grands titres composent le GBCP : les principes fondamentaux ; la gestion budgétaire et comptable de l’État ; la gestion budgétaire et comptable des organismes.

Bien que certaines de ses règles soient applicables exclusivement à l’État, le GBCP concerne aussi les collectivités territoriales et les EPL, les établissements publics de santé (EPS), les autres personnes morales de droit public présentes sur une liste arrêtée par les ministres chargés de l’économie et du budget, certaines personnes morales de droit privé (lorsqu’elles relèvent de la catégorie des administrations publiques au sens de la comptabilité nationale ou après accord du ministre chargé du budget) et aux autres personnes morales publiques sous réserve des dispositions de leurs textes constitutifs.

2 Le bilan permet la connaissance de la situation patrimoniale

2.1 L’application de principes de la comptabilité générale à l’État

b Le compte général de l’État comprend un bilan déséquilibré

L’obligation de renseigner le CGE, appelle, et c’est bien là la nouveauté, des informations relatives aux immobilisations, créances, échéances des dettes, charges de personnel, charges d’intervention, impôts perçus, ainsi qu’aux engagements hors bilan et notamment les engagements relatifs à la retraite des fonctionnaires (1 535 Md€ au 31 décembre 2015), aux instruments financiers et aux garanties accordées par l’État.

À son actif, qui atteint 982 Md€ fin 2015, l’État présente des immobilisations incorporelles et, surtout, corporelles (467 Md€) dont les infrastructures routières nationales, le patrimoine immobilier et le matériel militaire. Les immobilisations financières représentent 325 Md€ et regroupent les participations de l’État et les créances rattachées.

Le passif de l’État, de 2 097 Md€, est notamment composé des dettes financières (1 602 Md€) et des provisions pour risques et pour charges. Les charges à payer, les provisions, les reports de charges permettent d’affiner la prévision budgétaire et les besoins (incompressibles) des programmes, et de « challenger » le réalisme des projets de BOP soumis à l’examen des contrôleurs budgétaires et comptables ministériels ou contrôleurs budgétaires en région.

L’originalité du bilan de l’État est d’être déséquilibré, le passif étant largement supérieur à l’actif (l’écart est de plus de 1 100 Md€). Outre les conventions et imperfections comptables, cette situation tient notamment à l’absence de comptabilisation de l’actif régalien que constitue le pouvoir de lever l’impôt.

c La certification des comptes

Les entreprises privées doivent soumettre leurs comptes à certification. Ainsi, sont appréciées la régularité, sincérité et fidélité des états financiers (bilan et compte de résultat). L’article 15 DDHC proclame la nécessité pour tout agent public de pouvoir rendre des comptes à la société. La LOLF dispose ainsi à son article 58 : « la certification de la régularité, de la sincérité et de la fidélité des comptes de l’État. Cette certification est annexée au projet de loi de règlement et accompagnée du compte-rendu des vérifications opérées. »

Depuis 2006, la France – seul État de l’Union européenne à le faire – certifie les comptes de l’État. Cela est notamment permis par la nouvelle comptabilité tri-dimensionnelle (cf. infra) et notamment la comptabilité générale.

Dans son premier rapport de certification des comptes pour l’exercice 2006, la Cour des comptes a exposé la portée du principe de certification : « la certification des comptes se définit comme l’opinion écrite et motivée que formule un organisme indépendant sur la conformité des états financiers d’une entité, dans tous ses aspects significatifs, à un ensemble donné de règles comptables ». La Cour des comptes assume le rôle de l’expert-comptable et, après analyse, doit soit certifier les comptes sans réserve, soit les certifier avec réserves, soit expliquer être dans l’impossibilité de les certifier, soit refuser de les certifier. En France, les comptes de l’État ont été, jusqu’à ce jour, certifiés avec réserves, lesquelles pouvaient porter sur les systèmes d’information, les actifs de la défense ou encore le contrôle interne.

2.2 Les administrations publiques organisent un contrôle interne afin de maîtriser les risques

Le contrôle interne correspond à l’organisation développée par une structure administrative pour maîtriser et garantir le bon fonctionnement de son activité. Ce signal de sincérité et de qualité est nécessaire pour garantir la fidélité à la réalité économique, patrimoniale et financière. Le contrôle interne comptable concerne la qualité des comptes du fait générateur au dénouement, le contrôle interne budgétaire concerne la qualité de la comptabilité budgétaire et de la soutenabilité de la programmation et de son exécution (respect des plafonds fixés).

Le contrôle interne n’a pas vocation à être l’apanage des comptables. En effet, la qualité attendue ne saurait exister sans l’implication des gestionnaires. Le contrôle interne est accompagné d’une gestion des risques et d’une cartographie des risques comptables afin de déterminer l’implication de chaque acteur. Dans la pratique, les tâches sont identifiées, le travail tracé et la sécurité informatique renforcée. Ce sont les organismes de sécurité sociale qui sont à la pointe dans l’organisation de leur contrôle interne puisque, dès le décret du 10 août 1993, l’agent comptable4 d’une caisse et les agents de direction5 sont responsables de la sincérité comptable.

La direction générale des finances publiques accompagne les démarches de contrôle interne dans les administrations d’État. Elle met à disposition des ministères un outil de gestion interne des risques, notamment à partir de l’application interne de gestion des risques (AGIR), laquelle porte la programmation, puis l’exécution des plans de contrôle, les cartographies de risques, les plans d’action qui peuvent en découler et la valorisation des données.

2.3 De la comptabilité de caisse à la comptabilité d’analyse des coûts

b La nécessité, à titre complémentaire, d’une comptabilité patrimoniale

Il convenait cependant de dépasser cette comptabilité dans la mesure où est désormais tenu compte de la contribution à la valorisation du patrimoine de l’État, d’une meilleure appréhension de la réalité de l’activité annuelle en termes de recettes et de dépenses et d’une meilleure communication financière et comptable.

La comptabilité publique a été enrichie de la comptabilité générale en droits constatés – fondée sur le principe du rattachement à un exercice budgétaire (une année) des charges et des ressources s’y rapportant, qui ont pu être payées ou perçues l’année précédant ou suivant l’exercice. Les gestionnaires peuvent ainsi prendre conscience des conséquences pluriannuelles de leurs décisions. L’État peut disposer d’une vision claire de ses engagements et de sa situation patrimoniale (immobilisations, stocks, créances).

La comptabilité générale permet en effet de neutraliser les aléas de la comptabilité de caisse et les tactiques de contournement des limites des crédits budgétaires, par exemple lorsque le paiement d’une dépense engagée en année N est reporté en N+1 du fait de crédits de paiement insuffisants. En mesurant les droits constatés et, surtout, les obligations, la comptabilité générale permet ainsi d’identifier si un service ou un organisme accumule des dettes d’une année sur l’autre ou, à l’inverse, enregistre des créances qu’il peine à recouvrer.

c La comptabilité d’analyse des coûts (CAC), encore peu exploitée

La comptabilité d’analyse des coûts (CAC) « est fondée sur la comptabilité générale. Elle a pour objet, sous les réserves et dans les conditions propres à chaque catégorie de personnes morales (…) de mesurer les coûts d’une structure, d’une fonction, d’un projet, d’un bien produit ou d’une prestation réalisée et, le cas échéant, des produits afférents en vue d’éclairer les décisions d’organisation et de gestion » (art. 59 GBCP). On parle de coûts complets.

Ces coûts complets, assis sur les données de la comptabilité générale, sont ensuite évalués et analysés dans les RAP. Ils intègrent notamment les crédits d’autres programmes budgétaires apportant une contribution au programme considéré, par exemple à travers des prestations de services internes (fonctions supports), le rattachement des opérations comptables à l’exercice, les variations de stocks, les dotations aux provisions. Ils permettent ainsi d’avoir une vision plus exacte du coût réel des missions de l’État, de manière à pouvoir mieux en apprécier l’efficience.

Cependant, la CAC en est encore à ses débuts. Elle a progressé en termes de fiabilité, par une plus grande standardisation, Ce n’est ainsi que depuis l’exercice budgétaire 2014 que la CAC est déployée dans le système d’information financier de l’État Chorus. Ce mode de production des données issues de l’ensemble du budget de l’État doit permettre de fiabiliser leur délicate consolidation. De cette manière, le gouvernement et le Parlement pourront davantage exploiter l’information fournie.

3 Une comptabilité publique assurée par les comptables et… les ordonnateurs

Si la séparation de l’ordonnateur et du comptable n’a pas été remise en cause par le GBCP ; leur coopération a été organisée. Ainsi, l’art. 42 GBCP consacre les contrôles hiérarchisés et partenariaux appelant une évaluation des risques de la dépense.

3.1 D’une stricte incompatibilité des fonctions d’ordonnateurs et de comptables publics…

b La condamnation de la gestion de fait

La gestion de fait est le maniement de deniers publics par une personne n’ayant pas la qualité de comptable public6. Il s’agit d’un acte irrégulier sanctionné par la Cour des comptes ou les chambres régionales (ou territoriales) des comptes (CRTC).

Trois éléments caractérisent la gestion de fait. Premièrement, le maniement qui peut consister en la détention de fonds, la dépense ou le fait de toucher des fonds. Deuxièmement, il doit s’agir de deniers publics qui sont les fonds et les valeurs possédés en toute propriété par les organismes publics. Troisièmement, le maniement de deniers publics doit avoir été réalisé par une personne sans autorisation régulière. Seul le comptable public ou les agents agissant sous leur contrôle et pour leur compte ont qualité pour manier et détenir des fonds publics ; on les appelle « comptables patents ». Dès lors, toute personne qui s’immisce sans habilitation dans ces fonctions est comptable de fait.

Il convient de distinguer la gestion de fait « en recettes », dans laquelle le gestionnaire a fait recouvrer certaines recettes en se substituant au comptable public7, de la gestion de fait « en dépenses », consistant en le versement par un organisme public d’une subvention (considérée comme fictive) à un organisme tiers, telle une association, contrôlé par les dirigeants de l’organisme public.

Le juge des comptes est compétent et jugera alors, le cas échéant, des ordonnateurs. Toute personne, ordonnateur ou pas, qui s’est comportée comme un comptable de fait endosse les mêmes responsabilités que celles instituées pour les comptables publics, en particulier la responsabilité pécuniaire personnelle.

c Une dichotomie difficilement compréhensible

Les exigences de la nouvelle comptabilité publique pourraient impliquer un certain assouplissement de la procédure de gestion de fait. En effet, dans beaucoup de cas, il est avéré que le comptable de fait était parfaitement de bonne foi. Il est possible de donner comme exemple la perception de droits d’inscription dans un établissement d’enseignement par une personne n’ayant pas la qualité de comptable public, de régisseur ou de mandataire du régisseur ou du comptable public, ou la vente de documentation éditée par un établissement, lorsqu’elle est réalisée par un organisme privé n’ayant pas d’habilitation légale. Mais l’exemple le plus marquant est le paiement de dépenses par le biais d’une association subventionnée : une telle situation peut procéder d’un choix de gestion, destiné à améliorer la performance de l’action publique, davantage que d’une volonté de contourner les règles de la comptabilité publique.

La gestion de fait peut être contre performante si l’ordonnateur redoute de voir sa responsabilité engagée : il ne paraîtrait pas aberrant de laisser une marge de manœuvre plus grande à l’ordonnateur, dans l’esprit de la LOLF. Les évolutions liées à la comptabilité d’exercice semblent entraîner une plus grande proximité dans le travail du comptable et de l’ordonnateur à côté de laquelle la procédure de gestion de fait peut paraître particulièrement longue et inadaptée. Il est possible de se demander s’il reste souhaitable que la gestion de fait continue de se situer à la fois sur le terrain de la correction des comptes et celui de la répression ou s’il ne serait pas mieux qu’elle se concentre sur un seul de ces deux domaines.

3.2 … à sa remise en cause au bénéfice d’une relation partenariale

c Le contrôle hiérarchisé et le contrôle partenarial

Depuis 2004, le « contrôle hiérarchisé de la dépense » (CHD) a vocation à adapter le contrôle des comptables au niveau du risque de la dépense afin d’économiser de chronophages contrôles pour des sommes modestes. Par exemple seront demandées moins de pièces justificatives ; ainsi les délais (de paiement notamment) se raccourciront. Le GBCP donne une assise réglementaire à cette pratique.

Le « contrôle partenarial » consiste en l’identification conjointe des risques par les ordonnateurs et les comptables. L’application informatique « Chorus » permet d’automatiser des contrôles et de supprimer certains visas des comptables. À cette fin, l’ordonnateur et le comptable auditent conjointement la chaîne de la dépense depuis l’engagement jusqu’au paiement.

Les services facturiers prévus aux articles 41 et 131 GBCP centralisent les paiements d’un ou plusieurs ordonnateurs afin de fluidifier la chaîne de la dépense. En effet, auparavant, des factures pouvaient être contrôlées plusieurs fois, d’où des délais préjudiciables aux fournisseurs.

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Incontestablement, la comptabilité publique s’est adaptée aux exigences de performance et de transparence, ainsi qu’aux nouvelles priorités telle la réactivité de la chaîne de paiement. Le recul manque cependant encore pour apprécier le bilan coûts- avantages et mesurer les éventuels risques attachés aux innovations que sont notamment l’établissement d’un bilan de l’État, l’allégement du contrôle du comptable et le développement de nouvelles fonctions (contrôle interne, audit interne).

SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS

• Faut-il remettre en cause la séparation ordonnateur / comptable ?

• Quel partenariat entre les ordonnateurs et les comptables ?

• Le décret relatif à la gestion budgétaire et comptable publique (GBCP)

• Les trois comptabilités de l’État

• La gestion de fait

• Le bilan comptable de l’État