Les Effarés1
Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s'allume,
Leurs culs en rond,
À genoux, cinq petits – misère ! –
5 Regardent le boulanger faire
Le lourd pain blond…
Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pâte grise, et qui l'enfourne
Dans un trou clair.
10 Ils écoutent le bon pain cuire.
Le boulanger au gras sourire
Chante un vieil air2.
Ils sont blottis, pas un ne bouge,
Au souffle du soupirail rouge,
15 Chaud comme un sein.
Et quand, pendant que minuit sonne3,
Façonné, pétillant et jaune4,
On sort le pain,
Quand, sous les poutres enfumées,
20 Chantent les croûtes parfumées,
Et les grillons ;
Quand ce trou chaud souffle la vie ;
Ils ont leur âme si ravie
Sous leurs haillons,
25 Ils se ressentent si bien vivre,
Les pauvres petits pleins de givre5 !
– Qu'ils sont là, tous,
Collant leurs petits museaux roses
Au grillage, chantant des choses6,
30 Entre les trous,
Mais bien bas, – comme une prière…7
Repliés vers cette lumière8
Du ciel rouvert,
– Si fort, qu'ils crèvent leur culotte,
35 – Et que leur lange blanc tremblotte9
Au vent d'hiver…
Arthur Rimbaud
20 sept. 70.