Les Assis1

      Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues2

      Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs3

      Le sinciput plaqué de hargnosités vagues4

   4  Comme les floraisons lépreuses des vieux murs ;

 

      Ils ont greffé dans des amours épileptiques

      Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs

      De leurs chaises ; leurs pieds aux barreaux rachitiques

   8  S'entrelacent pour les matins et pour les soirs !

 

      Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges,

      Sentant les soleils vifs percaliser leur peau5,

      Ou, les yeux à la vitre où se fanent les neiges,

  12  Tremblant du tremblement douloureux du crapaud.

 

      Et les Sièges leur ont des bontés : culottée

      De brun, la paille cède aux angles de leurs reins ;

      L'âme des vieux soleils s'allume emmaillotée

  16  Dans ces tresses d'épis où fermentaient les grains.

 

      Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes

      Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour

      S'écoutent clapoter des barcarolles tristes,

  20  Et leurs caboches vont dans des roulis d'amour.

 

      – Oh ! ne les faites pas lever ! C'est le naufrage…

      Ils surgissent, grondant comme des chats giflés,

      Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage !

  24  Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés.

 

      Et vous les écoutez, cognant leurs têtes chauves

      Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors.

      Et leurs boutons d'habit sont des prunelles fauves

  28  Qui vous accrochent l'œil du fond des corridors !

 

      Puis ils ont une main invisible qui tue :

      Au retour, leur regard filtre ce venin noir

      Qui charge l'œil souffrant de la chienne battue

  32  Et vous suez pris dans un atroce entonnoir.

 

      Rassis, les poings noyés dans des manchettes sales

      Ils songent à ceux-là qui les ont fait lever

      Et, de l'aurore au soir, des grappes d'amygdales

  36  Sour leurs mentons chétifs s'agitent à crever.

 

      Quand l'austère sommeil a baissé leurs visières

      Ils rêvent sur leur bras de sièges fécondés,

      De vrais petits amours de chaises en lisière6

  40  Par lesquelles de fiers bureaux seront bordés ;

 

      Des fleurs d'encre crachant des pollens en virgule

      Les bercent, le long des calices accroupis

      Tels qu'au fil des glaïeuls le vol des libellules

  44  – Et leur membre s'agace à des barbes d'épis7.