Fausse conversion1

Jour de malheur2  ! J'ai avalé une fameuse gorgée de poison. La rage du désespoir m'emporte contre tout [:] la nature, les objets, moi, que je veux déchirer. Trois fois béni soit le conseil qui m'est arrivé. Mes entrailles me brûlent[,] la violence du venin tord mes membres, me rend difforme, je m[eu]rs de soif. J'étouffe. Je ne puis crier. C'est l'enfer[,] l'éternité de la peine. Voilà comme le feu se relève. Va [dé]mon, attise-le. Je brûle corne il faut. C'est [un] bon enfer, un bel et bon [enfer]

J'avais entrevu la conversion, le bien, le bon [heu]r, le salut. Puis-je décrire la vision, on n'est pas poète en enfer. C'était des milliers d'opéras3 charmants, un admirable concert spirituel, la force et la paix, les nobles ambitions, que sais-je !

Ah ! les nobles ambitions ! ma haine4. C'est l'existence enragée : la colère dans le sang, l'abêtissement, et c'est encore la vie ! Si la damnation est éternelle. C'est l'exécution des lois religieuses, pourquoi a-t-on semé une foi pareille dans mon esprit. Mes parents ont fait mon malheur, et le leur, ce qui m'importe peu. On a abusé de mon innocence. Oh ! l'idée du baptême. Il y en a qui ont vécu mal, qui vivent mal, et qui ne sentent rien ! C'est mon baptême et ma faiblesse dont je suis esclave. C'est la vie encore ! Plus tard, les délices de la damnation seront plus profondes. Je reconnais la damnation. Un homme qui veut se mutiler est damné n'est-ce pas. Je me crois en enfer donc y suis. Un crime, vite, que je tombe au néant, par la loi des hommes.

Tais-toi mais tais-toi ! C'est la honte et le reproche à côté de moi ; c'est Satan qui me dit que son feu est ignoble, idiot ; et que ma colère est affreusement laide. Assez. Tais-toi ! ce sont des erreurs qu'on me souffle à l'oreille[,] les magie[s], les alchimies, les mysticismes5, les parfums faux, les musiques naïves. C'est Satan qui se charge de cela. Alors les poètes sont damnés. Non ce n'est pas cela.

Et dire que je tiens la vérité. Que j'ai un jugement sain et arrêté sur toute chose, que je suis tout prêt pour la perfection. [C'est] l'orgueil ! à présent. Je ne suis qu'un bonhomme en bois, la peau de ma tête se dessèche. Oh  ! mon Dieu ! mon Dieu. J'ai peur, pitié. Ah ! j'ai soif, ô mon enfance, mon village, les prés, le lac sur la grève, le clair de lune quand le clocher sonnait douze. Satan est au clocher. Que je deviens bête. Ô Marie, Sainte vierge, faux sentiment, fausse prière.