Nous avons vu au chapitre 13 une introduction aux techniques antiques concernant la manipulation des aiguilles. Dans ce qui va suivre, vous allez avoir accès à la véritable technique de notre maître. Cette partie s’adresse donc plus spécialement aux professionnels. La technique personnelle qu’il nous transmet est peut-être un peu différente des techniques antiques, mais elle a le mérite d’être très simple à comprendre et surtout de nous aider à obtenir des résultats très probants. Et c’est surtout le résultat de l’expérience thérapeutique de plus de vingt générations de praticiens de père en fils ! Voyons cela, étape après étape.
Au niveau du choix de la longueur des aiguilles, le praticien doit savoir d’abord quelle est la profondeur qu’il va appliquer et à partir de là, choisir l’aiguille qui convient le mieux. S’il sait que le point qu’il va piquer est seulement de 0,5 cun, pourquoi choisir une aiguille de 1,5 cun ? D’une manière générale, la prise des aiguilles de 1,5 cun est plus difficile que celle de 1 cun. (Cun est une unité de longueur traditionnelle chinoise. La référence est la largeur d’un pouce qui fait 1,5 cun, soit +/ – 20 mm.)
Pour piquer des points tels que 36E, 34VB, il faut utiliser une profondeur plus élevée. Pour ces raisons, il faut utiliser des aiguilles 2,3 cun. Pour piquer des personnes ayant un fort embonpoint, il faudra choisir une aiguille plus longue.
Si on prend l’exemple du 4GI, dans le texte, il est dit que pour piquer ce point, on utilise une profondeur moyenne de 0,5 cun. Mais ceci est théorique. Il faut bien comprendre que la profondeur que l’on doit utiliser reste expérimentale ; c’est au moment où l’on pique que l’on décide de la profondeur. La profondeur des aiguilles dépend notamment des réactions du patient, mais aussi et surtout du moment où on a saisi l’énergie.
D’une manière générale, on ne prend pas les aiguilles au niveau du corps. La meilleure prise se trouve entre le manche et l’aiguille.
Fondamental, dans la majorité des cas, il conviendra de piquer perpendiculairement à la surface de la peau. S’il y a des points que l’on doit piquer en oblique, la main doit alors se mettre dans la direction de l’aiguille. Ce n’est pas l’aiguille qui change de position dans la main, mais la main qui se positionne par rapport au point.
Il faut utiliser la force du poignet et non pas la force des doigts. Quand on pique avec la force du poignet, l’aiguille ne bouge pas, tandis que si l’on pique avec les doigts, l’aiguille bouge, et on risque de la tordre.
Après avoir piqué, il faut faire attention au moment où le Qi arrive. Lorsque l’on sent que le Qi est arrivé, on arrête la pénétration de l’aiguille, et cela est la bonne profondeur. On compare souvent le Qi à la marée : il y a des moments où elle est haute et des moments où elle est basse. Pour ces raisons, il y a des moments où l’on pique superficiellement, et d’autres où l’on pique plus profondément.
Le Qi est influencé par plusieurs facteurs, tels que les états émotionnels, les aliments ingérés, le type de travail et le Xie Qi, l’énergie perverse. Lorsque le Qi est haut, la profondeur n’est pas importante, mais lorsque le Qi est bas, la profondeur est importante. La bonne profondeur est saisie lorsque le Qi est arrivé. Lorsque celui-ci est là, on ne pénètre plus l’aiguille.
Lorsque le praticien a des aiguilles courtes, et qu’il n’arrive pas à avoir une bonne profondeur, quelques conseils :
» Dans le choix des points, il vaut mieux piquer dans ce cas l’endroit à côté des os. Si on prend 4GI pour exemple, d’une manière générale, on met l’aiguille au milieu où se trouve la chair. Mais lorsque l’on sait que l’aiguille n’est pas assez longue, on la met plutôt vers le côté des os. Cela ne veut pas dire que l’on pique l’os, mais on pique juste à côté de l’os.
» Souvent, pour piquer le point 30VB, point au niveau de la fesse (là où pique l’infirmière), il faut utiliser des aiguilles de 5 cun. Mais on ne les trouve pas souvent. On ne peut utiliser que des aiguilles de 3 cun ou de 2,5. Dans ce cas, il faut utiliser cette technique : on demande au patient de se coucher sur le côté, la jambe du dessous est droite, celle du dessus est fléchie et on pique où se trouve le creux. C’est là la bonne position. Donc quand on n’a pas des aiguilles suffisamment longues, il faut piquer à l’endroit où se trouve l’os dans l’articulation entre les deux os.
» Il y a une autre méthode. Lorsque l’on doit utiliser une aiguille de 1,5 cun et que l’on a seulement une aiguille à 1, on retire l’aiguille juste un peu, on la laisse un moment, puis soit on tourne, soit on bouge l’aiguille vers le haut ou vers le bas. Mais évidemment, l’idéal est d’avoir la bonne aiguille.
D’une manière générale, on doit laisser un espace entre le corps de l’aiguille et le manche par rapport à la peau. Il ne faut pas enfoncer l’aiguille jusqu’au niveau du manche. En effet, celui-ci risque d’être absorbé en partie par le Qi qui arrive. Dans ce cas, le patient ressentira une douleur. Pour ces raisons, il faut toujours laisser une petite distance entre l’aiguille et le manche.
Quand le Qi n’est pas là, il faut tourner un peu l’aiguille par des petits va-et-vient pendant un moment, et quand on sent qu’il arrive, l’aiguille est un peu absorbée. Là, on laisse l’aiguille.
Beaucoup d’acuponcteurs ne savent pas reconnaître le moment de l’arrivée du Qi. Souvent ces personnes laissent les aiguilles dans le corps du patient sans les manipuler, parce qu’en laissant les aiguilles, le Qi peut arriver par la suite, mais cela n’est pas une bonne méthode. Souvent, dans ce cas, le Qi peut arriver 10, 15 ou 20 minutes après.
Un bon acupuncteur doit avoir une expérience sur l’arrivée du Qi. Il faut sentir le moment où le Qi arrive, c’est très important. Si on laisse le Qi arriver tout seul, ou si on laisse l’aiguille comme cela, sans savoir le moment de l’arrivée du Qi, on perd l’occasion pour tonifier ou pour disperser. Parce que c’est à ce moment-là, quand le Qi arrive, qu’on peut faire les techniques Bu ou Xie, de sédation ou de tonification.
Entre la pénétration de l’aiguille et la sortie de l’aiguille, il y a entre une respiration et sept respirations, quelle que soit la technique de tonification ou de sédation. Laisser les aiguilles n’est pas tellement important. Ce qui est important, c’est la manière de laisser les aiguilles entre une ou sept respirations.
On ne peut pas dire que le fait de laisser les aiguilles plus longtemps ou de les retirer plus rapidement donne de meilleurs effets. L’important, c’est la manipulation et le ressenti de l’aiguille.
Si on laisse les aiguilles un peu plus longtemps, on obtient seulement un effet modéré, que ce soit en tonification ou en sédation. Donc, quand on parlera de tonification-sédation équilibrée, ce sera sur la durée de la poncture que cela se jouera.
D’une manière générale, pour tonifier, on choisit des points proches de l’endroit de la maladie. Pour disperser, on choisit des points éloignés. (Nous allons y revenir.)
Cependant, pour obtenir de bons résultats, il faut savoir manipuler et changer l’ordre des points. Il y a trois points auxquels on doit faire attention :
C’est le praticien qui se positionne par rapport au patient. Prenons un exemple. Quand on doit utiliser des points tels que 36E (au genou), 14DM (en haut du dos), 6CC (sur avant-bras). Quand c’est une pathologie de type plénitude, Shi, on commence par les points à distance, puis par la suite, les points proches. On demande alors au patient de se coucher sur le dos pour atteindre le 36E et le 6CC. Ensuite il se mettra sur le côté pour le 14DM. Tandis que si c’est une maladie de type Xu, on prend d’abord les points proches et ensuite les points à distance.
Le deuxième point est aussi important. Lorsque l’on pique les points au dos, il vaut mieux éviter de demander au patient de se coucher sur la poitrine. C’est la position en décubitus latéral qui est la meilleure. On met un coussin entre les deux jambes, pour bien caler le patient. Ceci pour relever un peu la cuisse. Les muscles seront alors parfaitement relâchés. Sur la poitrine, les muscles du dos sont plus contractés. On a du mal pour pénétrer les aiguilles et le point est plus difficile à trouver.
Quand le patient est en décubitus latéral, pour prendre le point, on palpe d’abord la colonne vertébrale. En effet, certaines personnes ont la colonne déviée vers la droite ou vers la gauche. Cette position permet aussi de trouver plus facilement le muscle, qui se trouve à côté de la colonne. Souvent dans cette position, on peut trouver un creux qui se trouve à côté de la colonne et là, on enfonce plus facilement les aiguilles.
Donc, dans cette position, on peut piquer verticalement les points du dos, parce qu’on voit les muscles. Ils ne sont pas contractés et on trouve facilement le creux qui se trouve entre les deux muscles.
Mais la position sur le côté n’est pas absolue.
En ce qui concerne les problèmes des points distaux ou proches, il faut décider selon l’état du patient. Si le patient a vraiment très peur d’être piqué, il faut surtout piquer les points qui se trouvent aux membres, c’est-à-dire à la main ou au pied. Pour un patient qui est très tendu, en général, il faut éviter de piquer les points tels que 20VB (dans le cou) ou 14DM (en haut du dos), car ce sont des endroits qui sont un peu dangereux.
Et si, malgré tout, il a des maux de tête, on essaie d’éviter de piquer ces endroits-là, car cela fait peur au patient et il serait effrayé. Quand le patient est tendu, il ne faut pas piquer des points qui sont destinés à sa maladie. On pique plutôt le point Shen Men, 7C (au poignet) ou Yang Ling Quan, 34VB (au genou) : ces deux points sont très bons pour les personnes nerveuses.
LE SÉSAME DE L’ACUPUNCTEUR
J’ai appliqué la méthode qui va suivre, comme tous les fidèles élèves de mon maître, pendant plus de trente ans avec cette sensation très profonde de pur partage énergétique.
Lorsqu’on pique, il faut faire attention au doigt qui appuie. Quand il est bien appuyé sur la peau, et qu’on s’est bien concentré, on commence à piquer. En principe, on perce la peau rapidement. Une fois que l’aiguille a traversé la peau, on pousse l’aiguille en profondeur, tout doucement, jusqu’au moment où on sent que l’aiguille est un peu tendue ou un peu absorbée, on s’arrête. Que ce soit pour la tonification ou la sédation, on s’arrête d’enfoncer l’aiguille quand on sent que le Qi est arrivé.
Pour tonifier, Bu, on continue à maintenir l’aiguille, quand le Qi est arrivé, jusqu’au moment où on sent que le Qi est suffisamment arrivé. À ce moment-là, on lâche l’aiguille. Après avoir lâché la main, on laisse en général l’aiguille entre une et sept respirations du patient. Si on doit appliquer le moxa, on peut laisser l’aiguille un peu plus longtemps. Si on doit tonifier plus en se servant de moxa, on laisse l’aiguille en place une dizaine de minutes. Dans le cas contraire, on commence à retirer l’aiguille, en suivant la respiration du patient, mais tout doucement. En principe, le Qi arrive tout doucement et puis massivement. Lorsque le Qi est arrivé massivement, on peut déjà retirer l’aiguille. Pour ces raisons, on n’a pas besoin de laisser l’aiguille encore plus. Le fait de laisser l’aiguille dépend surtout de l’endroit où l’on pique.
Pour disperser Xie, on laisse le Qi arriver tout doucement, puis massivement. Quand on sent que le Qi est complètement arrivé, on pénètre un peu plus en profondeur l’aiguille et puis on tremble l’aiguille, jusqu’au moment où on sent que l’aiguille est complètement tendue. Là, on lâche.
On lâche l’aiguille pour tonifier, quand le Qi est à peine arrivé. Pour disperser, on lâche la main quand le QI est complètement arrivé. Après cela, on laisse l’aiguille entre trois et sept respirations. Si on estime que l’on doit laisser l’aiguille pendant trois respirations, on doit avant tout avoir l’impression que l’aiguille est complètement tendue, dès la première respiration. À la deuxième respiration, soit on tourne l’aiguille, soit on la tremble, on fait un mouvement de va-et-vient vertical. Cela dépend de notre besoin. Après la deuxième respiration, on lâche la main et puis on tourne une dernière fois l’aiguille et on se trouve là, à la troisième respiration. Au bout de la troisième, on commence à ressortir l’aiguille doucement.
Cependant, il y a deux sortes de dispersion : pour la grande dispersion, on utilise un peu plus de force, c’est-à-dire que l’on tremble ou l’on tourne un peu plus les aiguilles. Pour la petite dispersion, on bouge moins les aiguilles.
Pour faire une tonification sédation-équilibrée, Bing Bu, Bing Xie, on enfonce l’aiguille, on attend le Qi. Quand celui-ci arrive, on continue à tourner les aiguilles jusqu’au moment où le Qi arrive massivement. À ce moment-là, on lâche la main. Après cela, on laisse l’aiguille entre trois et sept respirations, et puis on sort l’aiguille en la tournant tout doucement.
Dans chacune de ces trois techniques, on pénètre et on sort tout doucement l’aiguille et, après cela, on doit faire un massage. Tout cela concerne les expériences personnelles du Pr Leung qu’il nous a demandé d’appliquer dans notre pratique. Sinon, on peut toujours utiliser les techniques anciennes.