Il n’y avait personne d’autre qu’Hilary dans le salon du Magpie and Parrot quand Henry y pénétra, environ une heure et demie plus tard. Il la souleva et l’embrassa comme s’ils étaient encore fiancés et elle l’embrassa comme elle ne l’avait jamais fait quand ils étaient fiancés. Bien peu de temps s’était écoulé depuis qu’elle avait juré, au comble du désespoir : « Je ne reverrai jamais Henry. »
Henry oublia tout ce qu’il avait eu l’intention de dire. Il l’embrassa, et l’embrassa encore, lui demandant entre deux baisers si elle était certaine de ne pas être blessée.
— Si je l’étais… ça te ferait quelque chose ?
— Ne parle pas comme ça !
Elle enfouit son nez dans son cou.
— Et pourquoi, chéri ? Je veux dire, nous ne sommes plus fiancés. Inutile de porter une cravate noire si on m’assassine.
Les bras d’Henry se raidirent et se durcirent. Ce n’était pas du tout agréable.
— Je t’interdis de parler comme ça !
— Pourquoi, chéri ?
— Cela ne me plaît pas.
Il la tint serrée et l’embrassa passionnément.
Comme c’était bon d’être entre dans les bras d’Henry !
Il cessa brusquement de l’embrasser. Il réfléchissait à ce qu’ils allaient faire.
— Écoute, il faut prendre le train de vingt et une heures cinquante. As-tu mangé ?
— Non… je t’attendais. Je me disais que ça serait sympa de m’inviter.
— Bon, nous allons manger et tu me diras ce que tu as fait. Tu es sûre de n’être pas blessée ?
— Je suis blessée à mort, mais je tiendrai le coup.
Henry fronça les sourcils devant les éraflures.
— Je n’arrive pas à imaginer ce que tu as pu fabriquer, dit-il, s’attirant un regard morose.
— Ma beauté fatale n’est plus qu’un souvenir ! Quel bonheur de ne plus être fiancés, je n’aurais qu’à me montrer généreuse et rompre si ce n’était déjà fait, dit-elle.
— Ne t’attends pas à des compliments ! lança Henry.
Il la conduisit vers le restaurant, où le maître d’hôtel les informa que le train de vingt et une heures cinquante partait en fait à quarante-cinq depuis le 1er octobre. Bien sûr, il pouvait être retardé à cause du brouillard, mais il leur déconseillait de compter sur ce retard. Il leur recommanda du potage, un pâté en croûte, et estima qu’il vaudrait mieux commander un taxi au garage de Mr. Whittington, et, s’ils étaient d’accord, il demanderait au portier de téléphoner.
Le temps des explications ne semblait pas venu. Le potage était bon, le pâté en croûte excellent, le café délicieux. Le maître d’hôtel voltigeait comme un ange de bonté. Hilary imagina le plaisir que ce serait d’être ici en lune de miel avec Henry et non pas poursuivie par des assassins. Puis elle rougit à ces pensées, leva les yeux, croisa le regard d’Henry, et rougit encore plus.
Ils prirent leur train, bénéficièrent d’un wagon entier pour eux seuls – un wagon vide dans un train vide, mais rien à craindre, car Henry était présent. Comme la locomotive démarrait, et que leur wagon cognait contre les tampons de celui qui le précédait, Henry se mit à parler :
— Raconte-moi, maintenant… Dans quoi es-tu allée te fourrer ? Tu ferais mieux de me dire ce que tu as sur le cœur.
C’est ce que fit Hilary. Ils étaient face à face, sur deux sièges de coin. Elle pouvait très facilement apprécier ses réactions, et lui voyait ses deux éraflures, une sur le menton, l’autre sur le front, et ses joues très pâles.
— Tu vois, chéri, je devais trouver Mrs. Mercer, alors inutile de revenir là-dessus, parce que la dispute est assurée, et si nous recommençons, je n’aurai même pas l’occasion de te parler des gens qui ont essayé de m’assassiner.
— Hilary… arrête ! Qu’est-ce que tu racontes ?
Elle répondit par un hochement de tête des plus sérieux.
— La vérité. C’est de cela que je veux te parler.
Soudain, elle changea de sujet :
— Bon sang, j’espère que le jeune homme qui m’a loué le vélo ne va pas croire que je l’ai escroqué, parce qu’il est plutôt gentil et je n’aimerais pas qu’il me prenne pour une voleuse !
— Ne crains rien. L’hôtel lui demandera d’envoyer la facture. Poursuivons avec ton histoire.
Hilary frissonna.
— C’était abominable, dit-elle, comme le pire des cauchemars. J’espérais toujours me réveiller, mais en vain. Il faut que tu saches que j’ai découvert que les Mercer étaient à Ledlington et que leur propriétaire les avait expulsés parce que Mrs. Mercer criait la nuit. Selon la fille de la crémerie, ils avaient déménagé dans un cottage, sur la route de Ledstow. Je suis donc allée rendre visite aux agents immobiliers pour me renseigner, puis je me suis lancée dans une expédition sinistre du côté de Ledstow, entrant dans tous les cottages que j’ai rencontrés. Tout le monde s’est montré gentil, mais aucune Mrs. Mercer en vue. Quand je suis arrivée à Ledstow, j’avais l’impression d’avoir cherché des aiguilles dans des bottes de foin depuis des siècles, et c’était l’heure du thé. Je l’ai pris au pub du village et, en ouvrant la porte pour demander l’addition, voilà que j’aperçois Mercer qui passe dans le couloir comme un fantôme de mauvais augure.
— Hilary !
Il était plus que dubitatif.
— Parole d’honneur, chéri ! Bien sûr, je me suis cachée dans la pièce, j’ai appelé la serveuse, j’ai payé et j’ai décampé. Mais juste au moment où j’ouvrais la porte sur la rue, le voilà qui revient… et là je crois bien qu’il m’a vue.
— Pourquoi ? demanda Henry.
— À cause de la suite des événements.
— Quels événements ?
— Il faisait déjà nuit noire, ou c’était tout comme, et il y avait des nuées de brouillard en quantité qui flottaient un peu partout, et quand je me retrouvais dedans, je devais mettre pied à terre, ce qui fait que je n’avançais pas très vite. Alors, chaque fois que ça arrivait, j’avais une sensation horrible, cauchemardesque, quelque chose me suivait et n’allait pas tarder à me rattraper.
Il y eut une pause.
— Absurde ! laissa brutalement tomber Henry, ce qui était plutôt rassurant.
Soudain, Hilary demanda, d’une voix plutôt hésitante :
— Henry… est-ce que je peux… tenir ta main… parce que…
Henry l’attira à lui et la fit grimper sur ses genoux, puis il l’enlaça et la berça comme un bébé.
— Espèce de… petite… fofolle… idiote… comme on n’en fait plus !
— Mm… fit Hilary, toute réconfortée.
— Continue maintenant, dit Henry.
Elle reprit le fil de son histoire, la tête au creux de son épaule.
— C’était dur. Affreux. Comme de ne plus pouvoir sortir d’un mauvais rêve. Et juste au moment où ça devenait pire, une voiture a surgi du brouillard et m’a foncé dessus et j’ai sauté sur le bas-côté. Henry, crois-moi, j’ai pu sauter de justesse. Au début, ils ne roulaient pas tellement vite et j’ai pensé que je pourrais essayer de les suivre jusqu’à Ledlington. Après, je crois qu’ils m’ont vue et qu’ils ont essayé de m’écraser.
— Absurde ! fit Henry, les bras autour de ses épaules.
— Non ! répondit Hilary, d’une voix douce et plaintive.
— C’est impossible !
— Oh que si ! J’ai sauté et je me suis cogné la tête, puis j’ai dû m’évanouir, parce que, après, je me souviens qu’on me soulevait. Un des types a dit que je n’étais qu’évanouie. Et l’autre : « Dépêchons-nous de terminer le travail ! » Et alors… alors, Henry… ils m’ont déposée sur la route et sont remontés dans la voiture, prêts à me rouler dessus.
Henry cessa de la bercer. Il la serra plus fort dans ses bras. Ses paroles lui avaient porté un coup, mais son bon sens lui soufflait : « Tu sais que ce n’est pas possible. Elle est tombée dans le brouillard et s’est cogné la tête. Tout le reste, ce n’est rien… rien qu’un rêve. »
Elle tourna sa tête sur son épaule. En tendant le cou en arrière, elle pouvait le voir de profil, devant les lumières du plafonnier. Il avait un de ces profils lourds et silencieux. Elle émit un petit soupir et remarqua :
— Tu ne me crois pas.
Ce fut extrêmement difficile pour Henry. Il voulait absolument éviter une nouvelle dispute, mais il était naturellement doté d’un attribut que Thomas le Poète1 refusa avec indignation d’accepter de la Reine des Elfes : la langue qui ne peut mentir.
Ma langue est mon bien, protesta Thomas la Franchise.
Un joli cadeau que vous me feriez là !
Je n’oserais plus ni acheter ni vendre
À quelque foire ou marché que je sois
Avec un prince ou mes pareils, resterais coi,
Et des gentes dames ne saurais quérir les faveurs.
En fait, c’était un cadeau de la nature particulièrement embarrassant, qui ne facilitait pas sa vie. Mais Henry n’en était pas responsable – il n’avait rien demandé. Cela était parfois très inopportun, surtout dans ses relations avec les femmes. En réponse au soupir d’Hilary et de son « Tu ne me crois pas », il ne sut rien faire d’autre que garder le silence.
Hilary poussa un nouveau soupir. Puis elle reposa sa tête au creux de son épaule.
— C’est bien ce que je dis. Je ne comprends pas pourquoi tu veux m’épouser si tu ne me crois jamais.
Henry l’embrassa : rien de plus facile et ça ne coûtait rien. Quand elle put se remettre à parler, elle lui dit :
— Il me serait impossible d’embrasser quelqu’un que je considérerais comme un menteur, mais je suppose que les hommes sont différents. Et je suis trop fatiguée pour me disputer à ce propos.
— Je ne pense pas que tu sois une menteuse.
— Et qu’est-ce que tu penses ?
— Que tu as subi un choc. Tu dis t’être cogné la tête. Je crois que tout le reste a été comme un rêve. Cela arrive quand on a subi un choc.
— Pas dans mon cas ! Henry, tu es vraiment trop têtu. J’estime que je suis aussi patiente que Griselda2. Je fais tout pour ne pas me disputer. Je trouve que je m’en sors pas mal, et j’espère que tu y es sensible. Mais à quoi bon continuer à te raconter ce qui m’est arrivé… si tu n’as pas l’intention de me croire.
Henry la secoua légèrement, avant d’ajouter :
— Continue.
Elle poursuivit, d’une petite voix docile, la bouche tout contre son oreille :
— Bien sûr, si tu dis que ce n’était qu’un rêve, ce doit être vrai. Henry-Je-Sais-Tout ne peut pas se tromper, n’est-ce pas ? Eh bien, dans ce rêve absolument épouvantable, ils m’ont carrément allongée sur la route, bien décidés à me rouler dessus. J’étais dans le cirage et je les aurais laissés faire, sauf qu’au moment où ils ont claqué la portière de la voiture, j’ai entendu un déclic, comme quand on allume l’électricité, j’ai redressé la tête et j’ai vu la voiture qui venait vers moi. J’ai réussi à me contorsionner vers le bas-côté herbeux et j’ai traversé la haie la plus touffue et épineuse d’Angleterre. Puis je suis arrivée à une espèce de cuvette, entourée de buissons, où je me suis cachée. Comme ils ne pouvaient pas me retrouver, ils sont remontés en voiture et sont partis. Moi, j’avais peur de retourner sur la route, parce que je ne savais pas que c’était un rêve, et je craignais qu’ils ne reviennent pour m’attraper. J’ai donc franchi aussi vite que possible tout un tas d’ornières jusqu’à un portail. Ensuite, j’ai fait le tour d’un cottage et je me suis retrouvée devant la fenêtre d’une arrière-cuisine, et là je suis tombée sur Mrs. Mercer qui préparait le thé.
Henry l’écarta de lui de manière à pouvoir la regarder.
— Hilary… est-ce que tu es en train d’inventer ?
Il n’obtint qu’un triste hochement de tête.
— Je ne suis pas assez brillante pour cela. Oh, Henry, ça a été la pire déception que j’aie connue, parce que si, au début, elle était en colère, par la suite, elle a commencé à me raconter le même genre de choses que dans le train.
— Quel genre de choses ?
— Eh bien, elle disait des trucs comme « Partez ! Partez quand il est encore temps ! » ou qu’elle n’osait pas me laisser entrer. Elle a dit qu’il lui arracherait le cœur… Mercer, évidemment. L’air qu’elle avait quand elle a dit ça, crois-moi, j’en ai été malade. Tu sais, moi-même, je ne me sentirais pas du tout en sécurité dans un cottage solitaire, avec un type comme Mercer qui se douterait que je suis sur le point de lâcher le morceau, et c’est ce qu’elle a failli faire. Tu te souviens qu’elle m’avait dit, dans le train, avoir essayé de voir Marion lors du procès. J’ai insisté sur ce point et il m’a semblé qu’elle allait céder, mais elle a dit : « C’est trop tard. » Je lui ai attrapé le poignet – on parlait au-dessus de l’évier de l’arrière-cuisine – et elle s’est mise à pleurer et à gémir qu’elle ne pouvait plus faire ses prières, et à expliquer qu’elle aurait bien voulu parler à Marion, mais que Mercer l’aurait tuée et maintenant elle était vouée à l’enfer. Je lui ai juré que je ne partirais pas sans savoir et je lui ai demandé si elle voulait que Mercer me trouve ici à son retour. C’est à ce moment qu’elle s’est mise à trembler comme une feuille, et elle a affirmé qu’il me tuerait… avec le couteau à pain… puis il l’accuserait, elle, prétendant qu’elle était folle.
— Elle doit l’être, folle. Quel intérêt d’écouter les inepties d’une pauvre cinglée ?
Hilary émit un petit rire nerveux.
— Est-ce qu’elle est folle dans mon rêve ou dans la réalité ? C’est un rêve que je te raconte, rien d’autre… du moins, c’est ce que tu as prétendu. Et donc, dans mon rêve, elle n’était pas folle, mais morte de peur… et s’il s’agit de mon rêve, je devrais le savoir, n’est-ce pas ? Bref, je le lui ai demandé sans détour.
— Tu lui as demandé quoi ?
— Si elle était folle… de but en blanc : « Êtes-vous folle, Mrs. Mercer ? » Et elle m’a répondu : « Avec tout le mal qu’il me fait, j’aurais des raisons de l’être ! » Puis elle s’est remise à pleurer des seaux et à dire qu’elle préférait mourir. Et c’est juste au moment où je croyais qu’elle était sur le point de me révéler ce qu’elle savait, qu’elle s’est refermée comme une huître, m’a échappé et a filé dans la cuisine dont elle a claqué la porte. Après ça, je ne sais pas combien de kilomètres j’ai dû faire jusqu’à Ledlington, mais quand j’ai aperçu le premier lampadaire, j’aurais pu l’embrasser.
Henry ne dit mot. Dans ce récit, il se demandait quelle part il fallait faire au choc subi, et quelle part à la vérité. Pour lui, les choses avaient dû se passer ainsi : elle avait fait une chute de vélo avant d’errer à travers champs. Certes, si elle avait rencontré pour de bon Mrs. Mercer, la femme avait prononcé des paroles étranges. Mais l’avait-elle seulement vue, ou avait-elle rêvé tout l’épisode ? D’abord, il en avait été certain, mais sa conviction commençait à être ébranlée. Hilary ne semblait pas le moins du monde commotionnée. Elle paraissait avoir tous ses esprits, n’était ni excitée ni hébétée, fatiguée, certes. Et le fait même qu’elle ne s’enflammait point et n’entrait pas dans une violente colère pour le convaincre de la véracité de son histoire l’impressionnait plus que tout. Hilary était prompte à se fâcher, mais, en ce qui concernait son récit, elle s’était contentée de maintenir sa version avec un calme plutôt convaincant.
— Crois-tu encore que je raconte des bobards ? lui glissa-t-elle soudain à l’oreille.
Il n’y avait pas la moindre nuance de ressentiment dans sa voix. La douceur qu’elle y mettait le séduisait. Henry aimait les femmes à la voix douce. Il en fut tout retourné et se sentit fondre.
— Hilary… fit-il.
— Oui, chéri ?
— Ce que je veux dire, c’est que… ce n’est pas facile à exprimer comme je le voudrais mais… écoute, tu es sûre et certaine que tout cela est arrivé ?
— Juré promis !
— Tu es sûre de ne pas avoir rêvé ?
— Oui, oui, absolument, oui ! Henry, c’est vrai… tout est arrivé comme je le dis.
— Bon, eh bien, supposons que cela soit arrivé… je ne dis pas que cela est ou n’est pas arrivé, mais supposons que oui.
— Eh bien ?
— Je veux qu’on reprenne à partir du moment où tu as été percutée. Tu dis qu’il y avait deux hommes dans la voiture qui t’a renversée ?
— Il y avait deux hommes dans la voiture qui m’a foncé dessus, dit fermement Hilary.
— Tu les as vus ?
— Non.
— Dans ce cas, comment sais-tu qu’ils étaient deux ?
Hilary glissa le bout de sa langue entre ses dents et le rentra aussitôt.
— Parce qu’ils m’ont portée. Le premier me tenait par les épaules, l’autre par les genoux. En plus… je te l’ai dit… il y en a un qui a parlé. Il a dit : « Dépêche… faut terminer le travail ! » Ce n’est pas à moi qu’il parlait.
— Tu as reconnu sa voix ?
— Non, dut admettre Hilary, à son grand regret.
Comme il aurait été plus simple et plus facile de reconnaître la voix de Mercer – elle n’en aurait plus démordu. Mais ce n’était pas le cas et elle ne pouvait que le constater. De fait, elle marqua un point dans l’esprit d’Henry car si elle avait rêvé toute l’histoire, elle aurait sans doute attribué la voix à Mercer.
— Tu n’as entendu qu’un seul homme parler ? demanda-t-il, fronçant les sourcils.
— Oui. Mais ils étaient deux pour me porter, et ils m’ont déposée face contre terre avant de remonter dans leur voiture pour m’écraser.
Henry se raidit de manière perceptible. Quel cauchemar abominable, s’il s’agissait bien d’un rêve ! Dans le cas contraire… Il se sentait comme au bord d’une route, dans le noir, route qui menaçait de s’effondrer d’une seconde à l’autre. Le sol commençait à vibrer sous son pas, et, au pas suivant, il risquait de se retrouver devant un abîme. Si on avait réellement attenté à la vie d’Hilary, il devait y avoir une raison impérieuse. La tentative avait pu échouer, ce qui l’avait motivée demeurait. Si, la première fois, ce motif avait été suffisamment important pour conduire au meurtre, ne le demeurait-il pas ? Il souhaitait de tout son cœur parvenir à se persuader que ce n’était qu’un rêve.
Il baissa les yeux vers les taches sur le devant de la robe et du manteau d’Hilary. Elle avait dit qu’ils l’avaient déposée, visage contre terre, sur la route. Son pull était taché jusqu’à la hauteur du cou. Il savait ce qu’il voulait croire, mais on ne trouve aucun réconfort à croire ce qui n’est pas la vérité. Il demanda :
— Ces deux hommes, as-tu une idée de qui ils étaient ?
— Bien sûr que oui. L’un d’eux était Mercer.
— Mais pas celui que tu as entendu parler ?
— Non, pas celui-là.
— Mercer n’aurait pas eu de voiture.
Henry argumentait comme s’il parlait de choses réelles et non pas fantastiques.
— Sûrement pas… elle appartenait à l’autre. C’était une grosse cylindrée.
Elle ne put s’empêcher de frissonner un peu au souvenir de la voiture qui fonçait vers elle. Puis elle dit, d’une voix provocatrice :
— C’était la voiture de Bertie Everton. J’en suis persuadée.
— Pourquoi dis-tu ça ? Qu’est-ce qui te permet de le dire ?
— Rien… je le sais, voilà tout. Comme je sais qu’il est venu te voir à la boutique pour te raconter que Mrs. Mercer était folle, après qu’elle m’eut parlé dans le train.
Henry ressentit un immense soulagement. Il avait été très près de croire à l’existence de ces criminels dont parlait Hilary, mais, grâce à Dieu, il en avait été empêché à temps. Mieux, sur ce point précis, il pouvait fournir une preuve.
— Écoute, Hilary, tu devrais cesser d’affirmer des choses en l’air… tu vas t’attirer des ennuis. En plus, tu as tort… ce ne pouvait pas être Bertie Everton, car il était à Londres.
— Oh… tu l’as vu ?
— Pas moi, Marion.
— Quoi ?
— Marion l’a rencontré. Tu te souviens de m’avoir demandé de l’appeler pour la prévenir que je te ramènerais. Eh bien, il venait juste de la quitter. Elle était dans une colère noire. Il lui avait téléphoné à sa boutique de mode. Je crois qu’elle a dû tout faire pour l’empêcher de venir, mais quand elle est rentrée chez elle, il l’attendait. Alors tu vois… que tu n’aimes pas Bertie Everton, c’est une chose, mais il n’a pas essayé de t’écraser. Il a un alibi en béton.
Hilary releva brusquement la tête.
— Moi, je crois que Bertie Everton a trop d’alibis, dit-elle.