Conseils de séduction
à l’usage des hommes de mauvaise volonté

Direction éditoriale : Jean-Marc Bastière

Tous droits de traduction,

d’adaptation et de reproduction

réservés pour tous pays.

© 2015, Groupe Artège

Éditions du Rocher

28, rue Comte Félix Gastaldi

98015 Monaco

www.editionsdurocher.fr

ISBN version papier : 978-2-268-07644-7

ISBN version epub : 978-2-268-077703-

Cécilia Dutter

Conseils de séduction

à l’usage des hommes

de mauvaise volonté

Du même auteur

Une présence incertaine, roman, éditions Thélès, 2005.

Des échappées belles, recueil de nouvelles, éditions Le Cercle, 2006 (sous le pseudonyme de Blanche Clervoy).

La dame de ses pensées, roman, éditions Ramsay, 2008.

Etty Hillesum, une voix dans la nuit, essai, éditions Robert Laffont, 2010.

Camille Laurens, essai, ouvrage collectif, éditions Léo Scheer, 2011.

Et que le désir soit, coécrit avec Joël Schmidt, essai, éditions Desclée de Brouwer, 2011.

Lame de fond, roman, éditions Albin Michel, 2012 (prix littéraire Oulmont de la Fondation de France).

Savannah dream, roman, éditions Albin Michel, 2013.

Un cœur universel. Regards croisés sur Etty Hillesum, essai, ouvrage collectif sous la direction de Cécilia Dutter, éditions Salvator, 2013.

Livres secrets, essai, ouvrage collectif, éditions Castor Astral, 2014.

Site : www.cecilia-dutter.fr

À nos illusions…

« La femme chaste est celle que nul n’a sollicitée. »

Ovide, L’art d’aimer





Introduction

Aucune rencontre amoureuse n’est le fruit du hasard. Cible privilégiée de nos projections, l’élu(e), toujours idéalisé(e) au début d’une relation, apparaît comme l’âme sœur, le jumeau ou la jumelle, la moitié qui nous manquait pour former un tout. Sur l’être aimé se cristallisent nos espérances, nos attentes, nos rêves au sein desquels ce partenaire est prié de bien vouloir s’imbriquer s’il souhaite faire un peu plus qu’un petit tour de manège entre nos bras. Las, trop heureux d’avoir été choisi pour monter dans notre grand huit, il oublie trop souvent ce qui, en définitive, s’avère son seul et unique devoir : répondre à nos attentes !

Mais pourquoi diable l’autre est-il si « autre » dans son comportement et sa manière de penser ? Pourquoi se révèle-t-il si dramatiquement différent de ce que, d’une part, nous imaginions qu’il était, et d’autre part, nous aurions rêvé qu’il soit ?

On ne demandait rien moins qu’il entre dans notre projet. Car projet grandiose il y a dans tout acoquinement amoureux. D’abord, pour soi. Ne nous leurrons pas, le compagnon de cœur est avant tout là pour renforcer notre image. Ses yeux doivent venir la restaurer ou la renforcer. S’il nous aime, c’est que nous sommes aimable, bonne nouvelle dont nous nous emparons aussitôt pour affermir l’estime que nous nous portons. Ensuite, pour lui, car conscient de devoir remplir une mission similaire à son égard, nous lui rendons la politesse. Ainsi devient-il notre idole. Et lui aussi peut alors se mirer dans notre regard louangeur pour y puiser des forces vives. Enfin, pour l’improbable « nous » qu’envers et contre tout d’aucuns cherchent à bâtir, voyant dans la construction de cette première personne du pluriel le sens et le point d’orgue d’une existence.

Cependant, combien d’épris transis, après l’illusion des temps précoces, sauront rebondir sur les doux travers de leur mie et transformer leur union en un terrain de jeu où les égoïsmes respectifs s’entrechoqueront avec génie pour dynamiser l’imparable routine à laquelle ils seront confrontés ?

« Le couple, ce sont deux névroses qui s’emboîtent », disait Freud. Là réside sans doute le secret de ceux qui durent… Cupidon ferait-il preuve d’un très mauvais esprit ? Et si, pour que chacun trouve sa chacune, le diablotin déguisé en chérubin ailé nous exhortait, non pas à rogner nos défauts mais, bien au contraire, à les fortifier et les élever au rang d’art. Car il y a grand art à séduire en exaltant le pire…

Les messieurs font montre d’un don naturel pour cette discipline, bon point qu’il convient de mettre à leur actif. Mais, tout à l’accomplissement de leurs prouesses, la plupart d’entre eux oublient l’axiome sur lequel repose le théorème amoureux : il importe de savoir choisir celle à qui l’on adresse ses hommages. De cette délicate sélection initiale dépend le succès de leur entreprise.

À tout défaut, son amatrice. À toute turpitude, la femme qui s’en régale. Ou, pour demeurer dans le registre psychanalytique, à tout névrosé, la névrosée qui « va avec ». Afin de mieux nous en convaincre, étudions quelques couples légendaires de la littérature. Tenez ! Ulysse et Pénélope : l’un part – vingt ans, tout de même, errer sur les mers ! – l’autre l’attend dans une délectation masochiste. Magnifique emboîtement de deux aspirations contraires, maintenant le désir à son sommet par-delà l’absence et l’écoulement du temps. Prenez Tristan et Iseult. Voilà deux culpabilités qui s’entrelacent magistralement pour porter les sentiments contrariés des amants vers leur apothéose. Héloïse et Abélard : n’est-ce pas l’histoire édifiante de deux frustrations et de deux renoncements sublimés ?

Voulez-vous des illustrations plus contemporaines ? Attardons-nous un instant sur Anna Karénine et l’affreux comte Wronski sur qui elle jette son dévolu. Dans ce couple parfait, l’homme a tout compris. Séducteur hors pair, il s’entiche très intelligemment d’une femme mariée, poursuivant en cela sa quête toute masculine de puissance. L’attisant, la dame lui résiste puis, bien entendu, tombe dans ses bras car l’ennui mine sa vie conjugale et elle trouve dans l’idylle interdite matière à occuper la torpeur dépressive toute féminine cette fois à laquelle elle est en proie. C’est alors au tour de son amant de s’ennuyer au contact quotidien de sa belle, devenue, par son imprudence romantique à changer ainsi de cavalier, sa légitime. Désormais la pauvrette perdra sa jeunesse à tenter de conserver son amour adultère, nouveau divertissement qui la tient en haleine avant d’être rattrapée par son vide intérieur. En attendant, Tolstoï réalise l’exploit de nous intéresser à ce cas d’école durant près de huit cents pages !

Même idée poursuivie par Albert Cohen dans Belle du Seigneur – véritable chef-d’œuvre à la gloire de la névrose amoureuse – où les affres d’Ariane et de Solal ne sont pas sans rappeler celles de leurs illustres prédécesseurs russes.

Quant aux couples infernaux réels, ils sont fort nombreux à symboliser le joyeux enroulement pathologique conjugal. Regardez Sacha Guitry et Yvonne Printemps. Duo emblématique des années 1930, il est jaloux, elle est volage. Et pour cause, me direz-vous ! Autant il est doté d’un petit tempérament, autant celui de la comédienne est torride. « Il n’y aura donc que dans la tombe que vous serez froide ! », lui lâche-t-il un beau jour, dépité de la voir sans cesse papillonner. Et elle de lui rétorquer : « Et vous enfin raide, mon cher… » Ces deux-là n’étaient-ils pas merveilleusement assortis ? Leur insatisfaction, fruit d’attentes respectives strictement antinomiques, ne les vouait-elle pas à un chassé-croisé verbal des plus réjouissants ? Ne destinait-elle pas leur mariage à durer quelque temps ? Quinze ans de roucoulades douces-amères, ce n’est pas rien…

Songeons à Ava Gardner et Frank Sinatra, couple martial par excellence. Lui, caractériel et ténébreux, se ronge de jalousie pendant que la divine « comtesse aux pieds nus » batifole. Belle imbrication. Joli cercle vicieux dessiné à quatre mains. Après son divorce avec Ava, Frank aura deux autres épouses, mais cette dernière restera à ses yeux l’unique femme de sa vie.

En résumé, je dirais que le couple est le lieu où se concentrent les enjeux de la guerre des sexes : il met en scène la lutte de pouvoir entre l’homme et la femme, chacun poursuivant à travers l’autre une impossible satisfaction de désirs conscients ou inconscients, bien souvent contraires à ceux de son partenaire. Cependant, sur le champ de mine de ce combat perdu d’avance, il importe d’avancer le cœur vaillant car rien ne serait moins triste, soulignons-le, que de déserter.

Cœur vaillant ne signifie pas pour autant innocent. Couramment initiateur du processus amoureux, c’est aux hommes de s’armer eu égard à ce qui les attend. Loin de masquer leurs turpitudes, je leur recommande d’en faire grand cas et donc état. Mais, pour cela, ils doivent respecter certaines règles de bon sens que je me propose de rappeler au sein de cet ouvrage, facétieux manuel de séduction à l’usage des messieurs de mauvaise volonté. Cependant, les dames, victimes consentantes de ces prétendants, trouveront, j’en suis certaine, matière à se gausser avec moi de ces insolentes recommandations dont elles pourront à leur tour s’inspirer afin de mieux tirer profit des travers vénérés de leur angélique moitié.





I

Recommandations
aux tyrans






Conseils au pervers narcissique

Beau ? Souvent, vous ne l’êtes pas. Mais viril, si, extraordinairement. Personnalité ténébreuse ‒ c’est là que réside l’irrésistible attrait que vous exercez sur les gens ‒ vous êtes à la fois proche et lointain, tendre et destructeur, solaire et sombre, mais toujours, vous brillez de façon singulière, d’une lueur charismatique, inquiétante, troublante. Les femmes, toutes sans exceptions, sont le moyen de vous sentir exister. Vous n’êtes au monde, vous ne vivez que par leurs yeux. Pour en être si dépendant vous-même, vous savez mieux que personne le pouvoir du regard. Séducteur-né, vous l’avez donc placé au centre de votre stratégie de conquête.

Sans cesse, en une démarche compulsive, vous tentez d’attirer l’attention de ces dames. Vos prunelles sont un miroir idéalisant dans lequel elles se découvrent infiniment belles et désirables, image qu’elles ont tôt fait de s’approprier, vous rendant grâce de les avoir ainsi dévoilées, vous qui détenez le don intuitif, et disons-le extralucide, de les percer à jour pour déceler à travers les méandres de leur âme, ce qui se trame, trépigne et s’impatiente.

Madame Bovary n’est jamais loin. Sans fouiller beaucoup, on trouve toujours chez les femmes un désir insatisfait, une frustration ouvrant sur un spleen existentiel qui plane, telle une ombre au tableau, sur leur bonheur trop tranquille. Attente évanescente de quelque chose. De quelqu’un… Heureusement, vous êtes là ! Avant qu’elles ne se trouvent happées par le gouffre de leurs espérances déçues, vos yeux les rattrapent. Miracle de ce sauvetage auquel elles ne croyaient plus.

Oui, vous êtes là. Délibérément présent, charmeur, charmant. Vous dites ce qu’il faut dire, vous faites ce qu’il faut faire. C’est trop beau pour être honnête, mais chacune veut y croire. Vous délivrez vos compliments comme autant de bons points à une classe de pucelles en émoi. Mais précisément, premier conseil, prenez garde à ne pas demeurer dans le multiple. Pour que vos
attentions soient perçues comme une caresse, et qui sait, le début d’une promesse – l’amour, le vrai, le grand, serait-il enfin au rendez-vous ? – il convient qu’elles soient ciblées, donc à destination individuelle. Dès lors, oubliez la pêche au gros. Faites un effort, utilisez la canne. Votre instinct vous dira où la lancer pour remonter le bon poisson.

Lorsqu’un menu fretin mord, prenez le temps de jouer avec lui. Faites-lui goûter l’air de la surface puis, replongez-le dans l’eau et renouvelez l’opération dans un joyeux va-et-vient. Faites-le frétiller un peu, puis relâchez-le qu’il aille s’enfouir de nouveau au fond de la vase. Tiens, voilà qu’il revient de lui-même se crocheter à votre ligne. C’est si prévisible, en définitive, un petit merlan… Eh bien maintenant, tirez d’un coup sec sur le fil. Alors, comme ça, votre poisson veut voir le soleil ? Grillez-le qu’il en tâte ! Dites à qui veut l’entendre qu’il n’est pas comestible. Que sa chair n’est pas fraîche. Que vous mordez dedans sans plaisir. Par pur entraînement mandibulaire. Mais attention, pour en dégoûter les autres, rien ne sert de déblatérer à tort et à travers. Gagnez en crédibilité : distillez vos sarcasmes. Tranquillement. Posément. Apprenez à inscrire votre action dans la durée, vous serez ainsi assuré de conserver pour vous seul le produit de votre pêche.

Trêve de métaphore poissonneuse, revenons aux femmes – pardon, voilà que je m’égare – à la femme, unique, que le hasard si bien intentionné aura fait tomber entre vos bras. N’oubliez jamais qu’elle vous est reconnaissante de la distraire. Vous la divertissez de son mal-être qui, grâce à vous, prend un nom : le vôtre. Ce n’est pas le moindre des services que vous lui rendiez là. N’est-ce pas tout naturel de le lui faire payer ?

Il faut qu’elle sache que le délice des montagnes russes – « je t’aime, moi non plus » – a un coût, mais, soyez charitable, laissez-la encore s’aveugler un peu. Faites-la resplendir. Dites-lui combien elle est merveilleuse, combien elle compte pour vous. Ne vous a-t-elle pas envoûté ? C’est bien simple, vous êtes à ses ordres ! Si, si, n’hésitez pas, c’est son moment de gloire. Chacun de nous y a droit.

À ce stade, consommez-la puisqu’elle est mûre. Ne la ménagez pas, montrez-lui votre grand appétit. Mais trouvez rapidement motif à faire carême.

Si vous avez pris soin de choisir une femme mariée – ce que je vous recommande car, en tous points, cela facilitera votre tâche – ce motif est tout trouvé. Par définition, l’élue n’est pas libre. Or, l’amour que vous lui portez est si pur qu’il ne saurait souffrir de concurrence. Vous ne tolérez pas de la partager.

Cela étant, ne commettez surtout pas l’impair d’exiger l’exclusivité. Cette idiote serait capable de vous l’accorder, requalifiant du même coup votre joute en une vulgaire histoire d’amour, ce qu’aucun de vous, en vérité, ne désire. Non, ne demandez rien. Soyez au contraire magnanime et rendez les armes : puisqu’elle est prise, vous l’aimerez dorénavant en silence, dans le secret de votre âme. Mettez à exécution cette nouvelle résolution et disparaissez de son paysage. Oui, abandonnez-la à elle-même. Au triste sort auquel elle croyait avoir échappé en vous rencontrant.

Vous écrit-elle ? Ne répondez pas à ses messages déchirants. Vous appelle-t-elle ? Faites-vous porter aux abonnés absents. Le supplice de votre silence se doublera d’une seconde torture : celle de vous avoir déçu. Elle engendrera aussitôt chez votre victime – appelons un chat, un chat – une culpabilité qui, s’enroulant sur elle-même, nourrira une saine névrose obsessionnelle. Grâce vous soit rendue, cette nouvelle donne l’occupera bien mieux que si vous étiez resté à ses côtés. Jamais absent n’aura été si présent.

Quand elle se sera épuisée en « pourquoi », en « j’aurais dû », en « j’aurais pu », alors vous repren-drez contact. Cependant, n’oubliez pas que le temps joue en votre faveur. Si vous voulez la broyer pour mieux en aspirer le suc – puisque c’est la finalité de votre tendre personnalité – n’orchestrez pas votre résurrection trop tôt.

Vous revenez dans sa vie, c’est un fait, mais en tant qu’ami seulement. Le mot « amitié », dont vous userez et abuserez au sein de vos correspondances comme de vos conversations, la mortifiera davantage que si vous n’étiez pas reparu. Mais prenez garde à ne pas tuer l’espoir. Apprenez à jouer sur une douce ambiguïté : ouvrez la porte tout en la refermant. Vous alimenterez ainsi la boucle de ses ruminations interrogatives et conserverez votre belle place de champion dans ses pensées.

Il est des femmes avec lesquelles ce manège pourra durer plusieurs années. Cela s’est vu. Tout dépend de votre talent et de la résistance de votre compagne. Toutefois, viendra un moment où, vidée de ses forces, la dame de vos pensées n’aura plus une once d’énergie à vous offrir ni à vous opposer. Laissez alors paisiblement reposer sa dépouille. En martyre, elle rejoindra l’éther tandis que vous irez ravir ailleurs, auprès d’une consœur vierge de vos stigmates, l’élan de vie qui vous fait tant défaut.

Au demeurant, si un jour, mais j’en doute, fatigué de votre inlassable quête, vous souhaitiez y mettre un terme, voici mon ultime conseil en forme de clin d’œil, puisqu’il vaut tout aussi bien pour vous que pour vos proies : cessez de demander à « tu » de faire exister « je » et apprenez à combler votre petit néant par une tranquille densité humaine.






Conseils au jaloux

Soupçonneux, inquisiteur, obsessionnel, irascible, abusif, intrusif, pervers, n’hésitons pas à dire que vous avez toutes les qualités requises pour mener vos affaires sentimentales vers les plus hauts sommets. Le cortège de turpitudes que vous imputez à votre élue est la drogue dont vous avez besoin pour porter chaque jour votre amour à son acmé. Vous disposez en permanence de la matière première – votre compagne se trouve sous vos yeux, tremblante de vous avoir offensé par une conduite coupable qu’elle ignore, ce qui la rend d’autant plus suspecte – ainsi que de l’outil pour vous l’injecter : votre imagination fertile, propre à échafauder le pire pour mieux souffrir.

Une fois que vous aurez choisi la femme susceptible d’apprécier votre paisible caractère, vous serez donc autonome, au sens d’auto-suffisant, et vous pourrez ainsi aborder sereinement la question amoureuse puisque c’est vous qui tout à la fois la poserez et y répondrez avec une même force de conviction.

Dès lors, ne vous trompez pas de muse ! Écartez d’emblée les indépendantes. Elles sont pour vous une engeance à fuir absolument. Mais je vous le demande : une femme qui saurait exister par elle-même, en dehors du regard masculin, est-elle encore une femme ? Laissez donc sans regrets ces hermaphrodites à vos concurrents ignorants pour mieux centrer votre requête sur l’immense majorité de celles qui, respectant en cela les codes immémoriaux de bienséance, acceptent pour loi la tutelle de vos yeux d’homme. Ces dernières ne manqueront pas de requalifier vos allégations paranoïaques en preuve d’amour irréfutables, permettant à votre histoire de se construire sur un heureux malentendu. Vous prendrez soin de le renouveler aussi souvent que nécessaire, consolidant au fil du temps ce que vous édifiez.

Attention, vos reproches – mots, gestes, actes délictueux prêtés à votre mie – devront être plausibles. N’oubliez jamais que vos assertions seront réfutées, la femme ayant une fâcheuse propension à nier ou à se justifier. Bénissez cette sage démarche « disculpatoire » qui, loin de vous rassurer, excite au contraire votre anxiété et vient parfaire le travail que vous avez entamé. Mais ne facilitez pas la tâche de votre adversaire : restez vraisemblable. Toute mauvaise foi bloquerait la discussion et, plus grave encore, le processus conflictuel qui alimente votre romance.

De même, n’accablez pas votre belle en permanence. Poussée à bout, elle pourrait vous quitter ou vous punir par là où vous pensez de toute façon qu’elle a péché. Bien entendu, maintenez la pression en conservant à son égard une méfiance de bon aloi. Mais, soulever un sourcil suspicieux ne signifie pas accuser continuellement. La crise de jalousie, comme toutes les crises, représente un paroxysme. Pour la réussir, il faut la faire couver.

De votre patience dépendra son efficacité. Si vous êtes habile, vous saurez prendre votre élue de court. Pensez à lister les faits qui l’incriminent et à faire parler ces « preuves ». La fin veut les moyens. Mettez tout en œuvre pour acculer l’ennemie.

Sachez que votre compagne se régale de votre courroux. Elle le sait à la hauteur de votre attachement. Comment en vouloir à quelqu’un de trop vous aimer ? Vous souffrez plus qu’elle et surtout, vous souffrez par elle, bien qu’elle n’y soit pour rien. Pour rien, c’est à voir… La garce ‒ si vous l’avez correctement sélectionnée, j’entends ‒ ne prend-elle pas un malin plaisir à attiser votre mauvais penchant ? Ne soigne-t-elle pas sa propre faille narcissique en creusant la vôtre ? L’objet de tous vos tourments doit savoir les nourrir, sinon vous vous échinerez en pure perte à raviver sans cesse par vos accusations une flamme condamnée dès l’origine à s’éteindre. On ne peut pas réinitialiser seul un amour qui s’érode. Quand le désir faiblit, chacun doit y mettre du sien. Et si votre partenaire peine à comprendre l’enjeu sur lequel repose votre couple, de deux choses l’une, soit vous l’avez mal choisie, soit vous l’avez mal traitée. Manque de perspicacité ou manque d’entraînement, vous ne pourrez vous en prendre qu’à vous-même.

Dernier écueil auquel vous devrez prendre garde : ne pas attiser en retour la jalousie de votre moitié. C’est tentant, bien sûr, et ce procédé vous semble peut-être loyal ou même légitime. Cependant, n’en doutez pas, il est nuisible. Le binôme amoureux se doit de cultiver la complémentarité. Ne rompez pas cette règle élémentaire d’équilibre : à tout oppresseur, son opprimé. Il est à craindre en effet que deux jaloux gâchent ensemble leur potentiel. En faisant monter les enchères de leurs récriminations l’un envers l’autre, ils risquent de se perdre dans l’hystérie. C’est pourquoi, vous dissimulerez à votre élue le mécanisme de projection qui sous-tend toute jalousie, et donc la vôtre. L’ignoriez-vous ? Elle reflète assurément un désir inconscient de… tromper l’autre !






Conseils à l’ego sapiens

Par simplicité, j’appelle ego sapiens celui dont les idées comme les actions, négligeant les besoins d’autrui en général, et ceux de sa compagne en particulier, sont orientées vers ses propres intérêts, jouissance raffinée qui le pousse à se croire, en toute bonne foi, le centre du monde.

C’est auprès des dames elles-mêmes égoïstes que ce dernier aura des chances d’être compris. Mais c’est hélas auprès d’elles qu’il en aura le moins d’être servi. Sauf à porter son choix sur une sainte dont la générosité n’espérera aucun fruit en retour, je ne vois guère qu’un type de femmes susceptible de faire honneur au moi grandiose qui est le sien : les cyniques calculatrices qui, ayant appris à composer avec son altruisme contrarié, sauront flatter sa fibre égocentrée pour en obtenir quelques gratifications personnelles. Leur admiration béate leur vaudra d’être prises en compte, sinon en considération, et pour les plus habiles, de monnayer leur adulation contre de menues contreparties.

Dans ce contexte de libre-échange, notre homme aura tout intérêt à forcer son tempérament pour rester maître de la situation. C’est pourquoi, par mesure de saine économie, je lui suggère de cultiver sa préoccupation de lui-même afin d’asseoir sa position.

Pour entraîner sa partenaire, et induire chez elle un réflexe pavlovien, en toute occasion, il s’autocélébrera. De même, les activités masturbatoires, au sens propre comme au figuré, lui seront vivement recommandées en tant qu’elles viendront parfaire son penchant pour la contemplation nombriliste.

S’il est artiste, la chose est aisée, son narcissisme s’exercera à travers son activité. Peintre, il fera son autoportrait. Musicien, il sera soliste. Comédien, il jouera dans un one man show. Romancier, il écrira sa biographie. S’il ne l’est pas, n’importe quelle profession exaltant son prestige fera l’affaire. Chef d’entreprise, homme politique, animateur-télé, mannequin… le choix ne manque pas.

Mis à part les calculatrices, pour que d’autres femmes s’intéressent à lui, il prendra garde à dissimuler son égoïsme sous les dehors d’une indépendance de caractère, toujours mieux perçue. Imaginons, par exemple, qu’il rechigne à accompagner sa partenaire en un lieu qui l’ennuie. Plutôt que de refuser au motif qu’il n’en a pas envie, il arguera d’un impérieux besoin de solitude. Percevez-vous la nuance ? Ou encore, si un service lui en coûte, il se retranchera derrière une inaptitude personnelle à accomplir un acte que d’aucuns – mais pas lui qui est si différent de la multitude – effectuent sans l’ombre d’une difficulté. Voyez-vous comme on peut parfois se méprendre ? Ce qu’on prenait pour une obsession de lui-même n’est autre que sa singulière liberté d’être…

De même, si l’intérêt qu’il porte à son propre cas l’a poussé à entrer en analyse, je lui recommande de le dire sans ambages à ses prétendantes. Loin de le croire replié sur lui-même, elles loueront sa démarche thérapeutique introspective. Égocentrique, lui ? Voyons, il apprend tout simplement à se connaître… À cet égard, il prendra soin d’user du vocabulaire ad hoc. Les expressions « assumer ce que je suis », « quête de soi », « moi et surmoi » viendront ponctuer son discours et crédibiliser sa candidature auprès de celles que la psychologie séduit.

Certaines femmes, bien sûr, ne seront pas dupes de ses artifices stylistiques. Mais dans le pire des cas, elles le traiteront d’individualiste. Or, je ne vois pas que cette épithète puisse constituer un handicap dans le monde actuel. Là encore, l’ego sapiens témoigne d’une remarquable adéquation à l’époque. À l’instar de ses contemporains, libéré du poids des autres, il observe la vie du haut de son point de vue sur lui-même, panorama connivent qui ne déçoit jamais.

Cependant, après avoir fait plusieurs fois le tour de son ombilic, lassé des plaisirs solitaires, il n’est pas exclu qu’il entraîne une dame dans sa ronde, illustrant du même coup cette glorieuse vérité mise en lumière par George Sand : « L’amour étend l’égoïsme à deux êtres fondus en un seul. »





II


Recommandations
aux cocus et infidèles






Conseils au mari et à l’amant

Le mari et l’amant forment un couple indissociable. Bien qu’en théorie, ils ne se connaissent pas, ces deux personnages, sans le savoir, marchent main dans la main. Bras-dessus bras-dessous, pourrait-on dire, si cette expression ne prêtait pas à sourire quand, de l’avis général, ils se livrent combat. Et pourtant, j’ose affirmer qu’ils sont alliés. Avec la femme du premier, maîtresse du second, ils composent un triangle amoureux des plus solides et équilibrés, mais du strict respect de la répartition des rôles de chacun dépendront la longévité et le succès de leur association.

L’époux, bien entendu, doit constituer un socle. C’est avec lui que la femme bâtit : une famille, une maison, des projets, un avenir, bref, sa vie. C’est auprès de lui qu’elle se construit car il n’est point de développement personnel sans stabilité, durée, réconfort, sécurité affective et financière, en un mot, sans garanties. Le mari veillera donc à répondre au cahier des charges exigeant qui lui est assigné.

S’il veut exceller dans sa fonction, il sera doux, gentil, rassurant, attentif à sa moitié, bon père, travailleur. Il fera l’admiration des belles-familles respectives et des amis, et plus généralement, de l’entourage social du foyer.

Avant tout, on attend de lui qu’il soit prévisible. Je sais que certaines épouses – l’ineptie des récriminations féminines me laisse sans voix – reprochent à leur compagnon de l’être parfois trop. Soyons sérieux, il n’est pas du devoir d’un conjoint d’étonner, encore moins de bousculer ! Le mari est un être immuable. C’est un repère. Le seul auquel se raccrocher en ces temps chaotiques. Pourquoi donc ces petites dindes voudraient-elles qu’il soit mouvant ? Pourquoi devrait-il les surprendre ? Et puis quoi encore !

On appréciera, au contraire, la divine routine qu’il offre au quotidien. On goûtera aux joies de la quiétude, cette paix de l’âme éprouvée en sa compagnie. Avec lui, point d’enjeu. Inutile de finasser. Il nous aime telle que nous sommes. N’a-t-il pas déjà survolé cent fois nos grises mines, nos humeurs massacrantes, nos réveils pâteux ? Et il est toujours là, fidèle au poste. Il en redemande, le brave homme ! Chaque matin, il appose sa signature au bas de ce contrat conjugal auquel il a encore l’aménité de croire après toutes ces années passées à nous connaître par cœur. Patience et bienveillance sont ses principaux mérites. Il lui faut cultiver ces deux qualités célestes afin d’être élevé au rang d’ange gardien.

Si d’aventure son élue s’égare à glaner ailleurs un nouvel amusement sensoriel, toujours elle reviendra au bercail à condition qu’il soit douillet et enveloppant. Les maris doivent tisser un cocon autour de leurs épouses. Épargnez-leur, messieurs, les tracasseries d’ego, les « jalouseries » d’un autre âge, toutes ces vulgaires histoires de convoitise. Dormez en paix. Personne ne vous l’envie mais vous détenez la place de choix. Fermez les yeux sur d’éventuelles incartades qui, en vérité, loin de vous léser, viennent confirmer votre importance. Unique, vous l’êtes, que voulez-vous de mieux ? Votre belle n’a qu’un seul mari que je sache. Alors, de grâce, laissez jouer à l’amant le rôle qui n’est pas de votre registre. Je vous le redis : il est votre meilleur appui.

Qui d’autre que lui saurait mieux garder votre femme fraîche et désirable ? Souvenez-vous de l’éclat qui brûlait dans sa pupille lors de votre coup de foudre. Où s’en est-il allé ? Amoureuse, elle ne l’est plus. Dorénavant elle vous aime ! On ne peut pas tout avoir. Pour retrouver l’étincelle qui brillait aux beaux jours de votre première rencontre, il vous faut donc compter sur un autre. Ne prenez pas ombrage de votre doublure. On n’est jamais trop nombreux, je vous l’assure, pour entretenir une épouse. Engagez-vous sans retenue dans la valse à trois temps qui s’offre à vous. L’essentiel n’est-il pas de continuer à danser ? Le bonheur conjugal tient à si peu de choses : un amant, est-ce bêta de ne pas y songer ?

Observez votre compagne depuis que cet homme est entré dans sa vie. Quand l’avez-vous vue si coquette, souriante, affable ? Un autre la regarde et voilà que son être palpite ! Laissez-la donc s’enivrer du suave parfum de l’interdit. Ces effluves de stupre auront tôt fait d’envahir vos draps
matrimoniaux. En doutez-vous ? Faites-moi confiance, maris de tous bords si chers à mon cœur, l’épouse se pâme-t-elle dans d’autres bras que les vôtres, elle ne vous en oublie guère. L’appétit aiguisé, elle ira quérir auprès de vous ce que l’amant, du fait de son statut d’intermittent, lui offre avec parcimonie, cherchant ainsi à gagner votre absolution muette.

Vous lui accorderez de bonne grâce, conscient des bienfaits que vous rapportent ses égarements. Auréolé, vous régnerez en maître sur ces ébats adultérins qui, loin de vous éclipser, vous ramèneront sur le devant de la scène. Jamais votre aura n’aura été si puissante car c’est vers le héros cocufié que chacun se tourne désormais : l’épouse culpabilise à cause de lui, l’amant le jalouse, les proches le plaignent, la morale le soutient, vilipendant du même coup le pauvre amant qui ne fait cependant que son travail de fidèle collaborateur. Heureusement qu’il est là pour seconder le mari !

Par conséquent, il est l’heure de lui adresser quelques recommandations afin de l’aider dans sa tâche, qui, à bien des égards, demeure ingrate car il doit œuvrer à la fois en solitaire et dans l’ombre. C’est pourquoi le bavard, le vantard, l’extraverti éviteront de s’engager dans une telle entreprise sous peine d’échouer là où le discret et l’indépendant sauront, au contraire, mettre à profit leur autonomie.

Tout comme le mari doit demeurer à sa place de mari, l’amant doit remplir sa stricte mission d’amant. Il se montrera donc amoureux. C’est, si j’ose dire, le nerf de la guerre. Car guerre, il y a. L’amant bataille, lutte pour arriver à ses fins. Et sa meilleure arme réside dans sa force de conviction. Il sera fougueux, ardent, bouillonnant, assaillant sa maîtresse à l’aide de l’arsenal moderne des textos et autres courriels. Si, dans les faits, il ne peut être présent auprès d’elle, il veillera à occuper le terrain fantasmatique. Là où l’époux use de ces moyens de communication avec pragmatisme – « Chérie, n’oublie pas de prendre le pain » – l’amant ennoblit les messages pour en faire des odes à sa belle. « Tu me manques », « je ne pense qu’à toi » seront servis en préliminaires avant de dérouler un explicite « je te veux », puis de décliner les mille conjugaisons du désir verbalisé. Le moins qu’on espère de l’amant est qu’il soit prolixe, persévérant, assidu, que dis-je, acharné, voire incontrôlable. Sa prose se veut le reflet de son excitation. Or, il n’en peut plus de ne pas serrer sa douce entre ses bras. Cette garce le met au supplice ! Qu’il n’omette surtout pas de le lui dire. Qu’il le lui crie et le lui reproche avec véhémence : « Je meurs de ne pas te voir », « tu me tues », « tu m’assassines »… Soignez l’emphase, les femmes en raffolent.

Et montrez-vous capricieux. Mettez des conditions à votre amour, organisez des empêchements, autant de retards qui exalteront son impatience. Faites-la souffrir un peu. Juste ce qu’il faut pour qu’elle sente les divins tiraillements de sa conscience. Ce qui est simple est ennuyeux, alors soyez compliqué. Torturez-la, en gardant toujours à l’esprit que vos frasques redorent concomitamment et paradoxalement le blason du mari.

Pour illustrer mon propos, je dirais que l’adultère est un plat qui se mange relevé mais ne doit jamais être indigeste. Assaisonnez vos rencontres d’un filet de citron, acidulez vos ébats, saupoudrez vos amours de piment doux-amer mais ayez la main légère et faites place aux agapes ! Dégustez les mets que l’élue vous offre en hors-d’œuvre. Dévorez ensuite le plat de résistance puisque, de résistance, il n’y a plus. Marquez une pause en guise de trou normand, puis passez à la farandole des desserts. Goûtez à toutes les douceurs : sucre de sa bouche, miel de ses régions sacrées, pralines de ses tétons… Régalez-vous. Le festin sera bref. Dans l’idéal, unique, afin de laisser votre maîtresse sur sa faim. Vous savez la propension des femmes aux régimes… Pour se remettre d’un banquet, rien ne vaut la diète. La sienne sera définitive. Pas la vôtre ! Rien ne vous empêche en effet d’aller cuisiner ailleurs. La joie de mitonner n’est-elle pas supérieure au plaisir gustatif ? Reprenez le chemin des fourneaux et confectionnez un autre souper à l’aide de nouveaux ingrédients tandis que votre belle, écœurée, s’en retournera derrière les siens nourrir son tendre époux des reliefs de celui que vous lui aurez si brillamment servi.






Conseils à l’inconstant

L’inconstant a ses adeptes. Par un principe d’aimantation paradoxal, l’extrême labilité de ses avis comme de ses sentiments rend cet être fuyant étrangement attirant. Nombreuses sommes-nous à apprécier l’instabilité qu’il imprime à la relation amoureuse, interdisant l’ennui, cette calamité dont chacun sait les ravages. Grâce à l’inconstant, point de routine. Point de fixité du temps. Sa versatilité exalte l’instant, qui, loin de s’étirer en une permanence mortifère, étincelle et resplendit des mille possibles de l’inattendu.

Tantôt épris, tantôt indifférent, un jour enjoué, le lendemain maussade, il fait de l’impromptu sa devise. Empruntant les sentiers entrelacés de ses complexions, vainement, l’on tente de le suivre, sinon de le rattraper. On avance, on recule. À droite, à gauche, peut-être tout droit… Bien souvent, l’on se perd à travers les intrications de ses vicissitudes. Aimer un inconstant est une quête éternelle. Tout comme l’absolu, on tend vers lui sans jamais pouvoir l’atteindre.

Par définition, il est insaisissable. Or, quoi de plus attrayant qu’un être qui se dérobe ? Pariant sur la frustration que son tempérament induit, il aura beau jeu de nous faire courir. Mais à galoper ainsi derrière lui, il est à craindre que l’on s’essouffle. Le désir trop souvent contrarié ne risque-t-il pas de s’éteindre ? Qu’il veille donc à nous ménager des pauses. Stabilisant quelques heures son humeur, l’inconstant, devenu constant par un acte de volontarisme héroïque, nous offrira un répit au cœur des limbes ouatés de la prévisibilité. Domptant les soubresauts de son caractère, il filera doux et nous fera goûter à la morosité du quotidien. Puis, sans crier gare, sa versatilité reprendra le dessus, rompant la monotonie qui menaçait de s’installer. Cette douche écossaise salutaire mettra en relief les grands mérites de son caractère déconcertant, inclinant sa partenaire à la tolérance.

Quant à l’infidélité découlant fréquemment de l’inconstance, il est des femmes qui l’apprécient. Je songe en premier lieu à toutes celles qui, n’étant pas elles-mêmes des saintes, ne verront là que péché véniel. Songeons aussi aux indifférentes, légion en matière conjugale. Ignorant la jalousie, elles ne s’offusqueront nullement que l’inconstant partage avec d’autres les joies de ses incohérences, ce qui les reposera. Pensons enfin aux profiteuses auxquelles ses incartades offrent un motif de chantage donnant droit à quelques rétributions compensatoires.

Quoi qu’il en soit, ses aventures font de lui un homme d’expérience. Précieux. Qu’il prodigue donc ses bons soins à toutes celles qui le souhaitent et revienne ensuite dans le giron familial, aguerri, fort d’une estime renforcée, afin de faire profiter sa belle de ses nouveaux acquis. Mais qu’il prohibe formellement à cette dernière toute réciprocité de comportement. Qu’il se montre intraitable et condamne par avance toute légèreté coupable de sa part.

Une fois n’est pas coutume, mes chères consœurs, c’est à vous que je m’adresse. La mauvaise foi étant inhérente à l’inconstance, plutôt que de pleurer, empruntons-la à l’impétrant :

Dans une ritournelle réjouie,

Fidélité éternelle, promettons-lui.

Entre nous, point de tromperies !

Mais, dans le dos, les doigts croisons,

Et, de la transgression, goûtons le délicieux frisson.






Conseils au mari volage

Nous avons parlé plus haut du mari et de l’amant, entité indissociable et éminemment harmonieuse. Je voudrais évoquer désormais le cas particulier de l’amant quand, par ailleurs, il se trouve être un mari. L’homme marié peut en effet s’avérer cocu comme dans l’exemple déjà traité, mais rien n’exclut qu’il cocufie concomitamment ou ultérieurement son épouse. C’est cette hypothèse que nous avons donc à cœur d’examiner à présent.

Le premier conseil que l’on donnera au mari volage est d’une telle évidence qu’il paraît béotien de le mentionner. Toutefois, si je tiens à rappeler ici un truisme, c’est que je pense nécessaire de marteler la consigne reine en matière d’adultère : il importe de préserver sa moitié de ses propres turpitudes. Force est de constater que cette élémentaire prévenance n’est hélas pas toujours de mise. Or, le secret absolu doit entourer la liaison illégitime et il est fort regrettable de voir encore des maris infidèles trop peu rigoureux sur la question. Certains d’entre eux, par leur désinvolture, chercheraient-ils inconsciemment à être surpris le doigt dans le pot de confiture ? Tentons ensemble d’élucider la cause de ce comportement déconcertant. Personnellement, je n’en vois qu’une : la culpabilité. C’est pourquoi, nous nous arrêterons un instant sur cette satanée mauvaise conscience qui fait commettre au mari coureur des impairs déplorables, autant d’actes manqués, qui, dois-je le redire, altèrent la grâce des relations adultérines.

Convoiter la femme d’un autre place celui qui s’adonne à cet exercice devant un choix crucial : s’asseoir sur ses états d’âme ou, le cas échéant, renoncer drastiquement aux ébats parallèles. À cet égard, je crains qu’il n’y ait guère de demi-mesure. Avant de tromper son épouse, le conjoint devra donc s’interroger sur sa capacité à assumer d’une part ses désirs, d’autre part ses actes.

Après avoir pratiqué cette introspection, l’exécution du forfait, s’il a lieu, sera le fruit d’un processus mûrement réfléchi, pour ne pas dire responsable. Sans peur et sans reproche, l’époux cavaleur profitera alors pleinement de son aventure. Sa légèreté, loin d’être coupable, bénéficiera à son épouse, ainsi tenue à l’écart de son écart, comme à sa maîtresse, qui se verra éviter les innombrables tergiversations dialectiques dans lesquelles l’amant péteux s’emmêle couramment.

Conscient du charme éphémère de la relation adultérine, l’infidèle n’aura point pollué le temps précieux qui lui est imparti par de vaines considérations contingentes. Ses ennuis professionnels, familiaux ou conjugaux resteront notamment sur le seuil de la chambre d’hôtel. L’amant constituera un havre pour l’amante et réciproquement. Tous deux formeront une bulle de douce complicité, parenthèse enchantée au sein du quotidien, faite de moments volés, et ils vivront l’élan amoureux jusqu’à son épuisement en veillant à ne jamais l’alourdir d’un projet de construction.

Attention. Une fois la relation arrivée à son terme, le conjoint volage ne réitérera pas trop tôt ses frasques avec une autre partenaire. En ses matières, la gourmandise se révèle un vilain défaut. La gloutonnerie, un vice. Mieux vaut que ce dernier conserve une approche gourmette s’il veut retirer plus de plaisir que de désagréments de son escapade. Épicure ne fait-il pas de l’équilibre et de la sobriété la clé de notre bonheur ? Dès lors, si la sagesse consiste à s’auto-suffire, il n’est pas interdit de rêver que, bannissant les passions, le mari débauché ne désire plus un jour personne d’autre que lui-même pour jouir de l’instant en une éternité.





III


Recommandations
aux tristes sires






Conseils au déprimé

La femme aime materner et soigner ses proches. Cet instinct des plus généreux l’amène à fréquemment s’enticher du déprimé qui présente le double avantage d’être à la fois un enfant et un patient.

Comme le nourrisson, le déprimé végète, dort beaucoup, ne se lave pas, s’alimente de façon aléatoire, pleure ou vagit selon les heures et, chose curieuse mais notable, babille parfois, emporté par des accès de logorrhée délirante. Par voie de conséquence, comme la mère qu’elle se propose d’être pour lui, son épouse ou sa compagne s’évertue à le divertir, l’endormir, le toiletter, le nourrir, le consoler, l’écouter ressasser.

De même, tel le malade chronique, le déprimé erre sans but et sans envie, ne sachant que faire de lui-même, éructant quelques vocables tantôt plaintifs, tantôt hargneux, selon la teneur de ses ratiocinations. Armée de son courage et d’un solide masochisme, l’épouse-modèle qui aura porté son choix sur ce dernier emploiera sa vie à panser la sienne, forte de la conviction qu’elle le guérira en l’aimant.

Cher déprimé, surtout, ne changez rien ! Votre dame vous a élu pour votre joyeuse inappétence à l’existence. Vous avez pour noble tâche de l’occuper et de la rassurer sur ses propres aptitudes au bonheur. Montrez-vous digne de cet enjeu en continuant à aller mal mais faites preuve d’imagination.

Variez les symptômes pour ne pas qu’elle s’ennuie. Idées noires, troubles du comportement, auto-dépréciation, insomnie, perte de libido, culpabilité, angoisses, irascibilité : vous disposez d’un large panel. Mixez ces différents amusements pour rythmer ses jours et ne jamais la laisser en paix.

Plutôt que d’être livrée à elle-même, elle préfère vous offrir sa vie. Si la vôtre n’a aucun sens, soyez sûr que la sienne, grâce à vous, en prend un. Ne la fâchez pas, et demeurez tel qu’en vous-même, c’est-à-dire éteint, afin qu’en comparaison, elle puisse briller. N’oubliez pas qu’aux yeux de tous, elle doit passer pour une sainte. Là réside le secret de sa permanence à vos côtés. Vous accréditerez donc cette thèse aussi souvent que nécessaire.

En premier lieu, c’est à elle que vous adresserez vos louanges. Vous veillerez à émailler vos crises de mélancolie d’intervalles lucides au cours desquels vous lui direz combien ses attentions sont précieuses. Combien indispensables sont ses soins. Sans elle, vous auriez sombré depuis longtemps au fond du gouffre. Dieu sait où vous seriez si elle n’existait pas.

En second lieu, faites son panégyrique auprès de votre entourage. Ne vous sacrifie-t-elle pas ses plus belles années ? De ces éloges et du beau rôle qu’elle tiendra, dépendront sa patience et sa persévérance conjugale.

Prévoyez cependant de brèves plages de rémission afin qu’elle se repose. À vous de voir quand ces ruptures sont opportunes, car elles peuvent être mal vécues par votre infirmière, reléguée temporairement au simple rôle d’épouse. Cela dit, vivre avec un déprimé étant physiquement et nerveusement épuisant, un répit lui sera bénéfique. Après plusieurs épisodes d’effondrement, je préconise donc une période de calme afin que les deux partenaires se ressourcent. L’entrain retrouvé, plein d’allant, ils n’en reprendront que mieux leurs postes pour travailler de concert dans une belle complémentarité.

Enfin, dernier conseil, vous laisserez votre conjointe vivre ses propres moments de blues. Chacun de nous a droit à son petit cafard. Ne brimez pas le sien. Mais ne commettez pas l’impair de la consoler, sous peine de renverser les rôles. Pas question de devenir son thérapeute. C’est elle qui vous soigne et non l’inverse. Mieux vaut qu’elle aille pleurer dans les bras d’un proche. Elle renforcera d’autant la haute idée que chacun se fait d’elle. Loin de remettre en cause sa force de caractère, ses larmes l’exalteront et l’on mesurera l’ampleur de son sacrifice à l’aune de la peine qu’elle exprimera. Sa grandeur d’âme sera saluée par tous.

De grâce, ne prenez pas ombrage de ce qui sert magnifiquement vos intérêts. Au contraire, faites preuve de pragmatisme. Votre femme a besoin de ces éloges pour demeurer auprès de vous. La bonne santé de votre couple en dépend. À tout attelage, son carburant !






Conseils au philosophe prétentieux

À ce stade du traité, il importe de s’attarder quelques instants sur un personnage à l’appellation pléonastique : le philosophe prétentieux.

On le croise volontiers à Paris, au cœur du quartier Latin, à la terrasse d’un café, dans un cocktail, un colloque, une soirée mondaine ou par accident, en province, dans un salon du livre, à condition qu’il en soit l’invité d’honneur sinon il ne se déplace pas.

Hantant le milieu littéraire, il déambule parmi ces écrivains de seconde zone que sont les romanciers, lui qui toujours occupe la première place, étant seul habilité à penser le monde, réfléchir et proposer une vérité qu’il sait vaine mais considère essentielle de dispenser au plus grand nombre, c’est-à-dire peu de gens, eu égard à ceux qui le comprennent.

Il faut reconnaître que son langage abscons et sa pensée composite, ramifiée en fulgurances explosives et contradictoires, ne sont souvent appréciés que de lui-même, la plèbe peinant à suivre sa diarrhée verbale conceptuelle. Qu’à cela ne tienne, son aura s’avérant directement proportionnelle à son hermétisme, grand est son charisme, surtout auprès des femmes, dont, chacun en conviendra, les maigres facultés ne permettent de déchiffrer ni les mystères ni la puissance de sa dialectique.

Toutefois, s’il souhaite remporter quelques succès auprès de l’une d’elles, il devra sélectionner la plus cérébrale. Avec elle, bannissant toute forme de vulgarisation, il veillera – c’est là mon premier conseil – à rester inintelligible, attention qui sera perçue comme une marque d’estime puisqu’elle pensera, à tort mais cela n’est pas grave, être mise sur un pied d’égalité. Dès lors, la supériorité cérébrale qu’elle prête au philosophe prétentieux rejaillira sur sa propre personne et c’est désormais ensemble que ces deux purs esprits flotteront au-dessus de la misère ambiante.

Élevant l’opacité en théorème, notre homme fera en sorte que rien de ce qu’il vit ne soit simple. La complexité s’invitera jusque dans ses actes les plus quotidiens comme respirer, boire, manger, dormir, prétextes à disserter sur l’existence – d’ailleurs, est-on ? – s’interroger sur sa finalité – pourquoi serions-nous ? – et ramener à l’unique question qui le préoccupe : pourquoi diable, n’ai-je pas encore reçu le Nobel ?

Naturellement, ses relations amoureuses se devront d’être embrouillées. Il entretiendra avec sa partenaire un rapport alambiqué, n’hésitant pas à user du paradoxe et du mensonge pour mieux troubler leur histoire. Empruntant bien plus que quatre chemins, il la perdra à travers le dédale de ses contradictions, la laissera errer dans l’obscurité et se cogner sur les angles de son intransigeance, en quête d’une improbable issue.

Pour remplir pleinement sa mission, il prendra soin d’émailler leurs disputes de citations de grands penseurs, multipliant ainsi les occasions d’amener la bienheureuse aux questionnements existentiels jugés indispensables à son salut. Maîtrisant avec art un florilège de petites phrases, il tirera de sa manche tantôt l’une, tantôt l’autre pour justifier de sa conduite. Chaque brouille permettant de rappeler une vérité, je suggère de lister ici les plus usuelles.

Si les reproches qu’on lui adresse concernent, par exemple, un contentieux susceptible de lester son présent sentimental, le philosophe prétentieux pourra brandir à bon escient la Seconde considération intempestive de Nietzsche : « C’est seulement quand il est assez fort pour utiliser le passé au bénéfice de la vie et pour refaire de l’histoire avec des événements anciens, que l’homme devient homme. » En cas de critique relative à un propos désobligeant qu’il aurait tenu à l’égard de sa partenaire, il se retranchera derrière la mauvaise foi kantienne : « On ne lèse personne par de simples paroles, seraient-elles fausses ; il suffit de ne pas y croire. » Et si les récriminations de cette dernière se faisaient tout à coup trop insistantes, il serait bien inspiré de lui clouer le bec en usant de cette sentence platonicienne : « Le sage parle parce qu’il a quelque chose à dire, le fou parce qu’il a à dire quelque chose. » Ou encore, si elle se montrait franchement insultante, d’appeler Socrate à la rescousse : « Mieux vaut encore subir l’injure que la commettre », variante stylée du vulgaire : « Les chiens aboient, la caravane passe. »

D’une façon générale, il lui faudra faire preuve d’une inaltérable psychorigidité s’il souhaite intéresser un tant soit peu sa compagne qui, se prenant au jeu, tentera d’ébranler ses convictions pour tester la profondeur de son sectarisme.

Celui-ci se révélera abyssal. Le philosophe prétentieux sait tout et en tout se reconnaît. Osons le dire, il s’apparente à Dieu avec lequel il se confond volontiers. Comme Lui, il façonne le monde. Comme Lui, il professe la Vérité. Comme Lui, il donne la direction, le cap aux hommes pour grandir et se hisser, non pas à sa mesure, mais enfin, à niveau respectable… Oui, il est Dieu et parfois même, il se prend à parler à sa place au sein de ses publications tant il a à cœur de répandre cette bonne parole dont lui seul est détenteur.

Éprise et élue du Très-Haut personnifié, la femme qui partage sa vie s’enivrera d’être Quelqu’un le temps de leur rencontre. Le philosophe prétentieux misera à fond sur cette carte identitaire « narcissisante » s’il veut la garder à ses côtés. A contrario, lorsqu’il sera lassé de sa présence, il n’aura qu’à la faire redescendre des hauteurs où il feignait de l’avoir fait grimper pour s’en débarrasser. À moins qu’éprouvée par les vertiges de l’altitude, elle soit retournée d’elle-même brouter le plancher des vaches où, consciente désormais que l’herbe des cimes n’est pas plus verte qu’ailleurs, elle s’en ira explorer des pâturages à sa portée.





IV


Recommandations
aux romantico-mystiques






Conseils au poète évanescent

Le poète est au vulgus pecum ce que, trivialement, le visagiste est au coiffeur, autant dire un démiurge capable de transcender la laideur du réel pour la faire resplendir d’une gloire inédite, et dans le meilleur des cas, sublimée. Si le résultat n’est pas toujours au rendez-vous, il n’y a pas lieu de railler sa louable quête de la beauté, notion toute relative dont il a fait son absolu.

Par la dénomination « poète », nous entendons l’homme qui, artiste ou non de son état, l’est dans l’âme, laquelle s’avère propre à s’enflammer devant le spectacle de la vie quand celle des autres demeure désespérément tiède.

Très apprécié des femmes, il incarne leur part de rêve. Pour satisfaire leur impérieux besoin d’évasion, ces dames ne peuvent hélas souvent compter que sur elles-mêmes. Certaines ont l’imaginaire fécond,
l’élucubration facile. Navigant sur les eaux troubles de la contingence, elles vont rejoindre en songe la rivière cristalline de leurs envies et s’y laissent voguer majestueusement le temps de reprendre souffle avant de replonger dans les cascades accidentées du quotidien. Mais d’autres n’ont pas cette aisance à fuir et c’est bien sûr vers ces dernières qu’il conviendra au poète de se tourner s’il souhaite être reçu en hôte privilégié. Toutefois, il veillera à agir auprès d’elles sans brusquerie sous peine de passer pour un séducteur, ce qui serait le comble car, en tous points, il diffère de ce funeste personnage.

Dans une première approche, conseillons-lui de mettre son lyrisme au service d’une cause universelle – la nature, le monde, la vie, que sais-je encore, laissons-le juge – dont il exaltera la somptueuse orchestration. Ce n’est que par association d’idées, d’images, « circonvolutant » de rimes en rimes, qu’il glissera peu à peu du général au particulier. Alors seulement, d’une plume de velours, ses vers caresseront l’élue en s’attardant sur ses mérites et les heureuses répercussions qu’ils ont sur sa personne.

Flatteries ? Que nenni. Le poète est sincère. Entier. Et la légendaire prudence féminine tombe, désarmée devant la loyauté de cet interlocuteur dont l’innocence rafraîchissante interdit toute forme de manipulation.

En ce sens, reconnaissons qu’il est reposant. Le corps, chez lui, apparaît comme secondaire. Sa sensualité s’exprime par les mots avec lesquels il fait l’amour à sa belle. C’est l’âme qui exulte, la chair ne jouit qu’incidemment. Dès lors, au contraire des vilains, sa parade amoureuse n’a pas, à proprement parler, de finalité sexuelle. La rêverie, le fantasme, lui tiennent lieu de réalité.

Parfois mal dans sa peau, d’une humeur volontiers mélancolique, il traverse des états contradictoires. Tantôt survolté, tantôt neurasthénique, il se fatigue tout comme il épuise sa partenaire qu’il se contente trop souvent de posséder en pensées. Or, c’est là où le bât blesse. L’absence de concrétisation risque de décevoir sa dulcinée. Lassée de ces envolées n’ouvrant sur aucune perspective, elle peut prendre la mouche, ou pire, la poudre d’escampette. Là encore, tout dépend de son tempérament.

Il en est qui, pour des raisons personnelles et consubstantielles à leur psychologie, s’accommoderont de ces modalités : les pucelles apeurées, les épouses intègres, les grandes romantiques, les indécises, les frigides… On aura compris que, d’une manière générale, le poète devra s’adresser à toutes celles qui ont fait vœu de chasteté. S’il s’est trompé, s’il a jeté son dévolu sur une gourgandine et qu’il persiste à demeurer au plan des idéaux, d’autres viendront cueillir la rose qu’il s’était donné tant de mal à faire éclore.

En termes moins délicats, notre aède court le péril de se voir reléguer au rang de boute-en-train. J’emprunte ici sciemment au vocabulaire hippologique dans l’espoir que cette image peu reluisante l’amène à revoir sa stratégie conclusive. Certes, le fin’amor ne manque pas de charme. Il seyait aux gentes dames du Moyen Âge, mais je crains fort qu’il ne lasse nos contemporaines. L’amour vanté par le poète ne peut se contenter d’être courtois. Ce dernier doit réapprécier son approche. Considérer l’hommage verbal comme un préliminaire puis joindre le geste à la parole. Il alliera ainsi le fond et la forme, point d’orgue que ses concurrents, souvent trop pressés d’en passer aux actes, n’atteignent que rarement. Qu’il m’écoute donc et suive mes judicieux conseils. Ils le mèneront sur le sentier de la gloire. À cette éternité de l’amour offerte à ceux qui osent encore y croire.






Conseils au simple d’esprit

Je n’entends pas le simple d’esprit comme le benêt ou l’idiot auquel on songe dans l’acception classique. En l’espèce, il s’agit du doux, du naïf, du gentil. Sa tendresse d’âme l’incline à aimer inconditionnellement autrui. C’est un saint ou, à tout le moins, un honnête homme. La célèbre chanson des années 1980, Il est libre Max d’Hervé Cristiani, le salue avec brio bien que l’on perçoive dans ses paroles un certain dépit devant son inéluctable pouvoir de séduction : « Et bien sûr toutes les filles lui font les yeux de velours. Lui, pour leur faire plaisir, il leur raconte des histoires. Il les emmène par-delà les labours, chevaucher des licornes à la tombée du soir. » Il est vrai qu’il n’est pas donné à tout le monde de tutoyer les elfes et les fées.
Reconnaissons que la perspective de caresser une chimère en sa compagnie s’avère terriblement alléchante…

Tombeur malgré lui, il envoûte la gente féminine, aimantée par cet être supérieur, en avance sur son temps et le reste de l’humanité dont il ne partage pas la traditionnelle quête de pouvoir, de gloire et d’argent. Tout de même, qui eut cru qu’en amour la simplicité soit une qualité ? Sans doute, les adeptes de la fluidité affective sont-elles plus nombreuses qu’on ne le pense. Peu de femmes sont elles-mêmes simples d’esprit – leur nature les portant généralement à la plus grande complexité – mais il en est de multiples qui, lassées de leurs « emberlificotements » intérieurs ou de ceux de leurs partenaires, se tournent vers l’innocence enjouée que ce drôle de farfadet leur offre en cadeau. N’est-ce pas charmant ? Il a la candeur d’un enfant… À mille pieds au-dessus de la mêlée, le bienheureux laisse ses contemporains patauger dans la fange matérialiste tandis qu’il vole dans un ciel sans nuages pour atteindre l’éther.

Hélas, il y a un « mais », car de son aptitude à s’extraire de la contingence proviendront la plupart des ennuis auxquels il risque de faire face.
Indifférent aux modes, aux tendances, aux apparences comme aux conventions, il renvoie ses confrères à leur vanité et à l’absurdité de leurs aspirations terrestres. Sa capacité de résistance au formatage ambiant leur fait offense. Sans le vouloir, il les confronte à leur futilité, ce qu’ils lui pardonnent mal, on les comprend aisément.

Notre homme doit donc faire profil bas. Il lui faut taire, et au besoin dissimuler, ses succès auprès du public féminin afin de ne pas attiser leur jalousie. Je dis bien « succès » et non pas « conquêtes », l’idée de lutte ou de compétition n’effleurant pas cet idéaliste-né. D’où, là encore, le grave malentendu risquant de poindre avec ses pairs qui, souvent, voient en sa personne un poseur, doublé d’un affreux moraliste. Ne le comprenant pas, ils le raillent et le font passer pour un hypocrite, feignant d’ignorer une concurrence dont il n’a cependant pas conscience.

En définitive, le seul conseil utile à lui donner est de se méfier d’autrui, hommes et femmes confondus, tout particulièrement des êtres intelligents et calculateurs, autant dire de la majorité des gens. L’instinct dominateur qui siège en l’être humain incitera ses compétiteurs, gênés par son aura, à l’anéantir en usant du discrédit et de la rumeur. Quant à ses élues de cœur, elles auront tendance à le faire glisser de la catégorie de « gentilhomme » à celle de « brave garçon », l’instrumentalisant jusqu’à la vampirisation.

Comment tous ces vilains et ces vilaines pourraient-ils appréhender, eux dont les egos et la prétention pèsent si lourdement sur le cours des choses, le rôle primordial du simple d’esprit sur notre planète ? Il allège l’existence, apaise et soigne les âmes, réduit les tensions, prémunit des conflits. À l’image de l’eau, il purifie et lie les êtres entre eux.

C’est pourquoi, il doit choisir une compagne à sa mesure. Une femme digne de lui, capable de ressentir la même empathie envers son prochain. Gageons que leurs deux tempéraments conjugués répandront alors un sirop consolateur sur le monde. Rêvons qu’ensemble, ils fassent barrage à l’accélération désordonnée du rythme de nos existences. Détachés des considérations matérielles, réfractaires au luxe et à l’hyperconsommation, libérés de tout diktat, ils vivront en philosophes, garde-fous de l’humanité.






Conseils à l’épris d’absolu

Une fois n’est pas coutume, soyons sérieux, car ce personnage, je le crains, ne prête guère à sourire. L’épris d’absolu est un aventurier de l’extrême, en quête d’un idéal, par définition inatteignable. Plaçant toute chose et sa vie dans une perspective de perfection, il est exposé à une déception corrélative, l’existence étant forcément en deçà de ce qu’il en attend. En amour, chacun comprendra que son tempérament le porte aux déboires. De fait, l’échec sentimental s’avère son ordinaire.

Bien entendu, nous sommes là pour le conseiller. Toutefois, son cas est délicat. Je doute qu’il soit curable, sinon par la méthode forte. La seule recommandation intelligente à lui faire serait d’abaisser son seuil d’exigence. Or, il en est incapable. Adoptant en retour une attitude radicale, nous lui prescrirons donc l’ascèse, unique voie de salut pour ce mystique qui s’ignore. C’est, en effet, dans les bras de Dieu qu’il devra chercher le réconfort qu’aucune mortelle ne serait en mesure de lui offrir ici-bas. Car si certaines téméraires tentent de lui enseigner les joies terrestres, toutes se voient hélas refuser l’accès de son âme, aucune ne parvenant à combler son gouffre affectif. C’est pourquoi, la nature ayant horreur du vide, je propose que le Tout-Puissant se charge de le remplir. Et, pour aider l’épris d’absolu à laisser la place qui revient au Seigneur dans son cœur, voici quelques suggestions.

Tout d’abord, il prendra soin d’éliminer la dimension corporelle de son existence et, cela est évident, les pulsions qui s’y attachent, lesquelles se trouveront dorénavant réduites au strict minimum nécessaire à sa survie. Autant dire que l’abstinence lui sera vivement recommandée.

Refusant les plaisirs des sens pour faire triompher ceux de l’esprit, il n’hésitera pas à s’imposer des exercices de pénitence, privations ou mortifications, indispensables à qui souhaite s’affranchir de la condition humaine.

En outre, il pratiquera le retrait social afin de vivre dans l’isolement, affirmant ainsi la primauté spirituelle qu’il entend donner à sa destinée. N’oublions pas que c’est Dieu qu’il doit séduire ! Or, croyez-vous que l’on attrape le Très-Haut avec le vinaigre de la banalité ? Élu, il l’est : il poursuivra donc l’exception, en s’astreignant à une discipline de fer.

À terme, j’en conviens, sa volonté pourrait faiblir. Le corps, revendiquant ses droits – celui d’être respecté, nourri et délassé –, organisera un jour ou l’autre la rébellion. Dans cette hypothèse, peut-être serait-il paradoxalement salutaire à notre ermite de quitter un temps les eaux cristallines de l’ascèse pour plonger tête la première dans les flots saumâtres de la débauche. Cette option lui permettrait de traiter le mal de la perfection dont il souffre par le mal de la tentation qu’il est toujours bon de savoir apprivoiser. Ainsi, on pourrait espérer rétablir chez lui une forme d’équilibre entre les pôles terrestres et célestes qui contradictoirement l’attirent, et atténuer la tension intérieure qui le mine. Ayant assumé et satisfait les bas instincts de sa nature, il les contrôlerait plus volontiers par la raison et s’élèverait ensuite vers les hautes sphères, en conservant une saine distance à l’égard de lui-même et de ses démons.

Reconnaissons que cet exercice se révélera moins spectaculaire que ses prouesses mystiques initiales. Il lui vaudra moins de bravi admiratifs. Mais en participant à l’édification paisible de sa personne, l’épris d’absolu restaurera l’harmonie dans sa vie. Or, n’est-ce pas la perfection suprême à laquelle précisément il aspire ?





V


Recommandations
aux perturbés érotiques






Conseils au priapique triomphant

Heureux homme ! Vous qui poursuivez le fantasme du héros phallique, dominant et victorieux, vous êtes, de fait, hyperpuissant. La quasi-permanence de votre érection a de quoi subjuguer vos partenaires féminines, babas devant cette preuve incontestable de supériorité qui laisse pantois vos concurrents. Votre existence tourne autour de votre pénis, dont vous êtes, à juste titre, amoureux, et vous vous perdez dans sa contemplation gratifiante, vérifiant l’exactitude de cette affirmation dionysiaque dont vous faites votre adage : « Je bande donc je suis. »

La testostérone au plus haut, vous flattez votre appendice, l’encourageant à se surpasser. Sans cesse, vous l’exhortez à montrer sa vaillance, le récompensant de tonitruants good boy ! lorsqu’il vous donne satisfaction. Obéissant, il repart en chasse pour tenter d’assouvir votre insatiable faim de chair. Hélas, aucun gibier ne rassasie jamais votre boulimie. Pantagruel, vous engloutissez les prises les unes après les autres sans parvenir à satiété.

Vous appartenez à la catégorie des prédateurs mais si votre besoin de séduire est en effet compulsif, confinant à la rapacité, on ne retrouve pas chez vous, ou si peu, la belle dominante perverse présente chez vos confrères narcissiques.

Votre pulsion est brute. Si j’osais, je dirais pure. Toutefois, votre désir sauvage, animal, exempt des sentiments qui, entre nous souvent l’encombre, et même le contrarie, n’en rebutera pas moins la majorité des femmes. Ce constat est regrettable et comme vous, je déplore l’excès de romantisme qui les conduit à un idéalisme béat. Vous avez donc un rôle essentiel à jouer : les ramener à la raison.

Pour indispensable qu’elle soit, votre tâche n’en demeure pas moins ardue d’autant que, ne disposant pas naturellement des aptitudes manipulatrices de certains, votre réputation de Don Juan, le plus souvent vous précède. Cela étant, votre handicap peut se transformer en atout auprès d’un certain public : les mangeuses d’hommes, votre pendant féminin, les guerrières sûres d’elles que la compétition excite, les infirmières dans l’âme qui ambitionnent de vous comprendre ou – quelle vanité ! – de guérir votre satyriasis et – ce qui n’est pas moins prétentieux de leur part – d’en être seules bénéficiaires… Bref, les hystériques, ou bien encore les immatures, qui se croiront le point final de votre quête et dont la naïveté saura, sinon vous émouvoir, à tout le moins, vous divertir.

Mais s’il est une catégorie reine, facile à identifier, constituant un vivier inépuisable, c’est celle des frustrées de tous bords. Je veux parler des épouses délaissées, des femmes trompées, mises au régime contre leur gré, des célibataires endurcies, en réalité aussi tendres que des brownies, de toutes les déçues des cabrioles, revenues du septième ciel ou pire, jamais parties, qui verront en vous un sauveur, oui, un Christ des temps modernes, capable de sacrifier sa vie sur l’autel de leur libido contrariée.

Avec ces dames, ne vous perdez ni en badinage ni en conjectures. Allez droit au but et tâchez de vous montrer à la hauteur de votre mission messianique. Troussez-les avec panache ! Puisqu’elles seront sans lendemain, laissez à chacune un souvenir impérissable de vos saillies. Ne ménagez pas vos efforts. Soyez enthousiaste, énergique, ardent, généreux. À défaut de cœur, mettez du corps à l’ouvrage. Et surtout, n’exigez pas de vos conquêtes des caresses spécifiques. Acceptez ce qui vous est donné. La multitude de l’offre vous garantit la variété, pourquoi demander à l’une des accommodements auxquels elle rechigne quand l’autre vous les octroie sans sourciller ? Prenez et mangez-les toutes, telles qu’elles se présentent, et délectez-vous d’être dévoré à votre tour.

Tout cela est joyeux, je vous l’assure. Hélas, vous n’êtes pas toujours conscient de votre chance. Qui l’eut cru ? Vous avez le toupet de vous poser en victime. Reniant votre tempérament de feu, vous vous prétendez esclave de l’« excès d’énergie » qui vous anime. Entendons-nous : si je mets ici des guillemets par espièglerie euphémistique, je n’en conteste pas moins le caractère contraint de votre conduite et reconnais la petite aliénation découlant de votre addiction. Mais, avant de venir pleurnicher sur votre sort, songez à vos frères d’infortune affectés par la pathologie inverse. Au lieu de déplorer votre génitalité outrancière, tournez donc votre regard vers ces malheureux dont le désir est fragile, chancelant, aléatoire… Et posez-vous la seule question qui vaille : combien d’entre eux se damneraient pour votre super-phallus conquérant ?






Conseils à l’amputé du désir

Qu’on se le dise, au contraire de votre prédécesseur, vous n’avez aucune inclination pour le sexe. Dont acte. Rassurez-vous, vous n’êtes pas tout seul dans cette situation. D’après une étude américaine, vous faites partie des 5 % de la population ayant totalement désinvesti la sphère charnelle. Savez-vous que certains de ces « non-pratiquants » se sont regroupés en communautés sur la toile ? Allez donc y faire un tour, vous serez stupéfait de voir combien vous comptez de petits amis.

Il semble que vous apparteniez à un nouveau genre humain. Après l’ère des hétérosexuels, des homo, bi et transsexuels, s’ouvre celle des « asexuels » dont vous êtes l’un des dignes représentants. Et si quelques commentateurs narquois s’échinent à rechercher les causes biologiques, psychiques,
culturelles, de l’absence de désir qui vous caractérise, pour ma part, je m’en garderai bien, sachant que l’amour n’est gouverné par aucune règle, l’essentiel étant de savoir dénicher une personnalité qui s’emboîte à la sienne. Ainsi, à l’instar de ceux que j’adresse à tous les profils croqués dans ce manuel, mes conseils concerneront en premier lieu le choix fondamental de votre partenaire de jeu. Celle avec qui « l’écart d’aspiration », ou encore « le conflit de norme », sera le plus réduit possible.

Le désir « hypoactif » s’avérant généralement féminin, vous n’aurez aucun mal à trouver une compagne intéressée par votre passivité si vous furetez dans le clan des migraineuses ou dans celui des frigides, d’ailleurs souvent le même. Se refuser étant, comme chacun sait, une vieille technique de domination permettant de maintenir l’être aimé sous dépendance, en l’espèce, aucun de vous ne pourra en user. Qu’à cela ne tienne, vous vous entendrez si bien que toute tentative de manipulation apparaîtra superflue, ce qui fera place à une relation saine, dépoussiérée des manœuvres perverses empoisonnant les histoires passionnelles.

De même, vous pourrez avantageusement piocher dans le groupe des déçues du priapique triomphant – les DSK ne tenant pas toujours leurs promesses – ou bien encore du pervers narcissique. Vous serez également bien accueilli chez les femmes qui craignent l’engagement affectif et chérissent les rapports platoniques. L’amour courtois, vrai et pur, fera aussi recette chez les vierges tardives qui comptent le rester ou toute autre militante de la décroissance sexuelle. Vous voyez combien votre manque de tempérament est à même de séduire nombre d’entre nous !

Il est une catégorie subsidiaire au sein de laquelle, cher Abélard moderne, vous pourrez aller vous aventurer, dans l’hypothèse fort improbable où vous n’auriez pas dégotté votre Héloïse parmi toutes celles que je vous ai désignées. Je veux parler des dames dont le désir n’est pas en berne, mais qui, lassées de leur compagnon du moment, le tromperaient volontiers, si toutefois elles ne se trouvaient pas freinées par une idiote culpabilité.

Nous avons déjà évoqué la redoutable mauvaise conscience qui accompagne parfois les ébats adultérins… Savez-vous qu’elle est capable de
transformer l’acte dont certaines femmes rêvent en leur for intérieur en véritable crime contre l’humanité ? Non, bien sûr, comment pourriez-vous appréhender la torture d’un désir inavouable insatisfait quand votre heureux caractère vous fait échapper à la tentation ? N’en doutez pas, vous constituez un havre pour ces pauvresses. Que vous multipliiez les amitiés amoureuses, que vous poursuiviez des relations virtuelles désincarnées, que vous hantiez les sites de rencontres sans jamais découvrir vos épistolières « en vrai », bref, quel que soit votre mode opératoire, vous êtes une bénédiction. Vous représentez pour ces dernières un parfait dérivatif ne prêtant pas à conséquence. Grâce à vous, elles ressentent le frisson sans l’ivresse. En outre, lorsqu’elles auront épuisé les joies de l’amour imaginaire, elles se rabattront sur la camaraderie que vous leur offrez. La plupart vous penseront homosexuel. Ne les détrompez pas. Ce pieux mensonge aura l’avantage de vous mettre définitivement à l’abri d’une relation amoureuse sans leur faire affront. Vous gagnerez alors le statut enviable de confident, gage d’une relation fluide et pérenne. Considéré comme inoffensif, vous deviendrez ce qu’il est convenu d’appeler « le meilleur ami des femmes ».

Et si d’aventure vous souhaitiez corser votre quotidien monochrome en bénéficiant d’un shoot de testostérone à peu de frais, vous pourriez paradoxalement choisir une nymphomane afin de vous repaître de son désir, préalablement assouvi auprès d’autres partenaires. Faites-la parler. Nourrissez-vous de ses exploits sexuels. Vampirisez son expérience afin de détourner une partie de sa libido à votre profit. Vous vivrez ses frasques par procuration et lui volerez un peu de son plaisir sans prendre le risque d’un échec, d’un refus ou d’une rupture sentimentale.

Voilà, vous savez désormais que « no sex » et sexe faible peuvent s’entendre et disposez des cartes maîtresses pour faire de votre manque d’entrain un atout majeur.

Cela dit, je me trouve au regret d’assortir d’un gros bémol mon petit CQFD. En vous privant de l’expérience concrète de l’amour, vous passerez à côté de l’Autre, et partant, de vous-même. En effet, qui mieux qu’une élue de cœur saurait authentifier les dons exceptionnels dont vous êtes porteur ? C’est pourquoi, je crains qu’il vous faille apprivoiser l’idée d’aimer pleinement, c’est-à-dire corps et âme, si vous souhaitez un jour exprimer les vôtres en exaltant à travers les yeux d’une femme ce que vous avez de meilleur.





VI


Recommandations aux peureux






Conseils à celui qui n’ose pas
dire « Je t’aime »

Cela est entendu, jamais, ô grand jamais, vous vivant, vous ne proférerez la phrase honnie : « Je t’aime. » Que chacune se le tienne pour dit : ces trois mots sacrilèges et tabous sont proscrits de votre vocabulaire.

Bien. Les données sont posées. Passons au diagnostic.

Votre névrose est grave, je le crains. Soit elle résulte d’un échec affectif ou de plusieurs, alors cette tare me paraît résorbable, la douceur d’une nouvelle élue pouvant venir la tempérer et votre « jamais » se transformer en un « peut-être ». Soit elle vous est constitutive et dans ce cas, vous et moi devons nous faire une raison : personne ne pourra venir fissurer votre refus.

Tant pis, il faudra donc faire avec votre mutisme et accepter sa fâcheuse conséquence : la réduction considérable de votre champ d’investigation amoureux. Car hélas, la plupart des femmes ne dédaignent pas qu’on leur susurre « je t’aime » à l’oreille, garantie, à leurs yeux, d’un engagement du cœur après que le corps a été conquis.

Je vous l’accorde : « Cela ne veut rien dire. » J’en conviens : « On peut aimer sans l’affirmer. » Tout cela est vrai. Tout cela se tient. Mais qu’y puis-je si la nature a voulu que nous soyons sentimentales ? Vous devez, vous aussi, admettre nos déficiences…

Rassurez-vous, il existe des dames pragmatiques. Cependant, ce ne sont pas les plus faciles à séduire. Elles vous verront tel que vous êtes et le réalisme froid qu’elles porteront sur votre personne risque fort de vous être défavorable. Leur problème est le suivant : incapables d’idéalisation, elles percent à jour en un clin d’œil les failles de leur partenaire. Que vous leur chuchotiez « je t’aime » ou non est indifférent. Ce qu’elles veulent, ce sont des preuves ! Or, dire est toujours plus facile que faire… Vous voyez que votre obscurantisme peut vous entraîner sur un chemin glissant, vous condamnant même parfois à le rebrousser…

Mais passons vite sur ces idiotes qui souhaitent des actes là où les autres – heureusement en majorité – se contentent de promesses. N’oubliez jamais que c’est vers ces vraies femmes qu’il vous faudra revenir une fois que vous aurez déçu les premières. Avec elles, vous jouerez des malentendus qu’offre le non-dit. Certaines, en effet, sont patientes. Vous mettrez donc à l’épreuve leur endurance stoïcienne en répondant à leurs interrogations indiscrètes par un silence ambigu. À la question « m’aimes-tu ? », beaucoup se satisferont d’un sourire évocateur, d’une caresse, ou encore d’un regard flou, comme perdu dans le lointain. Oui, il existe des subterfuges permettant d’ouvrir la discussion plutôt que de la clore. À vous d’être inventif.

Si vous voulez finasser, vous pouvez assortir la phrase interdite d’un adverbe. « Je t’aime bien » ou « je t’aime beaucoup » sont évidemment des façons d’éluder. Mais je crains qu’elles se révèlent vexatoires. On « aime bien » un chat, un chien, un camarade, un film. Je ne suis pas sûre que, se rapportant à votre élue, l’expression soit très heureuse.

Attention à « je t’aime tellement », ou pire, « je t’aime passionnément », qui, malgré l’adjonction adverbiale, vous mèneraient droit à l’impasse.

Peut-être faut-il alors changer de formule ? Tentez « je t’apprécie », « je t’affectionne »… Qui sait ? Certaines femmes savent parfois lire entre les lignes…

Non, au fond, à votre place, je pratiquerais les classiques : « Tu me plais », « je suis bien avec toi ». Ces lieux communs ont l’avantage d’inscrire les faits dans le présent. Vous constatez : actuellement, à cet instant précis, voilà ce que je ressens. Cependant, rien ne présage de l’avenir. Vous n’êtes pas responsable de ce qui se déroulera dans une heure, un jour, une semaine ou un mois. Sans trop la frustrer, vous garderez votre mie sur le qui-vive. Son désir ne s’en trouvera qu’aiguisé.

Autre solution, plus sournoise mais poétique, vous pouvez user de l’oxymore. Pour cela, réunissez dans la même phrase deux mots de sens opposés permettant de rendre votre propos énigmatique. Dites, par exemple : « Notre amour brille pour moi d’une obscure clarté… » et laissez votre belle réfléchir, excellent procédé pour gagner du temps.

Enfin, ultime suggestion, de loin la meilleure : pratiquez la litote. Alors, comme Chimène à Rodrigue, osez un « je ne te hais point » qui, soyez-en sûr, fera son effet auprès des dames cultivées rosissant de plaisir devant votre suave figure de style.






Conseils au maladroit

Le maladroit est un rêveur et un grand enfant qui vit dans sa tête plus que dans son corps. Il se cogne, ébranle, renverse, bouscule, tangue par inadaptation au réel dont il fuit les contraintes et les rudesses. Ses mouvements mal dirigés sont autant d’actes manqués, « lapsus gesticulatoires » qui traduisent son besoin fondamental de lâcher prise. À l’abri dans sa bulle, refoulant toute forme de compétitivité et toute ambition de bien faire, il attend qu’on vienne le chercher sinon le trouver, lui qui doute d’intéresser qui que ce soit autrement que par ses pitreries involontaires.

Messieurs les gauchers du quotidien, de l’amour, du sexe, du langage qui souvent vous échappe, vos mots ne traduisant pas ce que vous aviez initialement l’intention d’exprimer, écoutez-moi bien : vous avez la chance inouïe d’attendrir les femmes ! Votre pouvoir de séduction repose sur votre faiblesse, savant mélange de pusillanimité et de fragilité qu’elles adorent prendre en charge. Avec vous, inutile de lutter pour vaincre. Elles vous dominent sans mérite mais sans conteste. D’emblée, elles aiment vos singeries qui signent votre manque d’assurance. Je n’ai qu’un seul conseil à vous donner : faites-en des tonnes !

Comme tous les timides, vous craignez de vous attacher à une femme, car vous redoutez l’échec qui pourrait s’ensuivre. Sachez que la représentation d’un péril s’avère toujours pire que le péril lui-même. En amour, que risquez-vous sinon un refus ? Est-ce si grave ? Gardez toujours en tête que c’est l’abstention que ces dames pardonnent le plus difficilement. Jamais elles n’en veulent à un homme de tenter de les séduire, même quand sa démarche est pataude. Votre meilleur ennemi est l’inertie. Alors, lancez-vous ! Une fois qu’elles auront cerné votre profil, oui, dès lors qu’elles auront compris que vous vous situez aux antipodes des serial lovers qu’elles côtoient, elles vous envelopperont de bienveillance et ce sont elles, vous verrez, qui relayeront votre requête.

À votre égard, leur stratégie sera diamétralement opposée à celle qu’elles adoptent vis-à-vis de vos concurrents plein d’arrogance. Elles auront à cœur de désacraliser la vision idéalisée que vous avez d’elles et veilleront à se rendre accessibles en créant un climat d’intimité entre vous. Elles chercheront à vous viriliser. Ainsi, elles redoreront le blason qu’hélas vous décapez sans cesse en vous dévalorisant. Pour lutter contre ce syndrome d’extrême modestie qui vous pousse à commettre tant de bévues, elles s’emploieront à vous complimenter souvent. De même, elles feront le ménage dans leur existence et bazarderont leurs prétendants afin de vous indiquer clairement que la voie est libre. Enfin, et ce n’est pas le moindre avantage de votre situation, émues par vos tentatives balourdes et malhabiles, elles dirigeront les opérations et vous guideront pas à pas sur le sentier menant à leurs contrées.

Savez-vous bien que vous êtes un homme verni ? Votre unique mission consiste à rester tel qu’en vous-même, c’est-à-dire lourdaud, donc simplement touchant. Je vous le redis, vous n’avez rien à craindre. Ce n’est pas sur un maladroit que l’on fait ses griffes. Pas à un maladroit que l’on déchire le cœur. Au contraire, on le rassure. On le dorlote. Profitez-en, vous détenez le don de faire rire vos aspirantes. Femme qui s’esclaffe n’est-elle pas femme conquise ? Vous êtes l’un des plus charmants personnages de mon petit « bestiaire » et l’un de mes préférés. Gêné, mal à l’aise, complexé, frileux, effarouché, vous avez tout pour me plaire. Continuez vos clowneries, j’en redemande ! Croyez-vous que je sois la seule à être sensible à la poésie du burlesque ?






Conseils au Cupidon-phobique

Cher Cupidon-phobique,

Je vous écris pour établir entre nous un rapport direct et sans fard, propre à vous rassurer. C’est d’une véritable amie dont vous avez besoin. Ce lien avec une femme est en effet le seul qui ne vous effraie pas. Partons donc du principe que je suis votre amie, nullement votre maîtresse, détendez-vous et écoutez-moi.

« Aimer, c’est donner à autrui le pouvoir de vous faire souffrir. » Cette maxime aussi célèbre que peu amène clignote en lettres de feu, tel un néon d’alarme, dans votre ciel intérieur. L’amour représente à vos yeux le danger suprême. Pour mieux vous soustraire au péril d’une éventuelle relation sentimentale, vous l’évitez, et lorsque, malgré vos précautions, la catastrophe se produit, vous fuyez ou torpillez illico ce début de promesse.

Votre problème est épineux, car contre toute attente, beaucoup de femmes apprécient votre résistance, à laquelle, une fois encore, elles ont la prétention de remédier en vous faisant connaître ce fameux Grand Amour, censé vous guérir. Ces impudentes tombent sous votre charme, ce qui vous expose à leur rendre la pareille et aggrave corrélativement votre phobie. C’est pourquoi, plus elles vous témoignent d’affection, plus vous prenez vos jambes à votre cou. Votre credo ? Aimer sans vous engager. Exceptée la solution radicale du célibat à vie, s’offrent à vous deux possibilités pour rester fidèle à cet idéal.

Tout d’abord, vous pourrez choisir votre élue parmi celles qui, à votre image, refusent l’amour. Le cas est exceptionnel, je vous l’accorde, mais il existe fort heureusement pour vous quelques résistantes à l’idée romantique de construire une vie à deux. Bien que la hantise dont vous souffriez soit plus spécifiquement masculine, il n’est pas à exclure, vous en conviendrez, que certaines dames en soient la proie. La crainte d’étouffer, de décevoir, d’être dépendant ou blessé peut en effet être partagée. Rien ne vous oblige à la porter tout seul. D’ailleurs, cette appréhension s’avère toujours contagieuse. Quand l’un des partenaires en est atteint, l’autre, dans un bel élan de solidarité, ne tarde pas à l’être aussi. Quoi qu’il en soit, de naissance ou contaminée, c’est d’une Cupidon-phobique que peut venir votre salut.

Ainsi, je vous propose de jeter votre dévolu sur une déçue de l’amour : une fraîche divorcée ou, à défaut, une femme ayant déjà essuyé plusieurs échecs sentimentaux. Pessimiste, résignée, méfiante, amère, volontiers agressive, vous vous reconnaîtrez dans ses qualités, miroir des vôtres. Qui se ressemble s’assemble, ces similitudes simplifieront votre rapprochement. Ensuite, je ne vous cache pas que vous entrerez dans une phase plus complexe de votre relation, le mouvement esquissé par l’un étant aussitôt contré par l’autre. L’idéal serait d’arriver au statu quo de l’immobilité, neutralité paradisiaque propre à vous rasséréner tous les deux. Cependant, l’hypothétique équilibre auquel vous parviendrez risque d’être précaire, une parole, un geste, un élan pouvant inopinément échapper à l’un de vous – une maladresse est si vite commise – et, sans crier gare, faire voler en éclats l’attentisme auquel vous étiez parvenus au prix de tant d’efforts. À la vérité, si vous portez votre choix sur une Cupidon-phobique, vous devez vous attendre à subir les mêmes désagréments que ceux dont pâtissent vos conquêtes, se résumant à d’épuisants allers-retours de sentiments. Remarquez, c’est encore la meilleure façon de faire du sur-place, votre objectif mutuel. Et puisque l’inertie vous séduit, je ne vois là rien à redire.

Toutefois, si cette situation bloquée venait à vous lasser, vous pourriez vous tourner en second lieu vers une féministe, Cupidon-phobique par militantisme. En guerre contre les hommes, elle n’envisagera de s’engager avec aucun, ce qui est un excellent point à mettre à son actif. De surcroît, au contraire de la précédente, elle vous promet de joyeuses joutes oratoires mais, si la perspective d’un rapport houleux, voire franchement hostile, ne vous rebute pas, une paix royale sur le plan affectif. Peu exigeante, elle devrait se contenter de votre investissement minimal. Elle vous le rendra, soucieuse de respecter en cela l’égalité des sexes.

Venons-en désormais à une troisième solution pour sortir de la mélasse dans laquelle votre tempérament vous incline à patauger. Analysons un instant votre psychose de l’amour, voulez-vous ? Quel est le réel danger qui vous menace ? Ce sont les femmes, mon ami ! Et quels sont, à votre humble avis, les meilleurs moyens de s’en protéger ? En voici deux infaillibles : les dénigrer ou les consommer frénétiquement pour éviter tout engagement du cœur. Par conséquent, je vous recommande de devenir sexiste et misogyne, premiers pas vers la sagesse. Mais j’attends de vous davantage. Soyez un séducteur hors pair. À ce titre, relisez les pertinents conseils délivrés au pervers narcissique et au priapique triomphant, deux personnages sur lesquels vous pourrez utilement prendre modèle. Vous verrez combien se transformer en prédateur s’avère efficace. Bientôt, votre peur ne sera plus qu’un vilain souvenir. Tout comme l’amour qui s’en ira taquiner vos frères d’infortune à qui une véritable amie n’aura pas judicieusement ouvert les yeux…





VII


Recommandations
aux gentilshommes sur le retour






Conseils au renard argenté

Canidé du genre Vulpes se situant à équidistance du loup et du chien, j’appelle renard argenté, en hommage à sa fibre capillaire cendrée, tout homme ayant parcouru au moins un demi-siècle sur notre belle planète. Museau allongé, oreilles dressées, l’œil encore vif, il se tient à l’affût de quelques proies à rapporter dans sa tanière et pratique le « mulotage » avec la dextérité que lui octroie l’expérience des années, autant dire avec grand art.

Il compte à son actif de très nombreux atouts. Outre le charme ravageur de ses tempes ardoise, la force de l’âge lui confère une lucidité tranquille doublée d’un regard frisant sur l’existence dont il a récemment pris conscience de la finitude, d’où une ferme intention d’en profiter.

Atteint par l’angoisse légitime de la dernière ligne droite, il n’en est que plus ouvert à l’aventure et constitue donc un mets de choix pour toutes celles qui ne se trouvent pas rebutées par les caractéristiques physiques de la maturité. Qu’il n’ait crainte, elles sont légion à apprécier les rides, la petite bedaine et le casque grisonnant.

Je me permets ici une parenthèse de la plus haute importance. En cas de calvitie – ce n’est pas rare chez l’homme en général, particulièrement à cet âge avancé – je conseille d’assumer le lissé du crâne plutôt que de se ruiner en implants dont le résultat, trop aérien pour être honnête, met au contraire l’accent sur la misère qu’on souhaitait masquer. Ajoutons que le pire des remèdes consisterait à laisser pousser une grande mèche pour la rabattre sur le sommet de la tête, là même où plus aucun poil ne pousse depuis déjà fort longtemps. Dès lors, si chenu et glabre vous êtes, je ne vois pas d’autre solution que d’assumer cet état de fait ou, à la rigueur, de cultiver la barbe pour faire diversion.

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à notre renard rôdant autour de la basse-cour. Pour avoir quelques chances de parcourir un bout de chemin avec une poule – et pourquoi pas, l’ultime tronçon de sa trajectoire – il dédaignera les trop jeunes gallinacées et arrêtera son choix sur un spécimen d’âge mûr. Il prendra cependant soin de sélectionner une cocotte d’une dizaine d’années sa cadette. Cet écart, idéal, permettra à cette dernière de se sentir rajeunie à ses côtés. En lieu et place d’un lifting, le renard argenté lui donnera ainsi l’illusion d’un coup de frais tant il est vrai qu’en comparaison, elle passera pour une poussine. Par définition, les années n’étant pas rattrapables, l’effet revigorant de leur relation aura tout loisir de perdurer. Gage de longévité de leur histoire, l’écart évitera en outre au dit renard de pâtir d’une autre affection fâcheuse, généralement contractée lorsqu’il s’égare à courtiser une jouvencelle : le syndrome du vieux beau. Loin de le reverdir, cette union contre-nature le fait passer pour un barbon, la pimprenelle risquant, pour sa part, de se voir taxée d’intéressée, voire de gourgandine.

Il n’en reste pas moins que le renard argenté, comme son nom l’indique assez, devra s’arranger pour ne jamais être désargenté. Compte tenu de son âge, on peut décemment espérer qu’il ait acquis une belle situation assurant à sa partenaire un certain niveau de confort et de sécurité. Il s’emploiera donc à le lui prouver en lui offrant divers présents. Bijoux, fourrures, champagne, palaces, le choix des douceurs est vaste. Il ne négligera pas les voyages. Outre que ceux-ci forment la jeunesse et, a fortiori, la maintiennent, introduire un brin d’exotisme dans le quotidien n’est pas de nature à nuire au couple, lequel sortira toujours renforcé d’un exil sous les cocotiers.

On observe que le renard argenté dispose de réels arguments pour séduire les dames. Et si d’aventure le poids des années venait malencontreusement à lester son appendice, engendrant chez lui de légères défaillances érectiles, je l’invite à tester les miracles d’une certaine pilule bleue, propre à lui épargner la défaite. Alors, quittant son état de canidé du genre Vulpes, il se transformera en fauve, saluant ainsi dans un feulement, le cap des cinquantièmes rugissants.






Conseils au « petit monsieur »

De nombreux hommes atteints du syndrome du « petit monsieur » ne soupçonnent pas la gravité de ce mal hélas fort répandu dans notre société où tout service se monnaye et se troque, mais jamais ne se rend sans contrepartie, pour la simple beauté du geste gratuit.

Le « petit monsieur » est donc celui qui, pour obtenir les faveurs d’une dame, lui fera miroiter quelques largesses entrant dans le champ de ses compétences ou dépendant de son réseau d’influence. On aura compris que les cas de figure dans lesquels il peut s’illustrer sont infiniment variés. Je me limiterai à certains exemples parlants comme l’« ami » vous mettant en relation avec une personne haut placée moyennant un « plus si affinités » espéré depuis des lustres, le confrère effectuant un calcul similaire après vous avoir fait une courte échelle professionnelle, mais aussi le patron promettant un poste ou une augmentation à une employée docile, le producteur, un rôle à une starlette, ou encore le journaliste, un article à une auteure ayant su flatter chez lui une tout autre plume que celle de son stylo. Bref, chaque fois qu’un homme sera en position d’aider une femme à accéder au statut qu’elle brigue, le danger pour lui de contracter la pathologie du « petit monsieur » sera réel, ce risque s’avérant d’autant plus accru que la dame est ambitieuse et prête à payer de sa personne pour s’offrir ce qu’elle croit être son dû.

Chronique dans les milieux artistiques, cette affection touche toutes les sphères sociales. Le mal est endémique, contaminant souvent les hommes qu’on pensait les plus intègres. Il se répand tel un cancer généralisé. C’est pourquoi, je crois utile de donner quelques conseils aux messieurs qui en sont atteints pour leur permettre de vivre en bonne intelligence avec cette affection.

Premièrement, écartez-vous des féministes. Ces irréductibles qui pensent pouvoir s’affranchir du droit de cuissage pour réussir, sont à fuir comme la peste. Non, adressez-vous plutôt aux dames immunisées contre le virus dont vous êtes porteur. Je veux parler de toutes celles qui, ayant rencontré maintes fois cet agent pathogène dans leur existence, n’en craignent plus les effets délétères. Vaccinées, elles n’hésiteront pas à vous côtoyer.

Mais n’attendez rien d’autre de la part de ces dernières qu’un prêté pour un rendu. Dès lors, prenez garde à ne pas tomber amoureux car le sentiment naissant rarement de l’échange-marchandise, votre emballement, incongru, ne saurait qu’être à sens unique. Soyons clairs : aux yeux de vos « conquêtes », vous ne serez jamais qu’un moyen au service de leur fin. C’est pourquoi, lorsque vous-même aurez eu gain de cause, veillez à tenir scrupuleusement vos engagements sinon vous risqueriez d’esquinter votre réputation de « petit monsieur » pour vous voir rétrogradé au rang de sous-homme.

Je sais que certains d’entre vous briguent des fonctions supérieures. Il est des utopistes qui, dans un excès d’optimisme, convoitent le titre de « grand monsieur ». Passer d’un qualificatif à l’autre n’est cependant pas chose aisée. Même en s’échauffant, je doute que beaucoup sachent réaliser ce bond à moins d’être catapultés par un puissant élan amoureux qui toujours, je le répète, complique la tâche des « petits messieurs ». Mais il n’est pas interdit de rêver… Propulsés alors vers des cimes auxquelles ils ne sont pas coutumiers, quelques-uns pourraient venir tutoyer le ciel de la gratuité et, prenant goût à l’élégance, changer de comportement, donc de statut. Soyons honnêtes, le cas est rare. Il tient du miracle. Je ne le mentionne que par souci d’exhaustivité.

Attention également aux « grands messieurs de… » ‒ la politique, la littérature, la télévision, que sais-je encore ? ‒ qui, pour autant, ne sont pas des « grands messieurs tout court » car la nature humaine détestant la logique, l’un et l’autre ne sont nullement liés. Certes, le « grand monsieur de… », occupant une place de choix dans la hiérarchie sociale, ne devrait guère avoir recours au troc pour obtenir les faveurs féminines. En théorie, khalife à la place du khalife, il n’a qu’à claquer des doigts. Bien sûr. Cela est vrai, mais ne vaut que pour le temps où il est au sommet. Après, mon Dieu après, il lui faut redescendre de son piédestal. Accepter la dure loi du marché. Celle de l’offre et de la demande. Or, de demande, précisément, il n’y a plus. Ou il y a moins. Bien que demeurant un « grand monsieur de… », il a vieilli ou quitté les fonctions qui, jusqu’alors, lui valaient son titre. Peu habitué à se voir refuser des grâces auxquelles il pensait ne jamais avoir à renoncer et prenant acte de la marchandisation galopante des corps et des âmes, il est probable qu’à son tour, il tienne les comptes des services qu’il octroie encore de-ci, de-là, et enjoigne ses solliciteuses à passer préalablement à la caisse. Rassurons-nous, saluant sa fibre commerçante, en fines gestionnaires, ces dernières ne lui offriront qu’une part congrue de leurs charmes, ouvrant ainsi l’ère des soldes avant sa mise au rebut.






Épilogue

Pour achever ce traité en beauté, je voudrais rappeler en guise de pied de nez et d’ultime conseil aux hommes de mauvaise volonté, cette maxime fort à propos d’un certain Jean-Jacques Rousseau : « On jouit moins de tout ce qu’on obtient que de ce qu’on espère… »






Remerciements

Merci à Jean-Marc Bastière, mon éditeur, pour son intelligence, son humour et la bienveillance virile dont il a entouré cet ouvrage.

Merci à Anne Dieusaert, fidèle complice et soutien de la première heure.

Merci à David Camus de son enthousiasme réjoui.

Et merci à mon doux mari de supporter avec vaillance la petite peste qui partage sa vie depuis plus de vingt ans…

Table des matières





Introduction


I
Recommandations aux tyrans

Conseils au pervers narcissique

Conseils au jaloux

Conseils à l’ego sapiens


II Recommandations aux cocus et infidèles

Conseils au mari et à l’amant

Conseils à l’inconstant

Conseils au mari volage


III Recommandations aux tristes sires

Conseils au déprimé

Conseils au philosophe prétentieux


IV Recommandations aux romantico-mystiques

Conseils au poète évanescent

Conseils au simple d’esprit

Conseils à l’épris d’absolu


V Recommandations aux perturbés érotiques

Conseils au priapique triomphant

Conseils à l’amputé du désir


VI Recommandations aux peureux

Conseils à celui qui n’ose pas dire « Je t’aime »

Conseils au maladroit

Conseils au Cupidon-phobique


VII Recommandations aux gentilshommes sur le retour

Conseils au renard argenté
Conseils au « petit monsieur »

Épilogue

Remerciements