ou Getaway Car
— Au fait, Matt, a dit Dev en baissant l’autoradio. Juste pour que tu saches. L’ex-petite amie de Jason est fiancée et enceinte.
Une pause.
J’ai lancé à Dev un regard qui disait merci.
— Félicitations, a dit Matt. Ou… ce que vous voulez.
Nous étions quelque part après Barnet, sur l’A1. Vous n’aviez pas besoin de connaître ce détail.
— Et la mienne vient de filer avec un type qui conduit une Vauxhall.
Bon, ça c’était vraiment bizarre.
— D’où cette petite virée, par solidarité avec l’ensemble de la gent masculine. On marque le coup.
— On ne marque pas le coup, ai-je corrigé. Je doute que la gent féminine soit au courant de notre problème.
— Si, inconsciemment, a affirmé Dev. Dans leur subconscient, elles se sentent super mal à cause de ça. Tu te joins à nous, Matt ? Y a-t-il un petit message que tu souhaiterais envoyer à la gent féminine ?
— Alors, qu’y a-t-il de si bien, à Whitby ? a demandé Matt en regardant le paysage. Il y a de bons clubs, ou quoi ?
Je me suis hérissé.
Ne fais pas ça, Dev. Ne fais pas ça, s’il te plaît.
— Jason avait envie d’y aller, n’est-ce pas, Jason ?
— Hmm, ai-je fait en détournant le regard. Whitby.
— Jason connaît quelqu’un qui est allé à Whitby, une fois, tu vois.
— Je vois, a fait Matt.
Personnellement, je ne voyais pas comment cette explication justifiait un trajet de cinq heures.
— Une fille, a souligné Dev, qui se régalait.
— Je ne la connais pas vraiment, ai-je précisé.
J’espérais clarifier les choses, mais je me suis aperçu que ce n’était pas le cas.
— C’est une plaisanterie entre nous.
— Ce n’est pas une plaisanterie ! s’est indigné Dev. Juge par toi-même : Jason a vu cette fille qui lui plaisait bien et qui par mégarde lui a donné son appareil photo ; il a fait développer les photos et s’est aperçu qu’il figurait sur l’une d’elles. Ensuite, il a découvert qu’une des photos avait été prise à Whitby, et donc nous allons à Whitby.
— Ce n’est pas la vraie raison, ai-je protesté d’un ton neutre.
Dev m’a regardé.
— C’est exactement la raison pour laquelle nous allons à Whitby, mon pote.
Je me suis retourné pour essayer de fournir un complément d’explications, mais Matt m’a eu l’air légèrement horrifié.
— Elle n’y est peut-être plus, a-t-il objecté. C’est pas parce qu’un jour elle s’est fait photographier à Whitby qu’elle y sera encore aujourd’hui.
Pas faux. Assez juste, même.
— Ce n’est pas pour ça que nous allons à Whitby, Matt…
— OK… a tranché Dev. On y va juste pour prendre l’air. C’est histoire de
faire un truc. Mais qui sait, on trouvera peut-être quelques indices.
— A quoi elle ressemble, cette fille ? a demandé Matt.
— Peu importe, ai-je répondu.
— Regarde dans la boîte à gants, est intervenu Dev. Les photos sont là.
— Tu as emporté les photos !
— Evidemment !
— Voyons voir, a fait Matt, maintenant intéressé.
— C’est bizarre, a dit Matt qui tenait toujours la photo de La Fille. C’est un peu comme ces histoires de destin.
Ce voyage était interminable. Nous étions sur le point de quitter un Little Chef, à la sortie de Worksop, et Dev et Matt parlaient du destin depuis deux heures. Je n’avais guère eu d’autre choix que de participer à la conversation. J’avais également mangé une saucisse épouvantable.
— Si vous la recroisez, qu’allez-vous lui dire ? Ou bien, si vous la revoyiez pour la première fois, vous lui diriez quoi, cette fois ? Vous lui prendriez aussi son appareil photo ?
— Que veux-tu dire ?
— Vous lui prendriez à nouveau son appareil photo, ou vous aimeriez réagir plus tôt, avant qu’elle grimpe dans le taxi ?
— Pourquoi ?
— Matt te demande si, au cas où tu aurais une seconde chance, tu préférerais lui rendre l’appareil photo ? a traduit Dev.
— J’en sais rien, ai-je répondu avec un haussement d’épaules.
Mais, naturellement, ma réponse était non. C’était excitant d’avoir ces photos en ma possession. C’était une
situation inédite. Une rencontre à l’état de promesse – mais il fallait encore que la promesse soit tenue un jour.
— Si vous n’en vouliez pas, vous les auriez balancées, je suppose, a repris Matt. Mais vous ne l’avez pas fait. Vous les avez gardées. Et maintenant, nous sommes là…
— Devant un Little Chef, à la sortie de Worksop, qui sert des saucisses immangeables.
— Exactement ! s’est exclamé Matt. C’est exactement ça !
Je m’étais pris de sympathie pour ce garçon au cours des dernières heures. Il s’exprimait avec plus de clarté que dans mon souvenir, et faisait montre, assurément, de plus de curiosité. Il paraissait plus sensible, et il semblait s’être assagi.
Nous sommes remontés dans la voiture et avons mis le cap sur Whitby.
— Bon, j’ai dit que nous étions une famille, alors essayons de nous comporter comme telle, a lancé Dev.
Je l’ai regardé avec des yeux ronds.
— Tu as dit que nous étions quoi ?
— Une famille. Ils nous ont fait le tarif familial. Trente livres.
— Mais nous n’en sommes pas une. Nous ne ressemblons pas à une famille. Si nous étions une famille, qui serait Matt ?
— On dira que c’est notre fils.
— Oh, excellent, le plan ! Tu expliques ça comment ? Toi et moi avons bénéficié d’une découverte médicale révolutionnaire à neuf ans ? En outre, Matt n’a pas de sang asiatique, et nous sommes tous les deux des hommes.
— Nul besoin de prétendre qu’on forme une famille traditionnelle. Il nous suffira de dire qu’on habite à Londres – tout le monde comprendra.
Il a frappé à la porte d’un bed and breakfast, qui s’est ouverte un instant plus tard, et une bonne femme
boulotte en survêtement de velours rose nous a dévisagés.
— Bonjour ! a claironné Dev. Nous sommes une famille de Londres !
La femme a mordu dans son Mars.
Je m’amusais bien.
Je pourrais essayer de feindre distance et cynisme, mais en vérité, je m’amusais bien.
Au cours des deux dernières heures, nous avions joué au minigolf, bu du gin tonic en canette, exploré une fête foraine, arraché de force Dev d’une salle de jeux vidéo, montré du doigt un gothique et admiré les six premières pièces d’une exposition de poèmes et de textiles – Des mots et des fils.
Tout en demeurant difficile à cerner dans sa nature, cette équipée était… sympa. Pouvait-on la définir comme un week-end typique entre potes ? Non, pas vraiment. Dev et moi n’entrions pas exactement dans le moule et l’idée de visiter Des mots et des fils était venue de Matt. Non, il s’agissait de quelque chose de plus aléatoire. Plus instinctif. Plus drôle.
— Et maintenant ? a demandé Dev.
Comme il avait déclaré que tous ces Orangina qu’il avait bus l’avaient barbouillé et qu’il avait besoin de voir la mer, nous étions descendus sur le quai. Nous avions évoqué le capitaine Cook avec un vieil homme, et lu un prospectus sur Dracula. Dev avait déniché un autre prospectus, illustré d’un Kermit la grenouille, qui ferait bénéficier celui qui le présenterait d’un droit d’entrée d’une livre seulement dans un night-club décrit comme un endroit merveilleux et baptisé Cadillacs. A en juger par la qualité du prospectus, on avait du mal à croire à la bonne affaire.
— Je crève la dalle, a annoncé Matt. KFC ?
Car par-delà les épaules de mes camarades, pile en face de moi, au-dessus des toits, je venais de la remarquer.
De là où nous nous trouvions, l’angle était différent, certes, et la distance n’était pas la même non plus, mais c’était bien elle. Perchée sur un coteau, en surplomb du quai. C’était l’église, ou l’abbaye, que Gary avait désignée sur la photo.
— Comment s’appelle-t-elle ? ai-je demandé au vieux monsieur, qui s’était assis sur un banc.
— Sainte-Hilda. Elle se trouve tout en haut du coteau est. Mais il y a un sentier, avec des marches – cent quatre-vingt-dix-neuf au total, cela dit.
Je n’allais pas entreprendre l’ascension. A quoi bon m’embêter ? Je n’avais pas besoin de voir l’église de près. Je voulais la voir comme je la voyais. Depuis l’angle dont je la voyais, et à cette distance. Je voulais la voir comme elle l’avait vue.
Il s’était produit un déclic. C’était un moment étrange. Peut-être était-ce le petit garçon en moi – le collectionneur –, mais j’étais en train de contempler le même paysage que celui qu’avait vu La Fille et, d’une certaine façon, je voulais immortaliser cet instant. Prouver que moi aussi j’avais été ici. Il me fallait un souvenir, une trace à montrer.
— Eh, les garçons, c’est l’…
Mais Dev avait déjà un sourire aux lèvres. Il le savait. Et c’est là que je me suis rappelé qu’il n’avait bu qu’un seul Orangina.
Il a sorti quelque chose de sa poche, et me l’a tendu.
Un petit boîtier. Un petit boîtier en plastique. Un petit boîtier en plastique sur la tranche duquel était écrit Appareil photo jetable 35 mm.
— Un peu plus haut à gauche, m’a indiqué Matt en étudiant très attentivement la photo pour tenter de la
dupliquer à l’identique. Maintenant, un poil plus à droite.
Le viseur de ce nouvel appareil jetable était minuscule et rayé – Dev l’avait acheté pour une livre dans un Happy Shopper –, et ce jour-là, le ciel était plus sombre et le vent soufflait plus fort, mais c’était bien le même endroit.
Sur la photo, elle posait à côté d’un poteau bleu, à cinq ou six mètres d’une poubelle, et nous les avions localisés l’un et l’autre. Mais trouver le bon angle, composer le cadre à l’identique… c’était là que résidait le grand art.
— Là ! s’est écrié Matt. On bouge plus.
Je me suis figé.
— Bien, prêt ? a demandé Dev.
— Attends, attends.
Quelle expression devais-je arborer ? Je me trouvais en face de deux hommes, en train de me faire tirer le portrait. L’étiquette exigeait que je fasse preuve d’imagination. Que je fasse une grimace, peut-être, ou de grands mouvements de bras ? Mais ce n’était pas ma photo. C’était celle de quelqu’un d’autre. La sienne. Quelque part, c’était de ma part une intrusion intempestive. J’ignorais quelles règles prévalaient ici. Devais-je me montrer plus respectueux ? Ou me repeigner, peut-être ? Ou…
Clic.
— Super, Matt. Elle sera réussie, a pronostiqué Dev.
— Attendez ! ai-je protesté. Je ne faisais que… regarder.
— C’était parfait. Tu avais l’air sombre et romantique. On aurait dit la pochette d’un single de Westlife.
— Mais je regardais, simplement !
— Les gars, je suis littéralement en train de mourir de faim, a déclaré Matt en rangeant l’appareil photo.
— Attends ! On en refait une !
— Ah, on dirait que c’est important pour toi, m’a taquiné Dev en souriant.
— Il me semble qu’on est passés devant un marchand de poulet, à l’angle, ai-je indiqué.
Je ne me souviens pas du nom du boui-boui, alors appelons-le simplement le Palais du Capitaine Terrible et du Poulet Toxique. Matt était enchanté des portions géantes pour moins de cinq livres, et l’homme derrière le comptoir – un Iranien, peut-être ? – semblait nous avoir à la bonne.
— D’où venir, les garçons ?
— Londres, ai-je indiqué.
— Vacances ?
— Plus ou moins – s’il s’était agi d’un voyage d’affaires, il aurait été sacrément bizarre.
— Vous savez quel serait un boulot génial, selon moi ? a lancé Dev. Un vendeur de portes au porte-à-porte.
Eclairés par un néon qui nous donnait un teint hépatique, on se serait crus en train de dîner dans une allée de drugstore.
— C’est un métier qui n’existe pas, ai-je fait observer.
— C’est pour ça que j’en parle. Tu ferais du porte-à-porte pour essayer de vendre des portes, et il te suffirait de frapper à une porte pour savoir que les gens en ont déjà une, et du coup tu pourrais rentrer chez toi. Et prendre ta journée.
— De quoi est-ce que tu parles ?
— De ça. Ce n’est pas un mauvais plan.
— Les gens pourraient avoir besoin de porte à l’intérieur, a objecté Matt. Ce serait un coup à y passer la journée. C’est un boulot de merde.
J’ai mordillé mon épi de maïs et je me suis tourné vers lui.
— Tu es content de ton boulot au garage ?
— Ça va.
— Mais c’est ça que tu veux faire ?
Nouveau haussement d’épaules.
— Toute ta vie ? Certaines personnes semblent découvrir qu’elles étaient faites pour faire ce qu’elles font. D’autres ont besoin de renaître, ai-je ajouté d’un ton assez pontifiant.
— Renaître ? Comme ce truc chrétien ? a demandé Matt, soudain épouvanté. C’est pour ça qu’on est là ? Et qu’on photographie des églises ? C’est pour ça qu’on s’est présentés à la grosse en rose comme une famille ?
— C’était une abbaye, et elle n’était pas grosse, juste un peu boulotte. Et non.
— Alors où est le problème, avec mon boulot ?
— Nulle part. Ce n’est pas ce que je voulais dire. Ma question, c’était… quelles sont tes ambitions ?
— Pilote de chasse ? Coureur automobile ?
— Il n’a plus sept ans, Dev.
— J’ai envie de faire quelque chose de mes mains, a répondu Matt doucement.
— Des théières ! s’est exclamé Dev. Evidemment.
— Ouais, bon, d’accord. Ce dont j’ai vraiment envie, là, c’est d’aller au pub, a répliqué Matt.
— Tes ambitions professionnelles, ai-je insisté.
— J’ai rien contre le boulot que je fais.
— Est-ce suffisant ?
— Comment ça ? Ça vous suffisait pas, quand vous étiez prof ?
— J’étais nul comme prof, ai-je soupiré.
— Nan. Vous étiez faible, ça ouais. Mais vous nous laissiez faire ce qu’on voulait.
— Je ne suis pas certain que ce soit là le descriptif du job, a fait observer Dev.
Matt s’est rassis bien droit sur sa chaise.
— Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Vous nous fichiez la paix. Vous ne cherchiez pas à nous changer. Vous n’étiez pas mauvais. Peut-être que le cœur n’y était pas, c’est tout.
J’étais dans mes petits souliers. Je savais qu’il avait raison, et vous le savez vous aussi. Mais lui, le savait-il ? J’avais le sentiment d’avoir été démasqué. Comme s’il avait deviné que quel que soit ce que j’avais dû affronter – les gamins, leurs parents, l’école – je l’avais affronté sans envie particulière de le faire. Je ne vais pas vous faire le coup de la sombre nuit de l’âme. Je dis juste que je pensais peut-être avoir réussi à donner le change. Que j’avais peut-être fini par m’autoconvaincre que j’étais fait pour autre chose, sans réellement tenter de faire ce pour quoi j’étais là. Sans peut-être même jamais rien tenter en ce sens. J’ai décidé d’y remédier, immédiatement.
— Que veux-tu faire de ta vie, Matt ?
— Chais pas, a-t-il répondu, gêné.
— Ce n’est pas un problème. Parfois, on met des années à le découvrir. Ça a été mon cas.
— Je veux faire quelque chose de mes mains.
— Très bien. Parfait. Quels sont tes domaines d’intérêt ?
— Le foot. La musique.
— Quel genre de musique ?
— N’importe. La musique en général.
— C’est pour ça que tu as appelé ton fils Elgar ? ai-je demandé.
Il a souri, comme si c’était une coïncidence, sauf que naturellement, ce n’en était pas une.
— Tu devrais prendre des cours, ou suivre une formation. Déterminer ce que tu veux faire, et trouver le cours adapté. Il en existe forcément un. Le monde est là pour qu’on se serve !
Matt m’a regardé. Je savais ce à quoi il pensait.
— Le pub, ai-je ajouté. On y va.
Quatre pintes au Jolly Sailor avaient fait de nous d’authentiques génies.
— Espagne ! a vociféré Dev.
— Espagne n’est pas la capitale de l’Espagne, lui ai-je fait remarquer.
La machine nous avait jusque-là délestés de huit livres et… – comment vous dire – le réconfort enregistré que nous prodiguait Chris Tarrant
17 était moins bienvenu qu’on aurait pu l’imaginer.
— Madrid, a dit Matt.
Je me suis tourné vers lui, impressionné, mais très vite, conscient que cette admiration pouvait être entachée de condescendance et un brin professorale, je me suis retourné vers la machine et j’ai appuyé sur C.
— Comme dans Real Madrid, a ajouté Matt. Dans Pro Evo…
— Tu joues à Pro Evolution Soccer, toi ? a demandé Dev, un rien déçu. Un peu trop commercial à mon goût.
— Et toi, tu joues auquel ?
— World Tour Soccer de Sony.
— C’est nul.
— Non. C’est génial.
— Dev ! ai-je imploré. En quelle année Sim City 2000 est-il sorti sur PlayStation ?
Une question sans nul doute taillée sur mesure pour lui.
— Tu as quoi, comme options ? a-t-il demandé, de l’urgence dans la voix.
— Dev ! Ouvre les yeux !
— Je réfléchis !
— A : 1990. B : 1993. C : 1999. D : 2000.
Dev a enfin rouvert les yeux et contemplé l’écran, l’air absent. Le chronomètre a entamé le compte à rebours. Chris Tarrant se balançait sur ses talons, avec un soupçon de suffisance.
— Dev ? Magne-toi. On est sur le point de gagner une livre !
— Eh bien, c’est une question intéressante…
Plus que dix secondes. Dev se caressait le menton.
— Hmm.
— Dev !
— J’ai besoin de plus de temps !
— On n’a plus de marge !
Cinq secondes.
Matt a abattu sa main.
— 1993 !
Un instant d’agonie.
Ding.
C’est la bonne réponse !
Chris Tarrant semblait vraiment heureux pour nous. Tandis qu’on se tapait dans la main avec des sourires béats, une pièce d’une livre a dégringolé dans la gouttière au bas de la machine.
— Je vous offre les chips, a annoncé Matt.
— Ou alors… a dit Dev en sortant un papier de sa poche, qu’il a déplié.
Il s’avère qu’une boîte de nuit qui offre un droit d’entrée d’une livre chipote sur la déco.
Cadillacs était horrible. Absolument horrible. Ordinaire, déglingué, le local avait été rajouté contre le flanc d’un hôtel qui avait dû connaître des jours meilleurs. Et ça puait, également – une décennie de bières répandues sur les moquettes usées par les talons aiguilles et les Nike. Les murs étaient poisseux – les
murs ! – et il flottait encore un autre parfum dans l’air. Celui de l’agressivité
peut-être, ou tout au moins de la déconvenue de ceux qui ont trop bu et mangé trop peu, un samedi soir dans une petite ville. Les uniformes étaient de sortie : chemises Ben Sherman, ceintures élégantes, chaussures à boucles argentées, ou baskets boursouflées de lacets.
— On devrait commander du crystal ! a suggéré Dev.
C’est une phrase, je pense, que jamais personne n’avait prononcée au Cadillacs – et que Dev, fait certain, prononçait pour la première fois.
— On devrait commander du crystal et brancher des nanas dont on pourra parler plus tard en les traitant de salopes !
— Je ne suis pas certain que cela va marcher à Whitby.
— Bon, on dira qu’elles étaient des « dames ».
— Pas de crystal ce soir, ai-je tranché.
— Un joli cocktail alors ! s’est enthousiasmé Dev.
Pas loin de nous, une algarade a commencé.
Nous nous sommes installés avec trois bières d’allure virile dans un angle, près de la piste de danse. Dev matait les filles et Matt a sorti son téléphone.
— J’envoie un texto à la maison. Au petit frère, a-t-il expliqué.
Dans un coin de la salle, trois types avec des tee-shirts Slipknot et des queues-de-cheval buvaient des Snakebites
18, tête baissée, les seuls trois fans de heavy metal de Whitby, qui restaient soudés par sécurité, et pour se réconforter. Et puis, tout à coup, Dev s’est exclamé :
— Oh, mon Dieu, regardez-la !
Il nous montrait du doigt une fille pleine de fougue, avec un chignon banane, qui tenait une bouteille remplie d’un breuvage bleu.
— Arrête de montrer du doigt ! ai-je pesté. Contente-toi de la regarder, si tu ne peux pas faire autrement.
— C’est facile à dire, pour toi ! a-t-il protesté en se retournant. Tu es casé, toi ! Tu as le destin dans ta poche ! Tu as une fille en photo ! Qu’est-ce que j’ai, moi ? Une Polack qui se fiche éperdument de moi et qui a déjà un petit ami !
— Je ne dirais pas que je suis casé, Dev. Ni que j’ai le destin dans ma poche. J’ai Snappy Snaps dans ma poche. Ce qui est loin d’être la même chose.
— Non, c’est le destin ! Et tu as été promu…
— Promu ? a répété Matt, relevant la tête. Ah bon ? Il vous a mis à la caisse ?
— Non, pas au magasin. A London Now, ai-je dit calmement. Je remplace le sous-rédac’ chef des pages culture à partir de lundi.
— Ah ouais ? Sympa.
— Revenons-en à moi, a insisté Dev. Tu as une fille en photo. Matt a une famille. Je suis le seul à être…
— Libre ? a hasardé Matt.
— Exactement ! Libre ! a confirmé Dev.
Je ne suis cependant pas certain que c’était là ce que Matt avait voulu dire.
— Par conséquent, si je souhaite montrer une fille du doigt…
— Qu’est-ce que tu montrais du doigt ? s’est enquis une voix dans notre immédiate proximité.
Nous avons relevé la tête et la fille avec le chignon banane et la bouteille remplie d’un machin bleu était plantée devant nous et nous dévisageait. Et elle était flanquée de deux copines costaudes en minijupes en jean.
Oh zut, ai-je songé. Elles sont trois. Et nous sommes trois. Se peut-il qu’elles nous harcèlent pour qu’on sorte avec elles ?
— Non, non, a répondu Dev, visiblement terrifié, en remontant ses lunettes au maximum. Je montrais du doigt autre chose.
Autre chose ?
— Quelqu’un d’autre. Une autre personne, a-t-il corrigé. Qui se trouvait là. Mais qui vient de partir.
— Tu es qui ?
Pas « Comment tu t’appelles ? » – non. Tu es qui ?
— Dev. Et eux… c’est ma famille.
Il m’a lancé un regard paniqué. Peut-être s’imaginait-il que la femme du bed and breakfast avait des espions dans toute la ville.
Les trois filles regardaient Matt. Aucune ne me regardait moi.
— Ça va ? a demandé celle qui semblait être la chef de bande.
— Ça va, a répondu Matt.
Et toujours pas un seul regard dans ma direction. C’était légèrement vexant.
— Comment tu t’appelles ?
— Matt.
— Et eux, c’est tes papas ?
— Non, mes potes.
Voilà qui me réchauffait le cœur. Potes. Il n’avait pas dit « C’est mon ancien prof et son coloc ». Mes potes.
— C’est qui, lui ? a demandé un type sorti de nulle part.
Il portait une chemise Ben Sherman et des chaussures à petites boucles argentées – ce que vous aviez probablement déjà deviné.
— Personne, a répondu la fille, manifestement assez contente de l’intérêt qu’elle suscitait.
— Paul t’a commandé une bière, a repris le type en essayant de la ramener vers la piste.
— Pas envie de bière, a-t-elle répondu.
Oh oh.
— Paul. T’a. Commandé. Une.
Bière, a-t-il répété très lentement en la fixant.
— J’ai rien demandé, a fait la fille en se détournant. Pousse-toi.
Oh, doux Jésus. C’était à moi qu’elle s’adressait. Elle voulait s’asseoir à côté de Matt.
J’ai jeté un coup d’œil alarmé à Dev, mais il ne me regardait pas. Il paraissait enchanté par la tournure de la soirée. Matt, lui, contemplait fixement son verre. J’étais désemparé. Elle m’avait demandé de me pousser. Qu’est-on censé faire, quand une fille costaude insiste pour s’asseoir à côté de vous ? Vous comprenez, Paul lui avait commandé une bière. Qui qu’il soit, ce Paul attendait de pied ferme qu’elle le rejoigne. Et l’autre type, avec ses muscles, ses articulations saillantes et ses chaussures à boucles, était toujours planté là, à nous dominer de toute sa hauteur. Qui était-il ? Son petit copain ? Son frère ? La fille s’est rapprochée de moi et m’a fait signe de me décaler. J’ai cédé.
Quand elle s’est assise, j’ai senti la banquette se gonfler brièvement sous mes fesses et me soulever de quelques centimètres – ce qui, je me dois de le dire si je veux être honnête, a quelque peu entamé mon sentiment de virilité.
Ses deux copines se sont éloignées en entraînant le type, mais celui-ci a tout de même eu le temps de me fusiller du regard. J’y suis pour rien ! avais-je envie de crier. Moi, je suis juste celui qu’on bouscule !
Mais je savais que crier à tue-tête ce genre d’information dans un night-club de Whitby, c’était se faire casser la figure à coup sûr.
— D’où tu es ? a demandé la fille.
Et avant même que Matt ait pu répondre, Dev s’était penché vers elle.
— Londres, a-t-il indiqué. Du nord de Londres. Près de Angel ?
Elle l’a ignoré.
— De passage pour la soirée, n’est-ce pas ?
Elle a bu une gorgée de son machin bleu et Matt s’est contenté de hocher la tête.
Il y a eu un silence bizarre. Et puis Dev a lâché tout à trac :
— Tu sais, faut que je te dise, j’ai un poids sur la poitrine… Mes tétons !
Il avait un sourire jusqu’aux oreilles, ravi qu’il était de sa vanne – qu’il racontait aux inconnus depuis des années –, mais la fille s’est contentée de le dévisager, puis de regarder l’endroit où devaient se trouver ses propres tétons. J’ai encouragé mon ami d’un sourire, qui était peut-être assez proche d’une grimace, puis j’ai regardé ailleurs.
A l’autre bout de la salle, les deux copines de la fille s’étaient assises et sirotaient leur verre, l’air absent ; sans se préoccuper d’elles, le type et deux de ses amis nous dévisageaient, paraissant prêts à bondir de leur siège.
Nous sommes restés peut-être dix minutes encore, puis la fille est enfin partie retrouver sa bière et le fameux Paul, son généreux bienfaiteur.
— Bon alors, a fait Matt en piochant dans son cornet de frites. Cette fille sur la photo, vous allez la retrouver ?
Nous étions assis sur un banc, la soirée tirait à sa fin. J’ai éclaté de rire.
— Tu penses que je devrais la retrouver ?
— Ce soir devrait être le soir où on décide quelque chose ! a lancé Dev d’une voix pâteuse. C’est dans l’air ! On a déjà gagné une livre aux machines à sous, et on a vu une exposition sur la laine. C’est le moment idéal !
Nous nous sommes levés et avons pris le chemin du bed and breakfast.
— Décider quoi ? a demandé Matt.
— J’en sais rien ! Jase devrait retrouver cette fille ! Et moi, je vais séduire Pamela ! Et toi… toi tu peux… eh bien, qu’est-ce qui te ferait plaisir ?
— Chais pas.
— Bon, on va te trouver un truc. Un truc important, qui sera décisif dans ta vie.
— J’aimerais bien être heureux, a dit Matt.
Dev et moi nous sommes arrêtés de marcher.
— Je reviens tout de suite, a ajouté Matt en s’élançant vers la porte d’un magasin.
Dev et moi nous sommes remis en route.
— Il est super, ce mec, a déclaré Dev.
— Tout à fait. Tout à fait d’accord.
— Il était comment, à l’école ?
— Pas exactement comme ça.
— Il t’aime bien, tu sais.
— Dev, ce n’est pas un rencard arrangé.
— Non, je veux juste dire, il t’admire. Ça doit lui faire drôle, de traîner avec son ancien prof.
— Ça me fait drôle à moi aussi.
Nous avons tourné à un coin de rue, et là, sur un banc, devant Millets
19, se trouvaient une bande de copains. Des rires ont fusé. L’un des types a donné un coup de pied dans une canette, qui est allée rouler contre une vitrine.
Dans ce type de circonstances, il ne fait pas bon être un homme. Et quand on est deux, c’est pire. Deux hommes, c’est déjà une bande. Une bande rivale. Et ce même si l’un arbore un pantalon tout ce qu’il y a de plus classique, et que l’autre embaume le poulet rôti qu’il a mangé un peu plus tôt.
Les types se sont remis à rire et, immédiatement, je me suis appliqué à regarder ailleurs – mais en sachant déjà qu’ils étaient au moins trois, et qu’ils étaient du genre à
envoyer dinguer des canettes contre des vitrines. J’ai tout de même risqué un coup d’œil et… merde.
C’étaient les mêmes types.
Ceux de la boîte.
J’ai bombé le torse et adopté une démarche plus volontaire, plus virile, parce que c’est le conseil qui ressort des reportages qui passent à la télé. Se montrer fort. Courageux. Sûr de soi. Quitte à se prendre une raclée cinq minutes plus tard. C’est une démarche que j’ai eu tout le loisir de perfectionner le soir sur Caledonian Road, quand je longe sans lambiner la prison de Pentonville, fermement convaincu que chaque homme que je croise va m’assommer avec son sandwich baguette ou me poignarder avec ses frites.
Et puis, ce qui devait arriver arriva.
— Eh !
Ne t’arrête pas. Ne t’arrête surtout pas.
— Eh ! a-t-on répété, un peu plus près de moi cette fois.
Je me suis retourné. Le plus grand des deux, le chef de bande, arrivait sur moi à grandes enjambées.
— Tu m’as appelé ?
Respire.
— Hein ? Non, pas du tout.
— Tu m’as traité de connard, alors.
Quoi ?! Oh, Seigneur, c’est exactement comme ça que ça commence. Dans la cour de récréation, mais aussi la nuit, dans une ville qu’on ne connaît pas, dans une rue où il y a des cabines téléphoniques, des distributeurs automatiques balafrés, et des types qui sont à court de carburant.
— Très franchement, mon pote, je n’ai pas ouvert la bouche.
— Est-ce que ton prénom ressemble à « connard » ? a demandé Dev avec un demi-sourire.
— T’as dit quoi, là ?
— Je disais juste que tu as peut-être mal entendu, ou que…
— Ecoutez, suis-je intervenu. Très franchement, il n’y a aucun problème ici. On rentre juste à la maison et…
— C’est où, ta maison ?
— On est descendus dans un bed and breakfast.
— Non, ta vraie maison ?
— A Londres, a indiqué Dev.
Mauvaise réponse.
— Dans la banlieue de Londres, ai-je rectifié. La grande banlieue, même.
Nom d’un chien ! Pourquoi fallait-il que je vive une scène pareille ? Et pourquoi à Whitby, entre tous les endroits possibles ?
— Où est passé votre copain ? a demandé le type qui se tenait en retrait.
— Il est…
Je me suis retourné et j’ai regardé alentour.
— Ben, chais pas.
Le chef de bande se rapprochait de plus en plus de moi. Je sentais son haleine. Il avait bu du cidre, sans nul doute. Et peut-être un petit whisky pour digérer. Et il sentait aussi la clope.
Ah non, les odeurs de clope, c’était l’autre. Le petit sec nerveux, à côté de lui, qui souriait et se balançait sur ses talons, trop tendu pour tirer sur sa cigarette. Le fameux Paul, peut-être ? Il avait une tête à s’appeler Paul. Et il y en a toujours un comme lui. Pas assez baraqué pour se battre, mais bouillonnant d’agressivité, comme un petit chien qui alimente en puissance son acolyte et qui est dangereux, avec son regard fiévreux et sa respiration saccadée, car il sera prêt à tout, absolument tout, pour son maître.
— Ecoutez, tout va bien… ai-je tenté.
Mais ils ne semblaient pas partager mon avis. Ils semblaient même penser exactement le contraire, à cause
d’un affront imaginaire qui les avait affreusement meurtris. La scène, cependant, ne devait rien à mon imagination, et je me suis soudain souvenu de M. Waterhouse, en deuxième année, nous disant que la meilleure tactique, en cas de bagarre, consistait à se rouler en boule. Mais comment allais-je faire comprendre à Dev qu’il devait se rouler en boule, lui aussi ? Et que se passerait-il, ensuite, une fois que nous serions deux petites boules venues de Londres, d’autant que si…
Boum !
Quelque part à notre droite, il y a eu ce boum ! – enfin, pas exactement un boum, mais un bruit sacrément fort, comme si quelque chose s’effondrait, volait en morceaux. Je me suis statufié. Dev a tressailli. Et le fracas a recommencé. Instinctivement, les trois types ont posé les mains sur leur tête et se sont retournés. Et puis tout est devenu clair.
Matt avait dégoté une arme – un bout de tuyau, ou une barre métallique, allez savoir – et était en train de réduire en miettes une cabine téléphonique.
En miettes.
Capuche rabattue sur la tête, le regard concentré sur son ouvrage, il cognait, cognait comme un sourd sur cette cabine téléphonique. Des éclats de verre volaient dans tous les sens, et chaque coup était ponctué d’un râle effrayant.
— Merde alors… a lâché le petit roquet en reculant tandis que Dev et moi restions où nous étions – nullement par témérité, simplement parce que nous étions pétrifiés de trouille.
Et puis, soudain, Matt a lancé la barre qui est allée s’écraser au sol dans un fracas de ferraille et il s’est dirigé droit vers nous en haletant. Cela a suffi à faire déguerpir les trois types sans demander leur reste.
Mais le plus étrange restait à venir.
Matt s’est alors arrêté, il a sorti l’appareil jetable et il a pris une photo des trois types en train de s’enfuir. Ensuite, il a rangé le jetable dans sa poche.
Dev et moi avons gardé nos distances, de crainte qu’il n’ait pété les plombs pour de bon. Qu’allait-il faire maintenant ? Nous jeter à terre comme un catcheur ? Nous pousser et nous faire passer à travers une vitrine ? Brandir une autre barre de fer et immortaliser notre fuite avec le jetable ? Franchement, quelle attitude devais-je adopter ici ? Renfiler le costume du prof et crier « Matthew Fowler, tu arrêtes ça tout de suite » ? Nous étions livrés à nous-mêmes, en pleine nuit, dans une ville que nous ne connaissions pas, en compagnie d’un garçon qui avait été à deux doigts d’éborgner un camarade et qui, sous mes yeux, avait massacré une cabine téléphonique sitôt qu’il avait humé un effluve de violence.
Donc, tandis qu’il approchait, je me suis préparé à affronter tout ce qui se présenterait, à essayer de me défendre, mais à la place, Matt a baissé sa capuche, frappé dans ses mains et demandé :
— Ça va ?
— C’était dément ! s’est extasié Dev. C’était comme dans Grand Theft Auto !
Nous nous étions remis en route, ivres d’adrénaline, de soulagement et d’énergie vitale. Toutes les quelques secondes, nous traversions le halo lumineux d’un réverbère. On se serait crus dans une discothèque aux effets de lumière paresseux.
— Tu nous as sauvé le coup, ce soir, Matt, ai-je dit, encore un peu étourdi.
— Bah. C’était rien qu’un coup de gueule. Pour leur ficher la trouille.
— Non, je parlais de la machine à sous. Sans toi, on n’aurait jamais gagné cette livre.
Tout en continuant à marcher, j’ai pris mes deux potes par les épaules, dans un geste de camaraderie virile. Je voulais les serrer contre moi mais, pile à ce moment-là, nous est parvenu le hurlement d’une sirène de police, et on s’est mis à courir.
Nous avons dormi dans la Nissan, garée devant notre chambre d’hôte à trente livres la nuit. Dev s’était débrouillé pour perdre la clé, évidemment, et la dame en survêtement de velours rose ne prenait apparemment pas le couvre-feu de 22 heures à la légère.
« C’est dégoûtant, s’était indigné Dev. Jeter ainsi une famille à la rue ! »
Ce contretemps était sans importance. D’une certaine façon, il était même bienvenu. Parce qu’on a rigolé, qu’on s’est raconté des histoires, et même s’il serait juste de dire, je pense, que nous avions déjà tissé des liens, ceux qu’on peut tisser dans une Nissan Cherry sont forcément plus forts.
Tandis que nous gloussions comme des nanas, j’ai repensé à l’enchaînement de circonstances grâce auquel je passais un si bon moment dans une petite voiture. La rupture ? Ses fiançailles ? La grossesse ? Ouais.
Mais, en fait, non. Pas exactement.
A bien y réfléchir, c’était à cause de La Fille que je me trouvais là, dans cette ville, et que Dev avait eu l’idée de cette virée. Grâce à Elle.
Peut-être avais-je eu raison de me dire que je ne devais plus laisser les autres décider pour moi. Que je devais commencer à être maître de mes décisions.
— Hé, regardez ! me suis-je exclamé.
L’aube se levait et en face de nous, au loin, les premiers rayons du soleil caressaient le sommet de Sainte-Hilda et étalaient comme une couche d’ambre pâle sur la patine de ses pierres.
— Faim ! a lâché Dev dans un bâillement tout en s’étirant.
Mais moi, j’étais comme hypnotisé.
Nous sommes sortis du Little Chef, à la sortie de Worksop, et avons regagné la voiture. Nous avions la gueule de bois, nous étions coiffés au pétard à mèche, et courbatus.
Matt avait préféré nous attendre dans la voiture. Il n’avait pas dit grand-chose de la matinée. D’après Dev, ce devait simplement être l’effet de la gueule de bois. J’avais décidé de lui donner raison.
Nous nous sommes engagés sur l’autoroute au moment même où j’avalais la dernière bouchée de ma saucisse (immonde).
— C’était une sacrée virée, a résumé Dev. De la baston ! Des jeux ! Des filles ! C’était un peu comme un week-end à Las Vegas, non ?
— On a failli se faire démonter la tête, on a gagné une livre et les filles nous ont snobés. C’était exactement comme un week-end à Whitby.
Dev a rigolé, mais Matt n’a pas réagi.
Je me suis retourné pour m’assurer qu’il allait bien. En fait, il semblait totalement absorbé. Il avait étalé les photos sur ses genoux ; jusque-là, il n’avait vu que le cliché devant l’église. Pendant que nous allions au ravitaillement, il avait fouillé dans la boîte à gants et maintenant, il les avait toutes sous les yeux.
— Matt ?
Quand il a relevé la tête, il était bouche bée, et il a brandi une des photos, en la retournant vers nous.
17. Présentateur de la version britannique de Qui veut gagner des millions ?.
18. Mélange de bière brune et de cidre.
19. Enseigne spécialisée dans les équipements pour activités de plein air.