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On avait appelé Bertie Everton à la barre.

 

Le coroner : Vous êtes bien Bertram Everton ?

Bertram Everton : Oui, c’est exact.

Le coroner : Vous êtes un neveu de la victime ?

Bertram Everton : Oui.

Le coroner : Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?

Bertram Everton : Eh bien, vous savez, j’ai dîné avec lui la veille au soir, avant le drame. C’est assez extraordinaire, d’ailleurs, car nous n’avions pas pour habitude de nous fréquenter beaucoup, n’est-ce pas. Mais c’est un fait…

Le coroner : Voulez-vous dire que vous n’étiez pas en bons termes avec votre oncle ?

Bertram Everton : Oh, je ne crois pas qu’il faille aller jusque-là. Disons que nous préférions ne pas nous fréquenter, en somme.

Le coroner : Vous êtes-vous jamais disputés ?

Bertram Everton : Pas du tout. Vous savez, je ne suis pas du genre à me disputer avec les gens.

Le coroner : Peut-être ne vous entendiez-vous pas ?

Bertram Everton : Uniquement sur la façon de considérer la vie, et ces choses-là. Mon oncle était un homme d’affaires. Sérieux, dur à la tâche, fréquentant des hommes d’affaires. Moi, je fais collection d’objets en porcelaine. On ne peut pas dire que nous étions souvent d’accord à ce propos.

Le coroner : Mais vous avez dîné avec lui le soir du lundi 15 ?

Bertram Everton : Oui… comme je vous l’ai dit.

Le coroner : Vous étiez en Écosse ?

Bertram Everton : À Édimbourg.

Le coroner : Vous avez fait tout ce chemin depuis l’Écosse pour dîner avec un oncle avec lequel vous n’aviez pas de rapports particulièrement affectueux ?

Bertram Everton : Allons… c’est un peu exagéré ! Cela ne se passait pas vraiment ainsi.

Le coroner : Peut-être pourrez-vous nous dire comment cela se passait, Mr. Everton ?

Bertram Everton : Eh bien, je vais vous expliquer. Je collectionne des objets en porcelaine et, quand je me trouve dans un endroit comme Édimbourg, je chine, voyez-vous. On ne découvre pas toujours quelque chose, mais parfois oui, et on ne le sait jamais à l’avance, n’est-ce pas ? Donc, je n’ai rien trouvé qui m’intéressait, mais je connais quelqu’un, à Londres, qui collectionne les pots, les carafes et ce type de récipients… White, il s’appelle.

Le coroner : Cela a-t-il quelque chose à voir avec notre affaire, Mr. Everton ?

Bertram Everton : Ma foi, je ne l’aurais pas cru, mais puisque vous semblez vouloir en savoir plus, n’est-ce pas.

Le coroner : Voulez-vous bien nous dire, aussi brièvement que possible, pourquoi vous êtes revenu d’Édimbourg pour voir votre oncle ?

Bertram Everton : C’est justement ça, voyez-vous… Je ne suis pas vraiment revenu pour voir mon oncle, mais pour rencontrer ce collectionneur de pots… vous ai-je dit qu’il s’appelle White ?… parce que, vous savez, je suis tombé sur un ensemble de chopes à effigie humaine, des tobies1, avec tous les généraux de ce qu’on a appelé la Grande Guerre, voyez-vous… la seule série jamais faite, un travail très intéressant pour quelqu’un qui se passionne pour ce genre de choses. Comme le type qui les possède voulait les vendre au Castle Museum, je me suis dit que j’avais intérêt à faire rapidement une offre, et c’est pour cela que je suis venu, voilà tout.

Le coroner : Et l’avez-vous vu ?

Bertram Everton : Eh bien, non, il avait pris un vol pour Paris, sans crier gare, comme on dit, et j’ai donc téléphoné à l’oncle James et je lui ai proposé que nous dînions ensemble.

Le coroner : Vous venez de dire que vous préfériez ne pas vous fréquenter. Pourquoi, dès lors, lui avoir suggéré ce dîner en tête à tête ?

Bertram Everton : Disons que je ne savais pas trop quoi faire de mon temps, voilà tout. Alors je n’avais rien contre une invitation à dîner et une petite discussion en famille, si vous voyez.

Le coroner : Aviez-vous l’intention d’aborder un sujet particulier avec la victime ?

Bertram Everton : En fait, oui, je voulais parler de la pension qu’il verse à mon frère. Il lui en versait une et, à notre idée, les choses auraient été plus faciles si on avait pu lui suggérer de l’augmenter un peu, j’avais donc promis de voir ce que je pourrais faire… si j’en avais l’occasion, en quelque sorte.

Le coroner : Bref, vous avez dîné avec votre oncle. Avez-vous discuté avec lui de la pension allouée à votre frère ?

Bertram Everton : Eh bien, je n’emploierais pas exactement le terme de discussion. J’ai dit : « Oncle James, à propos de la pension de ce brave Frank… » et il a répondu… Je suppose que je dois vous répéter tout ce qu’il a dit ?

Le coroner : Oui, si cela a un rapport avec le fait qu’il ait modifié son testament.

Bertram Everton : Eh bien, j’imagine que vous y verrez un rapport, parce que, voyez-vous, il s’est mis à incendier ce pauvre Frank, comme quoi il avait intérêt à trouver rapidement du travail, car, si jamais il lui arrivait quelque chose… je parle de mon oncle… ce pauvre Frank se retrouverait sans un sou… mon oncle, n’est-ce pas… ayant bien l’intention, à l’entendre, de modifier son testament et d’en finir avec tous ces sacrés hypocrites et lèche-bottes qui s’imaginaient pouvoir le traiter comme une vache à lait et ils allaient très vite s’apercevoir de leur erreur, pas plus tard que le lendemain. J’avoue que j’en ai été plutôt décontenancé. « Tu y vas un peu fort, mon oncle ! lui ai-je dit. Même son pire ennemi ne pourrait accuser ce pauvre Frank d’être un hypocrite. »

Le coroner : En fait, il vous a annoncé qu’il allait modifier son testament ?

Bertram Everton : On peut voir les choses sous cet angle, n’est-ce pas ?

Le coroner : Vous a-t-il dit s’il allait le modifier en votre faveur ?

 

Le témoin a hésité.

 

Le coroner : Je vous demande de bien vouloir répondre à cette question.

Bertram Everton : Ma foi, c’est plutôt délicat de répondre à une question comme celle-là, n’est-ce pas ?

Le coroner : Je crains de devoir insister. Vous a-t-il dit qu’il allait rédiger un testament en votre faveur ?

Bertram Everton : Eh bien, non, pas exactement.

Le coroner : Qu’a-t-il dit ?

Bertram Everton : Bon, si vous voulez vraiment savoir, il a dit que s’il avait le choix entre un beau parleur hypocrite et un imbécile invétéré, il choisirait l’imbécile.

 

(Rires dans la salle.)

 

Le coroner : Et vous avez pensé que c’est à vous qu’il faisait allusion ?

Bertram Everton : Eh bien, cela m’en avait tout l’air, oui.

Le coroner : Vous avez cru comprendre qu’il était sur le point de rédiger un testament en votre faveur ?

Bertram Everton : Voyez-vous, je n’ai pas pensé qu’il agirait ainsi. Je me suis simplement dit qu’il avait dû se disputer avec Geoffrey.

Le coroner : Vous l’a-t-il laissé entendre ?

Bertram Everton : Non… disons que ce n’était qu’une impression.

 

Les joues d’Hilary s’empourprèrent de colère. Dans un véritable procès, il n’aurait pas pu affirmer pareilles choses. Mais on peut dire n’importe quoi devant un coroner et son jury, et ce Bertie de malheur avait réussi à insinuer que Geoff et son oncle s’étaient disputés. Depuis le début, on aurait été bien en peine de trouver le moindre fait qui corroborait cette version, il n’empêche, depuis le début, cette insinuation était restée gravée dans l’esprit du public. On lut la déposition de Bertie Everton lors de l’enquête, et le public crut que Geoffrey s’était querellé avec son oncle – qu’il s’était discrédité auprès de James Everton et que cela expliquait pourquoi celui-ci avait modifié son testament. Or, le jury qui avait jugé Geoffrey Grey pour le meurtre de son oncle était composé de gens appartenant à ce même public. En général, quand l’esprit humain fait sienne une impression qui lui a été suggérée, il est extrêmement difficile de s’y opposer. Bertie Everton avait laissé entendre, sans preuve, qu’il y avait eu dispute – et cela avait, sans doute aucun, influencé les juges dans un sens très négatif.

Hilary tourna une page. Ce qu’elle avait lu se composait en partie d’un article de presse et pour le reste du texte dactylographié d’une transcription en sténo. À la page suivante, elle découvrit une photo de Bertie Everton – « Mr. Bertie Everton quittant le tribunal. » Bien sûr, elle l’avait déjà vu une fois lors du procès, mais autant se rappeler un cauchemar. Hilary l’examina de très près, ce qui ne lui apprit pas grand-chose. Il n’était ni grand, ni petit. Des traits irréguliers, des cheveux assez longs. La photo était un peu floue et, bien sûr, c’était du noir et blanc. Elle se souvint qu’Everton était roux. Il semblait avoir des cheveux très épais, et trop longs, aucun doute.

Elle continua à lire sa déposition.

Il disait avoir pris le train direct qui quittait Édimbourg à dix heures du matin et être arrivé à la gare de King’s Cross, Londres, à dix-sept heures trente, l’après-midi du 15. Après avoir dîné avec James Everton, il était rentré par le train qui quittait King’s Cross à une heure cinq et était arrivé à Édimbourg à neuf heures trente-six, le 16 au matin. Il s’était rendu directement au Caledonian Hotel, où il avait pris un petit déjeuner tardif, puis s’était couché, car il avait du sommeil à rattraper. Il expliquait, en prenant tout son temps, qu’il lui était absolument impossible de dormir dans un train. Il avait déjeuné à l’hôtel, à treize heures trente, puis avait écrit quelques lettres, une pour son frère, une autre pour ce Mr. White auquel il avait fait allusion à propos de ces fameuses chopes toby. Il s’était plaint que la sonnette d’appel de sa chambre ne fonctionnait pas. Peu après seize heures, il était allé faire un tour, et, en passant à la réception, il avait demandé s’il avait reçu des messages téléphoniques. Il en attendait un du propriétaire des chopes. De retour à l’hôtel, il s’était mis au lit. Il avait encore du sommeil à rattraper et ne se sentait pas bien. Il ne s’était pas rendu dans la salle à manger, manquant d’appétit. Il était remonté aussitôt dans sa chambre et avait sonné pour commander des gâteaux secs. Il en avait avalé un ou deux en buvant un verre de sa propre bouteille. Puis il s’était couché. Il n’aurait su dire à quelle heure – autour de vingt heures. Il ne faisait pas attention à l’heure. Il ne se sentait pas dans son assiette. Il ne désirait qu’une chose, dormir. Il se souvenait que la femme de chambre avait frappé pour lui apporter son thé, le lendemain matin. Il avait demandé à être réveillé à neuf heures. Quand on lui avait demandé à quoi il avait occupé le temps passé hors de l’hôtel, il avait répondu qu’il n’en savait trop rien. Il avait un peu chiné, marché, bu un verre ou deux.

Ici s’achevait la déposition de Bertie Everton.

Elle était suivie par la copie dactylographiée de la déposition d’Annie Robertson, femme de chambre au Caledonian Hotel. Il était impossible de savoir si ses déclarations avaient été versées au dossier de l’enquête ou non. Ce n’était qu’une déposition.

Selon Annie Robertson, Mr. Bertram Everton séjournait à l’hôtel depuis trois ou quatre jours avant le 16 juillet. Il avait pu arriver le 12, ou le 11, ou le 13. Elle ne pouvait en être sûre, il fallait demander à la réception. Il occupait la chambre 35. Elle se souvenait du mardi 16 juillet. Mr. Everton s’était plaint de la sonnette d’appel de sa chambre. À l’entendre, elle était hors d’usage, mais ce ne semblait pas être le cas. Elle promit de vérifier, car, selon Mr. Everton, parfois elle sonnait et parfois non. Il était environ trois heures de l’après-midi quand Mr. Everton s’était plaint de la sonnette. À ce moment-là, il faisait son courrier. Plus tard, ce même soir, vers vingt heures trente, il avait appelé le service et elle avait répondu. Mr. Everton désirait des gâteaux secs. Il disait ne pas se sentir bien, vouloir dormir. Elle lui avait monté ses gâteaux secs. À son avis, il était éméché. Le lendemain matin, mercredi 17 juillet, à neuf heures, elle lui avait servi son thé. Apparemment, il allait tout à fait bien.

Hilary lut deux fois cette déposition. Puis elle relut celle de Bertie Everton. Il avait quitté l’hôtel entre seize heures et vingt heures trente environ. Il pouvait avoir pris un avion pour Croydon et être arrivé à Putney à vingt heures, du moins le supposait-elle. Mais il lui aurait été impossible d’être de retour à vingt heures trente dans sa chambre du Caledonian Hotel, de commander des gâteaux secs et de se plaindre. À vingt heures, James Everton était vivant et parlait avec Geoff. On ignorait le nom de son meurtrier, mais ce ne pouvait être son neveu Bertie, celui-là même qui, à vingt heures trente, commandait des gâteaux secs dans un hôtel d’Édimbourg.

C’est à regret qu’Hilary dut chasser le nom de Bertie de son esprit. Il aurait été le meurtrier idéal, mais c’était tout à fait hors de question.

L’autre neveu, Frank Everton, n’avait pas été interrogé. L’information apportée par Marion dans sa déposition – il était allé chercher sa pension hebdomadaire chez un notaire de Glasgow, entre six heures moins le quart et six heures et quart, l’après-midi du 16 juillet – était confirmée par un feuillet dactylographié. Mr. Robert Johnstone, du cabinet Johnstone, Johnstone and McCandlish, déclarait avoir parlé avec Mr. Francis Everton, qu’il connaissait bien, entre dix-sept heures quarante-cinq et dix-huit heures quinze, le mardi 16 juillet, et lui avoir remis la somme de 2 £. 10 s. (deux livres et dix shillings), somme contre laquelle Mr. Francis Everton lui avait signé un reçu daté de ce jour.

Exit Frank Everton. Hilary le laissa partir, avec un regret encore plus prononcé. Propre-à-rien, vagabond, raté de la famille, mais absolument pas le meurtrier. Même avec un avion privé – et on voyait mal le mouton noir de la famille en posséder un –, cela lui était impossible. Il aurait eu besoin d’un aérodrome privé – non, de deux, un dans chaque ville. Elle s’amusa à imaginer le mouton noir grimpant dans son avion devant chez Johnstone, Johnstone and McCandlish, empruntant les artères publiques engorgées de Glasgow, parvenant d’un coup d’aile à Putney, atterrissant en vol plané dans le jardin de James Everton – le tout sans se faire remarquer plus que ça. Image on ne peut plus séduisante, mais qui relevait du monde des Mille et Une Nuits – à sa place certes dans l’Histoire du Dixième Derviche Qalandar2, ou semblable conte féerique, mais qui manquait de réalité pour influer sur les investigations d’une cour de justice.

On en revenait encore et toujours au couple Mercer. Si Geoff disait la vérité, les Mercer mentaient. Et Geoff disait la vérité, cela allait de soi. Elle croyait en lui de toute son âme. S’il affirmait que James Everton était mort à son arrivée, à vingt heures vingt, c’est qu’il était mort, et le témoignage de Mrs. Mercer, faisant allusion à une querelle et à une détonation, était un mensonge. Elle ne pouvait avoir entendu Geoff se quereller avec son oncle, non plus que la détonation au moment où elle disait l’avoir entendue si Mr. Everton était déjà mort à l’arrivée de Geoff. Non, Mrs. Mercer racontait des mensonges, et voilà pourquoi elle était toute hoquetante et effrayée dans le train – elle avait mauvaise conscience et, à cause du mal qu’elle avait fait à Geoff, elle ne trouverait pas le repos.

Mais pourquoi avait-elle agi ainsi ?

Pour une raison bien simple. Mercer devait avoir abattu son patron, et Mrs. Mercer avait menti pour sauver sa tête. C’était une abomination, mais une abomination qu’on pouvait comprendre. Elle avait menti pour sauver son mari, et, ce faisant, elle avait condamné Geoffrey.

Elle s’était comportée à la perfection. Hilary pressentait qu’elle n’avait peut-être pas eu à se forcer. Son extrême mauvaise conscience n’avait fait qu’aggraver les choses. Comment ne pas croire au témoignage d’une femme qui semblait avoir le cœur brisé par l’obligation de témoigner ? Oui, c’était bien cela – Alfred Mercer avait abattu James Everton et Mrs. Mercer avait menti pour le couvrir.

Elle tourna une nouvelle page et découvrit le témoignage de Mrs. Thompson. Elle ne se rappelait rien d’elle. Bertie et Frank Everton n’étaient pas les seuls à avoir un alibi – des alibis inattaquables –, les Mercer aussi en avaient un : Mrs. Thompson. Sur la photo la représentant, elle affichait une ressemblance étonnante avec Mrs. Grundy3 – grande, solennelle, massive, aussi solide que le Parlement britannique. Elle tenait la maison du voisin, celle de Sir John Blakeney, depuis vingt-cinq ans. Sir John étant absent, elle se trouvait dans la cuisine depuis dix-neuf heures trente avec les Mercer quand on s’alarma. Pendant tout ce laps de temps, Mercer, lui, était à l’office, occupé à nettoyer l’argenterie, ou dans la cuisine, avec elle et Mrs. Mercer. C’était une demeure à l’ancienne, et l’office ouvrait sur la cuisine. Elle pouvait jurer qu’il n’avait pas mis les pieds dans la maison avant que l’on eût donné l’alerte. Il s’était alors précipité dans la cuisine et, comprenant qu’il s’était passé quelque chose d’anormal, elle l’avait suivi dans le hall, où elle avait vu la porte du bureau ouverte, Mr. Mercer qui hurlait et Mr. Grey un pistolet à la main.

 

Le coroner : Avez-vous entendu la détonation ?

Mrs. Thompson : Non, monsieur… je suis très sourde, monsieur.

Le coroner : Avez-vous entendu crier Mrs. Mercer ?

Mrs. Thompson : Non, monsieur, cela m’aurait été impossible, avec deux portes fermées qui me séparaient d’elle.

Le coroner : Il y avait deux portes entre la cuisine et le hall ?

Mrs. Thompson : Oui, monsieur… celle de la cuisine et la porte matelassée.

Le coroner : Mrs. Mercer se trouvait avec vous dans la cuisine ?

Mrs. Thompson : Oui, monsieur.

Le coroner : Elle dit être montée à l’étage pour ouvrir le lit de Mr. Everton. Depuis combien de temps était-elle partie quand on a donné l’alerte ?

Mrs. Thompson : Près de cinq minutes, dirais-je, monsieur… guère plus.

Le coroner : Il y a un point que j’aimerais éclaircir. Alfred Mercer est-il présent dans la salle ? Je voudrais qu’il revienne un moment à la barre.

 

On rappelle Alfred Mercer à la barre.

 

Le coroner : Dans tous ces témoignages, personne ne fait mention de l’heure à laquelle Mr. Everton dînait. À quelle heure prenait-il son repas du soir ?

Mercer : Vingt heures, vingt heures trente, monsieur.

Le coroner : Vous voulez dire que l’heure variait en fonction des jours ?

Mercer : Oui, monsieur. Si la soirée était belle, il n’aimait pas quitter le jardin.

Le coroner : Ce soir-là, avait-il dîné ?

Mercer : Non, monsieur. Le repas était commandé pour vingt heures trente.

Le coroner : J’aimerais que l’on rappelle Mrs. Mercer.

 

On rappelle Mrs. Mercer à la barre.

 

Le coroner : Le 16 juillet, Mr. Everton a-t-il demandé qu’on lui serve son dîner à vingt heures trente ?

Mrs. Mercer : Oui, monsieur.

Le coroner : C’est vous la cuisinière ?

Mrs. Mercer : Oui, monsieur.

Le coroner : Le dîner était prévu pour vingt heures trente, cependant, à vingt heures quinze vous êtes montée à l’étage pour ouvrir le lit de Mr. Everton. N’est-ce pas quelque peu inhabituel ?

Mrs. Mercer : Oui, monsieur. Tout était servi froid, monsieur.

Le coroner : Vous voulez dire que vous n’aviez pas à cuisiner ?

Mrs. Mercer : Non, monsieur. Tout était prêt et servi dans la salle à manger, sauf mon pudding, que j’avais mis au frais.

Le coroner : Je vois. Merci, Mrs. Mercer, ce sera tout. Bon, Mrs. Thompson, que les choses soient bien claires. Vous avez affirmé qu’Alfred Mercer était soit dans la cuisine, soit à l’office, entre dix-neuf heures trente et vingt heures vingt, quand l’alerte a été donnée, pour autant qu’on puisse le savoir ?

Mrs. Thompson : Oui, monsieur.

Le coroner : J’ai ici un plan de la maison. Il confirme vos dires : on ne peut pas quitter l’office sans passer par la cuisine. On m’a dit que la fenêtre de l’office est munie de barreaux, il n’y avait donc aucune issue de ce côté. Vous confirmez n’avoir pas quitté la cuisine entre dix-neuf heures trente et vingt heures vingt ?

Mrs. Thompson : Oui, monsieur.

Le coroner : Vous confirmez qu’Alfred Mercer n’a pas traversé la cuisine durant tout ce laps de temps ?

Mrs. Thompson : Il est venu dans la cuisine, monsieur. Je suis tellement sourde qu’il devait se tenir tout près de moi pour que je l’entende, mais il n’est allé nulle part, sauf dans son office.

Le coroner : Je vois… vous bavardiez ?

Mrs. Thompson : Oui, monsieur.

Le coroner : Et Mrs. Mercer a été présente tout ce temps, jusqu’au moment où elle est allée ouvrir le lit ?

Mrs. Thompson : Je crois qu’elle a dû se rendre une fois dans la salle à manger, monsieur.

Le coroner : À quelle heure ?

Mrs. Thompson : Vers vingt heures, monsieur.

Le coroner : Avait-elle son air habituel ?

Mrs. Thompson : Eh bien, non, pas vraiment. Elle semblait drôlement mal fichue, à cause de ses maux de dents, la pauvre. C’est de ça que Mercer est venu me parler… il disait qu’il n’y avait pas moyen de lui faire consulter un dentiste. « Et à quoi ça rime, hein ? disait-il. Elle pleure toutes les larmes de son corps au lieu de décider une bonne fois de régler le problème. »

Le coroner : Je vois. Donc, Mrs. Mercer souffrait de son mal de dents ?

Mrs. Thompson : Sans arrêt, la pauvre.

 

Fin de l’audition de Mrs. Thompson.