1. le dzogchen : la grande perfection

« Les enseignements dzogchen ne sont ni une philosophie, ni une doctrine religieuse, ni une tradition culturelle. Comprendre le message des enseignements signifie découvrir sa propre condition véritable, dépouillée de toutes les auto-tromperies et falsifications créées par l’esprit. Le sens même du terme tibétain dzogchen, ‘la Grande Perfection’, se réfère au véritable état primordial de tout individu et pas à une quelconque réalité transcendante. [1] »

 

Le dzogchen, qui signifie « Grande Perfection », est une tradition spirituelle que l’on trouve dans le bouddhisme tibétain et dans l’ancienne tradition du bön, le patrimoine pré-bouddhiste du Tibet. Dans le cadre du bouddhisme tibétain, les enseignements du dzogchen, aussi appelés Atiyoga (ou « yoga primordial ») sont considérés comme la culmination ou le pinacle de toutes les voies bouddhistes de réalisation. En essence, la tradition dzogchen est un enseignement intérieur, ou enseignement du cœur qui est complet en soi, qui a ses propres pratiques et sa lignée distincte. En tant que voie ésotérique, il est caractérisé par son approche directe et non élaborée, car il ne dépend fondamentalement d’aucune forme extérieure ou et d’aucun rituel. Cependant, le terme dzogchen peut être employé pour désigner l’état parfait en lui-même de l’esprit, l’état non-duel au-delà des mots ou de toute description.

Les enseignements dzogchen s’intéressent principalement à montrer comment nous tous, en tant qu’individus, pouvons prendre la responsabilité de notre propre situation plutôt que de chercher une solution à l’extérieur de nous-mêmes, que ce soit auprès d’une autre personne, d’un état, d’une institution ou d’un système de croyances.

Bien que le terme « tradition dzogchen » soit fréquemment employé, il ne se réfère fondamentalement pas à un système de croyance ou à un type de philosophie que l’on pourrait « adopter ». À partir du moment où l’on commence à penser qu’il y a quelque chose de spécifique à « accepter » ou à « rejeter », on entre dans le processus dualiste de « celui qui possède » et de « ce qui est possédé », du sujet et de l’objet. La connaissance du dzogchen n’est par conséquent pas quelque chose que nous pouvons « embrasser » si nous choisissons de le faire, mais plutôt quelque chose que nous découvrons, comme si nous retirions un masque pour dévoiler notre vrai visage.

 

« Le dzogchen n’est pas une école ou une secte, ou un système religieux. C’est simplement un état de connaissance que les maîtres ont transmis au-delà de toute limitation de secte ou de tradition monastique. Dans la lignée des enseignements dzogchen, il y a eu des maîtres appartenant à toutes les classes sociales, y compris des fermiers, des nomades, des nobles, des moines et de grands personnages religieux, issus de toutes les traditions spirituelles ou écoles. [2] »

 

Au cours de l’histoire, les maîtres et les pratiquants dzogchen ont en effet défié toute allégeance à une religion, école, rang social ou structure institutionnelle particulière, et ont vécu dans les situations les plus diverses. Il y eut de célèbres maîtres dzogchen de grande stature publique, comme le cinquième Dalai Lama du Tibet, de même que d’humbles moines et pratiquants laïques, hommes et femmes. Aujourd’hui, on trouve des maîtres et des pratiquants dzogchen dans toutes les écoles du bouddhisme tibétain traditionnel - Nyingma, Kagyü, Sakya et Gelug1 - ainsi que dans l’ancienne tradition Bön. L’actuel Dalai Lama, par exemple, est un maître dzogchen et un moine gelugpa, tout en étant le chef politique et spirituel du Tibet. Sa Sainteté Dudjom Rinpoché et Sa Sainteté Dilgo Khyentsé Rinpoché, des maîtres nyingmapas, étaient de grand maîtres dzogchen qui ont beaucoup enseigné en Occident.

 

« Les enseignements de la Grande Perfection existent depuis des milliers d’années. Ce n’est pas quelque chose que les Tibétains ont inventé (...) Les maîtres dzogchen les ont importés d’Inde, mais ils existaient même avant cela (...) Pendant mille trois cents ans, les Tibétains ont fait de grands efforts pour préserver et maintenir ces sublimes et profonds enseignements. Les voici soudain offerts au monde entier, pour le bien de tous. C’est le temps du dzogchen. [3] »

 

L’intérêt pour la tradition dzogchen s’est énormément accru partout dans le monde au cours des dernières années et les enseignements sont maintenant plus diffusés et plus accessibles en Occident qu’ils ne l’ont jamais été, même au Tibet.

Le maître Chögyal Namkhai Norbu fait partie des maîtres tibétains contemporains les plus éminents de cette ancienne tradition. Il a commencé à enseigner à quelques étudiants occidentaux au milieu des années 1970, tout d’abord en Italie et peu après dans d’autres pays d’Europe et en Amérique. Depuis lors, il a continué à expliquer et transmettre les enseignements dzogchen avec un dévouement infatigable à des milliers d’étudiants du monde entier, puisque l’approche quintessentielle et non dogmatique du dzogchen résonne chez des personnes de toutes les cultures et nationalités.

 

« De nos jours, bien des gens n’ont pas d’intérêt pour les questions spirituelles, et leur manque d’intérêt est renforcé par l’attitude matérialiste générale de notre société. Si vous leur demandez en quoi ils croient, ils peuvent même répondre qu’ils ne croient en rien. De telles personnes pensent que toute religion est basée sur la foi, qu’ils considèrent à peine mieux que la superstition, sans intérêt pour le monde moderne. Mais le dzogchen ne peut être considéré comme une religion et ne demande à personne de croire en quoi que ce soit. Il suggère plutôt à la personne de s’observer soi-même et de découvrir quelle est sa condition réelle. [4] »

 

Parmi les autres maîtres dzogchen contemporains, citons Sogyal Rinpoché, un lama nyingmapa bien connu pour sa compréhension de la culture occidentale et en particulier pour son travail pénétrant sur la mort, Thinley Norbu, le fils de S.S. Dudjom Rinpoché, Lama Tharchin et de nombreux lamas nyingmapas plus jeunes. Nyoshul Khenpo était à la fois un maître de méditation dzogchen et un poète qui a écrit avec éloquence sur le dzogchen. Tulku Urgyen Rinpoché, un autre grand maître dzogchen décédé en 1995, disait que « même le mot dzogchen est mondialement connu. [5] »

Un enseignement qui n’est pas dépendant des éléments extérieurs peut à l’évidence être transposé d’une culture à une autre plus aisément qu’un enseignement qui met davantage l’accent sur les formes extérieures et réclame une certaine conformité.

 

« ... Le dzogchen ne dépend pas des circonstances extérieures ; c’est plutôt un enseignement sur les éléments essentiels de la condition humaine (...) Puisque les enseignements dzogchen ne dépendent pas de la culture, ils peuvent être enseignés, compris et pratiqués dans n’importe quel contexte culturel. [6] »

 

C’est à cause de sa nature quintessentielle que la pratique du dzogchen se prête plus facilement au style de vie occidental que d’autres types de disciplines, qui sont plus dépendantes des structures ou des rituels extérieurs. Pour être un pratiquant du dzogchen, il n’est pas nécessaire de changer quoi que ce soit au niveau extérieur - ses habits, son travail ou son style de vie.

 

« ...Quand vous pratiquez les enseignements du dzogchen, vous devez comprendre votre capacité et votre culture. Chaque personne a sa propre compréhension, en lien à son attitude et sa culture. Vous pouvez utiliser cela et à travers votre culture, vous pouvez pénétrer et développer la compréhension (...) Vous ne devez pas confondre la culture avec l’enseignement (...) Vous ne devez pas changer de culture. Il n’y a rien à jeter. [7] »

 

Dans la tradition dzogchen, on dit qu’un pratiquant doit toujours essayer de s’intégrer ou de s’adapter totalement à la situation et aux conditions dans lesquelles il se trouve. Cela veut dire en général qu’un individu doit être pleinement conscient de la société et des circonstances dans lesquelles il vit et respecter ses conventions et ses coutumes. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’il devrait être conditionné ou attaché à de telles coutumes. On considère qu’un bon pratiquant est quelqu’un qui a intégré en soi-même l’état de contemplation de manière si complète que, quelles que soient les circonstances, il peut n’y avoir aucun signe extérieur permettant de savoir qu’il pratique !

D’un point de vue historique, c’est en partie à cause du fait qu’il n’y a rien à montrer ou à changer extérieurement que la pratique du dzogchen a souvent été considérée comme une voie « cachée ».

 
[1] Nyingmapa (rnying ma pa) : la plus ancienne tradition du bouddhisme tibétain basée sur les enseignements de Padmasambhava.
Kagyüpa (bka’ brgyud pa) : un ordre ancien partiellement réformé basé sur le système monastique des Kadampa combiné avec les pratiques tantriques des yogis et des pratiquants laïques.
Sakyapa (sa skya pa) : l’une des quatre écoles principales du bouddhisme tibétain, qui met l’accent tant sur l’apprentissage intellectuel que sur la méditation.
Gelugpa (dge lugs pa) : la secte réformée du bouddhisme tibétain, fondée par Tsongkapa au XIVe siècle.