chapitre 2

… jusqu’en prison

Cloîtré dans ma nouvelle résidence de 9 mètres carrés d’un confort très relatif que j’allais devoir partager avec les cafards, les araignées et les rats, située dans l’enceinte de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis où l’État m’avait invité à résider après mon arrestation 1 , j’essayais, pour me calmer, de m’adonner à la méditation.

Le moment était venu, pour moi, de procéder à un examen sérieux de ma personnalité et, partant, à une profonde remise en question. Un tel examen aurait dû être demandé, voire exigé par les magistrats qui allaient me condamner. Mais apparemment ils se foutaient royalement de ma santé psychique : cela les arrangeait d’avoir les mains libres pour pouvoir me condamner au maximum sans pouvoir retenir de circonstances atténuantes.

Étant dans un état de santé assez critique dû au choc de mon arrestation, j’ai pensé qu’avant de faire le bilan de mon passé et d’analyser la situation dans laquelle je me trouvais, il me fallait d’abord sortir du brouillard dans lequel la consommation excessive de cocaïne m’avait plongé. C’était nécessaire pour être crédible à mes propres yeux, puis aux yeux de ceux qui allaient me juger, la coke circulant encore dans mon organisme.

* * *

À quoi au juste devais-je m’atteler ?

À reconstituer les faits et les évènements qui m’avaient fait atterrir dans cette prison ?

À déterminer les causes qui avaient produit ces effets catastrophiques ?

À définir l’origine ou plutôt les origines de mon arrestation – vu le nombre d’ennemis que je m’étais fait dehors, il n’était pas exclu que plusieurs personnes fussent à l’origine de mon malheur – pour en comprendre la vraie raison ?

Aurais-je dû me formaliser, lors de mon arrestation, des interminables sermons que me firent les policiers, accompagnés de coups de bottin téléphonique sur la tête, de coups de pied dans les fesses, quand ce n’était pas des coups de poing dans le ventre suivis de gifles magistrales, avec pour fond sonore les mille et un reproches habituels que vous font tous les policiers, d’avoir fourni de la coke à des gens qui, pauvres victimes, ne savaient pas ce qu’ils faisaient ?…

Et Jean-Edern Hallier, n’aurais-je pas dû ­l’éviter ? Il aurait pu m’entraîner dans de graves problèmes si les policiers avaient su que c’était moi qui lui fournissais, royalement, 50 grammes de coke par semaine, contre espèces sonnantes et trébuchantes, au prix de mille acrobaties et subterfuges pour pénétrer chez lui sans me faire voir des policiers qui étaient de jour comme de nuit en faction devant sa maison, aux aguets de ses moindres mouvements ?…

Bien sûr, j’aurais pu éviter de fournir tous ces gens qui ne pensaient qu’à nuire à leurs prochains, et qui pour être capables de le faire se bourraient le pif de ma cocaïne ! Mais pour être franc, d’une part, à l’époque je me foutais royalement de ce qui se passait dans ce pays, d’autre part, les fournir en coke ou en cannabis m’apportait une adrénaline exceptionnelle.

Car vendre aux plus grands salopards de France n’était pas donné à tous les dealers. L’adrénaline je la trouvais non pas dans les ventes de coke qui me rapportaient certes beaucoup d’argent, mais dans le fait que ces deals me permettaient d’entrer dans les coulisses, pour ne pas dire dans les entrailles de ce monde souterrain qu’était la politique.

« Vous n’avez donc ni regrets ni remords ? » m’avait interpellé le procureur pendant mon procès. Pourquoi en aurais-je eu ? Les gens que j’ai approvisionnés jusqu’ici en ont-ils, eux, des remords ? Regrettent-ils le mal qu’ils font au peuple français en dilapidant l’argent qu’ils prélèvent indûment pour faire la fête ou se balader à travers le monde ? Devais-je aussi me reprocher d’avoir contribué à éliminer, pour le compte de la France, des gens dangereux lorsque j’étais membre du SAC – ou, pour mon propre compte, de vrais salopards qui essayaient de me faire la peau ?

Et pourquoi devrais-je me reprocher d’avoir fourni de la came de haute qualité et des prostituées à de puissants personnages français, alors que le roi du Maroc Hassan II fournissait en grande quantité du cannabis aux réseaux de Pasqua, qui le revendaient en France sans le moindre état d’âme, et des prostituées de luxe à Chirac et Pasqua, lorsqu’il les invitait dans l’un de ses multiples palais ?

Le même Hassan II m’a condamné, sans même passer par les tribunaux, à vingt ans de prison par contumace, juste parce que le fils de son ministre de l’Agriculture était mort d’une overdose de coke que je venais de lui fourguer. Et ensuite à six ans de prison pour avoir introduit dans son pays une Mercedes volée en Allemagne à l’ambassadeur du Maroc, alors que de hauts fonctionnaires des douanes et de la police – voire des ministres – volaient impunément les voitures de luxe qui leur tapaient dans l’œil à des touristes sans défense, en les saisissant au cours de contrôles « inopinés » après avoir « trouvé » dans leur coffre des quantités relativement importantes de cannabis, quand ce n’était pas des armes ou de la fausse monnaie 2

Et que dire de la prostitution qui sévissait dans ce pays, qui était légale pour le consommateur musulman, mais formellement interdite aux non-musulmans, qui tombaient sous le coup de la loi s’ils se hasardaient à coucher avec une musulmane, et risquaient une grosse amende, voire plusieurs jours en garde à vue ?… Ce qui permettait à certains policiers de s’enrichir grâce à la corruption.

J’y reviendrai : la fête et le vice sont constants dans les hautes sphères, notamment parmi les ministres et certains parlementaires, qui se permettent d’enfreindre allègrement les lois qu’ils viennent de voter, sans oublier tous les tabous qu’ils piétinent et les interdits qu’ils ignorent volontairement.

Alors devais-je me repentir du « mal » que j’avais fait en vendant de la drogue à certains de nos gouvernants et à quelques crapules notoires ? Pas sûr ! Dans tous les milieux on prend hélas de la coke aujourd’hui en France.

Que voulaient-ils, en vérité, tous ces prêcheurs de morale, ces gens toujours prêts à critiquer ce qui ne leur convenait pas ? Que je me repente d’avoir fourni la meilleure coke du monde à des gens avisés, à des initiés, des hédonistes désireux de goûter à tout et à n’importe quoi pour se faire plaisir, et à de gros pervers désirant augmenter leurs perversions en s’aidant de la coke ? Pouvais-je changer les gens, leurs habitudes, la société, en leur refusant ma coke ? Pouvais-je leur interdire de s’intoxiquer, de s’empoisonner, de satisfaire leurs déviances malsaines, leurs vices et leurs addictions ? Il y avait tellement de simagrées, d’hypocrisie, de mensonges autour de cette drogue que j’en étais écœuré, moi qui venais de Hollande, où tout se passait ouvertement.

Dans ma carrière de voyou, j’ai toujours agi par instinct en obéissant à mes mauvais démons et je n’étais pas prêt à les renier, car je m’entendais bien avec eux… Dès mon plus jeune âge, j’ai été pris entre deux pièges : l’intégrité, l’honnêteté, le puritanisme de mon père d’un côté, et de l’autre la malhonnêteté et la noirceur d’esprit de ma mécréante de mère. À quel instinct devais-je obéir ? Qui devais-je suivre ? À qui faire plaisir ?

C’est clairement le caractère de ma mère qui s’est imposé en moi.

Ai-je participé à la grandeur de la France en aidant les chanteurs à bien chanter, les acteurs à bien jouer, les producteurs à mieux produire, les hommes d’affaires à mieux vendre en se risquant, coke aidant, sur les marchés internationaux ? Les sportifs à être plus performants, même s’ils devaient en passer par la triche car qu’avaient-ils en face d’eux, sinon de gros dopés venant du monde entier s’aidant de toutes sortes de drogues, dont la cocaïne, pour joindre l’utile à l’agréable ? J’ai été dénoncé par un journal, Minute je pense, qui prétendait que j’alimentais en cocaïne, par le biais d’un de mes revendeurs, le fameux Guy Drut et bien d’autres sportifs de haut niveau. Et que j’aurais pourri le monde du sport français… Faut-il en déduire que ce dernier aurait été au plus bas sans moi ?

Ne devrait-on pas dans ce cas me donner une médaille pour avoir aidé, par le biais de la coke, nos gloires nationales à le rester ? Pour avoir aidé notre Johnny national à rester une bête de scène et à aller au bout de ses concerts ? Quand ce ne sont pas certains de nos gouvernants qui grâce à mon « produit » ont pu supporter la fatigue de la fonction ministérielle ou présidentielle – tout en continuant à faire la fête et à baiser tout ce qui bouge ? Ajoutez à cela que beaucoup de gens ont appris à mieux se connaître en prenant de la coke. Tel hétéro macho, dragueur invétéré, découvre un jour qu’en réalité il est un bisexuel ou un homosexuel refoulé : est-ce un problème ?

Ils me faisaient rire, ces hauts personnages qui plus que d’autres étaient informés des dangers de la cocaïne ou des opiacés, et qui malgré moult avertissements, bravant « courageusement » l’interdit, se ruaient dessus, quitte à pleurer et à balancer leur méchant dealer sans scrupules, à se plaindre et à diaboliser les drogues si d’aventure ils étaient arrêtés par la police…

Pourquoi avais-je mis les pieds dans ce panier de crabes qu’était la haute société parisienne et fréquenté des élites, qui s’affranchissaient de toutes les règles et allaient sans hésiter m’envoyer en prison, alors que quelques mois plus tôt j’étais leur héros, un bienfaiteur qu’ils n’avaient de cesse de célébrer quand ils le rencontraient ? Pour l’argent ? J’aurais pu en gagner autant, sinon plus, à Marbella ou en Hollande. Mon compte en banque contenant 5 millions de francs avait été saisi par l’État ainsi qu’un énorme sac de bijoux. La notoriété ? Des articles dans tous les journaux de France ? La belle affaire… Est-ce que tout cela valait les dix ans que j’allais passer en prison ?

J’ai été stupide. Je voulais, en fanatique de la coke que j’étais alors, faire du prosélytisme. Apporter la « bonne parole » aux profanes en leur faisant découvrir les bienfaits de cette drogue sans toutefois en connaître vraiment les méfaits, car à cette époque je n’avais pas assez de recul. À force de vouloir convaincre les gens que ce produit était un don de Dieu alors qu’il était le diable sous forme poudreuse, j’ai fini par croire, moi-même, que c’était ce qu’il y avait de plus beau sur terre – et donc par l’utiliser sous toutes ses formes, notamment en la fumant, ce qu’il y avait de pire. J’avais pourtant de bonnes raisons de ne pas replonger dans cet enfer.

Dès le début des années 1980 aux Pays-Bas, pris au piège de ma connerie, je m’étais mis bêtement à fumer du crack, à raison de 10 à 20 grammes par jour, ce qui fut pour moi le meilleur moyen de vider mon compte en banque et ma santé qui déjà était chancelante. Ce fut vraiment stupide de ma part de me lancer dans ce délire, d’où il serait très difficile de sortir, d’autant plus que, habitant dans un appartement situé dans le quartier chaud d’Amsterdam, près de la station Central, au bord d’un canal, j’avais la possibilité d’en voir les effets. J’avais tous les jours la mauvaise surprise de voir des cadavres de drogués au crack passer devant moi en glissant sur l’eau pendant que je prenais mon petit déjeuner. Des cadavres qui flottaient sans que personne vienne jamais les ramasser. Sachant d’où ils venaient, on ne voulait pas se risquer à les sortir de l’eau par peur d’être contaminé.

Au départ c’étaient des jeunes gens suicidaires, qui, après être tombés dans la pire des addictions, celle du crack, étaient devenus de véritables zombies, circulant à tout petits pas dans les rues d’Amsterdam pour mendier une pièce de-ci de-là, en insultant et en brusquant ceux qui ne voulaient pas leur faire l’aumône, au grand dam des citadins et des touristes.

Le maire de la ville, un homme pragmatique mais aussi expéditif, devant la recrudescence de ces « crackés » et leur comportement agressif, a pris l’affaire en main et décidé en désespoir de cause de les enfermer dans un bateau bon pour la casse, qu’il avait fait ancrer et amarrer près de la gare en lui donnant des noms évocateurs, un tantinet ironiques, comme le « naufrage », « le dernier voyage » ou encore « la dernière escale ».

C’était une véritable « no go zone » ce bateau, un lieu consacré à la drogue, où les gens normaux ne pouvaient pas pénétrer. Livrés à eux-mêmes et aux dealers qui venaient leur apporter de la drogue payée par la mairie, les « locataires », qui ne payaient pas de loyer, ayant le droit de consommer tout ce qu’ils voulaient à bord, s’en donnaient à cœur joie, en se droguant à longueur de journée jusqu’à plus soif, ne comprenant pas que s’ils se trouvaient là c’était pour mourir le plus vite possible à l’abri des regards.

Le maire, pour se débarrasser de ces déchets humains, n’avait pas trouvé mieux que de les encourager en leur fournissant tous les produits nécessaires à leur suicide programmé. Ce qui, il faut le dire, accéléra la disparition de ces gens, à raison de deux à trois cadavres par jour, qui passaient inévitablement devant ma maison avant d’atterrir, après avoir fait le tour de la ville, dans la mer, empoisonnant au passage les poissons qui se trouvaient sur leur chemin et n’avaient rien demandé.

C’était le début des années 1980. Ce spectacle aurait dû me faire réfléchir. Hélas, quelques mois plus tard je tombais moi aussi dans la déchéance totale. Et seule mon incarcération dans la prison d’Amsterdam quelques semaines plus tard m’a sauvé la vie. Sans cette arrestation providentielle, peut-être aurais-je fini par rejoindre le monceau de cadavres qui s’étaient accumulés dans l’un des estuaires les plus importants de la ville et terminé ma vie dans le ventre d’un poisson…

Cette expérience aurait pu me servir de leçon… mais non ! Quelques années plus tard, étourdi par ce que je croyais être ma position privilégiée dans le Tout-Paris, harcelé par de multiples sollicitations pour livrer diverses boîtes à la mode, pour entretenir de fausses amitiés de stars, tenté d’augmenter un chiffre d’affaires déjà respectable, je commis l’erreur de replonger en consommant avec mes nouveaux amis. Grave erreur.

Je redis ici que la cocaïne n’est pas une « bonne drogue », et loin de moi l’intention d’en faire l’apologie, car les drogues, légales ou illégales, étant à mon sens toutes mauvaises, je nagerais en plein dans le mensonge. Je me demande en revanche qui est l’empoisonneur du peuple dans cette histoire, si ce n’est l’État français, qui d’un côté autorise la vente d’alcool et du tabac (les plus grands poisons que l’humanité ait eu l’idée de créer, parce qu’ils causent des cancers et des cirrhoses mortelles) et de l’autre interdit la vente de cannabis, poussant les gens à en acheter au marché noir, quand ce n’est pas de la pseudo-coke – le plus souvent coupée avec de la farine –, qui après avoir été snifée à multiples reprises cause des dommages irréversibles au cerveau.

L’État français, en toute connaissance de cause et parce que ça lui rapporte gros en taxes, autorise, quand il ne l’encourage pas, la vente de médicaments dangereux, de poisons mortels qui remplissent les hôpitaux, les asiles et les morgues, et qui abrutissent ceux qui les consomment, quand ils ne les rendent pas fous ou débiles, tout en contribuant à creuser le trou de la Sécu… Qui est encore le fabricant de morts, si ce n’est l’État français, qui autorise la fabrication et la vente d’armes de guerre qui tuent chaque année des centaines de milliers d’innocents dans le monde, faisant rentrer dans ses caisses des sommes phénoménales, par le biais des impôts, sans oublier l’argent des commissions qui entre dans les comptes en banque de leurs complices, les gros industriels ?… Un argent qui sert le plus souvent à payer les voyages à l’étranger, la cocaïne et les putes étrangères de leurs politiciens « bienfaiteurs ». Va-t-on un jour ouvrir les yeux et arrêter de prendre les Français pour des cons en leur faisant croire que tous les problèmes viennent des drogues illégales et des banlieues ?

Devais-je, dès lors, aller seul en prison ? Mes « coreligionnaires » de la cocaïne n’auraient-ils pas dû m’accompagner ? Selon la loi, la consommation de coke est formellement interdite et sévèrement réprimée. Mais bon, pouvait-on mettre des gens comme Chirac ou Hallyday en prison ? Voire Freddy, le milliardaire qui m’achetait de la coke pour empoisonner une célèbre princesse dans le but de l’épouser. A-t-il été arrêté malgré la déclaration sulfureuse que j’ai faite contre lui ? Non ! Allez savoir ce qu’il s’est passé dans les coulisses, car Freddy, qui se disait juif iranien et colonel dans l’armée israélienne, était un important revendeur d’armes françaises à l’étranger. Et pourquoi mes clients n’ont-ils jamais été inquiétés, tels ceux qui ont été arrêtés avec de la drogue chez eux ou sur eux, comme Philippe Léotard ou Johnny qui avait 10 grammes dans sa poche quand il a été auditionné en 1986.

Des frustrations ? J’en ai eu des tonnes ! Des trahisons, bien plus que mon compte. De fausses relations, j’en ai eu aussi en quantité, mais c’est inévitable quand on possède quelque chose qui plaît aux autres. Des mensonges, j’en ai aussi accumulé des tas, y compris envers moi-même… Alors que dois-je retenir de positif dans la vie que j’ai menée ?

J’ai sans conteste bien vécu et j’ai appris à connaître parfaitement le genre humain, sous toutes ses coutures, grâce à la coke, ce qui m’a aidé à supporter le fardeau de la prison. La drogue, c’est comme la prison : quand on en sort, son souvenir nous pèse ad vitam æternam

Pendant des dizaines d’années, je dois le dire, je me suis sans cesse posé la question de savoir si je devais écrire ce que j’ai vécu. Et puis un jour j’ai décidé qu’avant ma mort, c’était un devoir de dénoncer la corruption qui règne dans notre société, de parler de la coke qui gangrène actuellement tous les milieux, notamment sportif, celui du show-business mais aussi de la politique jusqu’au plus haut niveau de l’État. Aussi je me suis dit que raconter tant mes malheurs que mes bonheurs serait une bonne chose, surtout si j’arrivais par ce biais à convaincre mes lecteurs que prendre de la coke n’est pas une bonne idée. C’est faire un pacte avec le diable. C’est aliéner ou hypothéquer sa santé à moyen terme. C’est se foutre dans la merde pour de multiples raisons que j’évoque un peu plus loin, la principale étant que se mettre dans le pif, et donc dans le cerveau, une poudre mélangée avec n’importe quoi, c’est suicidaire, car la plupart des dealers sont de gros enfoirés prêts à vendre du poison pour se remplir les poches.

Dans le délire qu’a été ma vie, j’ai eu la chance de pouvoir satisfaire mon addiction avec de la coke pure. Mais tout le monde n’a pas cette « chance » car la consommation de coke évoluant de manière exponentielle, les petits malins vont sûrement chercher de nouveaux produits de coupe de moins en moins coûteux et donc de plus de plus en plus nocifs. Qu’on se le dise ! J’ai vu et connu des tas de gens qui sont restés perchés à vie après avoir snifé une coke hyper merdique qui était un mélange de tout sauf de coke.

Je le dis et je le redis souvent à de jeunes gens pressés de goûter à ce produit tant diabolisé par l’État et tant vanté par les initiés : ils risquent de rester perchés à vie parce qu’ils se sont laissés aller dans un moment de faiblesse à consommer cette poudre maléfique sans prendre la moindre précaution.

Bien sûr, l’idée de départ est juste de passer une soirée de folie avec les copains, bien arrosée et bien saupoudrée de cette fameuse « potion magique » dont des petits malins leur ont fait la pub, et d’« éclater » leurs copines, car la coke est réputée pour être un puissant aphrodisiaque. Mais voilà, ils ont acheté leur poudre de perlimpinpin à un bras cassé, à un pauvre type qui ne connaît rien au produit mais qui a eu les mots qu’il fallait pour fourguer son poison et encourager les profanes à mettre leurs pifs dans sa merde en poudre… Et ils foutent leur vie en l’air.

Je n’escompte pas, par le biais de l’écriture, obtenir la rédemption de mes « péchés ». Il ne faut pas compter là-dessus, car aucun livre ne pourra effacer de ma mémoire tout ce que j’ai subi, ni ce plongeon dans les eaux troubles de la cocaïnomanie, ni ces malheureuses rencontres amoureuses rongées par la drogue.

M’étant sérieusement rangé des voitures, j’ai entrepris de vivre sainement et sereinement, sans alcool, tabac ou drogue dure, et surtout sans faux amis dans mon entourage, sans salopes détraquées pour me sucer mon argent, sans opportunistes pour me gratter de la coke ou du fric, et surtout sans ces hypocrites qui à longueur de journée me couvraient de compliments alors que s’ils avaient pu me pendre après m’avoir tout volé, ils l’auraient fait volontiers…

Libre aussi d’écrire mon histoire, pleine de turbulences, de turpitudes et de désillusions, et partant, de diagnostiquer mes erreurs, mais aussi de nommer tous les salopards de pervers sexuels, de balances, d’indicateurs, de flics corrompus et de flatteurs qui, pendant que j’étais en activité, n’ont pas cessé de me tourner autour. Libre encore parce que, allégé et vidé du poids de mes conneries, j’ai repris goût à la vie normale.

Ma vie ? Si elle fut belle avant que je ne touche aux drogues, elle devint un enfer lorsque je fis connaissance avec la cocaïne. Elle fut dès lors une succession d’incartades, de dérapages, d’erreurs et de mauvais choix…

Des regrets ? Beaucoup ! Des remords ? À n’en pas finir ! Mais hors de question de les exprimer en public ! Car s’il est vrai que grâce à la coke j’ai vécu une vie de prince, entouré et adulé par les plus belles filles du monde, habillé par les meilleurs couturiers de France, d’Italie et d’Espagne, roulant dans des voitures de luxe, mangeant dans les meilleurs restaurants, il n’en est pas moins vrai que lorsque je dus payer l’addition à notre société d’hypocrites, je ne pus m’empêcher de grincer des dents. La justice française ne m’a pas fait de cadeau, comme elle le fait communément avec les puissants dévoyés.

Les femmes faciles ? Oui ! Mais seulement celles qu’on pouvait « séduire » en leur mettant un peu de poudre dans les narines. Les autres ? Celles qui ne touchaient pas à la coke ? Impossible de communiquer avec elles car à la séduction il manquait l’essentiel, la coke, qui nous permettait d’être sur la même longueur d’onde. Les mannequins ? Si sortir avec elles, qui étaient pratiquement toutes initiées à la coke, était facile, les ramener dans son lit était une autre paire de manches. Dès qu’on abordait le sujet elles s’esquivaient, fort heureusement pour leurs soupirants qui ne savaient pas à quoi ils s’exposaient. Pourquoi ? Parce qu’elles avaient peur de coucher avec un homme, m’ont répondu certaines. Mais de quoi avaient-elles réellement peur ?

Pourtant, il m’arrivait de m’afficher dans les boîtes à la mode de Paris avec quelques-unes d’entre elles à qui j’offrais un peu de coke pour m’assurer de leur « fidèle » compagnie, l’inévitable champagne pour titiller leurs gosiers d’oisillons et un peu de caviar pour remplir leurs petits estomacs souvent vides. Mais, dans mon esprit, je ne les invitais à ma table que pour en faire des leurres, capables d’attirer d’autres femmes. Et ça marchait ! Les femmes sont toujours attirées par les belles femmes, et surtout par les hommes qui se trouvent en leur compagnie. Simplement parce qu’elles veulent montrer aux belles qu’elles sont capables de leur piquer leurs hommes ou alors parce que la compagnie de belles femmes les rend plus intéressants que les hommes seuls…

Que me restait-il dès lors à part les richesses matérielles ? Rien.

Suis-je fier d’avoir vécu ce que j’ai vécu ? Quelque part oui. Mais le prix à payer a été excessif. Fils d’un médecin militaire élevé au grade de général de réserve en fin de carrière et médecin privé de Mohamed V, je m’en veux d’avoir causé beaucoup de tort à mon père en participant à la destruction d’autres hommes à l’aide de ma coke, qu’il abhorrait et a combattue en tant qu’expert à l’Organisation mondiale de la santé. Du tort, vraiment. Car lorsqu’il a appris que j’étais en prison en Hollande pour trafic de drogue, lui, le pourfendeur des trafiquants, en fut bon pour une attaque qui le laissa hémiplégique et dont il ne se remit pas.

Peut-on être fier d’avoir passé des années derrière les barreaux des geôles européennes au milieu de minables repris de justice ? Je ne crois pas. D’autant que les rencontres en prison sont le plus souvent nocives, pour ne pas dire nuisibles.

* * *

Je fis de mon mieux pour m’installer confortablement dans la cellule où je me préparais à vivre plusieurs années. Et surtout pour calmer, le plus possible, la violence et l’agressivité que j’avais en moi. Car si j’étais bagarreur et toujours prêt à faire le coup de poing, quand ce n’était pas de tête, il y avait certainement dans cette prison des gens plus méchants et plus dangereux que moi qui pouvaient me causer de sérieux problèmes si je ne me tenais pas tranquille. Aussi me fallait-il calmer mes ardeurs oratoires, qui pourraient me valoir pas mal de séjours au mitard ou un nez cassé.

Malgré le blocage de mes comptes bancaires et la saisie de tout ce que je possédais en liquide chez moi et en banque, malgré l’interdiction de voir des amis ou de la famille au parloir, je m’arrangeais pour avoir l’essentiel en cellule – à savoir cigarettes, bières et cannabis à profusion, sans oublier les conserves salvatrices, et toutes sortes de victuailles de luxe que j’empruntais à des caïds bien installés, connus et reconnus, qui à l’entrée m’avaient accueilli en frère grâce aux articles auxquels j’avais eu droit dans tous les journaux. Ils se faisaient un plaisir de m’aider, à charge de revanche bien sûr, de façon à ce que je ne manque de rien pendant mon séjour. Ce qui me faisait dire que la vie dans cette prison n’était pas si désagréable.

Au fil du temps qui passait relativement vite, habitué à toutes les misères que la prison peut générer, je finis par m’habituer aussi aux extractions qui, grâce à la compréhension de ma juge d’instruction, se firent plus confortablement. Et les discussions avec elle s’allongeaient car je relatais volontiers les histoires rocambolesques de mon existence, tandis que la greffière semblait jubiler d’entendre ce que j’avais à raconter 3 .

1 . Voir Dealer du Tout-Paris sur la chute et l’emprisonnement de Gérard Fauré.

2 . Voir Dealer du Tout-Paris .

3 . Voir Dealer du Tout-Paris .