Oraison du soir1
Je vis assis, tel qu'un ange aux mains d'un barbier,
Empoignant une chope à fortes cannelures,
L'hypogastre2 et le col cambrés, une Gambier3
4 Aux dents, sous l'air gonflé d'impalpables voilures.
Tels que les excréments chauds d'un vieux colombier,
Mille Rêves en moi font de douces brûlures :
Puis par instants mon cœur triste est comme un aubier4
8 Qu'ensanglanté l'or jeune et sombre des coulures.
Puis, quand j'ai ravalé mes rêves avec soin,
Je me tourne, ayant bu trente ou quarante chopes,
Et me recueille, pour lâcher l'âcre besoin :
12 Doux comme le Seigneur du cèdre et des hysopes,5
Je pisse vers les cieux bruns, très haut et très loin,
Avec l'assentiment des grands héliotropes.
A. Rimbaud