CHAPITRE 26

SEBASTIAN

Ce même type qui vient chercher des lasagnes le mercredi depuis près de dix ans, qui me radote ses histoires de cœur qu’il a eues au lycée, qui me fait des visites surprises les soirs où j’ai le plus de serveuses qui bossent en même temps juste pour pouvoir les reluquer discrètement. Le portrait-robot de mon voisin ne ment pas. C’est bien monsieur Thomsen.

— Vous le connaissez ? demande Joseph, l’air étonné.

— Et comment ! répond mon frère en frappant sa voiture d’un coup de pied. Je vais le tuer ce fils de…

— Wes, y’a un enfant avec nous, je te signale.

— Hey, je ne suis plus un enfant, j’ai douze ans, dit-il en croisant les bras sur son t-shirt horrible.

— T’inquiète, Seb. Ce gamin a déjà vu et entendu pire.

Le sourire de satisfaction qui se dessine sur le visage juvénile de Joseph s’illumine de fierté. À ce que je comprends, le petit souhaite être dans les bonnes grâces du shérif. Ça concorderait avec le fait que je le vois très souvent en sa compagnie dernièrement.

— Alors, qu’est-ce qu’on fait maintenant, shérif Hunter ? demande-t-il en contemplant mon frère avec admiration.

— Toi, tu ne fais rien. Ton père va encore me tomber dessus en sachant que tu n’es pas rentré de la nuit.

— Quoi ? Mais je croyais qu’on irait foutre une raclée à votre monsieur Thomsen ; c’est moi qui vous ai permis de l’identifier !

Wes s’approche du garçon pour poser une main sur son épaule. L’image devant moi est presque touchante. J’ai l’impression de revoir mon paternel qui gronde Wesley alors qu’il n’écoute jamais ce qu’il lui dit.

— Merci pour le portrait-robot, gamin, mais tu ne viendras pas avec nous. J’aime mieux te savoir en sécurité avec tes parents.

— Comme vous voulez, Shérif… bredouille Joseph en baissant la tête pour regarder le sol.

D’un coup d’épaule, le petit se défait de la poigne de mon frère et fonce aussitôt vers le vélo qu’il semble avoir mal dissimulé dans les buissons des Romanov.

— Tu l’as blessé, dis-je en m’appuyant contre la voiture de police.

— Il s’en remettra. Du moins, plus facilement que s’il était venu avec nous chez ton voisin.

— J’arrive pas à croire que ce vieux chnoque soit associé aux Costaricains.

— Moi, ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi tu n’as rien vu avant, lance Wes en me frappant le bras de son poing.

— T’es con ou quoi ?! Il a l’âge d’être un arrière-grand-père ; jamais je n’aurais pu me douter que c’était une taupe. Puis, tu lui parles autant que moi, à ce vieillard.

— C’est un sacré bon acteur. Dire qu’il y a quelques mois, il me demandait si j’avais une madame Hunter dans le collimateur. Il a ri lorsque je lui ai lancé que j’en avais une dizaine, mais maintenant je comprends qu’il s’informait pour le compte de Fabio Rodriguez.

— Alors, tu veux vraiment le tuer ?! le questionné-je en contournant la voiture pour prendre place côté passager.

Mon frère ouvre sa portière et s’installe derrière le volant. Je le vois qui gratte sa barbe de plusieurs jours sans ménagement, l’air de réfléchir à ce que nous devons faire. Si ce n’était que de moi, je partirais loin d’ici. Je ne suis pas autant attaché à cette ville que lui semble l’être. Le connaissant, il me dirait que je ne fais que fuir les problèmes, que la merde finirait par me rattraper un jour ou l’autre.

— Ce n’est pas l’envie qui manque, lance-t-il en s’engageant vers la sortie. Mais je ne crois pas que ce soit la solution.

Le soleil matinal se lève tranquillement à l’horizon, annonçant une journée chaude de fin d’été, quand mon frère sort de la longue allée en pavé de Romanov, laissant derrière nous la fausse quiétude du quartier de riches.

— Il doit parler avant de crever, ça, c’est sûr, dis-je en observant Wesley s’allumer une cigarette.

— Je crois avoir une idée, mais sa mort n’en fait pas partie. Fais-moi confiance.

Je décide effectivement de lui faire confiance, contrairement à il y a plusieurs semaines où jamais je ne lui aurais accordé aussi aveuglément sans demander d’explications. Quelque chose me dit que ses plans ne sont plus basés sur les profits, mais plutôt sur sa soif de vengeance. Je la vois, cette nouvelle lueur qui brille au fond de ses iris bleus, celle qui est là depuis tellement longtemps qu’on pourrait l’oublier, mais qui prend toute la place maintenant qu’il a obtenu les réponses qu’il souhaitait depuis tant d’années. Si tout doit finir en bain de sang pour étancher cette colère, c’est à ses côtés que je veux rester, être au premier rang lorsque cette étincelle deviendra une véritable explosion.

Garé devant le Double Barrel, Wesley me répète ce que je dois faire, encore et encore. En cette heure très matinale, il suffit d’une petite erreur pour que le voisinage panique en nous voyant faire, alors je le laisse me radoter son plan sans vraiment l’écouter.

— Hey ? T’as compris j’espère, parce que ça ne nous donne pas beaucoup de temps avant la réunion de midi, me dit-il en descendant ses verres fumés sur le bout de son nez.

— Tu me soules, Wes.

— Putain, mais qui aurait pensé que faire équipe avec son frangin était aussi irritant. Je te préférais quand tu te trimballais la queue entre les jambes.

— C’est toujours mieux que d’être comme tous les autres qui te lèchent le cul pour être dans tes bonnes grâces.

— Merde, mais t’étais où pendant tout ce temps ? lance-t-il en me souriant à pleines dents.

— Ailleurs, dis-je en sortant le premier de la voiture.

Comme si toutes ces années de dépression n’avaient jamais existé, je retrouve enfin la place que j’avais il y a de ça vingt ans. Celle du petit frère casse-pied qui ne donnera jamais raison au plus vieux des deux.

— Tu sais ce que papa dirait en ce moment ? demande-t-il en me rejoignant.

— Ouais : « Arrêtez de vous taper dessus, Seb va finir par avoir des séquelles. »

— Rah, t’es con ! Non, il nous balancerait : « Vous êtes comme mon flingue et ses plombs ; l’un sans l’autre, vous ne valez rien, mais ensemble, vous êtes redoutables et je plains l’adversaire qui aura affaire à vous. »

— Je me souviens.

On aura beau dire que Charles Hunter était à la tête d’un gang dangereux et qu’il avait la gâchette facile, n’empêche qu’il était un paternel incroyablement bon. S’il connaissait notre plan, je crois qu’il serait fier, mais il dirait de toute évidence qu’il manque de sang ou de torture.

La rue est déserte à cette heure, ce qui nous laisse une marge de manœuvre plutôt rassurante quand je pense que nous allons kidnapper un vieil homme sans défense. Je réajuste ma veste de cuir, puis me fourre les mains dans les poches en attendant le signal.

— Tu te souviens de…

— Wesley, le coupé-je, je suis prêt !

— Faudrait que t’arrêtes de me donner l’impression de rêver pendant que je t’explique le plan.

— Je ne rêve pas, je visualise.

— Ouais, c’est ça, on ne me la fait pas à moi. Y’a qu’à voir le filet de salive sur le coin de ta bouche et ta semi-croquante dans ton jeans pour voir que tu ne m’écoutes pas.

— Ah, et puis merde…

Je m’élance droit vers la porte d’entrée de la bâtisse voisine à celle du Double Barrel et pénètre dans l’immeuble sous le regard surpris de mon frère.

— Putain, Seb ! grogne-t-il à quelques marches de moi.

Dire que c’était lui qui devait passer le premier. Je gravis l’escalier en frappant le mur de mon poing pendant tout le long de mon ascension pour éveiller la peur chez monsieur Thomsen. Je me mets à hurler :

— Vite ! Y’a le feu, monsieur Thomsen, vous devez sortir ; y’a de la fumée qui sort d’en bas.

— Vous devez évacuer ! crie Wes derrière moi.

Une fois arrivés devant sa porte, on la martèle comme si c’était la panique. Le vieillard ne se fait pas attendre ; il nous ouvre aussitôt avec un visage figé par la peur. Vêtu de son peignoir à carreaux, il pose une main sur son cœur comme s’il allait lui sortir de la poitrine.

— C’est affreux, monsieur Thomsen, vite, dépêchez-vous, répété-je en tentant de jouer le jeu, nous devons évacuer l’immeuble. Suivez-nous !

— Oh ! Doux Jésus, Sebastian, qu’avez-vous fait encore ? dit-il en passant devant moi. N’oubliez pas Dolorès, au deuxième étage, la pauvre ne pourra jamais descendre seule.

— Je m’en occupe, ne vous inquiétez pas, répond Wesley.

— Dieu merci, vous êtes là, shérif Hunter.

— Venez vous réfugier dans la voiture de votre précieux shérif, lancé-je en roulant des yeux. Les secours vont bientôt arriver, je les ai appelés.

Je ne sais pas ce qui m’insulte le plus entre le fait qu’il me croit coupable du faux feu ou son amour inconditionnel pour le shérif. Putain, c’est fou à quel point il fait cet effet à tous ceux qui croisent sa route.

À peine avons-nous atteint la portière que monsieur Thomsen s’empresse de l’ouvrir pour se mettre à l’abri sans poser de questions. Aussitôt qu’il est assis, Wes referme brusquement derrière lui et me regarde avec cet air de vainqueur sur le visage.

— La vache, je n’aurais jamais pensé que ç’allait être si facile.

— Tous les vieux sont effrayés par le feu, dis-je en attrapant le paquet de cigarettes de mon frère qui dépassait de sa poche de chemise.

— Hey, les garçons, s’interroge notre victime en toquant contre la vitre, il est où, le feu ?

Je saisis mon briquet dans ma veste avant de me pencher à la hauteur de Thomsen.

— Juste là…

Lorsque j’active la flamme pour allumer ma clope, le visage du vieillard se décompose sous nos yeux. Voir la peur inonder son regard est presque jouissif, mais encore plus quand il se met à pleurer en observant mon frère.

— Je ne sais rien. Laissez-moi sortir, pitié.

Si j’avais des doutes, là, à cet instant, avec cette attitude qui pue la culpabilité, j’ai maintenant la certitude que nous tenons la bonne personne.

Je coince la cigarette entre mes lèvres puis prends place du côté passager de la voiture de police pendant que Thomsen hurle derrière la vitre anti-balles. Wes s’installe avant de démarrer à toute vitesse pour nous conduire à l’endroit où ç’a commencé.

En chemin, la radio diffuse Beautiful Scars de Maximillian et Moira Dela Torre¯pendant que nous passons devant la maison de notre enfance. Elle est identique aux derniers souvenirs que j’en avais. Seule, dans un cul-de-sac, avec ses murs blancs crasseux, ses volets défraîchis et la rambarde endommagée ; elle est dans le même état que nos vies actuelles à Wes et moi. Ce qui veut dire en lambeaux qui tiennent encore debout par je ne sais quelle force de la nature. Impressionnant, quand on pense qu’elle est située dans l’endroit le plus mal fréquenté de la ville. La racaille aurait pu en faire son QG depuis longtemps, mais tous les citoyens connaissent l’histoire de cette demeure ; c’est suffisant pour les tenir à distance.

— Pitiééééé, gémit Thomsen pour la millième fois depuis le siège arrière.

Assis sur le capot de sa voiture, Wes me tend son téléphone pour que je passe un appel vite fait.

— Pourquoi tu as le numéro de ma serveuse en configuration rapide ? demandé-je à mon frangin en composant les trois premiers chiffres du numéro de portable d’Anne.

Il se tourne vers moi en évitant mon regard.

— Je… j’en avais besoin lorsque tu t’es fait tirer dessus. Elle me donnait de tes nouvelles.

Je sélectionne le bon et attends que ça sonne.

— Je te crois, dis-je en créant de l’espace entre nous.

— Hey, coucou Shérif, je te manque déjà ? répond Anne après deux sonneries.

— C’est moi.

— Ah ! Sebastian, désolée je pensais que…euh, tu veux probablement parler à Mikaela ?

Une boule me monte à la gorge lorsqu’elle prononce son nom. Merde, est-ce que je suis vraiment timide, ? Pire qu’un môme… De mon pied, je frappe une pierre au sol qui roule jusque dans l’herbe mal entretenue, tout en faisant les cent pas dans l’attente de parler à cette femme qui me fait tant vibrer depuis peu. Wes dit que c’est de l’amour, mais comment en être sur ? Ce que je chante, après toutes ces années, sans l’avoir vécu moi-même me fait douter.

— S… s’il te plaît.

— Un instant, je vais voir si elle dort encore.

Parce que finalement, aucune parole ne vient vraiment à bout de ce qui se passe dans ma tête. Je ne doute pas de la force de ces nouvelles émotions, au contraire, mais seulement du temps qui nous est donné pour les vivre.

— Sebastian ?

Je cesse de respirer. Mon cœur s’emballe dans ma poitrine devenue soudainement trop petite pour lui. Sa voix, pleine d’inquiétude, semble aussi perdue que moi, et ça me bouleverse d’une manière inexplicable.

— Oui, c’est m… moi. Je… tu vas bien ?

Mes mains sont moites, ma bouche est sèche et les mots se bousculent dans ma gueule pour finalement bredouiller des trucs sans valeur. Si seulement elle pouvait voir l’effet qu’elle a sur moi, même à distance ; elle pourrait comprendre que ce que je tente de lui communiquer avec tous ces non-dits est loin d’être vide de sens.

— Dis-moi que toi tu vas bien, demande-t-elle presque en me suppliant.

— Oui, Mika, je vais bien.

Elle pousse un soupir de soulagement, ce qui me fait aussitôt sourire comme un con. Savoir qu’elle angoisse autant que moi me rend heureux comme jamais. Je deviens barge…

— Tu m’as fait peur.

— Désolé, ce n’était pas mon intention. En fait, j’ai une question à te poser sur les contacts de ton père.

— Je t’écoute.

C’est dingue de voir comment je m’en tire bien lorsque je ne pense plus à mes sentiments pour elle. Ouais, bon, faut dire que la grimace de mon frangin qui me fait signe plus loin de faire vite chasse les sublimes images qui commençaient à apparaître.

— Est-ce que le nom de Thomsen te dit quelque chose ? lui demandé-je en levant mon majeur bien droit en direction de Wesley.

— Francis ? Si tu parles de Francis Thomsen, oui, je sais qui c’est.

— Attends une seconde, dis-je en éloignant le portable de mon oreille. Hey, Wes, le vieux s’appelle Francis ?

— Non, je crois que c’est son fils. Pourquoi ?

— Mika ? Qui est ce Francis ?

— Un employé de mon père depuis plusieurs années.

— Voilà qui est intéressant.

Le bruit d’une sonnette retentit loin derrière dans le combiné. Anne bredouille un « enfin » puis Mika se met à rire avant de se racler la gorge :

— Excuse-moi, Sebastian, je dois te laisser, la pizza vient d’arriver.

— Il est 8 h du matin. Qui mange une pizza à cette heure ?

— Anne dit qu’il n’y a pas d’heure pour bouffer une extra pepperonis.

— N’ouvrez à personne d’autre que ce livreur. Attendez qu’on revienne avant de sortir.

Voyant que mon ton a monté en intensité, mon frère s’est approché de moi en plantant son regard dans le mien, l’air presque en panique.

— Ne t’inquiète pas pour nous. Vuelve a mí rápidamente14, dit-elle en coupant la communication.

— Putain, dis-moi qu’elles vont bien, grogne Wes en m’arrachant le téléphone des mains.

— Dépêchons-nous de finir ce qu’on a à faire ici, dis-je tout bas en dévisageant le vieillard toujours en larmes dans la voiture. Le fils de Thomsen travaille pour Fabio, Wes.

— Nous avons de quoi le faire chanter. Mais quelque chose me dit que nous n’aurons peut-être pas besoin de jouer cette carte. Regarde, ma voiture va avoir besoin d’un bon lavage ; il s’est pissé dessus et nous supplie depuis une heure de ne pas lui faire de mal. Il s’inflige sa propre torture.

— Je crois que tu as raison. Viens, emmenons-le à l’intérieur.

Nous voyant charger vers lui comme des taureaux en rogne, monsieur Thomsen pousse un cri aigu digne d’une fillette apeurée. Wes ouvre la portière d’un coup avant de saisir le bras de l’homme pour le tirer en dehors.

— Pitiiiié, ne me faites pas de maaaal, braille-t-il en s’agrippant à la chemise de mon frère.

— T’aurais dû y penser avant de nous balancer à ce fumier. Maintenant, soit tu nous suis sans faire d’histoires ou je t’amène de force à l’intérieur ; tu as le choix.

— B… bien sûr, Shérif, je vous suis et je vous dirai tout ce que je sais, mais ne me faites pas de mal. Je vous en supplie.

— Bien alors, passez devant, dis-je en le poussant pour qu’il avance en direction du vestibule de la maison.

Le vieux titube jusqu’à la porte sans contester les ordres. Une fois que Wesley déverrouille la serrure pour nous faire entrer, une sensation oppressante me submerge dès que je pose le pied à l’intérieur. Dire que je ne suis pas revenu ici depuis la fin du lycée. Même après l’assassinat de notre père, nous avons continué à y vivre malgré les mauvais souvenirs. Wes disait que c’était important de rester ici pour sauver les apparences. Le fait que je me noyais dans les cauchemars et les visions du meurtre ne lui faisaient pas un pli à l’époque. Évidemment, il ne savait rien de ce que j’avais vécu. Peut-être aurait-il agi différemment s’il avait su dès le départ qu’être dans la même pièce où notre père m’avait regardé avec des yeux remplis de déception en ne voyant pas le fils qui aurait pu lui sauver la vie me plongerait dans cette dépression continue.

— Assieds-toi ici, ordonne Wesley à Thomsen en tirant une vieille chaise en tube de fer blanc.

L’homme s’exécute sans broncher alors que le shérif s’installe devant lui en prenant soin de retirer l’arme coincée dans son holster pour la faire aller et venir entrer eux.

— Comment va ton fils ? demande-t-il en appuyant le canon sur le genou exhibé de mon voisin.

Les yeux écarquillés d’effroi, Thomsen se remet à chialer alors que la morve coule jusque sur son peignoir.

— Pitié, pitié, vous devez me tuer avant que Rodriguez sache que vous êtes au courant pour Francis et moi. Sinon, il lui fera du mal et…

— Il y a trois secondes, tu nous suppliais de ne pas te faire de mal. C’est m’entendre parler de ton fils qui te met dans cet état ?

Le vieillard s’essuie le visage avec le revers de sa manche en nous fixant à tour de rôle avant de reprendre :

— Vous n’êtes pas à la hauteur de Fabio, les garçons. Oui, j’ai fait tout ce que vous voulez me reprocher. Depuis l’instant où tu as acheté le restaurant, Sebastian, j’ai fourni des informations à mon fils pour éviter qu’il arrive les mains vides devant son patron. Je ne le fais pas pour l’argent ; je le fais pour protéger Francis.

— Cet enfant est un criminel. Qu’il soit de votre famille ou non, vous protégez un sale connard qui fait souffrir les gens, un dealer de drogues et le sous-fifre d’un célèbre tueur à gages, dis-je en tentant de maîtriser la vague de rage qu’il génère en parlant de son fils comme d’un saint. Vous ne valez pas mieux que ces ordures, Thomsen.

— Alors, tuez-moi pour vous venger, mais laissez-le en dehors de ça.

— Pourquoi vouloir mourir alors que je suis censé assurer votre sécurité depuis plus de dix ans ? demande Wesley en se grattant la barbe à l’aide de son arme avant de la poser sur la table de cuisine.

— Fabio s’en prendra à lui aussitôt qu’il saura que vous m’avez fait parler. Depuis l’attentat du Double Barrel, le gang des Costaricains est sur le qui-vive en attente de représailles. La semaine dernière, Francis m’a dit que son patron préparait un voyage pour venir terminer le nettoyage. Et s’il se pointe en ville alors que je suis avec vous, il présumera que mon fils est une taupe depuis le début…

— Putain ! J’y crois pas, hurle mon frère en se levant d’un bond.

Sans que je comprenne comment la colère prend possession de mes moyens, mon poing explose contre la mâchoire du vieillard. Ma rage mélangée à celle de Wesley a eu raison de moi. La tête de Thomsen tourne presque au ralenti dans le sens contraire de mon coup alors que je vois déjà l’hémoglobine gicler en dehors de sa bouche. Cet homme est coupable de tant de choses, dont la mort de Beryl. Même si ce n’est pas lui qui l’a torturé, ses mains sont couvertes de son sang puisque c’est lui qui donnait les informations sur notre relation.

— Seb ! Stop ! hurle mon frère en me saisissant les épaules.

J’ai beau forcer contre lui, crier et le repousser, il ne me lâche pas. Si Thomsen veut mourir, je veux m’en charger, lui exploser la tronche et offrir son cadavre à son cher fils. Lui qui a probablement beaucoup à voir avec ce qui nous arrive depuis toutes ces années. Mais pour ça, Wes doit me laisser faire…

— Je dois exaucer les dernières volontés de ce connard d’informateur, hurlé-je au visage de mon frère. Si ce n’est pas moi qui m’en occupe, ce sera Fabio. Alors, laisse-moi ce plaisir de lui faire la peau pour la mort de Beryl.

— Je ne peux pas te laisser faire ça. Tu n’es pas un meurtrier.

— Tu oublies que j’ai tué Lewis. Un de plus ou un de moins, qu’est-ce que ça change ? Putain, mais lâche-moi que je lui…

De ses deux mains, Wesley me pousse brusquement le torse pour que je m’éloigne de lui. Évidemment, il est plus fort que moi, donc je recule de plusieurs pas, lui donnant suffisamment de temps pour qu’il saisisse sa deuxième arme dans son dos. Son geste est rapide, assuré. Il pointe le canon sur le crâne de Thomsen et presse la détente sans hésiter.