Rêves de clarté

Dans le bouddhisme tibétain, les rêves eux-mêmes sont généralement classés selon deux catégories, les « rêves karmiques » et les « rêves de clarté ».

Les rêves karmiques, qui se produisent le plus souvent durant la première partie de la nuit, sont en lien avec des « traces karmiques » qui nous viennent de notre vie quotidienne (ou même de vies passées) et sont imposés par nos dispositions et propensions physiques, émotionnelles et mentales.

Les rêves de clarté peuvent se manifester de nombreuses façons différentes. Les rêves qui prédisent l’avenir, révèlent des chants de guérison ou des remèdes, ou donnent des conseils à propos de notre condition spirituelle sont tous considérés comme appartenant à cette catégorie. Les enseignements terma qui sont révélés en rêve sont des rêves de clarté très spéciaux, qui ont un intérêt pour l’ensemble de la lignée (voir le chapitre 9).

Les rêves de clarté se produisent habituellement dans les premières heures du matin, quand le sommeil est plus léger et moins conditionné par les soucis de la vie quotidienne. Ils ont souvent une qualité symbolique ou « archétypale », et peuvent informer le rêveur de manière très précise. La plupart des gens ont fait une fois ou l’autre dans leur vie l’expérience d’un rêve de cette qualité, un rêve qui contient peut­-être un avertissement ou un conseil personnel. La compréhension intuitive de ce type de rêve personnel peut souvent être spontanée et directe.

De par la stabilité de leur pratique méditative, certains maîtres tibétains sont capables d’utiliser les rêves de clarté de manière spécifique à des fins divinatoires. Les rêves peuvent ainsi offrir une source très réelle d’inspiration et de guidance spirituelle à de nombreux niveaux différents, aussi bien dans le bouddhisme tibétain que dans d’autres traditions.

En dehors du caractère informatif pour le rêveur individuel, il existe aussi une catégorie de rêves qui bénéficient à l’ensemble de la population. Ces rêves sont courants dans les sociétés tribales et sont généralement révélés à un chamane, à un saint homme ou une sainte femme. Le chef visionnaire des Indiens Sioux, Black Elk, a par exemple rêvé d’une plante qui pouvait apporter un soulagement à sa tribu :

 

« La nuit était déjà avancée et je fus bientôt endormi. Dans mon sommeil, je vis mon peuple triste et préoccupé, assis tout autour d’un tipi sacré, et nombre d’entre eux étaient malades. Et tandis que je les regardais et pleurais, une étrange lumière s’élança du sol à côté de moi - une lumière multicolore, étincelante, dont les rayons touchaient les cieux. Puis elle disparut, et à l’endroit d’où elle avait jailli poussait une plante, et je vis les feuilles qu’elle avait. Et alors que je regardais la plante pour ne pas l’oublier, une voix me réveilla, qui disait : « Hâte-toi. Ton peuple a besoin de toi. [178] »

 

Pour les Aborigènes, le « temps du rêve » est un lieu d’inspiration créatrice et de guidance spirituelle. D’après leurs mythes, les productions créatives telles que les chants ou les dessins leur sont venues à travers les rêves depuis des temps immémoriaux et continuent d’enrichir leur culture aujourd’hui. Ils considèrent que ces cadeaux artistiques viennent de leurs ancêtres, qu’ils appellent « les Rêveurs », par opposition à ce qui vient d’une source personnelle ou individuelle.

Les rêves qui révèlent une danse, un savoir-faire ou un chant ayant un intérêt pour la tribu tout entière sont également courants chez les Sénoï de la péninsule de Malaisie. Rêver et interpréter les rêves forment la base même de leur société et le point central de leur intérêt intellectuel et spirituel. Mais à la différence de la plupart des approches occidentales du rêve, leur attitude à l’égard du monde du rêve est proactive ! Les enfants apprennent à réagir et à se comporter correctement dans leurs rêves, de manière à pouvoir résoudre leurs conflits internes et être en même temps source de bienfait pour la société dans son ensemble :

 

« Le Sénoï croit que chaque être humain, avec l’aide de ses semblables, peut braver, maîtriser et véritablement utiliser tout être et toute force dans l’univers du rêve. Ses expériences le conduisent à croire que, si vous coopérez avec vos semblables ou vous opposez à eux avec une bonne intention pendant la journée, leurs images finiront par vous aider dans leurs rêves, et que toute personne devrait et peut devenir le souverain et le maître suprême de ses propres rêves ou de son univers spirituel, et peut exiger et recevoir l’aide, la coopération de toutes les forces qui sont là. [179] »