D’autres pratiquants qui ont actualisé le corps d’arc-en-ciel

De nombreuses personnes, parmi lesquelles le frère de Jamgön Kongtrul, le grand maître non-sectaire du dix-neuvième siècle, et Jamyang Khyentsé Wangpo, virent un jour une nonne âgée actualiser le corps d’arc-en-ciel dans une étable. Alors qu’elle était en pèlerinage, elle avait demandé à une riche famille si elle pouvait utiliser une de leurs étables pour faire une retraite, disant qu’elle n’en aurait besoin que pour une semaine. Personne ne savait comment elle allait se nourrir - chacun présumait qu’elle avait fait ses propres arrangements. Elle avait simplement annoncé qu’elle voulait faire une retraite fermée et que la porte de l’étable serait scellée.

Après seulement trois jours, d’éclatants « rayons de lumière tourbillonnants de différentes couleurs se mirent à filtrer par les trous et les fissures du mur de pierre de l’étable. La lumière sortait aussi par dessous le toit, tandis qu’à l’extérieur de l’étable des sphères de lumière se déplaçaient rapidement [200] ». Nul ne savait si la nonne mangeait ou buvait, car personne ne lui amenait à manger, et il était impossible de cuisiner dans l’étable car il n’y avait pas de foyer. Avant la fin de la semaine, se demandant ce qui se passait, les serviteurs de la maisonnée forcèrent la porte. Dans l’étable, ils trouvèrent le corps de la nonne, maintenant « désagrégé. Ses mains se trouvaient d’un côté et ses pieds d’un autre ; ses membres n’étaient plus reliés au corps mais gisaient, éparpillés. Des tourbillons de lumière arc-en-ciel sortaient de l’extrémité des os tandis que le corps continuait à se déliter. [201] »

Fort heureusement, quelqu’un réalisa qu’il se passait là quelque chose de merveilleux et s’assura que l’étable soit à nouveau scellée pendant sept jours complets, comme la nonne l’avait demandé. Ce temps écoulé, aucun os, aucune partie du corps de la nonne ne jonchait plus le sol de l’étable, et le rayonnement de lumière arc-en-ciel avait cessé. Il ne restait plus que des ongles et des cheveux.

Dans les années 1950, à l’est du Tibet, un humble vieillard, simple tailleur de pierre, actualisa le corps d’arc-en-ciel à l’étonnement de tout le monde. Personne ne savait même que c’était un pratiquant, bien que la rumeur racontât que lorsqu’il était jeune - c’était un chasseur - il avait reçu des enseignements d’un grand lama. Puis il avait travaillé comme serviteur dans une riche famille avant de se mettre à graver des mantras sur des pierres, pour quelques sous. Il travaillait durant la journée et, à l’exception de deux ou trois heures de sommeil, il passait ses nuits en contemplation. Son fils, qui était moine, ne comprenait pas que son père intégrait en fait méditation et vie quotidienne ; il pensait qu’il aurait dû pratiquer de manière plus formelle et structurée. À cela, le tailleur de pierre répondait simplement : « La conscience éveillée intrinsèque est le point principal, mon fils. Essaie simplement de maintenir la lucidité de la conscience intrinsèque elle-même, l’état d’être naturel. Il n’y a pas d’autre Bouddha. [202] »

Quelques années avant sa mort, le tailleur de pierres tomba malade, mais au lieu de s’en affliger il devint de plus en plus joyeux, composant ses propres chants de louange plutôt que de chanter des chants traditionnels. Il semblait délaisser tous les mantras, rituels ou prières traditionnelles tibétaines, au grand désespoir de son fils, maintenant convaincu que son père avait complètement perdu contact avec les enseignements bouddhistes. Mais en réponse aux exhortations de son fils, le vieux tailleur de pierre répondait : « Il n’y a pas de Bouddha extérieur qui mérite qu’on lui voue un culte. L’état d’éveil inné de la conscience intrinsèque est notre nature primordiale. [203] »

Comme son état empirait, le vieil homme dit à son fils : « Fils, j’ai oublié la religion. Quoi qu’il en soit, il n’y a rien à se rappeler ! Tout est illusoire, et cependant je suis heureux - tout est parfait ! [204] » La mort approchant, sa seule requête fut que son corps ne soit pas déplacé pendant une semaine.

À sa mort, son corps fut revêtu de ses habits et conservé dans la maison. Lamas et moines vinrent dire des prières rituelles pour lui et remarquèrent, le sixième jour, que le vieil homme, qui avait été grand, semblait maintenant rapetisser. Des lumières arc-en-ciel étaient visibles autour de la maison56. Le jour de sa crémation, le huitième jour, les croque-morts vinrent chercher son corps, mais dans son linceul il n’y avait rien d’autre que des ongles et des cheveux. Le vieil homme, dont tout le monde ignorait qu’il était un pratiquant dzogchen, avait actualisé la suprême réalisation du corps d’arc-en-ciel. L’oncle de Chögyal Namkhai Norbu, Ogyen Tendzin, en fut lui-même témoin, ainsi que plusieurs personnes de différentes écoles bouddhistes et des officiels du gouvernement chinois.

Togden Ogyen Tendzin manifesta lui aussi un corps d’arc-en-ciel. Il avait souffert de maladie mentale plus tôt dans sa vie mais avait surmonté ces problèmes, essentiellement grâce aux bénédictions de son maître, Adzom Drukpa, et aussi en pratiquant avec diligence le yantra yoga et le chöd. Du fait de ses difficultés antérieures, il était encore plus miraculeux qu’il atteigne ce niveau de réalisation. Durant la révolution culturelle, il avait été forcé d’interrompre sa retraite, qu’il faisait dans une grotte isolée. « Ne pas travailler » était à cette époque considéré comme du parasitisme. En fait, toute pratique religieuse était interdite. Ogyen Tendzin eut la chance d’être seulement assigné à résidence dans une petite maison de ville en bois appartenant à des Tibétains. Là, il put rester en retraite et reçut de l’aide pour son ravitaillement. Puis il fut transféré à la campagne, où un fonctionnaire tibétain qui s’était en quelque sorte porté garant pour lui venait vérifier ce qui se passait à intervalles réguliers. À l’une de ses visites, il trouva la porte fermée. Personne ne répondit quand il frappa et fut forcé de casser la porte.

 

« [Il] trouva le corps de Togden sur sa couche de méditation ; mais le corps avait maintenant la taille d’un petit enfant. Le fonctionnaire était très préoccupé : comment allait-il expliquer une telle chose à ses supérieurs chinois ? Il avait peur qu’ils croient qu’il aidait Todgen à s’échapper d’une manière ou d’une autre. Il alla donc immédiatement les prévenir de ce qui s’était passé. [205] »

 

Lorsqu’il revint à la maison avec les fonctionnaires du gouvernement chinois pour chercher le petit corps, ils n’y trouvèrent rien, à part des cheveux et des ongles. Ogyen Tendzin avait atteint le corps d’arc-en-ciel, à la grande perplexité des Chinois. Le fonctionnaire tibétain, quant à lui, avait une certaine compréhension de ce phénomène. Il dit qu’« il avait entendu dire que d’anciens textes parlaient de yogis qui réalisaient ce qu’on appelait un ‘corps de lumière’, bien qu’il ne se soit jamais attendu à voir pareille chose lui-même [206] ».

Redoutant les répercussions, il s’enfuit au Népal et devint par la suite un pratiquant assidu, inspiré par ce à quoi il avait eu le privilège d’assister. En 1984, il rencontra Chögyal Namkhai Norbu à qui il raconta cette histoire. Chögyal Namkhai Norbu commente :

 

« J’étais profondément ému d’entendre ainsi parler de la réalisation de mon oncle. Sachant à quel point les divers troubles mentaux dont il avait souffert au début de sa vie avaient été sérieux, je ne m’attendais pas qu’il accomplisse tant en une seule vie. Son exemple montre ce qui est possible pour chaque individu. [207] »

 

 
[56] Les récits varient légèrement - selon certaines versions, le vieil homme était dans une maison, selon d’autres dans une tente cousue. L’oncle de Chögyal Namkhai Norbu racontait qu’il s’agissait d’une tente.