L'Homme juste1

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      Le Juste restait droit sur ses hanches solides :

      Un rayon lui dorait l'épaule ; des sueurs

      Me prirent : « Tu veux voir rutiler les bolides ?

      Et, debout, écouter bourdonner les flueurs2

   5  D'astres lactés, et les essaims d'astéroïdes ?

 

      « Par des farces de nuit ton front est épié,

      Ô Juste ! Il faut gagner un toit. Dis ta prière,

      La bouche dans ton drap doucement expié ;

      Et si quelque égaré3 choque ton ostiaire4,

  10  Dis : Frère, va plus loin, je suis estropié ! »

 

      Et le Juste restait debout, dans l'épouvante

      Bleuâtre des gazons après le soleil mort :

      « Alors, mettrais-tu tes genouillères en vente5,

      Ô vieillard ? Pèlerin sacré ! Barde d'Armor !

  15  Pleureur des Oliviers ! Main que la pitié gante6  !

 

      « Barbe de la famille et poing de la cité7,

      Croyant très doux : ô cœur tombé dans les calices,

      Majestés et vertus, amour et cécité,

      Juste ! plus bête et plus dégoûtant que les lices8  !

  20  Je suis celui qui souffre et qui s'est révolté !

 

      « Et ça me fait pleurer sur mon ventre, ô stupide,

      Et bien rire, l'espoir fameux de ton pardon !

      Je suis maudit, tu sais ! Je suis soûl, fou, livide,

      Ce que tu veux ! Mais va te coucher, voyons donc,

  25  Juste ! Je ne veux rien à ton cerveau torpide9  !

 

      « C'est toi le Juste, enfin, le Juste ! C'est assez !

      C'est vrai que ta tendresse et ta raison sereines

      Reniflent dans la nuit comme des cétacés !

      Que tu te fais proscrire, et dégoises des thrènes10

  30  Sur d'effroyables becs de canne fracassés11  !

 

      « Et c'est toi l'œil de Dieu ! le lâche ! Quand les plantes

      Froides des pieds divins passeraient sur mon cou,

      Tu es lâche ! Ô ton front qui fourmille de lentes !

      Socrates et Jésus, Saints et Justes, dégoût !

  35  Respectez le Maudit suprême aux nuits sanglantes ! »

 

      J'avais crié cela sur la terre, et la nuit

      Calme et blanche occupait les Cieux pendant ma fièvre.

      Je relevai mon front : le fantôme avait fui,

      Emportant l'ironie atroce de ma lèvre…

  40  – Vents nocturnes ! venez au Maudit ! Parlez-lui !

 

      Cependant que, silencieux sous les pilastres

      D'azur, allongeant les comètes et les nœuds12

      D'univers, remuement énorme sans désastres,

      L'ordre, éternel veilleur, rame aux cieux lumineux

  45  Et de sa drague en feu laisse filer les astres !

 

      Ah qu'il s'en aille, lui, la gorge cravatée

      De honte, ruminant toujours mon ennui, doux

      Comme le sucre sur la denture gâtée

      – Tel que la chienne après l'assaut des fiers toutous,

  50  Léchant son flanc d'où pend une entraille emportée

 

      Qu'il dise charités crasseuses et progrès…

      – J'exècre tous ces yeux de Chinois […] daines,13

      Mais qui chante : nana, comme un tas d'enfants près

      De mourir, idiots doux aux chansons soudaines :

  55  Ô Justes, nous chierons dans vos ventres de grès.