1938. Le lâche soulagement


Le 12 septembre 1938, à Nuremberg, Hitler déclare ne plus pouvoir tolérer les « tortures » que subissent, selon lui, les Sudètes, populations allemandes de Tchécoslovaquie qui demandent leur rattachement à l’Allemagne. Neville Chamberlain, Premier ministre britannique depuis 1937, est convaincu du bon droit de cette requête. Il rencontre Hitler à Berchtesgaden, qui l’informe de son intention d’annexer les Sudètes. De retour à Londres, Chamberlain convainc avec succès son cabinet ainsi que le gouvernement français d’Édouard Daladier. Dans Le Populaire du 20 septembre, Léon Blum réagit à cette diplomatie qui démembre la Tchécoslovaquie sous la pression de Hitler.

 

Je résume la situation en quelques phrases sèches, mais dont chacune pourra être développée et justifiée.

M. Neville Chamberlain, parti pour négocier un arrangement « honorable et équitable », est revenu de Berchtesgaden porteur d’un ultimatum du Führer-chancelier.

Le gouvernement britannique a cédé devant cet ultimatum.

Le gouvernement français, si l’on s’en rapporte à son communiqué officiel, a donné son acquiescement pur et simple. Si l’on se fie à certaines rumeurs, il a fait réserve mentale de son assentiment définitif jusqu’à ce que la réponse de Prague fût connue.

Le gouvernement français s’est donc jugé hors d’état d’obtenir un changement de la position anglaise. Cette impuissance est le résultat des divisions intérieures et des pressions qui se traduisaient sourdement depuis plusieurs semaines, qui depuis huit jours sont patentes à Berlin comme à Londres et qu’au surplus leurs auteurs ont pris à tâche de rendre publiques.

Il n’est pas exclu que le fléchissement du cabinet britannique soit imputable dans une certaine mesure à cet état du cabinet français et d’une fraction des milieux politiques français.

Le gouvernement de Prague, saisi au début de l’après-midi, après les séances des Conseils des ministres anglais et français, a délibéré à son tour. M. Neville Chamberlain était allé à Berchtesgaden ; personne n’a invité M. Benès1 ou M. Hodza2 à venir à Londres. On leur a notifié, débattu en dehors d’eux, arrêté sans eux, un plan qui mutile le territoire de l’État tchécoslovaque, ampute sa souveraineté et qui par voie de conséquence rompt et désavoue ses alliances.

Je ne connais pas, à l’heure où j’écris, la réponse de la Tchécoslovaquie. Mais, quelle qu’elle soit, la partie de Hitler est gagnée contre l’Angleterre et la France. Son plan est devenu le leur. C’est elles qui l’ont présenté à la Tchécoslovaquie. Rien ne manque à son succès, puisqu’il serait même parvenu à leur faire accepter le rejet de l’URSS en dehors du système des puissances qui garantiraient le territoire tchécoslovaque mutilé, et sans doute aussi la rupture du Pacte tchéco-soviétique.

Quoi qu’il advienne, les conséquences iront loin, en Europe et en France. La guerre est probablement écartée. Mais dans des conditions telles que moi, qui n’ai cessé de lutter pour la paix, qui depuis bien des années lui avais fait d’avance le sacrifice de ma vie, je n’en puis éprouver de joie et que je me sens partagé entre un lâche soulagement et la honte.

Le Populaire, 20 septembre 1938.


1.

Édouard Benès (1884-1948) est président de la République tchécoslovaque depuis 1935.

2.

Milan Hodja (ou Hodza) est le président du Parti agrarien tchécoslovaque, partisan du compromis à tout prix. Il rencontre des représentants du gouvernement français dans la nuit du 20 septembre.