La base, le chemin et le fruit

Traditionnellement, on expose ou l’on explique les principes fondamentaux des enseignements dzogchen en termes de « base », « chemin » et « fruit ».

La base fait référence à l’état primordial qui est la véritable condition intrinsèque de l’individu, qui est pure depuis l’origine.

Le chemin est constitué des moyens et des méthodes que l’on emploie pour se familiariser de plus en plus avec cette connaissance - en d’autres termes, avec les différentes formes de pratiques méditatives que l’on utilise pour développer sa compréhension et approfondir son expérience.

Le fruit est le point d’arrivée, où toutes nos activités sont complètement intégrées à l’état primordial.

LA BASE

« La base, ou Zhi en tibétain, est le terme employé pour désigner la base fondamentale de l’existence, aussi bien au niveau universel qu’au niveau de l’individu, les deux étant essentiellement les mêmes ; réaliser l’un, c’est réaliser l’autre (...) On l’appelle la base parce que c’est la base de tout phénomène et parce qu’étant incréée, originellement pure et parfaite en soi, ce n’est pas quelque chose qui doit être construit. [34] »

 

La base est divisée en trois aspects ou catégories : « essence », « nature » et « énergie ». Ces trois aspects ne doivent pas être compris comme des qualités ou des attributs distincts en soi, car ils coexistent simultanément en nous en tant que partie de notre base, ou état primordial. L’image du miroir est souvent utilisée pour symboliser ces trois aspects ou « sagesses »:

L’« essence » se réfère à la qualité vide de l’esprit qui, tel un miroir, peut refléter tout ce qui apparaît devant lui, sans discrimination. Puisque l’essence de l’esprit est vacuité, cette condition est synonyme de l’état calme, lorsque l’esprit est tranquille et vide de pensée.

La « nature » se réfère à la capacité du miroir de refléter des objets avec une précision et une clarté parfaites, sans être conditionné par eux. La nature de l’esprit est clarté, ce qui est un synonyme de mouvement, comme lorsqu’une pensée s’élève spontanément.

L’« énergie », qui opère par la continuité ininterrompue de l’alternance de ces deux aspects, décrit comment les choses se manifestent dans le miroir. Les reflets qui s’élèvent en lui sont l’énergie de la propre nature intrinsèque du miroir se manifestant de manière visible. De même, la façon dont les choses apparaissent dans notre vie est simplement l’« énergie » de la propre nature de notre esprit se manifestant extérieurement.

 

L’image, ici, est semblable à celle des vagues apparaissant sur la surface lisse de la mer, s’élevant et retombant de façon aisée et ininterrompue. L’espace vide entre les pensées se fond sans effort dans le mouvement de chaque pensée, alors qu’elle s’élève puis se résorbe à nouveau dans la vacuité, tout cela au sein de l’océan infini de notre état primordial. Dans la vue du dzogchen, le principe essentiel est simplement d’être conscient de ce qui se présente, sans suivre les pensées ou s’attacher à la condition vide :

 

« Le principe essentiel est de (...) maintenir la présence dans l’état de la vague mouvante de la pensée elle-même (...) Si l’on considère l’état de calme comme quelque chose de positif qui doit être atteint, et la vague de pensée comme quelque chose de négatif qui doit être abandonné, et que l’on reste pris dans la dualité de saisir et de rejeter, il n’y a pas moyen de dépasser l’état d’esprit ordinaire. [35] »

LE CHEMIN

Le chemin, ou lam en tibétain, fait référence à toutes les méthodes qui sont employées pour progresser ou développer cette compréhension. Il se divise en trois aspects : la « vue », la « pratique » et la « conduite »:

La « vue » se réfère à l’auto-observation, c’est-à-dire à regarder dans le miroir de l’esprit par opposition à quoi que ce soit d’extérieur à soi-même. La plupart des vues ou des points de vue théoriques s’intéressent à produire des formulations sur le monde qui nous entoure. Dans ce cas, cependant, la « vue » n’est rien d’autre que l’examen de notre propre condition réelle.

La « pratique » se réfère aux différentes méthodes de méditation qui sont appliquées sur le chemin pour découvrir notre condition réelle. Les enseignements du dzogchen sont divisés en trois séries de transmission distinctes : semdé (la série de l’esprit), longdé (la série de l’espace) et upadesha en sanskrit ou mengagdé en tibétain (la série des instructions essentielles). L’accent mis dans chaque série d’enseignements et les méthodes de méditation utilisées pour atteindre les résultats de la pratique varient dans chaque section, mais chaque série est aussi complète en elle-même. Les pratiques de la série semdé, par exemple, contiennent beaucoup d’explications orales destinées à introduire l’état de contemplation et à développer progressivement sa propre expérience. La série longdé contient très peu d’analyses intellectuelles et met l’accent sur le fait d’être capable de stabiliser cette compréhension en recourant à des positions physiques. La série des upadesha se concentre sur des méthodes pour poursuivre et développer cette compréhension.

La « conduite » ou le comportement se réfère à la manière d’intégrer la vue et la pratique dans notre vie quotidienne.

LE FRUIT

Le fruit est l’objectif final ou le but de la pratique, un état de réalisation dénué de concept et au-delà de l’effort. Mais en vérité, la base, le chemin et le fruit sont indivisibles dans le dzogchen, puisque tous reliés à la condition primordiale. Comme le dit Chögyal Namkhai Norbu :

 

« ... le chemin n’est pas quelque chose de strictement séparé du fruit, c’est plutôt que le processus d’auto-libération s’approfondit toujours plus jusqu’à ce que la conscience dans l’illusion, qui n’était pas consciente de la base qui a toujours été notre propre nature, disparaisse : c’est ce qu’on appelle le fruit.  [36]  »

 

Essentiellement, il n’y a donc rien à atteindre ou à accomplir. Nous possédons déjà notre nature de Bouddha, juste telle qu’elle est !