5. la valeur d’un maître authentique

« Milarépa chantait : ‘Quand je suis seul, méditant dans les montagnes, tous les Bouddhas du passé, du présent et du futur sont avec moi. Gourou Marpa est toujours avec moi. Tous les êtres sont là. [70] »

 

Dans le dzogchen, le cœur des enseignements se trouve dans la relation avec le maître, ou gourou. Le terme « gourou » est cependant devenu controversé en Occident, suite à de nombreuses révélations sur des comportements inconvenants sur le plan sexuel, financier ou politique de la part d’enseignants de plusieurs traditions spirituelles, bouddhisme compris. En conséquence, il a acquis une connotation négative qui n’existe pas dans les traditions orientales. Bien que l’analyse critique soit un contrepoids nécessaire à la naïveté initiale des Occidentaux à l’égard des maîtres spirituels de l’Orient, elle a malheureusement donné lieu à bien des incompréhensions à propos de la nature de la relation maître-disciple. En Amérique en particulier, les doutes émis par les féministes concernant le fait de suivre ce qui est souvent perçu comme une structure spirituelle patriarcale ont gagné du terrain depuis quelque temps et posent des questions très réelles dans un monde où l’égalité est considérée comme une évolution. Dans certains milieux, on a même tenté de se passer complètement du concept d’enseignant ou de gourou. Le danger existe que ce point de vue, actuellement à la mode, soit la source de sérieux fourvoiements et offre une base erronée pour le développement du bouddhisme tibétain, où la relation au maître est d’une importance cruciale pour le développement spirituel. Il est aussi important de comprendre que l’état d’éveil est dépourvu de notions de genre.

 

« Parce que l’étendue de la réalité n’est pas ‘je’,

Elle n’est pas une ‘femme’, ni un ‘homme’,

Elle est complètement libérée de toute saisie.

Comment pourrait-elle être désignée comme un ‘je’?

 

Dans tous les phénomènes, sans attachement,

Ni femme ni homme ne sont conçus.

Pour dompter ceux que le désir aveugle

On enseigne ‘femme’ et ‘homme’ [71]. »

 

Le mot sanskrit gourou signifie littéralement « maître ». En tibétain, il se traduit par lama (bla ma). Bla veut dire que « le principe vital de la vie est énergie », et ma signifie « la puissance de la mère ». Lama veut donc dire « vie-mère » ou « maître spirituel ». Selon Patrul Rinpoché, « il n’y a rien qui lui soit supérieur [72] ». Ma, qui veut dire « mère », évoque une mère qui veille sur la croissance d’un enfant. Dans ce sens, un être spirituel supérieur veille sur notre croissance et nous guide vers la libération. Fort heureusement pour le bouddhisme tibétain, le terme « lama » n’a pas acquis les mêmes connotations que le mot « gourou ».

Les enseignements bouddhistes ne sont pas les seuls à insister sur la nécessité d’avoir un maître, c’est aussi le cas dans d’autres religions. Pour les Soufis, qui mettent l’accent sur le cœur, le lien avec le maître est vital, et pour les Hindous, il faut un enseignant vivant pour que la connaissance ne reste pas au niveau intellectuel.

Comment les Occidentaux peuvent-ils donc réconcilier ces deux extrêmes, une dévotion sans réserve à un maître et l’analyse intellectuelle critique nécessaire à la compréhension ? Ceux qui veulent sincèrement suivre des enseignements spirituels doivent avoir une compréhension du rôle crucial du maître dans les traditions du bouddhisme tibétain et en particulier dans le dzogchen. Ensuite, une observation attentive et une évaluation critique du maître sont nécessaires avant de s’engager sans réserve dans une voie spirituelle. En dernière analyse, chaque personne est responsable de sa propre réalisation.