Différents types d’enseignants

« Mieux vaut rencontrer un maître parfait

Que de gagner tout un royaume.

Les voyez-vous le traiter en égal,

Ceux qui n’ont pas de dévotion ?

Mieux vaut voir la vraie nature de son esprit

Que de rencontrer le Bouddha.

Les voyez-vous plonger dans l’illusion,

Ceux que n’anime aucun courage ? [81] »

 

Selon Chögyal Namkhai Norbu, il y a quatre types d’enseignants. Le premier est celui qui vous aide sur le chemin d’une manière très fondamentale en vous apprenant à lire, puisque « cela est utile pour finalement s’éveiller », ou il peut être quelqu’un qui a écrit un livre. Le deuxième type d’enseignants sème la graine de la foi. Le troisième relie aux maîtres de la lignée, même à ceux que l’on n’a jamais rencontrés - le maître de votre maître, par exemple. Il concerne aussi des maîtres qui donnent une transmission par un mantra.

Il y a une histoire remarquable à propos d’un maître de la tradition Shangpa Kagyü11 nommé Tulku Ugyanpa qui entre dans la troisième catégorie d’enseignants. On dit qu’il a eu « des centaines de disciples qui ont atteint la réalisation suprême et qu’il n’a jamais rencontrés (...) Un très grand nombre d’entre eux avaient reçu de lui une transmission et ont ensuite atteint la réalisation grâce à des lettres qu’il avait écrites. Il n’avait jamais parlé à ces personnes. [82] »

La quatrième catégorie d’enseignants est la plus importante : il s’agit du maître du cœur, qu’on appelle le maître ou le lama racine, le tsawai lama. C’est le maître qui vous fait réellement comprendre le sens profond des enseignements, mais « un maître racine n’est pas quelque chose que vous choisissez (...) C’est cet enseignant qui m’a apporté la vraie connaissance, une connaissance que nous appelons l’introduction directe… [83] »

Il est évident que rencontrer le lama racine est extrêmement important pour le développement spirituel, car c’est le lama racine qui nous ouvre les yeux, et on le rencontre au moment approprié.

Tenzin Palmo est une Anglaise exceptionnelle, une nonne contemporaine qui a passé plus de douze ans en retraite dans une grotte, cachée et isolée dans les montagnes himalayennes de Lahaul, au nord de l’Inde. Pour elle, la rencontre avec son maître racine, Khamtrul Rinpoché, fut pragmatique et discrète, mais marquée par un sentiment certain de reconnaissance. Le son même de son nom fit immédiatement écho en elle.

 

« Ce fut un sentiment que deux choses se passaient simultanément. L’une, c’était de voir quelqu’un que l’on connaît extrêmement bien et que l’on n’a pas vu depuis très longtemps. Une impression comme : ‘Oh, comme c’est bon de vous revoir !’ et en même temps, c’était comme si la partie la plus profonde de mon être avait pris forme en face de moi. [84] »

 

Milarépa, le grand yogi du onzième siècle, aimé tant par les Tibétains que par les Occidentaux comme héros populaire et comme saint, fut profondément affecté par sa rencontre avec son maître racine, Marpa. Après avoir pratiqué, par vengeance, la magie noire contre des membres de sa famille qui s’étaient approprié ses biens et sa terre, et après avoir tué trente-cinq personnes au mariage de son cousin, il finit par voir l’énormité de ses actes et s’en repentit.

Pour essayer de surmonter sa grande souffrance et purifier ses actions négatives, il fut envoyé chez un célèbre maître dzogchen mais, comme nous l’avons déjà expliqué, il ne réalisa pas à quel point cette occasion était précieuse et passa le plus clair de son temps à dormir ! Le maître dzogchen, écœuré par son arrogance et sa paresse, finit par lui ordonner de partir. « Je vois que je ne peux rien faire pour t’aider, lui dit-il. Tu devrais te rendre chez le grand maître Marpa, avec lequel je sens que tu as une connexion naturelle depuis des vies passées. »

Milarépa raconte qu’à l’instant où il entendit prononcer le nom de Marpa, « ... un frisson parcourut ma colonne vertébrale et mes cheveux et mes poils se dressèrent. J’étais empli d’une nostalgie soudaine et d’un puissant désir de le rencontrer, face à face. Incapable de penser à quoi que ce soit d’autre, je me mis immédiatement en chemin pour le Sud, en direction de la vallée du Blé, où il demeurait. »

Milarépa endura d’immenses épreuves du fait de son maître. Marpa lui fit construire une tour, pour la lui faire détruire et reconstruire sous une forme différente et à un autre endroit ! Cela se reproduisit de nombreuses fois jusqu’à ce que Milarépa, éprouvé jusqu’au point de rupture et dans un état de désespoir total, soit au bord du suicide. Il avait abandonné tout espoir de jamais recevoir des enseignements de Marpa lorsqu’il fut invité par son maître à une cérémonie. S’adressant aux personnes invitées à cette cérémonie, Marpa déclara : « Bien que j’aie pu sembler déraisonnable, je ne suis pas à blâmer pour les souffrances du grand magicien. En fait, j’ai utilisé ma colère comme moyen habile, pour le tester minutieusement et pour le purifier de ses mauvaises actions passées. »

Puis Marpa dit à Milarépa qu’il avait su, à leur première rencontre, qu’il serait un disciple valable. « Quand tu as bu toute la bière que je t’avais offerte et que tu as terminé de labourer le champ, j’ai eu la certitude que tu serais capable de recevoir et de comprendre la pleine signification de l’enseignement et de la transmission. Je t’ai soumis à une série d’épreuves éreintantes, mais tu n’as jamais perdu la foi ni nourri de mauvaises pensées à mon égard (...) À travers toi, les précieux enseignements vont grandir et s’épanouir comme la lune croissante. [85] »

 
[11] Shangpa Kagyü (shangs pa bka’ brgyud) est une lignée de l’école Kagyü du bouddhisme tibétain qui met l’accent sur la méditation et comprend les Six Yogas de Niguma (une yogini du onzième siècle, compagne ou sœur de Naropa).