CHAPITRE 9
Grimod de La Reynière : l’avènement du gastronome
En raison de sa verve singulière et de ses initiatives éditoriales opportunes, Grimod de La Reynière (1758-1837) a permis, plus que tout autre gastronome, que l’art culinaire soit consacré comme un fleuron de notre culture nationale. Ses principaux écrits sur la cuisine ont été publiés sous l’Empire : l’Almanach des gourmands (entre 1803 et 1812) et le Manuel des amphitryons (1808)1. Grimod s’était d’abord fait connaître en rendant compte de l’actualité théâtrale et littéraire, ce dont témoignent ses articles réunis en quatre volumes dans Le Censeur dramatique (1797-1798) et en deux volumes dans L’Alambic littéraire (1803). Quoiqu’il ait donné ses œuvres notables après la Révolution, on ne saurait oublier ses débuts plutôt bruyants sur la scène parisienne, dans les dernières années de l’Ancien Régime. Le jeune homme fortuné qu’il était alors a su faire parler de lui très tôt, non pour avoir publié deux légers opuscules (Réflexions philosophiques sur le plaisir, par un célibataire en 1783 et la Lorgnette philosophique en 1785), mais pour avoir organisé une série de repas étonnants où s’annonçait, au-delà d’une excentricité foncière, sa vocation ultérieure de critique gastronomique.
Si ce fils de famille s’est montré tellement turbulent dans sa prime jeunesse et a défrayé durablement la chronique, c’est qu’il avait un assez lourd contentieux avec ses proches et avec son milieu. Par son père, Grimod appartient à une dynastie de fermiers généraux depuis trois générations, c’est-à-dire à cette caste de financiers qui collectaient les impôts au nom du roi. Le grand-père, ami des arts, était en correspondance avec Voltaire, auquel il servait d’agent postal. Il était surtout célèbre pour sa table et pour sa gourmandise. Aussi finit-il « suffoqué par un pâté de foie gras » en 1754, mort glorieuse s’il en fut et tout à fait dans le registre des « anecdotes gourmandes » dont son petit-fils se fera bien plus tard le chantre. Il avait eu en secondes noces un fils (le père de Grimod) et une fille qui avait épousé Malesherbes en 1749 : ce grand homme était donc l’oncle par alliance de notre gastronome qui lui fut toujours très attaché. Quant à la mère de Grimod, Suzanne de Jarente, elle était la fille du marquis d’Orgeval et se montrait très imbue de ses origines, à en croire le portrait charge que fit d’elle Mme de Genlis : « La fortune immense qu’elle possède n’a pu la consoler encore du chagrin d’être la femme d’un financier ; n’ayant point assez d’esprit pour surmonter une semblable faiblesse, elle en souffre d’autant plus qu’elle ne voit que des gens de la cour2. »
Dans les années 1770, le père de Grimod avait fait aménager, près de la Concorde, un somptueux hôtel dans le goût néoclassique3. Des dîners fort courus y réunissaient une société brillante, avec entre autres Mme de Staël, l’abbé Barthélemy, Mme Vigée-Lebrun, le baron de Besenval, des musiciens comme Sacchini et Piccinni, sans compter la vieille Mlle Quinault qui avait connu tout le siècle. C’est à cette célèbre comédienne que Grimod doit sans doute sa passion pour le théâtre. Si le jeune homme avait amplement de quoi se féliciter d’avoir de tels parents, bien des nuages assombrissaient l’atmosphère familiale. Le père, moqué comme un peu trop bonhomme, se consolait avec des actrices des infidélités de son épouse. Au moment de ses fiançailles avec Suzanne de Jarente et alors qu’il s’en félicitait devant Malesherbes, ce dernier lui aurait rétorqué : « Cela dépend du premier amant qu’elle aura4. » Rejeton d’un couple désaccordé qui ne lui marquait sans doute pas une grande attention, le jeune homme se montra de plus en plus agité. Aussi le fit-on voyager. Puis, après diverses incartades, il fut enfermé en 1786, pour quelques mois, dans une abbaye bénédictine à Domèvre, près de Nancy. La clef de ce petit drame familial nous est donnée par Grimod dans une lettre de cette même année à Rétif de La Bretonne : « Quant à ma mère, il est une vérité bien cruelle et qui fait une malheureuse exception à la règle que vous posez ; c’est qu’elle ne m’a jamais aimé, mon infirmité naturelle (dont elle seule est l’auteur) en est la première cause5. »
En vérité, depuis une dizaine d’années déjà, les démêlés familiaux des Grimod et le « handicap » de leur fils avaient été plusieurs fois évoqués dans certains périodiques. Dès 1778, les Mémoires secrets notaient à propos du futur gastronome : « C’est un M. de la Reynière, fils du fermier général, disgracié de la nature dans son physique, mais dédommagé du côté de l’esprit, des talents et de l’adresse6. » La nature de cette infirmité est dévoilée quelques années plus tard : « Il a les mains en pattes d’oie ou plutôt des moignons, difformité qui l’oblige de porter toujours des gants7. » Une dernière précision est donnée peu après : « M. de la Reynière père paie une pension à un Suisse, auteur des mains artificielles de son fils, mains dont il se sert et avec lesquelles il écrit et peint très bien8. » Il s’agit là d’un fait dûment attesté par bien des témoignages et également par l’iconographie. Dans le frontispice de la troisième année de l’Almanach des gourmands (1805), le personnage qui préside à table est apparemment Grimod, « cette grimaude tête, tête de hérisson », comme dit un vaudeville9 : il a une main gantée qui a quelque chose de curieusement griffu. L’appareillage helvétique a fait de lui un être semi-automate avec des mains postiches pour les deux activités les plus essentielles de sa vie (manger et écrire), qui devaient donc nécessiter tout un cérémonial et quelques contorsions. Gustave Desnoireterres, le biographe de Grimod, en a fait l’expérience directe en déchiffrant avec beaucoup de peine la correspondance de ce dernier avec le marquis de Cussy : « Son écriture a quelque chose de rigide, de métallique, de dense qui rebute à première vue comme un chemin sans issue frayée10. » Cette infirmité explique sans doute que le jeune Grimod se soit présenté longtemps comme « le pauvre célibataire11 ».
LE « FAMEUX SOUPER »
Soucieux de prendre quelques distances avec sa famille et de faire oublier son handicap, le jeune Grimod trouva son salut dans la littérature. Après avoir donné ses premières contributions, à dix-neuf ans, au Journal des théâtres, il fut durant deux années, en 1781 et 1782, le critique dramatique attitré du Journal helvétique publié à Neuchâtel. Il s’employa, dès lors, à s’entourer d’écrivains et à créer son propre cercle d’amis. Mais pour parvenir à ses fins, il lui fallait d’abord marquer un grand coup : ce fut le « fameux souper » du 1er février 1783 qui consacra (pour ses vingt-cinq ans) son entrée sur la scène parisienne. Cet événement fit du bruit parce qu’il avait été conçu avec un sens aigu de la publicité. Grimod note deux ans plus tard dans la Lorgnette philosophique : « Damis donne un repas à quatorze services, il y invite dix-sept personnes, il y allume quatre cents bougies ; croirait-on qu’une telle fête a occupé tout Sirap [Paris] pendant six mois et a fait écrire vingt brochures12 ? » Les billets d’invitation avaient particulièrement marqué les esprits, parce qu’ils avaient l’aspect de billets d’« enterrement » : « Au lieu de têtes de morts, c’étaient des gueules béantes13. » La Correspondance littéraire donne « le modèle [du billet] copié fidèlement d’après l’édition originale dont Sa Majesté n’a pas dédaigné de faire encadrer un exemplaire pour la rareté du fait14 ».
Selon les Mémoires secrets, cette inspiration funèbre aurait été un hommage à Mlle Quinault, morte récemment. En réalité, il s’agissait plutôt d’une mise en scène carnavalesque, associant la fête et le deuil, dont Grimod redonnera un équivalent en 1812 (ou 1818) pour une mystification plus délibérée. Il lancera alors des faire-part pour son propre enterrement :
Mme de la Reynière a l’honneur de vous faire part de la perte douloureuse qu’elle vient de faire dans la personne de son mari. Les obsèques auront lieu aujourd’hui 7 juillet. Le convoi partira de la maison mortuaire, rue des Champs-Élysées, no 8, à quatre heures précises15.
Les amis, d’abord rassemblés dans une pièce tendue de noir, furent soudainement introduits dans une salle très éclairée et dirigés vers une table que présidait le facétieux maître de maison. À ce caractère théâtral, le premier « souper » de 1783 (réglé par l’acteur Dugazon) ajoutait tout un formalisme qui tenait du rituel maçonnique. Selon la relation faite par le secrétaire de Grimod (sans doute plus fiable que les comptes rendus des périodiques), « dix-sept personnes, dont plusieurs gens de lettres, artistes, magistrats, jurisconsultes16 » avaient été invitées. Accueillies par « deux hommes armés » qui avaient « corné » leurs billets et les avaient débarrassées de leurs chapeaux, ces personnes avaient été conduites (« par un homme vêtu en chevalier Bayard ») dans un cabinet très éclairé où siégeait une sorte de greffier de la séance « en perruque carrée et vêtu d’une longue robe noire ». Puis, après avoir été enfermées au dernier moment dans une pièce plus sombre, comme « dans une écluse », elles avaient été introduites dans la salle du festin illuminée par plus de trois cents bougies. Selon les Mémoires secrets, une « galerie » avait été prévue pour les « spectateurs qui voudraient jouir du coup d’œil de la fête » et trois cents billets avaient été distribués, mais « il n’était pas permis de rester, on ne pouvait que traverser pour faire place à d’autres17 ».
Grimod fut ensuite prié de répéter cette « folie » par quelques-uns de ses amis qui n’avaient pu être présents la première fois ; ce qu’il fit le 9 mars 1786. Ce « second souper » devint presque aussi fameux que l’autre en raison des multiples versions qu’en donna Rétif de La Bretonne, dans Monsieur Nicolas, dans le IVe acte du Drame de la vie, dans Les Nuits de Paris où l’événement est illustré par une gravure commentée en ces termes :
Anne Augustin [c’est-à-dire Rétif lui-même] est entre M. Mercier et M. Trudaine frères. La Reinière [sic] fils conduit les services, étant lui-même précédé de son Bayard, c’est-à-dire un héraut vêtu comme Lekain l’est dans la tragédie de Bayard, la lanterne à la main. Un enfant de chœur le suit, puis les cuisiniers. Il porte lui-même le plus grand plat qu’il dépose, après les trois tours, sur la table comme au fameux souper18.
Mais il n’y eut pas cette fois-là de « public admis comme spectateur ». Une autre différence tenait aux convives eux-mêmes, dont plusieurs étaient des écrivains déjà célèbres tels que Mercier, Rétif de La Bretonne, Marie-Joseph Chénier entre autres. C’est dire que le jeune Grimod avait su réunir, en quelques années, une société brillante elle aussi, mais selon son cœur, et qui n’était pas celle de ses parents.
LES « DÉJEUNERS PHILOSOPHIQUES »
Pour être admis au « fameux souper » de 1783, il fallait préciser qu’on venait chez Grimod « le défenseur du peuple » et non pas chez « l’oppresseur du peuple » (c’est-à-dire chez le père fermier général). C’était là une boutade bien dans l’air du temps de la part du rejeton très provocateur auquel ses parents avaient tout de même libéralement abandonné, ce soir-là, leur hôtel des Champs-Élysées. Pour autant, cette formule annonçait précisément la couleur. Elle avait quelque chose d’un sésame d’intronisation dans un tout autre espace, en effet, que celui de la finance et du grand monde. Pour quelques années, le jeune amphitryon allait se conformer à ce rôle de « défenseur du peuple » par lequel il avait souhaité s’émanciper un moment de son propre milieu. Rétif de La Bretonne a très justement défini cette marotte :
Ce fut en 1782 que je fis la connaissance de M*** le fils, jeune homme plus sage que singulier, puisque toute sa singularité consiste à vouloir sans cesse se rapprocher de la vie commune, en se supposant né dans la médiocrité : il met la Philosophie à se conduire avec la même simplicité, la même application au travail, la même frugalité, le même goût pour la littérature, que s’il n’était pas fils d’un millionnaire : il nous aime tous, nous autres pauvres auteurs, comme s’il était réduit, comme nous, à vivre de son travail ; il nous montre la même cordialité ; nous fait les mêmes caresses ; il respecte les artistes ; il fait asseoir à sa table quiconque a du mérite et de l’utilité, n’importe dans quel état ; la capacité est un titre dès qu’on excelle. On sent combien les gens du monde sont intéressés à ridiculiser une conduite qui est pour eux une satire cruelle19.
Le jeune Grimod s’était fait remarquer très tôt pour sa générosité en soutenant une sorte d’original nommé Longueville, un écrivain public auteur d’un Portrait de Rousseau. Ils avaient entretenu, à partir de 1777, une correspondance sur plusieurs années, dont quelques périodiques avaient publié des extraits. Si Grimod reçut bien chez lui ce genre de pauvre diable de la bohème littéraire et aussi toutes sortes de gens, il s’employa à réunir surtout des écrivains dans ses « déjeuners philosophiques », qu’il qualifiait aussi de « semi-nutritifs ».
Ces curieuses séances, presque aussi souvent décrites20 que le « fameux souper », eurent lieu deux fois par semaine de 1783 à 1786. Le mercredi, on servait du café, du thé et des tartines, à quoi s’ajoutait, le samedi, de l’aloyau. Le rituel excluait le vin. Le jeune maître de maison, désireux de voir régner la véritable égalité académique, avait voulu que les convives se dépouillent en entrant de tout signe de distinction (comme la croix de Saint-Louis). Un strict protocole imposait un président pour décider de l’ordre des lectures et des comptes rendus d’ouvrages, et pour animer les débats. Dans la Lorgnette philosophique, Grimod a fort bien caractérisé lui-même ces déjeuners en évoquant « un particulier qui ne se pique pas, il est vrai de voir la bonne compagnie, et qui ne reçoit guère chez lui que des gens d’esprit ». On comprend par là toute la différence entre les « déjeuners philosophiques » de Grimod, qui portent bien leur nom, et les fêtes organisées par sa mère qui lui paraissaient ennuyeuses parce qu’elles étaient trop mondaines à son goût :
J’ai dit souvent, et je ne me lasserai jamais de le répéter, que les gens de lettres gagneraient infiniment à se voir entre eux davantage. Quoi de plus délicieux que ces déjeuners philosophiques prolongés jusqu’à la nuit, dont nous avons vu quelques exemples à Sirap [Paris], chez le pauvre célibataire. La communication des lumières, le rapprochement des sensations, la différence même des caractères, tout cela tourne au profit du génie. L’imagination s’échauffe, la pensée se développe, le style en acquiert plus de force et d’énergie ; et l’on sort à coup sûr de ces assemblées semi-nutritives meilleur et plus disposé au travail21.
Dans ce salon littéraire très particulier, où l’on sert une collation accompagnée de café pour entretenir la vivacité intellectuelle, Grimod a su regrouper des écrivains plus âgés que lui et déjà reconnus, ainsi que des jeunes gens de sa génération qui se rendront célèbres plus tard. Cette petite société fraternelle était en vérité prestigieuse à en juger par la liste des habitués, où figurent des écrivains, des poètes, des dramaturges, des comédiens : Mercier, Palissot, Rétif, Beaumarchais, Marie-Joseph Chénier, Vigée, Fontanes, Colin d’Harleville, Barthe, Camerani, Larive, Saint-Prix.
RÉTIF ET MERCIER
Dans ce petit milieu idéal, les amis les plus proches de Grimod étaient Rétif de La Bretonne et Louis Sébastien Mercier, deux écrivains (respectivement de vingt-quatre et dix-huit ans ses aînés) qui étaient eux-mêmes très liés et dont les ouvrages avaient alors un grand succès. La fascination avait été réciproque entre Grimod et Rétif dès leur première rencontre en 1782. L’écrivain était tellement amateur de physionomies singulières et de scènes originales qu’il avait aussitôt repéré un sujet d’inspiration dans l’extravagant fils de famille. Il ne tarit pas d’éloges sur celui qu’il appelle « l’estimable jeune homme » (ou le « hardi et vertueux philosophe »). Grimod, qui admirait beaucoup Rétif, se prêta longtemps à son jeu, au point de devenir un personnage de plusieurs de ses œuvres : sous le nom de « Reinette » (dans Les Françaises, « La fille à la bonne mère ») ou de « M. de Lélisée » (dans La Femme infidèle), puis sous son propre nom dans Les Contemporaines et Le Drame de la vie. Grimod regrette que Rétif ait parfois accusé le trait (en exagérant, par exemple, la gravité de ses dissensions avec ses parents), mais il est tout à fait ravi, en vérité, de voir son nom « voler ainsi à la postérité », et il se plaint dès que Rétif cesse de l’évoquer dans ses œuvres. Dans une lettre envoyée de Béziers le 27 août 1790, il lui notifie qu’il « approuve fort l’idée du Compère La Reynière », un projet d’ouvrage que son ami vient de lui soumettre et dont il serait le centre. Par ses amours de jeune homme et par son caractère rebelle, Grimod avait toujours intéressé Rétif.
À la veille de la Révolution, la vie de notre gastronome avait pris un tour encore un peu plus romanesque : il s’était installé à Lyon en 1788, pour y fonder un commerce contre la volonté de sa famille (« Grimod et compagnie, aux magasins de Montpellier, rue Mercière22 »). Il y avait épousé Mlle Feuchère, une actrice qui s’était distinguée en Suède, au château de Drottningholm, dans le rôle de Chérubin, et qu’il s’évertuait à faire remonter sur les planches. Deux ans plus tard, il s’était réfugié à Béziers, chez sa chère tante23 (sœur de sa mère), d’où il envoyait à Rétif des philippiques enflammées, ce qui consomma bientôt leur rupture. Grimod écrit le 27 août 1790 :
J’ai vu avec une vive douleur que vous étiez chaud partisan de notre exécrable révolution, d’une révolution qui anéantit la religion, les propriétés, la gloire de cet Empire des Lettres, des Sciences et des Arts, qui nous rapporte au quatorzième siècle, et même au temps des Goths et des Vandales. Vous connaissez mon opinion sur les grands et sur les riches ; ainsi vous ne me soupçonnerez pas, en pensant ainsi, de chercher à défendre leur cause ; mais je plaide pour celle de l’honneur, de la probité, du savoir et de la vertu, également outragés dans le nouvel ordre de choses… Est-ce que cet enragé de Mercier vous aurait fait partager ses fureurs ? […] Et les sots gardes nationaux, êtes-vous aussi leur partisan ?
À l’ancien rebelle rentré dans le rang et qui renie désormais les philosophes (« dont les écrits ont amené à ces excès24 »), Rétif fait une réponse mesurée mais ferme :
Devenu républicain, j’en ai le courage ; je marche sous la pique aux revues ; je monte la garde quand mes infirmités me le permettent ; je m’assieds à ma section à côté du manœuvre poudreux, et je discute avec lui des intérêts communs ; j’ai le pauvre habit bleu fait en 1773, tout rapiécé ; mais qu’il va bien là et sous la pique ! […] ô cher La Reynière, toi, né patriote ; toi, démocrate quand personne ne l’était que les grands hommes, reviens à nous25 !
Mais leur rupture était consommée et Rétif ne se réconciliera jamais avec celui dont il avait tant apprécié jadis la générosité et la liberté de ton.
Avec « cet enragé de Mercier » (pour reprendre l’expression de Grimod dans sa lettre à Rétif du 27 août 1790), les choses se passèrent bien différemment. Il y eut certes des hauts et des bas dans leur relation, mais celle-ci résista à l’épreuve de la Révolution parce qu’elle était fondée sur une amitié solide et sur une vraie connivence littéraire. Mercier se montra toujours solidaire du jeune homme dans ses conflits avec sa famille, au point d’aller passer quinze jours auprès de lui lorsqu’il fut enfermé chez les moines à Domèvre, en 1786. Il était pour Grimod un conseiller désintéressé, plutôt qu’un confesseur friand de détails sur sa vie privée à la façon de Rétif. La force de leur lien tenait surtout à leur passion commune pour le théâtre. Lorsque son jeune ami fit ses premières armes comme critique dramatique en 1777, Mercier était un dramaturge reconnu qui avait publié quatre ans auparavant Du théâtre, une somme remarquable sur l’art dramatique. Leur relation prit un tour plus directement professionnel en 1781, au moment où Mercier venait de donner la première édition de son Tableau de Paris en deux volumes chez Fauche à Neuchâtel et souhaitait s’installer dans cette ville pour en donner une édition d’une tout autre ampleur.
Grimod qui était alors critique dramatique dans le Journal helvétique édité aussi à Neuchâtel, mais par la Société typographique, fit tout pour attirer Mercier chez son éditeur qu’il avertit aussitôt de sa venue : « Je suis ami intime avec cet homme de lettres qui va bientôt faire un voyage à Neuchâtel et que je prendrai la liberté de vous recommander26. » Ce qu’il fit en parvenant à ses fins : après quelques péripéties, Mercier confia la plus grande partie de l’édition de son Tableau de Paris à la Société typographique. Grimod publia des comptes rendus élogieux sur des pièces de Mercier dans le Journal helvétique (sur La Demande imprévue et sur L’Homme de ma connaissance en 1781) et il s’entremit auprès de la Comédie-Italienne pour faire jouer Le Déserteur en 1782. Il prétend même que c’est grâce à lui, et sous son nom, que La Maison de Molière fut jouée à la Comédie-Française en 1787, alors que Mercier était brouillé avec la troupe. Et il publiera un article favorable sur Le Nouveau Paris dans son Alambic littéraire en 1803, preuve qu’après avoir condamné l’engagement de Mercier dans la Révolution, il s’était réconcilié avec celui qui avait failli mourir dans les prisons de la Terreur. Au milieu de la tourmente, dans une lettre de 1793 à un ami lyonnais, Grimod écrivait à propos de Mercier : « Nous sommes liés depuis dix-huit ans et c’est l’homme de lettres avec lequel j’ai eu les relations les plus intimes et presque le seul avec qui j’en ai continué. Cela ne m’empêchera point de convenir avec vous de sa nullité comme législateur, quoique rempli de bonnes intentions et dirigé par des vues très loyales27. »
Dans la compagnie de Grimod, qui avait presque vingt ans de moins que lui, Mercier avait sans doute retrouvé dès leurs premières rencontres les engouements de sa jeunesse, lorsqu’à dix-sept ans il allait au café Procope avec ses condisciples du Collège des Quatre-Nations pour disserter passionnément de littérature et de l’actualité théâtrale. Mercier avait conçu très tôt l’idée d’une petite république des lettres fondée sur la franchise et sur l’amitié, où ne prévalent pas, comme dans les « corps littéraires », le ton préceptoral et la vilaine animosité. Ce rêve s’est exprimé dès 1763 dans Le Bonheur des gens de lettres, son premier ouvrage notable. On peut en voir une trace dans le chapitre « Plan d’une association heureuse » de Mon bonnet de nuit, où Mercier propose la vision utopique d’une petite institution qui a quelque chose de l’abbaye de Thélème. Située de préférence dans le midi de la France, elle serait conçue pour l’homme et pour la femme de lettres soucieux de s’épargner les tâches domestiques afin de mieux se livrer à l’étude, dans un « âge où l’on est fait pour la raison et l’amitié » :
Les pensionnaires seraient débarrassés des soins journaliers que demande notre nourriture, et qui remplissent la tête de minuties ; […] la table serait bonne, saine, délicate, une conversation enjouée en ferait l’assaisonnement28.
En attendant cette retraite idéale (qui ne viendra jamais), Mercier voyait en Grimod un recours nécessaire pour les hommes de lettres désargentés29 et ce dernier assuma toujours libéralement envers eux son rôle d’amphitryon. Une lettre de Grimod à Mercier du 9 avril 1786, où il l’invite à venir dîner avec lui chez Beaumarchais, témoigne des habitudes de cette petite société d’amis :
Monsieur et cher confrère,
Votre adresse de Paris, si elle est utile à votre gloire est bien contrariante pour vos amis, surtout lorsqu’ils se sont engagés à vous mener dîner aujourd’hui pieds et poings liés chez l’un des hommes les plus aimables et les plus célèbres de la République des lettres.
Au fait, M. de Beaumarchais vient de m’écrire pour me prier de lui procurer le plaisir de vous recevoir aujourd’hui à dîner ; comptant sur votre amitié, j’ai donné ma parole, c’est à vous, mon cher confrère, de m’apprendre si j’ai trop présumé de mes propres forces. Si vous avez, comme je le crois, beaucoup d’attachement pour M. de Beaumarchais et un peu pour moi : voici l’instant de le prouver, en quittant tout, montant dans la voiture que je vous envoie, et vous laissant conduire.
J’ai l’honneur d’être avec le plus tendre attachement et la plus haute estime, Monsieur et cher confrère, votre très humble et très obéissant serviteur.
Grimod de la Reynière,
avocat au Parlement, membre de l’Académie des Arcades de Rome et de l’Académie de Marseille.
Faites agréer, je vous prie, mes hommages respectueux à M. et Mme de Letourneur ; ils voudront me pardonner si je vous enlève à eux aujourd’hui ; j’ai du nouveau à vous apprendre30.
Mercier habitait alors à Montrouge avec son ami Le Tourneur, le traducteur de Young, d’Ossian, et surtout des œuvres complètes de Shakespeare « en prose », importante entreprise éditoriale à laquelle il collabora lui-même. On ne sait s’il répondit favorablement à la double invitation de Grimod et de Beaumarchais31.
En plus de leur passion pour le théâtre, Mercier et Grimod eurent en commun un intérêt jamais démenti pour la question de l’aliment. Dans la Lorgnette philosophique, un opuscule publié en 1785, Grimod a évoqué pour la première fois Paris comme capitale gourmande. Sa description des halles rappelle le ton du Tableau de Paris, mais l’idée de tout voir par le petit bout de la « lorgnette » implique une restriction de champ absolument étrangère à Mercier qui aime à chaque fois faire le tour des choses. Grimod a reconnu cette différence radicale de leurs points de vue dans un « Tableau de Lyon en 178632 » adressé sous forme de lettre à « Mercier, auteur du Tableau de Paris ». Il y vante certes les « expressions heureuses et pittoresques » de son ami, qu’il s’amuse à pasticher en évoquant les « soupers » lyonnais, mais il refuse catégoriquement, quant à lui, d’évoquer « le physique de la ville » (c’est-à-dire l’approvisionnement en eau, l’hygiène, l’aménagement des marchés, etc.) comme n’étant pas de son « ressort » : « Assez d’autres sauront vous vanter Tolozan de Montfort, prévôt des marchands. » Ainsi s’annonçait le célèbre gastronome de l’Empire, préoccupé avant tout de l’évaluation culinaire.
LA « SOCIÉTÉ DU MERCREDI » ET LE « JURY DÉGUSTATEUR »
Quelques mois avant d’inaugurer ses « déjeuners philosophiques », Grimod avait fondé en 1781 (ou 1782) une « Société du mercredi » qui rassemblait, pour le dîner, dix-sept convives (comme pour le « fameux souper ») appelés à se prononcer, quant à eux, sur des expériences gustatives. Dans l’Almanach des gourmands, il évoquera bien plus tard le rôle essentiel (pour sa vocation et sa carrière de gastronome) de « cette réunion vraiment unique en Europe » : il relèvera « la profondeur de son administration, la lucidité de ses règlements » et les « services innombrables que cette société a rendus et rend encore chaque semaine au grand art de la bonne chère »33. Ces dîners eurent lieu de 1782 à 1786, (avant de reprendre après la Révolution et jusqu’en 1810) au Rocher de Cancale, le célèbre restaurant de Le Gacque, rue Mandar. Grimod avait sans doute fait le siège de Mercier pour qu’il les mentionne dans le Tableau de Paris, mais ce dernier se montra récalcitrant et marqua même un mouvement d’humeur. Dans un très court chapitre intitulé « Société du mercredi », il se contente de noter sèchement :
Ce sont des gens qui dînent ensemble le mercredi, et voilà tout. Épicuriens et gourmets, ils ont donné dix mille francs pour les quatre hôpitaux qui ne s’élèvent point. On m’a sommé de faire leur chapitre, et le voilà fait34.
Comme Grimod peu auparavant dans son « Tableau de Lyon », Mercier tient à marquer à son tour sa différence. Réformateur « dévoué au bien public », il s’intéresse à l’aliment sous tous ses aspects. Faire trop de publicité pour le richissime gastronome, risquerait d’accréditer l’idée qu’il appartient lui-même au cercle confiné des gourmets.
Au cours de l’année 1802, au moment où Grimod conçut le projet de l’Almanach des gourmands, il inventa une institution propre à le soutenir dans son aventure éditoriale et à le seconder dans ses évaluations culinaires : cette académie de gourmets, qui émanait de la « Société du mercredi », devait rendre des arrêts gastronomiques destinés à être publiés ensuite dans l’Almanach des gourmands. Grimod ne cessera de rappeler le rôle décisif de ce petit tribunal, qu’il avait désigné comme le « Jury dégustateur ». Il en a décrit le fonctionnement dans les frontispices des deuxième et troisième années de son Almanach (en 1804 et 1805). Sous le titre « Les audiences d’un gourmand », le premier montre les artisans qui viennent présenter leurs produits : « On voit assis à son bureau un gourmand occupé à donner audience à plusieurs personnes chargées de victuailles […]. Il prend note de ces diverses légitimations, dont son cabinet est tapissé, et qui en encombrent jusqu’au parquet. » Grimod explicite en ces termes le mot de « légitimations », qui est un néologisme de son cru :
Ce mot qui, grâce à l’Almanach des gourmands, vient de recevoir en français une acception nouvelle, n’était admis autrefois que dans l’idiome diplomatique. Il vient de s’introduire dans le dictionnaire de la gourmandise, et signifie l’action d’un artiste en bonne chère, qui soumet les échantillons de son savoir-faire ou de son commerce à la dégustation d’un professeur dans l’art de la gourmandise ; et par extension il a été donné à l’échantillon lui-même.
Pour que l’« artiste en bonne chère » soit admis à concourir aux séances, il est impératif que ses produits soient préalablement sélectionnés. Le « Jury dégustateur » peut ensuite se réunir comme le montre le deuxième frontispice :
Ici l’on voit ces professeurs tenant leur séance à table, occupés à déguster différents comestibles que leurs auteurs ont intérêt à faire connaître, à accréditer, et à voir figurer avec éloge dans l’Almanach des gourmands. Ils dégustent en ce moment le pâté qu’on a vu figurer dans l’estampe de la seconde année ; on lit sur leur visage cette profondeur de réflexion qui doit caractériser tout gourmand dans l’exercice de ses fonctions. À une table séparée est assis un scribe qui dresse le procès-verbal du résultat des jugements, tel qu’il lui est transmis par le Secrétaire de la société, qui se tourne vers lui pour le lui dicter. En face du Secrétaire est assis le Président, qui vient de recueillir les voix.
Grimod prévient que ce « jury composé de mâchoires respectables » se prononce sous couvert de l’anonymat et qu’il est donc parfaitement impartial : « Il mange, il boit tout ce qu’il est chargé de déguster, sans connaître le nom des auteurs ; en sorte que c’est le mérite seul des productions qui le décide, et qu’il ne peut être influencé par l’éclat d’un nom illustre. » Le jury peut décider de faire connaître par l’Almanach les produits qui ont retenu son attention, comme il peut éclairer le public sur les malfaçons et dénoncer les imposteurs de toutes sortes. Le dernier acte du protocole, quand l’aliment est reçu, est parfois le baptême par lequel le jury fait passer la recette dans la culture gastronomique et la lègue ainsi à la postérité.
Dans la cinquième année de l’Almanach des gourmands, dédiée au défunt docteur Gastaldy (qui fut président du jury de 1803 à 1806), Grimod fait un rapide historique de cette petite assemblée dont il est le secrétaire, et dont la dernière séance aura lieu en mai 1812. Il rappelle que le « Jury dégustateur » se réunissant chez lui le mardi soir, les « artistes » doivent apporter leurs produits « au greffe avant quatre heures ». Il précise que le nombre des jurés est indéterminé, mais qu’il n’est jamais en deçà de cinq ni au-delà de douze. Les jurés « ne tiennent leur séance qu’à table » et elle « dure au moins cinq heures »35. Ces dîners d’un genre particulier, où il s’agissait de tester les « légitimations », n’occasionnaient aucun frais pour l’amphitryon, qui s’en tirait ainsi à bon compte. Cela tombait bien, car si Grimod avait pu conserver son hôtel des Champs-Élysées, sa situation financière avait changé du tout au tout au cours de la Révolution. Dans l’Almanach des gourmands, il notifie expressément aux fournisseurs que sa mauvaise situation financière ne lui permet pas de recevoir des produits non affranchis : « Ces frais de port qui sont peu de chose pour chacun en particulier deviendraient très onéreux pour un auteur déjà ruiné par la Révolution et ils absorberaient en peu de temps tout le produit de son travail36. »
LA « LITTÉRATURE GOURMANDE »
Comme épigraphe de son Almanach des gourmands, Grimod reprend celle du Tableau de Paris de Mercier (« Quaerens quem devoret »), en donnant un extrait moins tronqué du verset (« Tamquam leo rugiens, circuit quaerens quem devoret37 »), mais surtout cette référence biblique n’annonce pour lui rien d’effrayant. Tel un lion affamé, le gastronome ne peut que se réjouir, en effet, à l’idée que Paris soit devenu le « centre gourmand de l’Europe » :
Toutes les routes qui y aboutissent […] sont couvertes de voitures chargées de comestibles de toute espèce et d’innombrables troupeaux d’animaux de tous les genres viennent s’engloutir dans ce gouffre dévorateur38.
Au sortir du traumatisme de la Terreur et de la crispation révolutionnaire, Grimod veut rompre définitivement avec cette frugalité qu’affectaient parfois ses amis de jadis. Pour le gourmand, les tabous liés au moralisme des Lumières et à la critique obligée du luxe, sont désormais levés et l’heure est à la seule gaieté. Aussi Grimod se félicite-t-il que l’élasticité des « muscles zygomatiques39 » (ceux du visage qui se mettent en mouvement dans le rire) puisse à nouveau s’exercer aussi bien au théâtre avec le renouveau de la comédie que dans les bons repas qui eux aussi sont de retour. Dans le frontispice de la sixième année de l’Almanach des gourmands (intitulé « Les rêves d’un gourmand »), le visage du rêveur est, selon le commentaire, parcouru d’une « douce hilarité », ce qui illustre parfaitement le parti pris joyeux et l’esprit de cette publication.
Ainsi s’explique le succès immédiat du premier volume de l’Almanach des gourmands, composé de deux ensembles pleins de verve : le Calendrier nutritif et l’Itinéraire nutritif, ou Promenade d’un gourmand dans divers quartiers de Paris. L’alacrité du Calendrier nutritif tient à ce qu’il détaille et accueille avec euphorie les merveilleuses surprises que chaque saison nous réserve. Grimod aime établir la liste des produits qui affluent, au fil des mois, de toutes les provinces : en janvier arrivent « en foule les énormes bœufs de l’Auvergne et du Cotentin » ; mars est la « saison où la marée est dans toute sa gloire » ; sur la fin d’avril, « on voit pointer les asperges » ; en novembre a lieu la fête du « Grand Saint Martin ! patron de la Halle, mais surtout de la Vallée40 », car la dinde est « le rôti obligé du 11 novembre ». Quant à l’Itinéraire nutritif, son charme tient à ce que Grimod se fait alors piéton de Paris à la façon de Mercier. Dans la Lorgnette philosophique déjà, il avait signalé qu’il n’y a « rien de plus beau que le coup d’œil de la halle, l’été, vers trois ou quatre heures du matin41 », au moment où les Parisiens sont « plongés dans le plus profond sommeil ». Il suggérait alors aux voyageurs soucieux de bien connaître la capitale, de parcourir certaines rues qui sont un vrai spectacle et plus particulièrement à la veille de Noël :
Je conseille à tout étranger qui voudra prendre en peu de temps une idée des mœurs, du luxe, de la politesse et des plaisirs des Sirapiens [Parisiens], de se promener à pied depuis sept jusqu’à onze heures du soir vers la fin du mois de décembre, dans la partie commerçante de la rue Saint-Honoré42.
L’Itinéraire nutritif, qui appartient au genre de la « promenade », nous convie à une étonnante déambulation gourmande dans les rues de Paris, avec des aperçus sur les « superbes étalages » et sur les « plus beaux magasins d’épicerie ».
Au long de ce parcours, Grimod reconnaît qu’un « aimant des plus forts nous attire à la Halle », qui fait oublier tous les « marchés subsidiaires », et il finit par y conduire son lecteur pour une visite guidée. En ce qui concerne la marée, par exemple, il envisage avec humour la hiérarchie presque complète et bien établie des poissons :
C’est là que l’orgueilleux saumon, le fier esturgeon et le majestueux turbot se trouvent côte à côte avec le merlan modeste, le maquereau patelin et l’humble hareng ; ils y sont réunis, non pas ainsi que dans la mer, mais comme nous le serons tous un jour dans l’empire des morts, c’est-à-dire dans le sein d’une égalité parfaite. Madame Dieu est, dans ce genre, l’une des premières maisons de la Halle43.
La visite se poursuit avec les tripes, les fruits, le beurre et le fromage, les « végétaux » dont le commerce est divisé « entre les marchandes d’herbes et celles des légumes ». Les rues elles-mêmes réservent d’agréables surprises. Après avoir déclaré que l’on compte à Paris « cent restaurateurs pour un libraire », Grimod nous fait découvrir la boutique d’un marchand de jambons, qu’il s’amuse, en filant joliment la métaphore, à comparer à une bibliothèque :
Qu’il nous soit permis de dire ici que, de toutes les bibliothèques de pâtissiers, il n’en est point de plus curieuse à voir que celle de M. Leblanc (dans la rue de La Harpe), au commencement d’avril. Quinze à dix-huit cents jambons de Bayonne, dont le plus léger pèse vingt livres, pendant par le manche à tous les étages d’une maison, dont ils forment les plafonds, les planches, et dont ils remplissent tous les vides, sont un spectacle, d’autant plus intéressant, qu’il est unique dans son genre. Les divisions de cette succulente demeure sont à claires-voies ; en sorte que l’air circulant librement, caresse et conserve en même temps ces précieux ouvrages. L’accès est interdit au jour dans cette bibliothèque d’une espèce nouvelle, afin d’en écarter les mouches ; et pour s’opposer à l’introduction des souris et des rats, un superbe matou, noir et blanc, est préposé à la garde de ces dix-huit cents jambons ; et ce discret animal a cela de commun avec plus d’un bibliothécaire, qu’il ne touche jamais au dépôt qui lui est confié44.
À cette belle évocation, il convient d’associer « la chatte ordinaire du Jury dégustateur45 », une « angora blanche », qui apparaît dans plusieurs frontispices, et l’auteur lui-même qui se désigne comme le « toutou de la halle46 », un curieux animal, en effet, dont la venue était sans doute bruyamment fêtée par toutes les marchandes. Quoi qu’il en soit, le « superbe matou » de la rue de La Harpe, trônant majestueusement dans sa « bibliothèque » de jambons, nous montre que Grimod n’a aucunement renié sa qualité d’écrivain dans l’Almanach des gourmands.
Aussi nous prévient-il avec insistance que cette publication n’a rien à voir avec un livre de cuisine. S’il lui arrive d’envisager parfois la possibilité d’une collaboration éditoriale avec les cuisiniers, il revendique un strict partage des rôles. Pour qu’un ouvrage sur l’histoire de la cuisine française soit bien « traité dans toutes ses parties, écrit-il, il faudrait qu’un cuisinier habile se chargeât d’écrire tout ce qui tient à la pratique, tandis qu’un savant Gourmand en rédigerait la partie historique et théorique47 ». Il ne saurait mettre, quant à lui, un pied à l’office. Lorsqu’un lecteur, abusé sur la véritable destination de l’Almanach des gourmands, ose lui réclamer une « nomenclature bien faite, bien méthodique et surtout bien complète de tous les mets qu’une bonne maîtresse de maison peut demander à son cuisinier », il s’irrite et le renvoie sans ménagements à la littérature culinaire qui « a paru depuis cinquante ou soixante ans », où il trouvera « un si grand nombre de recettes, qu’il ne sera plus embarrassé à l’avenir pour commander son dîner48 ». Cette condescendance de Grimod envers les cuisiniers lui vaudra quelques polémiques avec eux. Dans une lettre tardive au marquis de Cussy, il rappellera une dernière fois que le point de vue du praticien n’a jamais été le sien :
Ce qui a fait le succès de vogue de l’Almanach des gourmands, c’est qu’il a paru écrit d’un autre style que celui de ces Messieurs ; c’est qu’on y a vu autre chose que des formules et des recettes toujours terminées par : Dressez et servez chaud, qui est le Gloria Patri de ces Messieurs ; enfin, c’est qu’on y a, pour la première fois, trouvé ce genre d’écrire auquel on a donné depuis le nom de littérature gourmande49.
Et quand Grimod consent à donner une recette, c’est qu’elle présente, au-delà de la seule information utilitaire, un intérêt en quelque sorte patrimonial et qu’elle demande quelques précisions érudites concernant, par exemple, l’étymologie. Ainsi pour le « nom singulier » de brandade « qu’aucun dictionnaire n’a pris le soin de recueillir ni de définir » et qui « dérive sans doute du vieux verbe français brandir, qui signifie remuer, agiter, secouer avec force et pendant longtemps ». Quant au geste lui-même qui fait l’essentiel de la recette, c’est un « mouvement d’un genre particulier » qui « exige une sorte d’étude, et demande beaucoup de dextérité »50.
Si Grimod tient à se dissocier radicalement des cuisiniers, il ne veut pas endosser non plus le rôle un peu pédant du professeur et du savant que Brillat-Savarin adoptera, quelques années plus tard, dans la Physiologie du goût (1825). En réponse au courrier d’un lecteur qui lui demande de mettre la cuisine en « système » sur le modèle de la « botanique » et d’en donner une « nomenclature par genres, classes, espèces », il déclare qu’on ne peut venir à bout d’une telle classification, car les nuances du goût ne sauraient se ranger dans une taxinomie comparable à celle des sciences d’observation :
Cette idée paraît au premier aperçu grande et lumineuse, et son développement semble devoir fournir un ouvrage neuf et réellement intéressant sur le grand art de la cuisine. Mais lorsqu’on examine avec plus d’attention, on ne tarde pas à voir que son exécution offre les plus grandes difficultés. Ce serait même à bien des égards la chose impossible. La botanique avec laquelle l’auteur voudrait établir un parallèle est une science certaine, où tout gît en faits et en observations. Il n’en est pas de même de la cuisine où presque tout se rattache aux caprices du goût et à l’imagination de l’artiste, et qui offre une foule de nuances fugitives51.
Aussi, loin de composer un traité méthodique à prétention scientifique, Grimod préfère adopter le point de vue du gourmet qui rend compte de ses expériences gustatives en esthète, à travers toutes sortes de transpositions dans les différents arts. Son vœu le plus cher comme gastronome, c’est de donner un statut culturel à la cuisine et il y parvient en inventant une manière d’en parler originale. Il peut se targuer, en effet, de donner un ouvrage entièrement « sorti de sa plume » et d’une « prose tout à fait nouvelle ». Ce qu’il appelle la « littérature gourmande » ou l’« éloquence gourmande » ne se limite pas à quelques morceaux convenus (anecdotes, bévues alimentaires et plaisanteries diverses), mais tient, comme il l’assure, à « un genre d’écrire », c’est-à-dire à un style inventif et d’une grande liberté.
Sa verve repose sur des rapprochements inattendus qui rappellent le vieux savoir analogique, mais qui sont en réalité fondés sur les pouvoirs de la métaphore et de la littérature. Ainsi surgit tout un bestiaire poétique où les espèces se mêlent : le turbot est désigné comme « le faisan de la mer » et la sardine en est l’« ortolan ». Pour Francis Ponge, de nos jours, l’abricot est « la palourde des vergers52 ». Cet art de la formule tend à se développer chez Grimod dans de petites présentations amusantes, par exemple celle du cochon, « le roi des animaux immondes » : « Lorsqu’on traite de cette aimable bête, on ne sait donc comment entrer en matière, ni par quel bout la prendre53. » Parfois le sel du propos vient de la seule allusion littéraire, comme on le voit pour le « fils du sanglier » :
Un marcassin est à un cochon de lait ce qu’est le fils d’un grand seigneur à celui d’un simple bourgeois. Ainsi que nous l’avons remarqué dans un autre ouvrage, nourri dans les forêts, il en a la rudesse et c’est véritablement alors l’Hippolyte de la cuisine. Mais comme le fils de Thésée, il fait plus d’une grande passion. Les dames sont naturellement portées pour ce jeune prince sauvage, et notre marcassin, s’il est d’une belle couleur, d’une cuisson savante, ferme et d’un bon goût, trouvera dans son chemin plus d’une Phèdre et d’une Aricie54.
Par cette façon de mettre en rapport les appétences diverses, Grimod s’emploie à érotiser l’art culinaire en envisageant toutes les commutations libertines possibles entre les aliments et les corps, désignés à part égale comme appétissants et désirables.
Avec les petits gâteaux, notre gastronome retrouve une tradition paillarde médiévale. D’après Le Grand d’Aussy55, on donnait aux XIIe et XIIIe siècles des formes et des noms très obscènes à des pâtisseries. Il ne nous reste aujourd’hui que les « pets-de-nonne », mais Grimod évoque d’autres noms encore en usage au XVIIIe siècle : « Les jalousies et les pucelages sont en général des articles de petit four, singulièrement délicats et très susceptibles de leur nature56. » Lorsque le « Jury dégustateur » s’emploie à baptiser un nouveau gâteau, il donne dans ce même registre libertin en rendant un hommage appuyé à une « actrice charmante » qui a créé « le rôle de Fanchon » au théâtre du Vaudeville :
S’il est permis de comparer une jolie femme avec une pièce de four, on peut dire qu’aux yeux des friands connaisseurs, les Fanchonnettes sont une image de la fraîcheur du teint, de la délicatesse des traits, et du velouté de la peau, qui distinguent le visage de Mme Henri-Belmont57.
Pour illustrer cette voracité polymorphe, les appâts de quelques autres actrices sont évoqués, comme « l’éclat et l’appétissant embonpoint de Mlle Émilie Contat, la bouche et le sourire de Mlle Arsène », qui sont mis en balance avec le fumet des perdrix de Cahors. Grimod n’hésite pas à proclamer qu’un « minois bien fardé, bien grimacié », est souvent moins affriolant qu’un mouton « fondant sous la dent ». C’est que le « célibataire » gourmand, comme il aime à se présenter, trouve bien des compensations à table : l’oie est à ses yeux « une brune piquante » ; la dinde du Gâtinais, « une grisette fraîche et vermeille dans ses simples atours » ; la dinde du Périgord, « une douairière opulente ». Les éléments mâles n’échappent pas à cette sexualisation. Ainsi du boucher qui, ressemblant à sa viande, a toutes les grâces de l’Amour, selon le code d’un alexandrinisme d’Empire qu’illustrent certains tableaux de Gérard :
Entre les mains de ce gros joufflu couleur de rose et blanc, la viande de M. Simon n’a point dégénéré ; elle est toujours grasse, fraîche et vraiment appétissante. Les veaux surtout sont d’une blancheur dont on a peine à soutenir l’éclat et qui prouve qu’ils sont nés natifs de Pontoise, où, comme l’on sait, on ne les a engraissés qu’avec de la crème et des biscuits58.
Parfois le gourmet s’avance dans des zones plus troubles. Il se transforme alors en ogre prêt à tous les infanticides, pour lequel lapereaux et cochons de lait sont autant de victimes « adolescentes ». Sous la plume de Grimod, la basse-cour où sont élevés les dindons acquiert même quelque chose de sadien :
Leur enfance délicate redoute également le froid et l’humidité de notre climat nébuleux. Mais une fois sauvés des dangers de ce premier âge, ils prospèrent à vue d’œil, et leur extrême gloutonnerie les rend assez faciles à s’engraisser et seconde merveilleusement les vues qu’on a sur eux. Ils se prêtent à merveille aux désirs de l’homme et acquièrent en peu de mois l’embonpoint nécessaire au but de leurs instituteurs59.
Le plus grand art du gastronome est de savoir saisir le bon moment pour tout ce que la nature lui offre : « Il est prouvé que chaque chose dans ce bas monde veut être servie, cueillie ou mangée à son point ; depuis la jeune fille qui n’a qu’un instant pour nous montrer sa beauté dans toute sa fraîcheur, et sa virginité dans tout son éclat, jusqu’à l’omelette qui demande à être dévorée en sortant de la poêle60. » Il convient pareillement de « cueillir la sardine en sa fleur »…
La « littérature gourmande » se fonde également sur de fréquentes références à la peinture et à l’art dramatique. Notre gastronome se plaît à imaginer des dîners bruns ou blonds. Un bon lièvre est à ses yeux « un Raphaël » et « un bœuf à l’écarlate, un Rubens », de même qu’un seul plat peut donner, selon lui, l’idée d’une saison :
Réunir dans un même rôti des grives, des cailles, des perdreaux rouges, des canetons de Rouen, des poulets normands et des poulardes, sans parler des carpes, des éperlans et des truites, c’est donner la plus haute idée de l’automne ; aucune description poétique ne vaut un semblable tableau, il parle aux yeux comme au cœur, au goût comme à l’esprit, au palais comme à l’odorat. Quel poète, sans même en excepter notre aimable et cher abbé Delille, si digne du surnom de Virgile français, pourrait en dire autant de ses vers61 ?
Grimod n’oublie pas non plus sa passion pour le théâtre ni qu’il a mis jadis en scène le « fameux souper ». Il avait conçu une sorte de tuyau62 pour pouvoir communiquer discrètement avec l’office. Dans cette coulisse que l’on ne doit jamais apercevoir, on dispose les plats « sur la table à dresser dans le même ordre où ils doivent paraître sur celle de l’amphitryon » : « c’est en quelque sorte une répétition qu’on fait à la cuisine de la pièce qui se jouera dans la salle à manger »63. À table, où tout doit se passer selon un tempo sans accroc, aucun baisser de rideau n’est permis. Le spectacle culmine dans le dessert qui « est aux services qui le précèdent, ce que la girande est au feu d’artifice64 », c’est-à-dire ce qu’on appelle aujourd’hui le « bouquet final ». Grimod, qui consacre de longs développements au dessert, prévient que pour bien le réussir, il faut être tout à la fois « confiseur, décorateur, peintre, architecte, sculpteur et fleuriste65 ».
C’est grâce aux fruits confits apportés par les Italiens que l’on commença à imiter toutes sortes de choses et plus particulièrement des « vergers délicieux ». Ce caractère décoratif du dessert s’affirma un peu plus encore dans l’usage des premiers « plateaux » décorés de glaces et de sables de diverses couleurs (qui « parurent au mariage de Louis XV en 1725 »), sur lesquels on plaçait des « petites figures en sucre »66. Puis vinrent Desforges et de Lorme qui étaient des spécialistes de « verdure feinte » pour décorer les tables, et Dutfoy qui réalisait toutes sortes de sujets d’architecture et savait les animer par « la pyrotechnie » :
Tout à coup le temple se couvre de feux odorants et de toutes couleurs, mille gerbes s’élancent jusqu’au plafond. […] ces étincelles, malgré leur éclat, sont tellement innocentes, que les tissus les plus légers n’en reçoivent aucun dommage. On conviendra qu’un dessert ainsi préparé est un véritable drame, et que l’on ne saurait terminer d’une manière plus éclatante et plus vive un repas somptueux67.
La mode grandissante des pièces montées allait susciter un art de l’imitation en sucre avec toutes sortes d’architectures et de paysages, avec des ermitages et des scènes champêtres toujours très verticales parce qu’une « pièce montée ne saurait marcher terre à terre68 ». La plus grande réussite en ce genre fut, selon Grimod, une réalisation de Rouget à l’occasion d’une fête donnée pour Lesueur, où le célèbre pâtissier avait représenté quelques épisodes d’une des œuvres du musicien :
On y voyait les deux principales scènes de l’opéra des Bardes […]. Les figures d’une assez grande proportion, drapées avec assez de vérité pour qu’on pût y reconnaître parfaitement les personnages, étaient composées avec une excellente pâte d’amande69.
Dans un repas donné au Rocher de Cancale, en 1809, « par les anciens élèves de M. Luce de Lancival », une pareille pièce montée montrait « une scène entière de sa tragédie d’Hector », où l’on reconnaissait aussi « tous les acteurs à leur parfaite ressemblance »70.
UN GUIDE POUR NOUVEAUX RICHES
Alors qu’il pensait avoir à peu près épuisé le ton très libre des deux premières années de l’Almanach des gourmands, Grimod eut l’idée d’un ouvrage qui, offrant un « ordre plus méthodique et plus grave », aurait toute l’apparence d’un « traité » : ce fut le Manuel des amphitryons publié en 1808. Le terme de « manuel » annonce un livre pratique et systématique. Quant à celui d’« amphitryon », on en trouve l’explication dans l’épigraphe tirée de Molière : « Le véritable Amphitryon / Est l’Amphitryon où l’on dîne71. » Ce nom du prince thébain qui, dans la pièce, est censé donner un repas aux officiers de son armée, en vint, grâce à l’ouvrage de Grimod, à désigner communément « le maître d’une maison où l’on dîne, celui qui donne à dîner », comme l’atteste la définition du Dictionnaire de l’Académie française en 1835. Notre gastronome se présente ici en gardien du temple soucieux de témoigner des anciens usages, au sortir d’une époque qui « a fait rétrograder l’art alimentaire avec une telle rapidité » que « si le règne des Vandales eût duré plus longtemps, on aurait perdu jusqu’à la recette des fricassées de poulets »72. Pourfendeur de l’amnésie révolutionnaire, Grimod prétend corriger la « rusticité républicaine » et transmettre la tradition aux nouveaux « millionnaires », qui, selon lui, n’en ont aucune idée. Il avait déjà noté dans l’Almanach des gourmands qu’ils ne sauraient avoir la moindre connaissance du vin puisqu’ils n’ont pas le sens du temps : « Accoutumés à boire de la piquette ou du vin du Calvaire, nos Midas républicains sont absolument incapables de créer une cave, et même de l’entretenir73. » Et il concluait :
Mais comme les riches du jour n’ont point d’aïeux, nous doutons fort qu’ils parviennent jamais à contenter sous ce rapport [celui du vin vieux] la sensualité d’un vrai gourmand74.
C’est en pensant à eux, ainsi qu’à « quelques dignes néophytes » impatients d’être formés, que Grimod va rédiger son code de savoir-vivre à table pour « suppléer à leur inexpérience ou venir au secours de leur mémoire »75. Il veut leur léguer entre autres rudiments (et cela fait l’objet de la première partie de son ouvrage) l’art de la « dissection des viandes », dont les « éléments » se sont « perdus dans la tourmente révolutionnaire » et qui est « indispensable à tout maître de maison jaloux de prouver qu’il n’est pas né d’hier »76.
La Révolution, qui a certes fait « changer bien des fortunes de mains », n’est pas seule en cause, selon Grimod, dans « la subversion qui s’est opérée dans les us et coutumes de la bonne chère »77. Une inéluctable évolution des mœurs a transformé, comme il en va à peu près pour chaque génération, les formes de la sociabilité, si bien que « l’apprentissage du métier d’amphitryon et même celui des convives78 » ne sont plus du tout les mêmes. Les maîtres de maison du jour ont besoin de conseils pour « l’ordonnance des festins que leur profession les oblige de donner79 » et dans lesquels se retrouve le personnel de l’Empire (magistrats, préfets, membres de l’Institut, etc.). Les salons du siècle précédent où l’on « ne mangeait pas » sont bien loin, tout comme les « déjeuners philosophiques » de Grimod où l’on mangeait à peine : « Aujourd’hui, ce n’est plus cela : point de cuisinier, point d’ami, et celui qui ne donne pas à manger peut être bien sûr, pendant toute l’année, de n’avoir personne chez lui, eût-il tout l’esprit de Voltaire et toute l’amabilité de Beaumarchais80. » Sans compter que, sous l’Empire, les conversations ne sont pas vraiment libres. Du moins peut-on désormais parler de cuisine à table, car le temps de la gastronomie est décidément venu.
Aux nouveaux amphitryons qui n’ont plus autant de personnel à leur service que dans les grandes maisons d’autrefois, Grimod suggère de prendre vaillamment les choses en main, c’est-à-dire de pourvoir eux-mêmes au marché, de connaître les fournisseurs (l’on a désormais beaucoup plus recours aux « boutiques »81) et surtout de décider des menus sans rien déléguer à personne. Ainsi pourront-ils acquérir un véritable renom en mettant leur signature aux grands repas qu’ils donnent. Pour son « manuel », l’auteur collabore étroitement avec des « praticiens habiles », si bien que, contrairement à ce qu’il a fait jusque-là et à ses déclarations de principe, son livre est écrit à plusieurs mains. Il rappelle à de nombreuses reprises qu’il a été « aidé par M. Balaine », restaurateur au Rocher de Cancale, et rend hommage à ce « savant professeur ». Aussi le Manuel des amphitryons était-il d’abord axé sur la pratique à la différence de l’Almanach des gourmands. On y apprend toutes sortes de prescriptions (« on découpe sur le dos ce qui est bouilli et sur le ventre ce qui est rôti82 », etc.), et on y trouve de nombreuses planches pour la dissection, ainsi qu’une « nomenclature raisonnée des menus pour chaque saison ». Par son caractère systématique, l’ouvrage offre un vrai témoignage sur la cuisine française en 1808 et sur la hiérarchie des aliments qui prévalait alors. Le civet y est stigmatisé comme un « ragoût très commun » et l’oie rôtie comme « encore plus roturière que la dinde ». En revanche, le bouilli est présenté comme « le milieu presque obligé de tous les dîners » et la tête de veau comme « un relevé distingué même dans les dîners du grand genre83 ». Grimod ne se préoccupe manifestement pas de savoir si les recettes qu’il propose sont du registre bourgeois ou aristocratique.
Pour autant, il ne se prive pas de polémiquer à propos de l’histoire de la cuisine. Il en donne une version résolument contraire à celle de l’Encyclopédie, qui imputait à l’avènement des princes corrompus la décadence de l’art. Sous prétexte de recherches savantes, Grimod évoque avec nostalgie, et surtout avec une malice très appuyée, les noms de recettes qui renvoient à l’Ancien Régime. Pour lui, les grands moments où l’art culinaire a progressé sont (contrairement à la vulgate moralisante) des époques de licence comme la Régence : « Les goûts sensuels et voluptueux de Philippe, dont les orgies avaient servi de modèles aux petits soupers, tout contribua à donner, sous ce prince, une grande importance aux arts alimentaires84. » Et ce sont le plus souvent des femmes connues pour leurs aventures galantes qui ont donné leur nom à certains plats : à propos des « poulets à la Villeroy », Grimod assure que la marquise du même nom était « l’une des femmes les plus libidineuses et les plus profondément gourmandes de la cour de Louis XV » ; quant à la duchesse de Berry, « fille bien-aimée du Régent », qui a donné son nom aux « filets de lapereau à la Berry », elle « n’était pas moins gourmande que voluptueuse » ; enfin, Mme de Pompadour, qui a donné son nom aux « tendrons d’agneau au soleil85 », « encourageait les arts et surtout celui de la cuisine qui lui doit plus d’une découverte brillante » :
Fille d’un riche boucher, femme d’un financier opulent, elle avait porté à la cour tous les goûts de la sensualité, et jamais la cuisine des petits appartements n’a été plus recherchée qu’à cette époque de la monarchie86.
Il en va un peu différemment pour « les bouchées à la reine » qui doivent « leur origine à Marie Leczinska, épouse de Louis XV, qui en sa qualité de dévote était fort gourmande, quoiqu’elle fît souvent la petite bouche ». Seule fausse note, selon Grimod, le « potage à la Necker auquel il serait convenable de donner un nom plus honnête » : « C’est sans doute par dérision ou par antithèse qu’on l’a nommé ainsi, puisqu’il est excellent ; car cet hypocrite et vaniteux vieillard, première cause de tous les maux sous lesquels la France a gémi pendant quinze années, ne pouvait rien enfanter de bon87. »
Au-delà de ces petites provocations divertissantes, Grimod prend réellement au sérieux son rôle de pédagogue. Soucieux de faire l’éducation des amphitryons du jour et de leur apprendre à manger, il en vient à délivrer les premiers éléments de son credo culinaire. C’est grâce à son Almanach des gourmands, assure-t-il, que « la science gastronomique est devenue à la mode ». Aussi fait-il le vœu que soit créée, dans les nouveaux « lycées », une « chaire de gastronomie88 » et il s’emploie, quant à lui, à transformer les amphitryons mal dégrossis en vrais « connaisseurs ». Il les met en garde contre les écueils que réserve le marché : il y a une grande différence, prévient-il, entre « le lapin de clapiers » et le lapin sauvage qui vient de la forêt de Saint-Germain, entre la caille domestique et celle qui vit en liberté, et l’on doit se méfier des « faisanderies qui ont rendu cet oiseau assez commun89 ». D’autres pièges guettent l’acheteur au quai de la Vallée où l’on trompe le client sur l’âge et la qualité de la volaille ; et chez certains marchands, « le mouton mariné est présenté comme du chevreuil90 ». Il convient inversement de repérer les meilleures adresses, comme celle du pâtissier Rouget qui propose des millefeuilles insurpassables. Mais l’essentiel du propos consiste à dénoncer la vulgarité des nouveaux riches aux yeux desquels tout tient à la dépense et qui, par un fol engouement pour les primeurs, se risquent, par exemple, à manger des truffes en décembre. « Les amphitryons actuels ne se doutent pas du tout, conclut Grimod, du génie qu’il faut pour confectionner sans fautes un plat de légumes91. »
L’INVENTION DE LA PRESSE GASTRONOMIQUE
Pour que l’aventure de l’Almanach des gourmands puisse se poursuivre, Grimod dut se résoudre à ne plus tout miser sur la verve qui en avait fait d’abord le succès. « Nous avons dû envisager notre sujet sous d’autres points de vue, et fonder sur des bases différentes les éléments de notre travail92 », annonce-t-il à regret, parce que ce tournant éditorial lui coûte indiscutablement. L’obligation d’être désormais utile, au lieu d’amuser comme autrefois, a pour lui quelque chose de fastidieux en raison des répétitions inhérentes à ce genre de publication, « ce qui, pour un écrivain, est beaucoup plus embarrassant que de composer de la prose tout à fait neuve93 ». Et cela lui donnera « plus de peine » tout en lui procurant « moins de gloire »94. Il persiste bien à vouloir présenter, ici et là, quelques recettes « d’une manière assez piquante pour empêcher de les confondre avec celles que renferment les livres de cuisine ordinaires95 », mais en vérité tout est changé. En témoigne plus particulièrement le nouveau statut de ses « promenades gourmandes », qui ont perdu leur liberté première au profit de ce qu’on appellerait aujourd’hui un service de « pages jaunes » :
Nous avons classé et réuni, dans des articles séparés, chaque artiste de la même profession : ainsi le lecteur se fatiguera moins, et au lieu de courir d’un bout de Paris à l’autre pour chercher les meilleurs restaurants, les meilleurs pâtissiers, etc., il les trouvera réunis ici chacun dans un même article. Cet ordre offre moins de variété que celui que nous avions adopté d’abord ; mais il plaira davantage aux personnes méthodiques, et il facilitera les recherches96.
Ainsi les « promenades » ne sont-elles plus que des rubriques offrant « une nomenclature exacte et fidèle des meilleurs fabricants et vendeurs de comestibles97 ». Si elles n’ont plus le charme de la déambulation aléatoire, elles ont acquis un poids beaucoup plus important dans l’évaluation gourmande. À propos de ses « itinéraires », Grimod assure, en effet, qu’ils « sont devenus pour les artistes et les hommes de bouche ce qu’est l’exposition aux Invalides pour les commerçants et les manufacturiers »98.
La nouvelle ambition de notre auteur est de fonder une presse véritablement spécialisée dans l’information gastronomique, alors que les « annonces » dans ce domaine se trouvent encore « confondues avec des avis de toute nature dans la plupart des journaux »99. Dans un petit « essai de géographie gourmande », il souhaite que soit établie une cartographie (par villes et par régions) du patrimoine alimentaire de la France et même de « l’Empire français »100. Cela va de pair avec son projet d’un Journal gourmand (d’une tout autre ampleur que l’Almanach des gourmands) qui répandrait à travers la France, et même l’Europe, « la meilleure doctrine alimentaire » :
On y signalerait les progrès des artistes et leurs efforts constants pour mériter la faveur publique ; on y donnerait un aperçu du prix de tous les comestibles, tant exotiques qu’indigènes […]. Mais l’établissement d’un tel journal exigerait des avances considérables : il faudrait monter des correspondances très étendues, salarier de nombreux voyageurs, entretenir des commissionnaires à poste fixe sur tous les points gourmands de la République, etc.101.
Ainsi s’annonçaient le principe et l’esprit de nos guides étoilés d’aujourd’hui. Malheureusement, Grimod ne parvint pas à trouver, comme il l’espérait, la « société de capitalistes gourmands » susceptible de « faire les fonds de cette entreprise ». C’est donc dans l’Almanach des gourmands, dont le dernier volume parut en 1812, qu’il put réaliser sa vocation de critique gastronomique en attribuant les bons points et les mauvaises notes.
Il y vante les produits de Corcellet et de Maille, les babas de Rouget, la choucroute de Chevet, la galantine de truffes et le gâteau de lièvre de Prévert, les pâtés de Pithiviers de Provenchère, le chocolat de De Bauve, la « matelote de la Rapée », comme la cuisine des grands restaurateurs102. Après un examen attentif de la carte de Véry, il conclut que « si ses prix sont élevés, ils ne sont pas excessifs103 » ; il mentionne Le Gacque, Balaine, « Les Frères provençaux » qui sont « renommés pour leur brandade de merluche et les divers ragoûts de leur pays104 ». Comme il est également dans son rôle de dénoncer les abus et de réveiller ceux qui « dorment sur leurs lauriers », il signale, par exemple, que les canards d’Amiens ont « dégénéré en doublant de prix »105. Il se félicite, dans le même sens, que son reproche à un célèbre magasin (l’hôtel des Américains), de « vivre un peu trop sur sa réputation et de ne pas servir le public comme autrefois », a « piqué d’émulation » ceux qui dirigent cette maison106. Mais il arrive aussi qu’il soit menacé d’un procès, comme par ce marchand qu’il a accusé d’avoir vendu un « pâté gâté107 » et d’avoir refusé ensuite de le reprendre. Cette âpre défense des consommateurs s’accompagne de nombreuses doléances sur les aménagements de la ville. Dans un long développement sous le titre « Considérations générales sur les marchés de Paris », Grimod déplore la confusion qui y règne, le manque d’hygiène, et que les marchands ne soient abrités que par « de vilains parapluies de toile rouge108 ». Il rejoint très exactement en cela l’auteur du Tableau de Paris109, auquel il avait pourtant reproché jadis, dans son « Tableau de Lyon », de s’abaisser à de tels sujets.
Grimod en vient également à se faire historien des mœurs à la façon de Mercier en traitant de sujets que ce dernier a déjà abordés lui-même. Ainsi de la belle analyse sociale (sous le titre « Des dîneurs en ville ») où il envisage quatre classes : la « classe dévoratrice » de ceux que l’on appelle « les amis de la maison », mais qui ne sont en vérité que des importuns ; celle des « véritables amis de la maison » ; celle des « gens de lettres et artistes » qui font « presque tous les frais de la conversation » et la « réputation des amphitryons » ; enfin, celle des « parasites » :
Ceux qui font ce métier sont en général des prolétaires qui ne tiennent à rien, n’ont point de ménage, et mangeraient à douze sous à la gargote s’ils ne s’étaient faufilés dans des tables opulentes. Ils mangent avec voracité, tiennent le haut bout de la conversation pour débiter la nouvelle du jour (toujours très suspecte dans leur bouche), des contes rebattus ou des propos insignifiants110.
Mêmes morceaux de bravoure à propos des différents repas (le goûter, le dîner, le souper) dont les heures ont progressivement changé et surtout au cours de la Révolution. « Lorsqu’on dînait à Paris à deux ou trois heures, et que l’on y soupait à dix, l’on n’avait pas besoin de déjeuner solidement », explique Grimod, mais on en vint en 1789 à « régler les repas sur l’heure des séances » de l’Assemblée constituante : « Dès lors le dîner fut considérablement reculé, le souper disparut et les déjeuners à la fourchette prirent naissance parmi ceux qui donnaient alors le ton111. » Notre déjeuner d’aujourd’hui devint donc à la mode et s’acclimata d’abord sous le nom de « déjeuner à la fourchette » (parce qu’on y mangeait de la viande), alors qu’il apparaissait grossier jusque-là de se mettre à table « dès midi et demi ou une heure », comme les « gens du peuple » ou les « voyageurs »112. Parfois Grimod retrouve son inspiration grivoise de jadis comme dans sa belle description des « parties de campagne », ces « piques-niques [sic] » où « l’on porte avec soi toutes ses provisions, et l’on va les manger sur l’herbe, à l’ombre d’une épaisse forêt et dans le voisinage d’une source d’eau pure et légère »113. On aura placé dans de « grands paniers à anse » des « assiettes de fer-blanc » et, entre autres aliments, « une fricassée de quelques bons poulets gras qu’on met dans un pain », du « fromage de gruyère ou de Rocfort », qu’on arrosera de Jurançon et de champagne. Puis quelques couples « se disperseront dans la forêt ». « Tirons les rideaux sur ces scènes érotiques114 », conclut Grimod.
En ce qui concerne la cuisine, qui reste pour lui l’essentiel, notre auteur ne se montre ni nostalgique ni passéiste. Il aime l’expérimentation et commande, par exemple, une « dinde braisée » à Le Gacque au nom du « Jury dégustateur ». Dans le Manuel des amphitryons, il avertit que ses menus sont « composés des mets les plus modernes115 », si bien qu’ils donnent une idée assez précise, en effet, de la cuisine de l’Empire. Pour Grimod, l’élégance des grands chefs de ce moment-là réside dans la simplicité d’un plat de cardes ou de fèves comme dans des réalisations compliquées telles que la carpe à la Chambord ou le cervelas d’anguilles aux truffes. Il y a comme un air du temps dans la quenelle qui doit être « aérienne », les soufflés, les « sauces blanches » ou les « sautés » dont la vogue avait commencé, comme on le sait, en 1800, avec le veau Marengo :
Les réductions et les sautés sont des opérations qui tiennent à la plus haute chimie ; et qui seuls suffiraient pour attester les progrès de l’esprit humain, et pour prouver combien notre cuisine, quoique plus simple et plus saine, est cependant plus savante et plus profonde que celle de nos aïeux116.
Et l’auteur de l’Almanach des gourmands revendique, en fin de compte, d’avoir contribué lui-même par son ouvrage aux « progrès de l’art » et à la consécration de la cuisine du nouveau siècle.
1. Je renvoie pour ces deux textes aux éditions suivantes : Grimod, l’Almanach des gourmands [1803-1812], préface de Jean-Claude Bonnet, Chartres, Menu Fretin, 2012 ; Grimod, Manuel des amphitryons [1808], préface de Jean-Claude Bonnet, Chartres, Menu Fretin, 2014.
2. Mme de Genlis, Adèle et Théodore, ou Lettres sur l’éducation, Paris, 1782, t. I, p. 158.
3. Au coin de l’avenue Gabriel et de la rue Boissy d’Anglas. C’est à cet emplacement que fut construite en 1928 la nouvelle ambassade des États-Unis. Grimod y vécut jusqu’en 1819.
4. Selon Chamfort, cité par Gustave Desnoireterres, Grimod de la Reynière et son groupe [1877], préface de Jean-Claude Bonnet, Chartres, Menu Fretin, 2009, p. 29.
5. Lettre du 20 septembre 1786, que Rétif a publiée (avec plusieurs autres) dans Les Contemporaines, 1788, t. XXVII.
6. L. Petit de Bachaumont, Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la République des lettres en France depuis 1762 jusqu’à nos jours, Londres, John Adamson, 1777-1790 ; 25 décembre 1778.
7. Ibid., 7 février 1783.
8. Ibid., 13 février 1783.
9. Cité dans les Mémoires secrets, 1er juillet 1783.
10. Grimod de la Reynière et son groupe, op. cit., p. 308.
11. C’était aussi pour rappeler qu’il était l’auteur de Réflexions philosophiques sur le plaisir, par un célibataire (1783).
12. Lorgnette philosophique, 1785, p. 82.
13. Mémoires secrets, op. cit., t. XXVII, p. 76.
14. Correspondance littéraire, avril 1783, édition de Maurice Tourneux t. XIII, 1880, p. 296.
15. Cité par G. Desnoireterres, Grimod de la Reynière et son groupe, op. cit., p. 241.
16. Ibid., p. 86 (lettre de Nicolas Thomas Barth, secrétaire de Grimod, du 7 novembre 1785).
17. Mémoires secrets, op. cit., t. XXII, p. 77-78. Dans Le Charme discret de la bourgeoisie (1972), Luis Buñuel et son scénariste Jean-Claude Carrière se sont peut-être souvenus du fameux souper dans une séquence particulièrement onirique : des convives attablés s’aperçoivent soudain avec confusion qu’ils sont sur une scène de théâtre, au moment où un public jusque-là invisible se met à les applaudir.
18. Sujet de la figure de la 13e partie du tome VII des Nuits de Paris, « Souper célèbre ». Rétif consacre un long compte rendu à ce « second souper » dans la Neuvième époque de Monsieur Nicolas. Voir Monsieur Nicolas, édition établie par Pierre Testud, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1989, t. II, p. 369-371.
19. Les Contemporaines, op. cit., t. XLII, p. 539.
20. Dans les Mémoires secrets comme chez Rétif (Les Contemporaines, t. XI, p. 539 ; Monsieur Nicolas, op. cit., t. II, p. 428-429) ou chez Fortia de Piles (Nouveau Dictionnaire français, 1818, « Déjeuners »).
21. Lorgnette philosophique, op. cit., p. 31.
22. C’était à la fois une épicerie, une droguerie, une parfumerie, où l’on vendait aussi des broderies et des habits en tous genres.
23. La comtesse de Beausset, dont Mme du Deffand parle avec bienveillance dans deux lettre à la comtesse de Walpole (13 juin et 8 août 1773) et dont Grimod, qui l’aimait beaucoup, écrit dans sa lettre à Rétif du 27 août 1790 : « C’est l’âme de Fénelon, l’esprit de Racine, le cœur de Sévigné et les grâces de Ninon ».
24. Lettre de Grimod à Rétif du 4 avril 1791.
25. Lettre de Rétif à Grimod du 12 octobre 1792.
26. Lettre de Grimod à la Société typographique de Neuchâtel, du 22 mars 1781, ms. STN 1162, citée par Michel Schlup, « L’édition du Tableau de Paris à Neuchâtel », dans Tableau de Paris, op. cit., t. I, p. CII.
27. Lettre citée par G. Desnoireterres dans Grimod de la Reynière et son groupe, op. cit., p. 183.
28. Mon bonnet de nuit, « Plan d’une association heureuse », op. cit., p. 675.
29. Voir chapitre 7 et Tableau de Paris, « Les dîneurs en ville », op. cit., t. I, p. 150.
30. Lettre de Grimod à Mercier, du 9 avril 1786, bibliothèque de l’Arsenal, Fonds Mercier, ms. 15078 (2c), fos 107-108.
31. Mercier allait mettre peu après Beaumarchais en cause (comme affairiste dans la Compagnie des eaux) dans les derniers volumes du Tableau de Paris et y faire une critique peu amène du Mariage de Figaro. Leur relation n’en fut apparemment pas affectée si l’on en juge par le soutien que Beaumarchais apporta à Mercier, durant la Révolution, pour la représentation de certaines de ses pièces.
32. Court texte de seize pages qui ne sera publié qu’en 1843, six ans après la mort de Grimod.
33. L’Almanach des gourmands, op. cit., 2e année, p. 238.
34. Tableau de Paris, « La Société du mercredi », op. cit., t. II, p. 1535.
35. Almanach des gourmands, op. cit., p. 554-555.
36. Almanach des gourmands, op. cit., 3e année, p. 253.
37. « Soyez sobres, et veillez ; car le démon, votre ennemi, tourne autour de vous comme un lion rugissant, cherchant qui il pourra dévorer », Première épître de Pierre (5, 8).
38. Almanach des gourmands, op. cit., 1re année, p. 97.
39. L’Alambic littéraire, 1803, t. III, p. 89. Mercier évoque aussi l’action des « muscles zygomatiques » dans Du théâtre, à propos de la comédie.
40. Le marché à la volaille se tenait, au débouché du Pont-Neuf, sur le quai de la Vallée (aujourd’hui quai des Grands-Augustins).
41. Lorgnette philosophique, op. cit., p. 155.
42. Ibid., p. 84.
43. Almanach des gourmands, op. cit., p. 114.
44. Almanach des gourmands, op. cit., 1re année, p. 67.
45. C’est ainsi qu’elle est présentée dans le commentaire du frontispice de la huitième année.
46. Lettre de Grimod au marquis de Cussy, du 6 février 1822, citée par G. Desnoireterres dans Grimod de la Reynière et son groupe, op. cit., p. 281.
47. Almanach des gourmands, op. cit., 3e année, p. 357.
48. Ibid., 3e année, p. 360.
49. Lettre de Grimod au marquis de Cussy du 5 mars 1823, citée par G. Desnoireterres dans Grimod de la Reynière et son groupe, op. cit., p. 284.
50. Almanach des gourmands, op. cit., 3e année, p. 333.
51. Ibid., 3e année, p. 360-361.
52. Francis Ponge, « L’abricot », Pièces, Paris, Gallimard, 1962.
53. Almanach des gourmands, op. cit., 1re année, p. 38.
54. Manuel des amphitryons, op. cit., p. 170. Ce passage de l’Almanach des gourmands ayant beaucoup plu, Grimod l’a repris (en le développant) dans le Manuel des amphitryons.
55. Dans son Histoire de la vie privée des Français, depuis l’origine de la nation jusqu’à nos jours, publiée en 1782.
56. Manuel des amphitryons, op. cit., p. 156.
57. L’Almanach des gourmands, op. cit., 3e année, p. 316.
58. Ibid., 1re année, p. 202. Grimod évoque « M. Ferrand », successeur du boucher Simon.
59. Ibid., 1re année, p. 86.
60. Ibid., 2e année, p. 168.
61. Manuel des amphitryons., op. cit., p. 151.
62. Dans le frontispice de la huitième année, selon la description qui en est donnée dans le commentaire, « un porte-voix placé à la droite du gourmand et qui répond à sa cuisine, lui sert à transmettre ses ordres sans intermédiaires ».
63. Almanach des gourmands, 3e année, p. 262.
64. Ibid., 2e année, p. 157. Selon le Dictionnaire de l’Académie de 1798, la girande est « un assemblage de fusées volantes qui partent en même temps ».
65. Ibid.
66. Ibid., p. 69.
67. Ibid., p. 166.
68. Ibid., 7e année, p. 799.
69. Ibid., 3e année, p. 326.
70. Ibid., 7e année, p. 799.
71. Molière, Amphitryon, acte III, scène 5.
72. Manuel des amphitryons, op. cit., Préface, p. 17. Grimod ajoute : « Les Jacobins et le Directoire nous mirent pendant trois ans à la diète et ce n’est pas assurément leur faute si cette diète n’a pas été organisée en famine. »
73. Almanach des gourmands, op. cit., 2e année, p. 205.
74. Ibid., p. 207.
75. Manuel des amphitryons, op. cit., p. 97.
76. Ibid., p. 20.
77. Ibid., p. 186.
78. Ibid., p. 224.
79. Ibid., p. 174.
80. Ibid., p. 215.
81. Parce qu’il arrive qu’on ne trouve plus, même dans les grandes maisons, « un rôtisseur et un pâtissier en titre d’office » (ibid., p. 137).
82. Ibid., p. 52.
83. Ibid., p. 31.
84. Ibid., Préface, p. 16.
85. Ibid., p. 135.
86. Ibid., p. 115.
87. Ibid., p. 62.
88. Ibid., p. 20.
89. Ibid., p. 69.
90. Ibid., p. 37.
91. Ibid., p. 121.
92. Almanach des gourmands, op. cit., 4e année, p. 389.
93. Ibid., 8e année, p. 1017.
94. Ibid.
95. Ibid., 4e année, p. 389.
96. Ibid., p. 443.
97. Ibid., 8e année, p. 1017.
98. Ibid., 5e année, p. 639.
99. Ibid., 3e année, p. 315.
100. Ibid., p. 335. Il y voit, au-delà de l’information gastronomique, un autre avantage : « Ce moyen d’apprendre la géographie de la France aux enfants, nous paraît aussi simple qu’ingénieux ; et il est d’autant plus propre à fixer dans leur mémoire le nom des villes et même des plus petits villages, qu’à cet âge l’on a toujours beaucoup de dispositions à la gourmandise. »
101. Ibid., 2e année, p. 229.
102. Dans le Manuel des amphitryons (op. cit., p. 204), il annonce qu’il va publier une Histoire générale, particulière et secrète des restaurateurs de la capitale.
103. Almanach des gourmands, op. cit., 3e année, p. 290.
104. Ibid., p. 293.
105. Ibid., 4e année, p. 464.
106. Ibid., 3e année p. 292.
107. Ibid., 7e année p. 845.
108. Ibid., 6e année, p. 743.
109. Voir chapitre 7.
110. Almanach des gourmands, op. cit., 5e année, p. 537. Voir Tableau de Paris, « Les dîneurs en ville », op. cit., t. I, p. 150.
111. Almanach des gourmands, 6e année, p. 690. Voir « Déjeuners à la fourchette. Hameau de Chantilly », ms. 15079 (2), fos 227-234, bibliothèque de l’Arsenal, Fonds Mercier, Le Nouveau Paris, op. cit., p. 1260.
112. Almanach des gourmands, 2e année, p. 153. Au lieu de « déjeuner à la fourchette », on disait parfois « second déjeuner ».
113. Ibid., 4e année, p. 416.
114. Ibid., p. 420.
115. Manuel des amphitryons, op. cit., p. 21.
116. Almanach des gourmands, op. cit., 8e année p. 949-950.