Patrul Rinpoché, le vagabond éveillé (1808-1887)

Vagabond et maître très aimé, Patrul Rinpoché fut reconnu comme l’incarnation de la Parole de Jigmé Lingpa. Lorsqu’il naquit, dans le Kham, OM MANI PADMÉ HUM, le mantra du Bouddha de la Compassion, Avalokiteshvara, était marqué sur son cou, et quelques jours seulement après sa naissance on l’entendit chanter ce mantra distinctement.

Bien qu’il fût une incarnation importante, un grand érudit et un grand maître, Patrul Rinpoché vécut une vie très humble et simple, renonçant à toute richesse et possession. Ses maîtres principaux furent Jigmé Gyalwai Nyugu (le principal disciple de Jigmé Lingpa) et Do Khyentsé, un yogi fou et impétueux.

De Jigmé Gyalwai Nyugu, Patrul Rinpoché reçut les enseignements sur tsalung 38 issus de Jigmé Lingpa et au moins quatorze fois les pratiques préliminaires du Longchen Nyingthig. Il consigna par écrit les commentaires de son maître sur ces pratiques préliminaires dans un célèbre ouvrage, le Kunzang Lama’i Sheloung, qui est largement étudié aujourd’hui. Jigmé Gyalwai Nyugu lui donna également des enseignements sur le dzogchen.

Patrul Rinpoché transmit les deux lignées de tsalung et du Yéshé Lama à Adzom Drukpa (voir la page 175) pour le remercier d’une faveur : Adzom Drukpa avait aidé sa mère lors de sa mort en guidant sa conscience dans l’état intermédiaire, ou bardo (voir le chapitre 10).

De Do Khyentsé, maître dzogchen totalement non orthodoxe, Patrul Rinpoché reçut le surnom de « Vieux Chien » et dès lors se désigna lui-même par ce nom : « Grâce à la bonté unique du Seigneur Khyentsé, mon nom dzogchen est désormais Vieux Chien. Ne voulant et n’ayant besoin de rien, je vagabonde, librement. [146] »

Patrul Rinpoché vécut en fait la vie d’un mendiant, arpentant la campagne vêtu comme un nomade d’un vieux manteau en peau de mouton et en loques et dormant là où il s’arrêtait. Il refusait les offrandes d’or et d’argent, trouvant qu’elles causaient trop de soucis ! Il était plus intéressé par l’essence des enseignements et par le fait d’amener le bouddhisme dans la vie quotidienne. Il découragea les offrandes de viande faites aux lamas et interdit la chasse et le vol, amenant parfois des chasseurs et des bandits à changer de comportement par sa seule présence. Dans certains endroits, il inspira la population tout entière à réciter le mantra de la compassion, OM MANI PADMÉ HUM, et dans sa région natale de Dzachuka, il passa de nombreuses années à ajouter à un mur des pierres gravées de ce mantra. Il accepta dès lors des offrandes telles que du beurre, dont il se servit pour payer des gens pour graver des mantras sur le mur de pierres.

 

Il vécut longtemps retiré du monde, sous un arbre dans la forêt d’Ari. Le seul autre habitant de cette forêt était Nyoshul Lhungthok. Ils se rencontraient chaque jour sous un arbre à l’heure du déjeuner pour manger ensemble un petit peu de tsampa (de la farine d’orge tibétain), et Patrul Rinpoché donnait à Nyoshul Lhungtok des enseignements sur le Bodhicharyavatara, « La marche vers l’éveil », de Shantidéva. D’autres disciples entendirent rapidement parler de ce vagabond éveillé qui vivait de presque rien excepté un peu de tsampa, et ils vinrent recevoir des enseignements. La forêt n’offrait pas de végétation comestible, et le thé était infusé encore et encore jusqu’à avoir complètement perdu sa couleur et son goût ! Mais pour Patrul Rinpoché, les richesses n’étaient qu’une source de problèmes :

 

« La pauvreté est bonne, la prospérité ne l’est pas.

La prospérité génère les grandes douleurs de gagner davantage et de la préserver. [147] »

 

Patrul Rinpoché mourut à l’âge de soixante-dix-huit ans dans un état d’absorption et demeura dans la contemplation au-delà de la naissance et de la mort. Il ne laissa rien qui eût une quelconque valeur matérielle, hormis un ensemble de robes, un châle, un peu de nourriture et six livres. Dans la vie, il était simple, direct, compatissant et il adoptait souvent une attitude rude afin d’éveiller les gens. Il traitait chacun en égal, des mendiants jusqu’aux rois, et était complètement non sectaire dans son approche des différentes écoles du bouddhisme tibétain. Bien qu’il fût connu comme un « yogi caché », le troisième Dodrupchen le comparait à de l’or pur : « Même si l’or reste sous terre, sa lumière irradie dans le ciel [148]. » Il laissa une œuvre en six volumes, comprenant des instructions remarquablement concises sur le dzogchen : Les trois mots qui frappent l’essence et le Kunzang Lama’i Shelung, traduit en français sous le titre Le chemin de la Grande Perfection. Lama Mipham et Ogyen Tendzin, l’oncle de Chögyal Namkhai Norbu, comptent parmi ses disciples.

 
[38] Tsa Lung (rtsa lung) est un terme général pour désigner les méthodes yoguiques utilisées pour contrôler les canaux énergétiques et le prana.