L’heure H : le volcan explose

Pompéi, Herculanum et les environs
24 octobre après J.-C., 13 heures
Le compte à rebours est terminé

FELICES OMNES VA[LETE] FELICES

Portez-vous bien, gens heureux ! Restez-le !

Tout à coup, une énorme colonne de fumée noire surgit du Vesuvius. Elle se dresse à la vitesse de l’éclair. Jamais on n’a vu une chose aussi immense évoluer aussi vite. Des tonnes et des tonnes de gaz, de vapeur et de fragments de magma sont éjectées à des centaines de mètres à la seconde. Le panache monte et monte encore, telle une lance transperçant le ciel. Beaucoup remarquent la formation soudaine d’un « col » de vapeur blanche sous la tête noire. Il disparaît presque aussitôt.

Qu’est-ce que c’est ? Pas le temps de chercher une réponse.

Peu après, un étrange anneau blanc se forme au-dessus de la colonne, cette fois, une sorte d’auréole qui se détache dans le ciel. Comme sorti de nulle part, il s’élargit majestueusement dans l’azur et finit par devenir plus grand que le Vesuvius, avant de disparaître, laissant les Pompéiens abasourdis.

Au fur et à mesure de son ascension, la colonne devient plus claire et s’épaissit. Elle tourbillonne et moutonne comme une avalanche qui monterait vers le soleil. Quelques secondes plus tard, un bruit sourd et violent se fait entendre. Le volcan ne laisse aucun répit à la population.

Des cris et des hurlements ébranlent la foule rassemblée au Forum et dans les rues. Des rochers noirs jaillissent des flancs de ce monstrueux nuage et amorcent leur trajectoire parabolique vers le sol. Ils sont gigantesques. On les distingue nettement malgré les kilomètres, ce qui donne une idée de leurs dimensions. Certains ont la taille d’une maison, d’autres celle d’un char. Les plus lourds retombent presque à la verticale sur les pentes du Vesuvius, se brisant dans un vacarme assourdissant. D’autres, moins grands mais tout aussi mortels, sont projetés en parapluie autour du volcan, loin, très loin, parfois même jusqu’à la mer, où ils s’abîment en soulevant d’immenses colonnes d’eau. On dirait une meute de chiens féroces lancée à l’assaut de tout ce qui vit. Et ce n’est que le début.

Pendant ce temps-là, sous l’effet de l’onde de choc et des flux d’air, des panaches de cendres pulvérulentes et des nuages de poussière surgissent de partout sur les versants de la montagne et se dressent dans le ciel. Le plus impressionnant, c’est le silence qui entoure ce phénomène. Le volcan ne rugit pas, contrairement à ce qu’on dit si souvent. Il n’y a eu qu’une énorme déflagration au début, suivie de détonations moindres à intervalles réguliers et d’explosions phréatiques provoquées, répétons-le, par l’interaction de l’eau en sous-sol et du magma au cours de sa remontée.

En août 2014, un touriste a filmé par hasard le brusque réveil du volcan Tavurvur, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Les causes et les différentes phases de cette catastrophe sont de même nature que celles du Vesuvius. Quoique le Tavurvur soit beaucoup moins imposant que notre volcan, les premiers instants de l’éruption enregistrés dans ce précieux document révèlent bien des choses qui ont probablement été observées et entendues par les Pompéiens en 79 après J.-C., mais que nul d’entre eux n’a décrites.

Qu’est-ce que peut bien être ce col de vapeur blanc tout autour de la colonne en train de monter du volcan ? Quelque chose d’analogue se produit autour des avions de chasse quand ils franchissent le mur du son. Le panache de vapeur, de gaz et de magma expulsé par le Vesuvius ayant commencé sa course à une vitesse probablement supérieure à 341 mètres par seconde, il a franchi le mur du son, provoquant de façon presque certaine la même réaction. L’anneau blanc qui ressemble à une fine nappe nuageuse circulaire et s’élargit rapidement dans le ciel bleu est formé par les ondes sphériques qui se propagent autour du Vesuvius. Leurs effets sont visibles à l’œil nu, aussi bien dans le ciel que sur les versants du volcan (avec ce front de poussière qui descend en moutonnant).

Représentez-vous un ballon plongé dans un étang. En s’enfonçant dans l’eau, il va générer des ondes concentriques de plus en plus larges. Il en va de même pour l’onde de choc dans une atmosphère riche en vapeur. Nous pouvons aussi affirmer que, si la colonne a franchi le mur du son, un bang s’est fait entendre quelque 18 secondes plus tard à Herculanum et 24 secondes plus tard à Pompéi. Ce bang a été la seule manifestation sonore importante. Répétons en effet que le panache éruptif qui s’élève sous les yeux de la population médusée ne produit aucun son, contrairement à ce que l’on veut nous faire croire dans les livres et dans les films. C’est ce silence, associé à l’ampleur de l’éruption, qui déconcerte le plus les Pompéiens.

Mais le bang supersonique a retenti suffisamment fort pour faire sortir tout le monde de chez soi. Dion Cassius lui-même, s’appuyant sur des témoignages et des textes aujourd’hui disparus, semble confirmer indirectement ce franchissement du mur du son : « À la suite de cela, un effroyable fracas, comme de montagnes qui s’entrechoquent, se fit subitement entendre ; puis il sortit d’abord des pierres avec tant de force qu’elles atteignirent jusqu’au sommet de la montagne ; ensuite un feu immense et une fumée épaisse qui obscurcirent l’air et cachèrent le soleil entier comme dans une éclipse*1. »

Durant ces instants dramatiques, qui se passe-t-il donc dans les rues de Pompéi ?

*1. Histoire romaine, Livre LXVI, 22, traduction d’Étienne Gros (continuée par V. Boissée), Paris, Librairie Firmin Didot Frères, Fils et Compagnie, 1867.